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19/04/2018 | MONACO | N°16977

Monaco | Tribunal du travail, 19 avril 2018, Mme m-j L. c/ SA CRÉDIT DU NORD


Motifs

TRIBUNAL DU TRAVAIL

En la cause de Madame m-j. LA., demeurant 47 X1 à NICE (06000) ;

Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Delphine FRAHI, avocat au barreau de Nice ;

D'une part ;

Contre :

1°) La société anonyme CRÉDIT DU NORD, société de droit étranger, dont le siège social se situe 28 Place Rihour à LILLE (59000) ;

2°) La société CRÉDIT DU NORD, dont l'établissement se situe 27 avenue de la Costa à MONACO ;



Défenderesses, plaidant par Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant é...

Motifs

TRIBUNAL DU TRAVAIL

En la cause de Madame m-j. LA., demeurant 47 X1 à NICE (06000) ;

Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Delphine FRAHI, avocat au barreau de Nice ;

D'une part ;

Contre :

1°) La société anonyme CRÉDIT DU NORD, société de droit étranger, dont le siège social se situe 28 Place Rihour à LILLE (59000) ;

2°) La société CRÉDIT DU NORD, dont l'établissement se situe 27 avenue de la Costa à MONACO ;

Défenderesses, plaidant par Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant élu domicile en son étude ;

D'autre part ;

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 6 mai 2016, reçue le 20 mai 2016 ; Vu la procédure enregistrée sous le numéro 9-2016/2017 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 5 juillet 2016 ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de Madame m-j L. en date des 21 décembre 2016 et 5 octobre 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, aux noms de la société anonyme CRÉDIT DU NORD et la société CRÉDIT DU NORD, en date du 4 mai 2017 ;

Après avoir entendu Maître Delphine FRAHI, avocat au barreau de Nice, pour Madame m-j L. et Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour la société anonyme CRÉDIT DU NORD et la société CRÉDIT DU NORD, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

Le 13 août 2001, Madame m-j L. a été recrutée par la société CRÉDIT DU NORD de Monaco en qualité de Conseillère Clientèle.

Le 1er juin 2015, l'employeur notifie à Madame m-j L. un avertissement suite à trois opérations (ordres de transferts de fonds) qu'elle a réalisées le 10 mars 2015.

Le 25 juin 2015, Madame m-j L. est placée en arrêt de travail jusqu'au 13 décembre 2015.

Par courrier en date du 12 octobre 2015, l'employeur l'informe que la prolongation de son absence n'est pas sans conséquence en termes d'organisation et de charge de travail pour la succursale.

Le 14 décembre 2015, date de reprise, Madame m-j L. est auditionnée par un contrôleur venu de Paris.

Au terme de cette audition, une mise à pied conservatoire lui est notifiée jusqu'au 25 janvier 2016 et elle est priée de quitter l'établissement sur le champ.

Le 28 janvier 2016, elle adresse un courrier à son employeur afin de dénoncer sa situation et l'absence de nouvelle, puis par l'intermédiaire de son conseil le 5 février 2016.

Par courrier en date du 3 février 2016, l'employeur informe la salariée de la prolongation de sa mise à pied conservatoire et de sa convocation devant le conseil de discipline.

Le 21 mars 2016, le conseil de discipline a rendu un avis avec voix partagées.

Le 18 avril 2016, la commission paritaire de l'A.M.A.F. n'a pas confirmé la sanction de l'employeur et a aussi rendu un avis partagé.

Malgré ce, le CRÉDIT DU NORD notifie à Madame m-j L. par courrier daté du 29 avril 2016 son licenciement pour faute grave.

Par requête en date du 6 mai 2016 reçue au greffe le 20 mai 2016, Madame m-j L. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :

« Sur la rupture du contrat de travail :

* dire et juger le licenciement abusif,

* indemnité de licenciement conventionnelle : 80.794,00 euros,

* indemnité compensatrice de préavis (3 mois) : 15.198,00 euros,

* indemnité compensatrice de congés payés relative au préavis : 1.519,80 euros,

* dommages et intérêts dus au titre de la rupture abusive du contrat de travail et du préjudice moral et financier qui en découle : 500.000,00 euros.

Autre demandes :

* régularisation de l'ensemble des bulletins de salaire,

* régularisation de la situation auprès de l'ensemble des organismes sociaux,

* exécution provisoire du jugement à intervenir,

* frais et dépens (pour mémoire),

* intérêts au taux légal sur l'ensemble des sommes à compter des présentes ».

