La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/01/2019 | MONACO | N°17749

Monaco | Tribunal du travail, 17 janvier 2019, Mme l. B. c/ SAM DRAKE INTERNATIONAL SERVICES


Motifs

TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 17 JANVIER 2019

En la cause de Madame l. B., demeurant X1 à MONACO ;

Demanderesse, ayant primitivement élu domicile en l'étude de Maître Déborah LORENZI-MARTARELLO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, puis en celle de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Massimo LOMBARDI, avocat au barreau de Nice ;

D'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée DRAKE INTERNATIONAL SERVICES, dont le siège social se situe « 

Europe Résidence », Place des Moulins à MONACO ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joël...

Motifs

TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 17 JANVIER 2019

En la cause de Madame l. B., demeurant X1 à MONACO ;

Demanderesse, ayant primitivement élu domicile en l'étude de Maître Déborah LORENZI-MARTARELLO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, puis en celle de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Massimo LOMBARDI, avocat au barreau de Nice ;

D'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée DRAKE INTERNATIONAL SERVICES, dont le siège social se situe « Europe Résidence », Place des Moulins à MONACO ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Donald MANASSE, avocat au barreau de NICE, substitué par Maître Laure MICHELLE, avocat en ce même barreau ;

D'autre part ;

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 17 mars 2016, reçue le même jour ; Vu la procédure enregistrée sous le numéro 77-2015/2016 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 19 avril 2016 ;

Vu les conclusions de Maître Déborah LORENZI-MARTARELLO, avocat-défenseur au nom de Madame l. B. en date des 6 octobre 2016 et 5 octobre 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur au nom de la S.A.M. DRAKE INTERNATIONAL SERVICES, en date des 2 mars 2017 et 1er février 2018 ;

Après avoir entendu Maître Massimo LOMBARDI, avocat au barreau de Nice pour Madame l. B. et Maître Laure MICHELLE, avocat en ce même barreau pour la S.A.M. DRAKE INTERNATIONAL SERVICES, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

Madame l. B. a été embauchée par la S.A.M. DRAKE INTERNATIONAL SERVICES (ci-après société DRAKE) suivant contrat à durée indéterminée à compter du 17 mars 2014, en qualité de Comptable régionale, moyennant un salaire mensuel de 5.000 euros brut pour une durée de travail de 28 heures par semaine, sur trois jours et demi.

Le 15 octobre 2014, le contrat de travail a fait l'objet d'une demande de modification auprès des services de l'emploi, passant à 39 heures par semaine et avec un salaire mensuel de 7.000 euros brut.

Par courrier en date du 21 septembre 2015, la salariée a été convoquée à un entretien préalable en vue de son licenciement, pour le 22 septembre 2015.

Par courrier en date du 19 octobre 2015, Madame l. B. a fait l'objet d'un licenciement fondé sur les dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963.

Par requête en date du 17 mars 2016, reçue au greffe le même jour, Madame l. B. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :

* dommages et intérêts pour licenciement abusif et sans motif : 237.575,04 euros,

* dommages et intérêts pour la réparation du préjudice subi du fait du non-versement des cotisations sociales : 59.393,76 euros,

* rappel sur indemnité de congédiement : 8.549,10 euros,

* rappel sur indemnité de préavis : 10.315,08 euros,

* rectification des bulletins de salaire sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,

* des cotisations correspondant aux salaires dissimulés à la C.C.S.S.,

* frais de justice et dépens.

Aucune conciliation n'ayant pu aboutir, le dossier a fait l'objet d'un renvoi devant le bureau de jugement.

Madame l. B. a déposé des conclusions les 6 octobre 2016 et 5 octobre 2017 dans lesquelles elle demande au Tribunal de condamner la S.A.M. DRAKE INTERNATIONAL SERVICES à lui payer les sommes suivantes :

* 237.575,04 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

* 59.393,76 euros à titre de dommages et intérêts pour la réparation du préjudice subi du fait du défaut de versement des cotisations sociales à la C.C.S.S.,

* 4.452,71 euros à titre de rappel sur indemnité de licenciement,

* 11.499 euros à titre de rappel sur indemnité de préavis.

