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07/06/2018 | MONACO | N°17073

Monaco | Tribunal du travail, 7 juin 2018, Monsieur n. Y. c/ SAM SOCIÉTÉ MONÉGASQUE DES SERVICES TELECOMS


Motifs

TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 7 JUIN 2018

En la cause de Monsieur n. YO., demeurant X1 à MONACO ;

Demandeur, bénéficiaire de l'assistance judiciaire selon décision n° 645 BAJ 16 en date du 22 septembre 2016, ayant élu domicile en l'étude de Maître Xavier-Alexandre BOYER, avocat près la Cour d'appel de Monaco, substitué et plaidant par Maître Alice PASTOR, avocat près la même Cour ;

d'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée SOCIÉTÉ MONÉGASQUE DE SERVICES TÉLÉCOMS, exerçant le commerce sous l'ens

eigne CCA INTERNATIONAL, dont le siège social se situe « Les Industries », 2 rue du Gabian à MONACO ;

Défenderes...

Motifs

TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 7 JUIN 2018

En la cause de Monsieur n. YO., demeurant X1 à MONACO ;

Demandeur, bénéficiaire de l'assistance judiciaire selon décision n° 645 BAJ 16 en date du 22 septembre 2016, ayant élu domicile en l'étude de Maître Xavier-Alexandre BOYER, avocat près la Cour d'appel de Monaco, substitué et plaidant par Maître Alice PASTOR, avocat près la même Cour ;

d'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée SOCIÉTÉ MONÉGASQUE DE SERVICES TÉLÉCOMS, exerçant le commerce sous l'enseigne CCA INTERNATIONAL, dont le siège social se situe « Les Industries », 2 rue du Gabian à MONACO ;

Défenderesse, plaidant par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant élu domicile en son étude ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 22 novembre 2016, reçue le 23 novembre 2016 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 42-2016/2017 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 10 janvier 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Xavier-Alexandre BOYER, avocat, au nom de Monsieur n. Y. en date des 2 février 2017 et 5 octobre 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la société anonyme monégasque SOCIÉTÉ MONÉGASQUE DE SERVICES TÉLÉCOMS, en date des 1er juin 2017 et 7 décembre 2017 ;

Vu les pièces du dossier ;

Monsieur n. Y. a été embauché en qualité de Conseiller Technique par la société anonyme monégasque SOCIÉTÉ MONÉGASQUE DE SERVICES TÉLÉCOMS exerçant le commerce sous l'enseigne CCA INTERNATIONAL en contrat à durée déterminée en date du 28 juin 2007, avec prise d'effet au 2 juillet 2007, puis en contrat à durée indéterminée à compter du 7 janvier 2008.

Le 19 mai 2016, l'employeur a remis un courrier en main propre à Monsieur n. Y. lui notifiant qu'il faisait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire dans l'attente de la tenue de la Commission Paritaire de Discipline prévue par le Règlement Intérieur.

Par courrier du même jour également remis en main propre, Monsieur n. Y. a été invité à se présenter devant la Commission Paritaire de Discipline le 23 mai 2016 à 14 heures.

Par lettre remise en main propre en date du 23 mai 2016, Monsieur n. Y. a été convoqué à un entretien préalable pour le 25 mai 2016 à 17 h, l'employeur envisageant à son encontre une sanction du second degré.

Par courrier recommandé avec accusé de réception daté du 30 mai 2016, l'employeur informe Monsieur n. Y. qu'une sanction de second degré a été prise à son encontre à savoir son licenciement.

Par requête en date du 22 novembre 2016 reçue au greffe le 23 novembre 2016, Monsieur n. Y. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :

« - dire et juger que son licenciement est dépourvu de motif valable et abusif :

* condamner la société S.A.M. SOCIÉTÉ MONÉGASQUE DE SERVICES TÉLÉCOMS à lui payer :

* la somme de 8.500,12 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

* la somme de 20.000,00 euros à titre de dommages et intérêts,

* dire et juger que les condamnations porteront intérêts à compter de la citation devant le Bureau de Conciliation,

* condamner la société anonyme monégasque SOCIÉTÉ MONÉGASQUE DE SERVICES TÉLÉCOMS aux entiers dépens ».