Aucune conciliation n'ayant pu intervenir, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.

Madame m-j L. a déposé des conclusions les 21 décembre 2016 et 5 octobre 2017 dans lesquelles elle fait essentiellement valoir :

Sur le motif du licenciement :

* compte-tenu de la pression accrue ces dernières années de la part des États sur les établissements bancaires, les normes sont devenues de plus en plus strictes et ont rendu sa tâche, comme celle de tous les chargés de clientèle, de plus en plus difficile et pesante,

* le 2 mars 2015, la Principauté de Monaco a signé avec l'Italie un accord d'échange de renseignements en matière fiscale,

* au sein du CRÉDIT DU NORD, tout virement ou transfert était remis au service des Flux qui l'examinait et pouvait solliciter du conseiller ou du Service Compliance des explications sur l'opération. Le Service Compliance était donc informé de toutes les opérations au sein de la banque,

* elle était, peu importe son grade, soumise aux mêmes règles et contrôles que ses collègues de la part du Service Compliance,

* tous les chargés de clientèle étaient sensibilisés à la problématique des clients dits « non compliant », et particulièrement à celle des clients résidents italiens,

* toutefois, le CRÉDIT DU NORD n'a pas mis en place un support efficient au profit de ses chargés de clientèle,

* au moment des faits, le Service Compliance manquait lui aussi d'une formation adéquate lui permettant de dispenser conseil et support de manière diligente et précise auprès des chargés de clientèle,

* l'information relative à la signature de l'accord italo-monégasque était diffusée par le Service Compliance le vendredi 6 mars 2015, sans toutefois que des directives strictes soient données aux chargés de clientèle,

* les précisions sollicitées par les chargés de clientèle n'arrivaient qu'avec beaucoup de retard et à maintes reprises des conseillers ont signalé l'approximation des consignes qui leur étaient fournies,

* ce n'est que le 27 mai 2015 qu'une instruction était diffusée par le Service Compliance relative au cas précis dans lequel se trouvaient ses trois clients à l'origine des trois opérations du 10 mars 2015,

* lorsqu'une opération sollicitée par un chargé de clientèle paraissait en contradiction avec ces règles, l'opération était refusée. Pourtant, les trois opérations litigieuses n'ont pas été refusées,

* l'employeur en vient donc à reprocher à Madame m-j L. de ne pas avoir respecté des règles de compliance qui n'existaient pas au jour des opérations litigieuses,

* ces opérations ont donné lieu à un avertissement de sorte que le caractère de gravité et d'impossibilité de maintenir la salariée dans ses fonctions fait défaut,

* le contrôle interne, saisi par le directeur de la succursale de Monaco, Monsieur C. dans un courriel du 25 août 2015, concluait, après avoir analysé les faits, à son absence de compromission,

* elle verse aux débats son dossier professionnel qui fait état de l'entière satisfaction de la Banque sur ses états de service,

* l'employeur est défaillant dans son obligation de rapporter la preuve de la faute grave,

* le grand nombre d'attestations établies par d'anciens clients témoigne du profond respect qu'ils ont pour elle,

* elle n'a nullement enfreint le secret bancaire en acceptant des attestations de ses clients,

* les attestations produites ont bien un lien avec le litige puisqu'elles établissent ses qualités et compétences professionnelles que le CRÉDIT DU NORD tente de lui dénier,

* la procédure disciplinaire initiée par l'employeur s'est fondée exclusivement sur les trois opérations réalisées le 10 mars 2015,

* ces faits ont déjà été sanctionnés par l'avertissement notifié le 1er juin 2015,

* aucun agissement nouveau de sa part n'est intervenu postérieurement à cet avertissement. Dès lors, peu importe à cet égard que les deux autres clients BI et BA se soient manifestés dans le courant de l'été 2015,

Sur le caractère abusif du licenciement :

* en la licenciant pour faute grave, le CRÉDIT DU NORD visait deux objectifs :

* tenter de transférer sa responsabilité sur une salariée qui aurait agi sur son initiative personnelle,

* la remplacer à moindre coût,

* l'abus du droit de licencier résulte manifestement du recours à un faux motif,

* son éviction lors de la reprise après son arrêt maladie démontre la brutalité et la légèreté blâmable dont s'est rendu coupable l'employeur,

* la procédure disciplinaire menée à son encontre est irrégulière,

* elle a subi un très grave préjudice tant sur un plan professionnel et financier que moral,

* depuis son licenciement, elle cherche activement un nouveau travail,

* elle se retrouve dans une situation financière précaire,

* elle est toujours enregistrée comme demandeur d'emploi.