Elle sollicite encore la rectification de ses bulletins de salaire sous astreinte de 100 euros à compter de la signification de la décision à intervenir et la condamnation de l'employeur aux dépens.

Madame l. B. fait essentiellement valoir que :

* le 1er octobre 2014, sa rémunération est revue à la hausse pour passer à 7.000 euros brut par mois, outre les sommes 2.333 euros et 1.500 euros ne figurant pas sur son bulletin de salaire,

* aucun document contractuel ne fait état d'un travail à temps partiel jusqu'au 1er octobre 2014,

* elle a toujours travaillé 169 heures par mois du 17 mars 2014 jusqu'à son licenciement,

* à compter du mois d'octobre 2014, ce n'est pas le nombre d'heures de travail qui a été modifié mais le taux horaire auquel celles-ci étaient rémunérées,

* les virements des sommes de 2.333 euros et 1.500 euros étaient effectués par l'employeur, mensuellement, depuis le mois d'avril 2014 pour le virement de 1.500 euros et depuis de mois novembre 2014 pour le virement de 2.333 euros,

* elle n'a été désignée comme administratrice de la société ATLANTIC GENERAL INSURANCE que le 1er août 2014,

* le procès-verbal d'assemblée générale produit par l'employeur ne prévoit aucune rémunération pour les fonctions d'administrateur,

* La société DRAKE ADMINISTRATIVE SERVICES a payé pour le compte de la S.A.M. DRAKE INTERNATIONAL SERVICES,

* Ces versements venaient en complément de son salaire,

Sur le licenciement :

* elle a fait l'objet d'un licenciement parce qu'elle a demandé que l'intégralité de sa rémunération soit déclarée et que mention en soit faite sur sa fiche de paie dans son intégralité,

* elle n'a pas perçu l'intégralité des sommes qui devaient lui revenir au titre de l'indemnité de préavis et de l'indemnité de licenciement,

* l'employeur a violé la législation applicable concernant la durée journalière du travail,

* l'employeur n'a jamais sollicité de l'administration l'autorisation de la faire travailler plus de 10 heures par jour,

* il a également volontairement omis de déclarer l'intégralité de la rémunération qui lui était versée,

* ce licenciement inattendu et injustifié lui a causé un malaise et elle a fait l'objet de plusieurs arrêts maladie à compter du lendemain de l'entretien préalable,

* elle n'a pas été reçue par l'employeur dans le cadre de cet entretien préalable mais par un mandataire externe à l'entreprise,

* l'employeur n'a même pas signé la lettre de licenciement,

* l'employeur n'a pas pris comme base de calcul l'intégralité de sa rémunération,

* elle a subi un préjudice moral important,

* elle n'a toujours pas retrouvé d'emploi,

Les dommages et intérêts pour défaut de déclaration et de paiement des cotisations sociales :

* cette situation a entraîné une situation de stress et un véritable préjudice psychologique,

* elle subit en outre un préjudice au regard de ses cotisations pour la retraite et aux remboursements des indemnités de la sécurité sociale.

La S.A.M. DRAKE INTERNATIONAL SERVICES a déposé des conclusions les 2 mars 2017 et 1er février 2018 dans lesquelles elle s'oppose aux prétentions émises à son encontre et sollicite reconventionnellement la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé.