Monsieur n. Y. a déposé des conclusions les 2 février et 5 octobre 2017 dans lesquelles il fait essentiellement valoir que :

* il a signé un courrier avec plusieurs de ses collègues adressé le 29 mars 2016 à la Direction du Travail et dont copie a été adressée à l'employeur pour contester les modifications des conditions de travail instaurées par CCA INTERNATIONAL dans le cadre d'une réorganisation de son activité,

* lors d'un entretien avec le responsable des ressources humaines le 25 mai 2016, il a été informé que la Commission Paritaire de Discipline avait préconisé une sanction du second degré à savoir une mise à pied d'une durée de cinq jours,

* lors de ce même entretien, il lui a été indiqué que la sanction retenue par la Direction était son licenciement,

* la mise à pied ne présente pas un caractère conservatoire de sorte que l'employeur a prononcé deux sanctions disciplinaires successives pour les mêmes fautes professionnelles en procédant au licenciement pour les mêmes motifs que ceux ayant justifié la mise à pied,

– Sur la mise à pied :

* celle-ci a été prise sur le fondement de l'article 41 du règlement intérieur,

* l'employeur ne démontre pas et n'a même pas explicité dans le courrier de notification les raisons pour lesquelles le maintien à son poste était incompatible avec les circonstances,

* aucune faute grave n'a été invoquée par l'employeur de sorte que ce dernier aurait dû lui restituer tous les salaires suspendus au cours de la mise à pied conservatoire,

* dans ces conditions, la mesure de mise à pied conservatoire avec suspension du salaire a perdu toute légitimité et constitue une sanction autonome de mise à pied,

* le fait que l'employeur s'engage à régulariser cette prétendue erreur est donc indifférent,

– Sur le licenciement :

* les faits qui lui sont reprochés et qui justifient son licenciement sont identiques à ceux pour lesquels il a fait l'objet d'une mise à pied disciplinaire,

* l'employeur a prononcé deux sanctions disciplinaires successives pour les mêmes fautes professionnelles,

* en toute hypothèse, ni le courrier de notification de la mise à pied, ni le courrier de notification du licenciement ne mentionnent les griefs qui ont justifié la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire ainsi que du licenciement,

* CCA INTERNATIONAL ne lui a pas remis copie de l'avis rendu par la Commission Paritaire de Discipline,

* cette dernière a semble-t-il préconisé une sanction de mise à pied pendant une durée de cinq jours,

* bien que cet avis ne soit que consultatif, la commission a estimé que les manquements imputés au salarié ne justifiaient qu'une sanction temporaire,

* cette sanction a été prononcée moins d'un mois après qu'il ait co-signé un courrier de contestation des modifications des conditions de travail des salariés de CCA INTERNATIONAL à la Direction du Travail,

* les conditions dans lesquelles le licenciement a été mis en œuvre ainsi que l'absence totale de respect de ses droits et prérogatives le rendent abusif,

* CCA INTERNATIONAL n'a pas respecté la procédure applicable en cas de licenciement pour cause personnelle,

* il n'a pas reçu de convocation préalable à un entretien dans le délai fixé par l'article 48 du règlement intérieur et n'a pas non plus été informé de la possibilité d'être assisté par la personne de son choix lors de cet entretien,

* il a ainsi été avisé qu'un rendez-vous a été fixé avec le responsable des ressources humaines par simple ajout de cet évènement dans son calendrier outlook quelques minutes avant que ce dernier ait lieu,

* son licenciement s'est effectué dans des conditions brutales et vexatoires.

La S.A.M. SOCIÉTÉ MONÉGASQUE DE SERVICES TÉLÉCOMS (la S.M.S.T.) a déposé des conclusions les 1er juin et 7 décembre 2017 dans lesquelles elle s'oppose aux prétentions émises à son encontre et fait essentiellement valoir :

* la mise à pied décidée à l'encontre de Monsieur n. Y. n'est pas une sanction disciplinaire mais une mesure prise à titre conservatoire pour la sauvegarde des intérêts de l'entreprise ainsi qu'elle le précise dans son courrier de notification du 19 mai 2017 et tel que cela est prévu par l'article 41 du Règlement intérieur,