La S.A. CRÉDIT DU NORD, société de droit étranger et la société CRÉDIT DU NORD (MONACO) ont déposé des conclusions le 4 mai 2017 dans lesquelles elles s'opposent aux prétentions émises à leur encontre et font essentiellement valoir que :

* dès 2014, la société CRÉDIT DU NORD a mis en place en interne une formation concernant les risques encourus par les établissements bancaires et les clients, en cas de non-déclaration des avoirs détenus par des non-résidents,

* eu égard aux nombreuses formations diligentées, Madame m-j L. connaissait parfaitement la procédure de régularisation fiscale, ses limites et ses failles,

* le 10 mars 2015 et en dépit des nouveaux processus de contrôle mis en place, sans autorisation de sa hiérarchie, Madame m-j L. a émis trois ordres de transferts de fonds à partir des comptes de trois personnes différentes, sans lien les unes avec les autres, au profit d'une quatrième personne,

* le 19 mars 2015, le service Lutte Anti blanchiment (L.A.B.), ayant observé des transferts suspects et non autorisés, a demandé à Madame m-j L. les pièces justificatives afférentes aux trois virements opérés tous en faveur de la même personne, en vain,

* elle est relancée le 3 avril 2015 et ne répondra que le 3 semaines plus tard,

* à la suite de la réclamation d'un premier client, le 13 mai 2015, un avertissement est infligé à Madame m-j L. le 1er juin 2015,

* le 7 août 2015, un autre des trois clients concernés par les opérations du 10 mars 2015 porte également une réclamation, puis un troisième quelques jours plus tard,

* compte-tenu de ces nouvelles réclamations, la société CRÉDIT DU NORD a compris l'ampleur du procédé mis en place par Madame m-j L. lors des opérations du 10 mars 2015. Cette dernière avait dissimulé voire aurait été à l'initiative de manœuvres en vue d'éviter la régularisation fiscale de certains clients non-résidents, en cachant délibérément l'existence de litiges entre les parties et la véritable contrepartie des virements opérés le 10 mars 2015,

* compte-tenu de son haut grade, Madame m-j L. n'a aucunement besoin des directives ou autres autorisations du Service compliance pour agir,

* les évaluations présentées sont sans lien avec les agissements du 10 mars 2015 reprochés à Madame m-j L.

* les attestations qu'elle produit ont été obtenues frauduleusement,

* afin de collecter lesdites attestations, Madame m-j L. a dû utiliser à des fins privées des informations et documents appartenant à son employeur et ce sans aucune autorisation,

* Madame m-j L. a utilisé les informations couvertes par le secret bancaire, à savoir les coordonnées des clients de la société CRÉDIT DU NORD pour se rapprocher d'eux et leur demander des attestations contre leur propre banque,

* sur les quinze attestations produites, neuf d'entre elles présentent une signature différente sur l'attestation et sur le document d'identité,

* en toute hypothèse, elles ne démontrent pas l'absence de faute de Madame m-j L.

Sur la gravité de la faute :

* Madame m-j L. a manqué à son devoir d'informer sa direction en dissimulant à sa hiérarchie :

* des informations qui allaient à l'encontre des instructions de régularisation fiscale des non-résidents,

* la véritable finalité des virements effectués le 10 mars 2015,

* les litiges existant entre les clients,

* par ces actes d'omission et de dissimulation, la demanderesse a commis une faute grave et s'est rendue par là-même complice des manœuvres mises en place pour éluder l'impôt,

Sur l'absence d'une double sanction :

* la chronologie des faits démontre qu'il n'existe pas de double sanction,

* la première réclamation d'un client a abouti à une première sanction : un avertissement ; les nouvelles réclamations d'autres clients ont abouti à la deuxième sanction : le licenciement pour faute grave,

Sur le caractère abusif du licenciement :

* le fait de licencier Madame m-j L. ne réduit pas la responsabilité de la banque employeur qui reste responsable des actes commis par ses préposés dans le cadre de leurs fonctions,