Elle fait essentiellement valoir que :

* à compter du 15 octobre 2014, la durée de travail de la salariée est passée à 169 heures par mois,

* une demande de modification de contrat de travail, signée par la salariée et l'employeur, était déposée, portant le salaire de Madame l .B. à 7.000 euros brut et le nombre d'heures hebdomadaires à 39 heures, au lieu de 5.000 euros et 28 heures,

* Madame l. B. n'apporte aucun élément de preuve susceptible de démontrer que la durée légale de son temps de travail n'aurait pas été respectée,

* c'est donc sur la base de cette rémunération de 7.000 euros que les droits de Madame l. B. ont été calculés, suite à son licenciement,

* même si les termes « temps partiel » n'apparaissent ni dans la lettre d'embauche ni dans le contrat de travail, le caractère partiel du temps de travail de la salariée jusqu'au 14 octobre 2014 n'est pas contestable,

* la salariée ne produit aucune réclamation à ce titre, laquelle est intervenue après le licenciement,

Sur les sommes de 2.333 euros et 1.500 euros :

* ces sommes n'ont pas été versées par l'employeur mais par la société DRAKE ADMINISTRATIVE SERVICES, entité juridique différente,

* la nature salariale desdites sommes n'est pas démontrée par Madame l. B.

* cette dernière ne démontre pas plus que ces sommes correspondraient à la rémunération dissimulée d'une prestation de travail salariée envers la société DRAKE INTERNATIONAL SERVICES,

* à compter du mois de juillet 2014, Madame l. B. a occupé les fonctions de Secrétaire Administrateur de la société de droit des BAHAMAS ATLANTIC GENERAL INSURANCE LIMITED,

* c'est en cette qualité qu'elle a perçu lesdites sommes,

* Madame l. B. ne justifie pas de compétences ou de responsabilités ou fonctions qui lui auraient permis de percevoir un salaire de plus de 11.000 euros,

Sur le licenciement :

* les droits de la salariée ont été respectés,

* le licenciement a été précédé d'un entretien préalable,

* les prétendues réclamations de la salariée seraient intervenues au mois de septembre 2014, soit un an avant le licenciement et surtout concernant les versements de 2.333 euros et 1.500 euros à compter du mois d'octobre 2014,

* la durée journalière de son travail a été respectée,

* aucune violation de la législation sociale n'est démontrée par la salariée,

* le licenciement ne présente aucun caractère abusif,

* Madame l. B. n'établit aucun lien de causalité entre son arrêt maladie et l'annonce d'un éventuel licenciement,

* la salariée ne justifie pas de ses recherches d'emploi.

À l'audience de plaidoirie, le Tribunal a soulevé d'office le moyen de droit tenant à la recevabilité de la demande à hauteur de 4.452,71 euros à titre de rappel sur indemnité de licenciement, cette demande ne figurant pas dans la requête introductive d'instance, et a invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen de droit.

Le conseil de Madame l. B. a indiqué qu'il s'en remettait.

Le conseil de la défenderesse a répondu que ladite demande était irrecevable.

SUR CE,

Sur la recevabilité de la demande de 4.452,71 euros à titre de rappel sur indemnité de licenciement

En application de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946, modifiée, le bureau de jugement du Tribunal du travail ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative obligatoire de conciliation, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum.

Si le demandeur peut, en vertu des dispositions de l'article 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, modifier ses demandes devant le bureau de conciliation, la possibilité d'augmenter ses prétentions ou d'en formuler de nouvelles, en l'absence d'une disposition identique contenue dans cette même loi, ne lui est pas ouverte devant le bureau de jugement, lequel ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative obligatoire de conciliation, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum, en application de l'article 1er précité.

En l'espèce, Madame l. B. a présenté une demande additionnelle dans ses écritures, n'ayant pas fait l'objet du préliminaire de conciliation.

En effet, la demande à titre de rappel sur indemnité de licenciement ne figure pas sur la requête introductive d'instance et doit dès lors être déclarée irrecevable.

Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail

Les pièces des dossiers respectifs des parties montrent que :

* Madame l. B. a été embauchée dans un premier temps à temps partiel pour une durée de 28 heures par semaine et un salaire de 5.000 euros par mois :

* le contrat de travail signé par les parties ne comporte pas le nombre d'heures hebdomadaire,

* cependant, la demande d'autorisation d'embauchage du 14 avril 2014 fait état de 28 heures hebdomadaire, de même que le permis de travail accordé à Madame l. B.