* il s'agit d'une mesure de mise à pied prise dans l'attente de l'avis de la Commission Paritaire de Discipline,

* cette mesure remplit les deux conditions qui lui confèrent le caractère de mesure conservatoire et non pas de sanction, à savoir, l'absence de terme d'une part et le maintien intégral de la rémunération du salarié d'autre part,

* les griefs ne sont pas sérieusement discutés par Monsieur n. Y. qui ne les a pas contestés devant la Commission Paritaire de Discipline,

* l'avis de la commission n'a qu'un caractère consultatif et il ne peut lier l'employeur lequel a considéré ces griefs comme suffisamment importants pour justifier la mise en œuvre de la procédure disciplinaire pour finir par décider de son licenciement pour faute,

* les fautes reprochées à Monsieur n. Y. sont suffisamment établies par les pièces versées aux débats,

* elle a respecté en tous points la procédure disciplinaire pour parvenir au licenciement de Monsieur n. Y.

* c'est à la suite d'une erreur comptable qu'elle a retenu à Monsieur n. Y. son salaire pour la période de sa mise à pied,

* Monsieur n. Y. a été régulièrement convoqué à l'entretien préalable et s'y est rendu assisté d'un délégué syndical,

* le courrier du 29 mars 2016 a été signé par les sept salariés du périmètre Business Team de SFR qui s'opposaient à leur transfert vers le périmètre NRJ bien qu'il n'y ait eu aucune modification de leur contrat de travail, état de fait qui a été validé par la Direction du Travail,

* sur ces sept salariés, Monsieur n. Y. est le seul qui a fait l'objet d'un licenciement,

* c'est bien le demandeur qui a montré son mécontentement suite à ce changement, et n'a fait qu'amplifier son naturel insolent, voire insultant,

* la demande en dommages et intérêts formée par le salarié sur le fondement de l'article 1229 du Code civil est irrecevable.

SUR CE,

Sur la mise à pied

La mise à pied conservatoire n'est pas une sanction mais une mesure provisoire à effet immédiat que l'employeur peut adopter lorsque l'agissement du salarié la rend indispensable.

Destinée à écarter le salarié de l'entreprise pendant le temps nécessaire à l'accomplissement de la procédure de licenciement, la mise à pied conservatoire entraîne la suspension du contrat de travail et, corrélativement, une perte de salaire.

Cette mesure est en principe indissociable de l'existence d'une faute grave ou d'un comportement initialement considéré comme tel. Toutefois, le prononcé d'une mise à pied à titre conservatoire n'implique pas nécessairement que le licenciement prononcé ultérieurement présente un caractère disciplinaire.

La mise à pied doit néanmoins apparaître comme nécessaire, c'est-à-dire justifiée par les circonstances.

La distinction entre mise à pied conservatoire et mise à pied disciplinaire revêt une importance essentielle au regard de la légitimité du licenciement prononcé à la suite de la suspension du contrat. Peu importe la dénomination donnée par l'employeur, le Juge peut requalifier la mesure en mise à pied disciplinaire s'il estime que les critères de la mise à pied conservatoire ne sont pas réunis. Dans cette hypothèse, l'employeur est réputé avoir épuisé son pouvoir disciplinaire à l'égard des faits reprochés et la règle du non-cumul de sanctions prive alors le licenciement de cause valable.

En l'espèce, l'employeur remet en mains propres le 19 mai 2016 un courrier à Monsieur n. Y. ainsi libellé :

« Monsieur,

Nous vous informons que, selon les termes de notre règlement intérieur (article 41), vous êtes sous le coup d'une mise à pied à titre conservatoire en attente d'une Commission Paritaire de Discipline suite à une plainte client à votre encontre, et ce à compter de la remise en main propre du présent avis.

Une lettre de convocation relative à la tenue de cet entretien vous sera remise en main propre afin de vous informer de la date de la tenue de cette commission... ».

Par lettre du même jour également remise en main propre, l'employeur convoquait Monsieur n. Y. devant la Commission de discipline en ces termes :

« Monsieur,

Nous vous prions de bien vouloir être présent le lundi 23 mai 2016 à 14 heures dans les locaux de la Société Monégasque de Services de Télécoms SAM au 2 rue du Gabian, immeuble les Industries, 5e étage, Monaco pour une commission paritaire de discipline vous concernant.