* lors de son audition le 14 décembre 2015, Madame m-j L. était en droit de refuser l'audition et le cas échéant, de se faire assister,

* le Conseil de discipline s'est prononcé à la majorité des voix exprimées pour la sanction de Madame m-j L. avec deux voix pour et une voix contre,

* les avis rendus par le conseil de discipline et l'A.M.A.F. sont purement consultatifs de sorte que l'employeur n'est pas lié,

* le fait même d'avoir consulté le Conseil de discipline puis la Commission atteste de ce que la décision de l'employeur a été murement réfléchie et qu'elle ne peut en conséquence être empreinte d'une brutalité et/ou d'une légèreté blâmable,

* l'article 27 de la Convention collective des banques a été respecté,

* contrairement à ce qui est avancé par la demanderesse, le point de départ du délai d'un mois à prendre en compte est la « constatation de la faute professionnelle » établie par le rapport du Contrôleur et absolument pas, les faits du 10 mars 2015,

* Madame m-j L. n'apporte absolument pas la preuve d'une faute de l'employeur, ni d'un dommage en lien avec une prétendue faute de l'employeur.

SUR CE,

Sur le cumul des sanctions disciplinaires et la validité du motif de rupture

En vertu du principe dit du non-cumul des sanctions disciplinaires, un même fait ne peut faire l'objet de deux sanctions successives.

Madame m-j L. a fait l'objet d'un avertissement suivant courrier en date du 1er juin 2015, en ces termes :

« Madame,

Nous faisons suite à nos derniers entretiens par lesquels nous attirions votre attention sur la distance nécessaire que vous devez conserver dans le cadre de relations contractuelles qui peuvent se nouer entre deux clients de la Banque.

En effet, le risque est élevé qu'en cas de litige entre les parties, la conséquence puisse être une tentative de procédure à l'encontre de notre Établissement

Nous avons été amenés à vous rappeler que le respect des procédures est une obligation étant destinée à limiter les risques opérationnels et de contrepartie.

Nous sommes persuadés que vous tiendrez compte de cet avertissement et que vous mettrez tout en œuvre pour prévenir les risques précités ».

Le comportement fautif du salarié doit se manifester par un acte positif ou une abstention de nature volontaire, fait avéré qui lui est imputable et constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail.

La lettre de notification doit énoncer des motifs précis et matériellement vérifiables. Elle doit indiquer la consistance des faits et ne pas se contenter de viser leur qualification.

La lecture de la lettre d'avertissement ne permet pas de déterminer la faute réellement reprochée à la salariée et les faits sur lesquels elle est fondée.

Par la suite et par courrier en date du 29 avril 2016, la salariée était licenciée pour faute grave. Il est reproché à Madame m-j L. d'avoir :

* dissimulé la véritable finalité des virements effectués le 10 mars 2015, à savoir des remises d'espèces, réclamées par trois de ses clients,

* volontairement omis d'avertir ses collègues et sa hiérarchie de la situation qui existait entre certains de ses clients de nationalité italienne.

Il n'est pas contestable que les deux sanctions reposent sur les mêmes faits, à savoir les trois virements effectués le 10 mars 2015.

L'employeur considère qu'il ne saurait y avoir cumul des sanctions dans la mesure où l'avertissement concerne un virement et le licenciement fait suite à la plainte de deux autres clients sur les deux autres virements.

Les pièces produites par les parties montrent que le bénéficiaire de ces trois virements est une seule et unique personne, laquelle devait par la suite rétrocéder les sommes aux auteurs desdits virements, moyennant une commission, la finalité étant de permettre à ces derniers d'éluder l'impôt.

Des faits distincts ne peuvent pas faire l'objet de deux sanctions successives, et ce dès lors que l'employeur avait connaissance de l'ensemble de ces faits lors du prononcé de la première sanction. Et, la connaissance des faits fautifs par l'employeur s'entend de l'information exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié.

Ainsi, l'employeur qui, bien qu'informé de l'ensemble des faits reprochés à un salarié, choisit de lui notifier un avertissement seulement pour certains d'entre eux, a épuisé son pouvoir disciplinaire et ne peut prononcer ultérieurement un licenciement pour les autres faits connus avant la date de notification de la première sanction.

En l'espèce, l'employeur adresse un courriel à Madame m-j L. le 19 mars 2015, ainsi libellé :

« Bonjour m-j.