* Madame l. B. a par la suite vu son contingent d'heures passer à 39 heures par semaine, sur cinq jours, avec un salaire de 7.000 euros par mois, ainsi qu'il résulte :

* du contrat de travail signé par les parties,

* de la demande de modification dudit contrat en date du 15 octobre 2014,

* la salariée a perçu de la société DRAKE ADMINISTRATIVE SERVICES LTD des sommes de 2.333 euros et 1.500 euros par virements bancaires.

Le bulletin de paie doit indiquer la période et le nombre d'heures de travail auxquels se rapporte le salaire.

En l'espèce, les bulletins de salaire remis à la salariée à compter de son embauche comportent la mention « 169 heures », alors que l'ensemble des documents contractuels fait état d'un temps partiel de 28 heures hebdomadaire.

Les mentions portées sur le bulletin de paye constituent une présomption en faveur du salarié.

Dès lors, en présence de la mention d'un temps plein en lieu et place d'un temps partiel prévu au contrat, il appartient à l'employeur de prouver que la salariée ne réalisait pas les 169 heures de travail y figurant.

Le Tribunal relève que l'employeur est défaillant dans l'administration de la preuve à ce titre, se contentant d'invoquer les documents contractuels signés par les parties, ce qui ne saurait renverser la présomption de temps plein résultant des bulletins de salaire.

Ce faisant, Madame l. B. soutient qu'elle percevait, en contrepartie de ce temps plein, des sommes ne figurant pas sur ses bulletins de salaire, à savoir 2.333 euros et 1.500 euros tous les mois.

Il appartient dans ces circonstances à la salariée de prouver que les sommes litigieuses ont été versées par l'employeur en contrepartie d'une prestation de travail.

Le Tribunal relève à ce titre que les relevés de compte produits aux débats par Madame l. B. montrent :

* qu'elle a perçu la somme de 2.333 euros par virement bancaire de la société DRAKE ADMINISTRATIVE SERVICES LTD à compter du mois de novembre 2014,

* qu'elle a perçu la somme de 1.500 euros tous les mois par virement bancaire de la société DRAKE ADMINISTRATIVE SERVICES LTD à compter du mois de mai 2014,

* lesdits versements ont cessé après le licenciement de la salariée.

Ces seuls éléments sont insuffisants à démontrer que les sommes versées l'ont été à titre de salaire pour le compte de la S.A.M. DRAKE INTERNATIONAL SERVICES et en contrepartie d'une prestation de travail fournie au bénéfice de cette dernière.

Bien plus, il n'appartient pas à l'employeur de prouver que les sommes litigieuses ne constituent pas des salaires, ne pouvant rapporter la preuve d'un fait négatif.

Les prétentions de Madame l. B. au titre d'un rappel de préavis et de dommages et intérêts pour un préjudice subi du fait du défaut de versement des cotisations sociales à la C.C.S.S. seront dans ces circonstances rejetées.

Sur la rupture

En application de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, l'employeur dispose d'un droit unilatéral de résiliation lui permettant de congédier un salarié sans se référer de façon explicite ou implicite à un motif inhérent à la personne de celui-ci, et doit supporter les conséquences de sa décision de ne pas énoncer le motif de la rupture, en versant le montant de l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968.

L'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 n'instaurant pas, au profit de l'employeur, un droit discrétionnaire et absolu, il appartient au Tribunal du travail de vérifier le respect par l'employeur des droits et prérogatives du salarié d'une part, et les circonstances ayant entouré la résiliation, qui doivent être exemptes de tout abus d'autre part (cause illicite ou illégale, détournement des dispositions d'ordre public, intention de nuire, précipitation, brutalité, légèreté blâmable).

Toutefois, l'exercice par l'employeur de ce droit, sans que le salarié soit rempli de ses droits, est de nature à rendre la rupture fautive et à justifier l'octroi des dommages et intérêts prévus par l'article 13 de la loi n° 729, au même titre qu'une rupture revêtant une forme abusive (Cour de révision du 9 mai 2003 PE. c/ S.A.M. TRANSOCEAN MARITIME AGENCIES).