Concernant les modalités de cette Commission, nous vous invitons à consulter l'article 41 du règlement intérieur de la Société Monégasque de Services de Télécoms S.A.M... ».

Le règlement intérieur prévoit à ce titre :

« Chapitre 6 : Sanctions disciplinaires

Article 40 : Sanctions applicables

En cas de faute ou de méconnaissance du présent règlement, des notes de service qu'il prévoit et plus généralement de manquement à la discipline, la direction se réserve le droit d'appliquer l'une des sanctions suivantes :

Sanction de premier degré :

* avertissement écrit, conservé dans le dossier de l'intéressé Sanctions de second degré :

* mise à pied ne pouvant excéder dix jours, ce délai maximum n'étant pas opposable à la société dans les cas de mise à pied conservatoire,

* mutation,

* rétrogradation avec accord de l'intéressé,

* licenciement avec préavis et indemnité, notamment en cas de refus de mutation sans motif légitime ou refus de modification substantielle du contrat de travail (changement de jours travaillés, changement d'horaires...),

* licenciement pour faute grave, sans préavis ni indemnité.

La sanction est prononcée par la direction de la société en fonction de la gravité de la faute commise.

Il peut en outre être adressé à un collaborateur une mise en garde écrite n'avant pas nature de sanction.

Tout fait relevant de l'exécution anormale du contrat de travail, même non repris dans le présent Règlement, peut faire l'objet de sanction.

Le fait que des sanctions prévues au présent Règlement Intérieur n'aient pas été appliquées dans certains cas n'implique en rien une tolérance ou une annulation, même tacite, des dispositions de ce Règlement Intérieur, ni une renonciation à les appliquer.

Article 41 : Procédure préalable à toute sanction de second degré.

Le prononcé d'une sanction du second degré est préalablement soumis à l'examen d'une commission paritaire de discipline.

La commission paritaire de discipline est instituée en vue d'examiner les circonstances susceptibles d'entraîner une sanction de second degré. Son rôle est consultatif. Elle émet un avis sur la qualification des faits en faute passible d'une sanction ou non.

L'avis est transmis par écrit à la direction, signé de tous les membres de la commission, après délibéré. Lors du prononcé de la sanction, le salarié reçoit communication de l'avis émis par la commission.

La commission paritaire de discipline est composée de deux délégués du personnel et d'un nombre égal de membres désignés pour chaque session par la Direction de la société. Les délégués siégeant à ladite commission et deux suppléants seront désignés par leurs pairs pour la durée du mandat de délégué du personnel. Le directeur général de la société, ou le représentant qu'il désigne, dirige les débats contradictoires et ne peut participer à la délibération aboutissant à l'avis de la commission. Si l'avis de la commission est partagé, il est fait mention de chaque avis exprimé.

L'initiative de la convocation de la commission appartient à la Direction Générale. La commission est constituée et siège dans les deux jours ouvrés suivant sa convocation. Dans la convocation, la direction précise qui seront les membres représentant la direction qui prendront part aux délibérations. Ce ne peut être ni le directeur général, ni le supérieur hiérarchique de la personne visée par la mesure disciplinaire. Cette dernière personne peut intervenir dans le débat contradictoire pour expliciter les raisons de sa demande de sanction.

Le collaborateur contre lequel la sanction est envisagée est convoqué dans les mêmes délais. II peut se faire assister d'un collaborateur de son choix, parmi les salariés en activité dans t'entreprise.

Si la faute le justifie ou si le maintien du salarié à son poste de travail apparaît incompatible avec les circonstances, le collaborateur visé peut être mis à pied à titre conservatoire préalablement.

Si après la séance de la commission paritaire, la société procède au licenciement pour faute grave, l'effet est ramené à la date de mise à pied conservatoire, le salaire étant suspendu dès la suspension de l'exécution du travail.

Pour toute sanction autre que le licenciement pour faute grave, le salaire sera maintenu pendant la période de mise à pied conservatoire ».