Il appartient à Madame l. B. de rapporter la preuve, au soutien de sa demande en paiement de dommages et intérêts, de l'existence de l'abus commis dans l'exercice du droit unilatéral de rupture et du préjudice qui en est résulté.

Alors en effet que la preuve de l'abus dans le droit de licencier incombe au salarié qui s'en prévaut, la détermination de l'excès commis par l'employeur dans l'exercice du droit unilatéral de résiliation que lui reconnaît la loi relève en effet du pouvoir souverain d'appréciation des juridictions saisies et peut induire un contrôle indirect du motif de rupture à l'effet de déterminer si celui-ci est fallacieux, c'est-à-dire s'il procède d'une volonté insidieuse de tromperie ou s'il présente un caractère spécieux lui ôtant sa loyauté.

En l'espèce, Madame l. B. soutient qu'elle a fait l'objet d'un licenciement parce qu'elle a demandé que l'intégralité de sa rémunération soit déclarée et que mention en soit faite sur sa fiche de paie dans son intégralité.

À ce titre, la jurisprudence monégasque considère que le licenciement fondé sur un faux motif ou un motif fallacieux constitue un abus. Par ailleurs, la jurisprudence civile relative à l'abus de droit en caractérise également l'existence en l'absence de motif légitime à exercer le droit.

Pour autant, le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué combinée à la volonté de tromperie et de nuisance de celui qui l'invoque.

Madame l. B. n'apporte aucun argument quant à un quelconque motif fallacieux ayant présidé le licenciement. En effet, elle ne produit aucun élément démontrant la réalité de ses allégations à ce titre.

Il résulte encore des explications développées supra que Madame l. B. a perçu l'intégralité de ses droits.

Madame l. B. soutient également que le licenciement présenterait un caractère abusif en raison de sa brutalité et de sa soudaineté.

Les pièces du dossier montrent que :

* l'employeur a convoqué Madame l. B. à un entretien par courrier en date du 21 septembre 2015, « au cours duquel nous souhaitons envisager l'avenir de nos relations contractuelles ». Il y est également précisé que l'entretien aura lieu avec Monsieur MA. dûment mandaté, le 22 septembre 2015 à 14 heures,

* Madame l. B. a été licenciée par courrier en date du 19 octobre 2015, avec dispense d'exécution de son préavis, la lettre de rupture étant signée par Monsieur MA.

Il n'est ainsi pas contestable que la procédure de licenciement a été menée par une personne extérieure à l'entreprise.

Contrairement à ce qu'indique la salariée dans ses écritures, il n'existe aucune législation monégasque en la matière.

Cependant, et tenant la finalité même de l'entretien préalable, il apparaît indispensable que ce dernier soit mené et tenu par l'employeur ou à tout le moins par le directeur des ressources humaines, mais en aucune manière par une personne totalement extérieure à l'entreprise.

En agissant de la sorte, l'employeur a agi avec une légèreté blâmable, ce qui confère à la rupture un caractère abusif.

Les circonstances entourant ladite rupture sont dès lors abusives, justifiant l'allocation à Madame l. B. de dommages et intérêt en réparation de son préjudice moral.

En effet, il est de principe que toute demande de dommages et intérêts formée du chef d'un abus dans les conditions de mise en œuvre de la rupture, et non d'un abus dans la prise de décision, ne peut être admise qu'en ce qui concerne le préjudice moral qui résulte du contexte ayant présidé à sa mise en œuvre, et ce, à l'exclusion du préjudice matériel qui serait résulté d'un licenciement abusif dans son principe.

L'invocation par la salariée de la difficulté à retrouver un emploi en raison de son âge ne permet pas plus de caractériser l'existence d'une faute à la charge de l'employeur dès lors que, pris en lui-même, l'âge du salarié licencié ne saurait suffire à établir un abus dans l'exercice du droit de rompre le contrat de travail.