Le prononcé d'une mise à pied à titre conservatoire n'implique pas nécessairement que le licenciement notifié ultérieurement présente un caractère disciplinaire, l'employeur pouvant revenir sur sa décision. Il devra dans ce cas rémunérer la mise à pied conservatoire.

En l'espèce, la Commission Paritaire de Discipline a émis un avis favorable à une sanction du second degré, prise à l'unanimité, et consistant en une mise à pied de cinq jours.

À la suite, l'employeur a convoqué Monsieur n. Y. à un entretien préalable à l'issue duquel le licenciement de ce dernier était notifié par courrier du 30 mai 2016.

Il convient de relever que l'employeur n'a pas rompu le contrat de travail pour faute grave mais pour faute simple.

Dès lors, il devait procéder au paiement du salaire retenu pendant la durée de mise à pied.

Or, il n'en a rien fait et ce n'est que dans le cadre de la présente procédure qu'il a régularisé en arguant d'une erreur comptable.

Seul le licenciement fondé sur une faute grave dispense l'employeur de son obligation de paiement du salaire afférent à la période de mise à pied.

La mise à pied notifiée au salarié le 19 mai 2016 n'ayant pas été suivie d'un licenciement pour faute grave et l'employeur s'étant abstenu de payer le salaire correspondant à la période de mise à pied, cette mesure présente le caractère d'une sanction disciplinaire (la faute reprochée étant mentionnée).

En effet, si la mise à pied avec privation de rémunération peut constituer une mesure conservatoire dans l'attente de la sanction finale, la décision de maintenir cette privation de salaire, nonobstant la sanction moindre définitivement retenue, constitue bel et bien une sanction illicite.

Il en résulte que par cette sanction, l'employeur a épuisé son pouvoir de sanction et le salarié ne pouvait être sanctionné deux fois pour les mêmes faits.

Le licenciement de Monsieur n. Y. est dans ces circonstances dépourvu de cause valable.

Le demandeur est dès lors en droit de prétendre à l'indemnité de licenciement prévue à l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968, d'un montant de 8.500,12 euros après déduction de l'indemnité de congédiement, ce dernier étant retenu en l'absence de contestation du calcul opéré, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

Sur le caractère abusif de la rupture

Constitue un licenciement abusif l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister notamment dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ; qu'il appartient au salarié qui se prévaut du caractère abusif de la rupture d'en rapporter la preuve.

Il appartient à celui qui réclame des dommages et intérêts, de prouver outre le préjudice subi, l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister, dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ou dans la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec lesquelles le congédiement a été donné.

En application de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts.

Au cas particulier, Monsieur n. Y. sollicite d'être indemnisé à hauteur de la somme de 20.000 euros en réparation de son préjudice.

Pour autant le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué combinée à la volonté de tromperie et de nuisance de celui qui l'invoque, aucunement démontré en l'espèce.

Dans ces circonstances, la décision de rupture n'est pas fondée sur un motif fallacieux et ne présente donc pas en elle-même un caractère fautif ; ainsi, aucune faute de l'employeur ne peut ouvrir droit à l'indemnisation d'un préjudice matériel et financier résultant du licenciement.

Monsieur n. Y. invoque également les circonstances brutales et vexatoires du licenciement.

Les circonstances de l'espèce montrent que l'employeur a respecté la procédure prévue par le règlement intérieur en son chapitre 6 « Sanctions disciplinaires ».

Il a néanmoins agi avec une légèreté blâmable dans la mesure où il a fait un usage excessif de son pouvoir disciplinaire en sanctionnant à deux reprises le salarié pour des mêmes faits, ce qui confère au licenciement un caractère abusif.

Cet abus dans les conditions de mise en œuvre du licenciement ouvre droit à la réparation du préjudice moral consécutif subi par ce salarié, qui sera correctement indemnisé par l'allocation d'une somme de 9.000 euros, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision.

La défenderesse sera condamnée aux dépens.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Dit que le licenciement de Monsieur n.Y.ne repose pas sur une cause valable et revêt un caractère abusif ;

Condamne en conséquence la société anonyme monégasque SOCIÉTÉ MONÉGASQUE DE SERVICES TÉLÉCOMS à payer à Monsieur n. Y. les sommes suivantes :

* 8.500,12 euros (huit mille cinq cents euros et douze centimes) à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

* 9.000 euros (neuf mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;

Condamne la société anonyme monégasque SOCIÉTÉ MONÉGASQUE DE SERVICES TÉLÉCOMS

aux dépens.