Les difficultés financières dont il est fait état sont en effet le résultat de la diminution de revenu, provoquée par la perte d'emploi et non la conséquence de la brutalité et de l'abus qui, à les supposer établis, auraient caractérisé le licenciement. De plus, le demandeur n'établit nullement en quoi ces difficultés matérielles auraient été provoquées par les circonstances fautives ayant entouré le licenciement, lesquelles n'ont d'ailleurs pas été retenues par le Tribunal. Elles ne peuvent être de nature à établir l'existence d'une faute dans la mise en œuvre de la rupture (Cour de révision, 26 mars 2014, Pourvoi n° 2013-17).

Au surplus, si la dispense d'exécution du préavis est une manifestation du pouvoir de direction de l'employeur et n'est pas en soi une mesure vexatoire, le contexte précité dans laquelle elle est intervenue est de nature en l'espèce à jeter le discrédit sur le salarié et à lui conférer en définitive un caractère abusif.

La demanderesse démontre avoir été particulièrement affectée par le licenciement dont elle a été l'objet. L'octroi de dommages et intérêts s'avère dès lors justifié.

Madame l. B. a nécessairement supporté un préjudice moral du fait de la situation générée par cette rupture exercée avec légèreté.

En l'état de l'analyse qui précède et des éléments d'appréciation produits, le préjudice apparaît devoir être justement évalué à la somme de 3.000 euros, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision.

Sur la demande reconventionnelle de la S.A.M. DRAKE INTERNATIONAL SERVICES

Le licenciement ayant été déclaré abusif, la demande de dommages et intérêts présentée par la défenderesse ne saurait aboutir.

La S.A.M. DRAKE INTERNATIONAL SERVICES sera condamnée aux dépens.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Dit que la demande à titre de rappel sur indemnité de licenciement d'un montant de 4.452,71 euros présentée par Madame l. B. est irrecevable ;

Dit que le licenciement de Madame l. B. par la S.A.M. DRAKE INTERNATIONAL SERVICES est abusif ;

Condamne la S.A.M. DRAKE INTERNATIONAL SERVICES à payer à Madame l. B. la somme de 3.000 euros (trois mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

Déboute Madame l. B. du surplus de ses demandes ;

Déboute la S.A.M. DRAKE INTERNATIONAL SERVICES de sa demande reconventionnelle ;

Condamne la S.A.M. DRAKE INTERNATIONAL SERVICES aux dépens du présent jugement.

Composition

Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Georges MAS, Francis GRIFFIN, membres employeurs, Monsieur Thomas BONAFEDE, Madame Nathalie VIALE, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le dix-sept janvier deux mille dix-neuf, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Messieurs Georges MAS, Francis GRIFFIN et Thomas BONAFEDE, Madame Nathalie VIALE étant empêchée, assistés de Madame Christèle SETTINIERI, Secrétaire adjoint.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 17749
Date de la décision : 17/01/2019