Composition

Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Didier MARTINI, Alain GALLO, membres employeurs, Madame Fatiha ARROUB, Monsieur Marc RENAUD, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le sept juin deux mille dix-huit, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Messieurs Didier MARTINI, Alain GALLO et Marc RENAUD, Madame Fatiha ARROUB étant empêchée, assistés de Madame Christèle SETTINIERI, Secrétaire adjoint.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 17073
Date de la décision : 07/06/2018

Analyses

La mise à pied conservatoire n'est pas une sanction mais une mesure provisoire à effet immédiat que l'employeur peut adopter lorsque l'agissement du salarié la rend indispensable. Destinée à écarter le salarié de l'entreprise pendant le temps nécessaire à l'accomplissement de la procédure de licenciement, la mise à pied conservatoire entraîne la suspension du contrat de travail et, corrélativement, une perte de salaire. Cette mesure est en principe indissociable de l'existence d'une faute grave ou d'un comportement initialement considéré comme tel. Toutefois, le prononcé d'une mise à pied à titre conservatoire n'implique pas nécessairement que le licenciement prononcé ultérieurement présente un caractère disciplinaire. La mise à pied doit néanmoins apparaître comme nécessaire, c'est-à-dire justifiée par les circonstances. La distinction entre mise à pied conservatoire et mise à pied disciplinaire revêt une importance essentielle au regard de la légitimité du licenciement prononcé à la suite de la suspension du contrat. Peu importe la dénomination donnée par l'employeur, le Juge peut requalifier la mesure en mise à pied disciplinaire s'il estime que les critères de la mise à pied conservatoire ne sont pas réunis. Dans cette hypothèse, l'employeur est réputé avoir épuisé son pouvoir disciplinaire à l'égard des faits reprochés et la règle du non-cumul de sanctions prive alors le licenciement de cause valable. Le prononcé d'une mise à pied à titre conservatoire n'implique pas nécessairement que le licenciement notifié ultérieurement présente un caractère disciplinaire, l'employeur pouvant revenir sur sa décision. Il devra dans ce cas rémunérer la mise à pied conservatoire. Seul le licenciement fondé sur une faute grave dispense l'employeur de son obligation de paiement du salaire afférent à la période de mise à pied. Si la mise à pied avec privation de rémunération peut constituer une mesure conservatoire dans l'attente de la sanction finale, la décision de maintenir cette privation de salaire, nonobstant la sanction moindre définitivement retenue, constitue bel et bien une sanction illicite.En l'espèce, l'employeur a épuisé son pouvoir de sanction et le salarié ne pouvait être sanctionné deux fois pour les mêmes faits. Le licenciement de Monsieur n. Y. est dans ces circonstances dépourvu de cause valable.Le demandeur est dès lors en droit de prétendre à l'indemnité de licenciement prévue à l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968, d'un montant de 8.500,12 euros après déduction de l'indemnité de congédiement, ce dernier étant retenu en l'absence de contestation du calcul opéré, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision.Constitue un licenciement abusif l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister notamment dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ; qu'il appartient au salarié qui se prévaut du caractère abusif de la rupture d'en rapporter la preuve. Il appartient à celui qui réclame des dommages et intérêts, de prouver outre le préjudice subi, l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister, dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ou dans la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec lesquelles le congédiement a été donné. En application de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts. Le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué combinée à la volonté de tromperie et de nuisance de celui qui l'invoque, aucunement démontré en l'espèce.

Social - Général  - Pouvoir disciplinaire  - Rupture du contrat de travail.

Contrat de travailMesure disciplinaire - Mise à pied conservatoire - Mesure provisoire à effet immédiat - Suspension du contrat de travail.


Parties
Demandeurs : Monsieur n. Y.
Défendeurs : SAM SOCIÉTÉ MONÉGASQUE DES SERVICES TELECOMS

Références :

article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963
article 1229 du Code civil
article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2018-06-07;17073 ?

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