Analyses

En application de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946, modifiée, le bureau de jugement du Tribunal du travail ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative obligatoire de conciliation, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum. Si le demandeur peut, en vertu des dispositions de l'article 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, modifier ses demandes devant le bureau de conciliation, la possibilité d'augmenter ses prétentions ou d'en formuler de nouvelles, en l'absence d'une disposition identique contenue dans cette même loi, ne lui est pas ouverte devant le bureau de jugement, lequel ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative obligatoire de conciliation, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum, en application de l'article 1er précité.En l'espèce, Madame l. B. a présenté une demande additionnelle dans ses écritures, n'ayant pas fait l'objet du préliminaire de conciliation. En effet, la demande à titre de rappel sur indemnité de licenciement ne figure pas sur la requête introductive d'instance et doit dès lors être déclarée irrecevable.L'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 n'instaurant pas, au profit de l'employeur, un droit discrétionnaire et absolu, il appartient au Tribunal du travail de vérifier le respect par l'employeur des droits et prérogatives du salarié d'une part, et les circonstances ayant entouré la résiliation, qui doivent être exemptes de tout abus d'autre part (cause illicite ou illégale, détournement des dispositions d'ordre public, intention de nuire, précipitation, brutalité, légèreté blâmable). Toutefois, l'exercice par l'employeur de ce droit, sans que le salarié soit rempli de ses droits, est de nature à rendre la rupture fautive et à justifier l'octroi des dommages et intérêts prévus par l'article 13 de la loi n° 729, au même titre qu'une rupture revêtant une forme abusive (Cour de révision du 9 mai 2003 PE. c/ S.A.M. TRANSOCEAN MARITIME AGENCIES). Alors que la preuve de l'abus dans le droit de licencier incombe au salarié qui s'en prévaut, la détermination de l'excès commis par l'employeur dans l'exercice du droit unilatéral de résiliation que lui reconnaît la loi relève en effet du pouvoir souverain d'appréciation des juridictions saisies et peut induire un contrôle indirect du motif de rupture à l'effet de déterminer si celui-ci est fallacieux, c'est-à-dire s'il procède d'une volonté insidieuse de tromperie ou s'il présente un caractère spécieux lui ôtant sa loyauté. La jurisprudence monégasque considère que le licenciement fondé sur un faux motif ou un motif fallacieux constitue un abus. Par ailleurs, la jurisprudence civile relative à l'abus de droit en caractérise également l'existence en l'absence de motif légitime à exercer le droit. Pour autant, le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué combinée à la volonté de tromperie et de nuisance de celui qui l'invoque.En l'espèce, il n'est pas contestable que la procédure de licenciement a été menée par une personne extérieure à l'entreprise. Contrairement à ce qu'indique la salariée dans ses écritures, il n'existe aucune législation monégasque en la matière. Cependant, et tenant la finalité même de l'entretien préalable, il apparaît indispensable que ce dernier soit mené et tenu par l'employeur ou à tout le moins par le directeur des ressources humaines, mais en aucune manière par une personne totalement extérieure à l'entreprise. En agissant de la sorte, l'employeur a agi avec une légèreté blâmable, ce qui confère à la rupture un caractère abusif.Il est de principe que toute demande de dommages et intérêts formée du chef d'un abus dans les conditions de mise en œuvre de la rupture, et non d'un abus dans la prise de décision, ne peut être admise qu'en ce qui concerne le préjudice moral qui résulte du contexte ayant présidé à sa mise en œuvre, et ce, à l'exclusion du préjudice matériel qui serait résulté d'un licenciement abusif dans son principe. L'invocation par la salariée de la difficulté à retrouver un emploi en raison de son âge ne permet pas plus de caractériser l'existence d'une faute à la charge de l'employeur dès lors que, pris en lui-même, l'âge du salarié licencié ne saurait suffire à établir un abus dans l'exercice du droit de rompre le contrat de travail. Les difficultés financières dont il est fait état sont en effet le résultat de la diminution de revenu, provoquée par la perte d'emploi et non la conséquence de la brutalité et de l'abus qui, à les supposer établis, auraient caractérisé le licenciement. De plus, le demandeur n'établit nullement en quoi ces difficultés matérielles auraient été provoquées par les circonstances fautives ayant entouré le licenciement, lesquelles n'ont d'ailleurs pas été retenues par le Tribunal. Elles ne peuvent être de nature à établir l'existence d'une faute dans la mise en œuvre de la rupture (Cour de révision, 26 mars 2014, Pourvoi n° 2013-17).Si la dispense d'exécution du préavis est une manifestation du pouvoir de direction de l'employeur et n'est pas en soi une mesure vexatoire, le contexte précité dans laquelle elle est intervenue est de nature en l'espèce à jeter le discrédit sur le salarié et à lui conférer en définitive un caractère abusif.

Contrats de travail  - Rupture du contrat de travail.

Contrat de travailTribunal du travail - Demande additionnelle devant le bureau de jugement - IrrecevabilitéLicenciement abusif - Rupture abusive (oui) - Dommages-intérêts (oui).


Parties
Demandeurs : Mme l. B.
Défendeurs : SAM DRAKE INTERNATIONAL SERVICES

Références :

article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963
article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946
article 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946
article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2019-01-17;17749 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award