Peux-tu nous fournir une explication sur :

* les virements entrants du 10 mars correspondant au solde avant clôture de 3 comptes de clients NR italiens ouverts dans nos livres,

* les retraits espèces consécutifs

Nous te rappelons que ce client a retiré 197.000 euros depuis début 2015. Merci pour ton retour ».

Les parties conviennent qu'il s'agit des trois virements litigieux ayant donné lieu aux deux sanctions disciplinaires.

En l'absence de réponse de la demanderesse, un rappel lui était adressé par mèl (pièce n° 9 B du CRÉDIT DU NORD) en ces termes :

« m-j.

Je reviens vers toi concernant le fonctionnement de ce compte.

Peux-tu nous expliquer le lien entre les donneurs d'ordre des virements et M... Merci également de justifier les retraits suivant les arrivées de fonds.

Merci pour ta réponse ».

Madame m-j L. répondra par courriel du 3 avril 2015.

Il apparaît ainsi que le CRÉDIT DU NORD disposait de toutes les informations concernant les virements du 10 mars 2015 au plus tard le 3 avril 2015.

Bien plus, Monsieur M. s'est rapproché du CRÉDIT DU NORD dès le mois d'avril 2015 afin de tenter de trouver un accord pour la restitution de la somme qu'il avait virée au profit de Monsieur S.

Il en résulte que la banque, en sa qualité de professionnel, ne pouvait ignorer la nature suspecte des deux autres virements du même jour au profit de Monsieur S. et ce, notamment eu égard aux nouvelles règles applicables suite à la signature de l'accord d'échange de renseignements en matière fiscale entre Monaco et l'Italie, le 2 mars 2015.

La réclamation d'un premier client ne pouvait laisser la banque insensible quant aux deux autres virements, tenant notamment les retraits d'espèces effectués par Monsieur S.

Il résulte dès lors de ces constatations que l'avertissement infligé à Madame m-j L. le 1er juin 2015, en des termes généraux, visait les trois opérations litigieuses du 10 mars 2015.

Le licenciement de Madame m-j L. est dans ces circonstances dépourvu de cause valable.

La demanderesse est dès lors en droit de prétendre à l'indemnité de licenciement conventionnelle telle que prévue aux articles 38 à 40 de la convention collective monégasque du travail du personnel des banques, d'un montant de 80.794 euros, ce dernier étant retenu en l'absence de contestation du calcul opéré.

Madame m-j L. peut également prétendre à l'indemnité de préavis de trois mois d'un montant de 15.198 euros, outre les congés payés afférents à hauteur de 1.519,80 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 20 mai 2016 date de réception au greffe de la requête.

Sur le caractère abusif du licenciement

Constitue un licenciement abusif l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister notamment dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux, qu'il appartient au salarié qui se prévaut du caractère abusif de la rupture d'en rapporter la preuve.

Il appartient à celui qui réclame des dommages-intérêts, de prouver outre le préjudice subi, l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ou dans la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec lesquelles le congédiement a été donné.

En application de l'article 13 de la Loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts.

Le licenciement qui ne repose pas sur un motif valable n'ouvre droit à la réparation du préjudice matériel en résultant que lorsque l'employeur a commis un abus dans la prise de décision, soit par exemple en invoquant des motifs fallacieux ou encore en prononçant la rupture malgré l'absence de tout fondement légal, ce qui ne s'avère pas être le cas en l'espèce.

L'analyse qui précède a permis de constater que le grief énoncé dans la lettre de licenciement s'est avéré infondé.

Pour autant le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué combinée à la volonté de tromperie et de nuisance de celui qui l'invoque.

Au cas particulier, Madame m-j L. sollicite d'être indemnisée à hauteur de la somme de 500.000 euros en réparation de ses préjudices moral et financier.

S'agissant d'un motif non valable, il n'est pas, pour autant, automatiquement fallacieux.

Madame m-j L. ne démontre pas avoir été licenciée pour un autre motif que celui contenu dans la lettre de rupture.

Un licenciement peut être considéré comme abusif (qu'il ait été reconnu valable ou non) si l'employeur a avancé pour le justifier un faux motif, c'est-à-dire un motif qui n'était pas le motif réel qui l'a conduit à prendre cette décision et qui voulait « tromper ».

Par ailleurs, le faux motif ne peut caractériser de facto l'abus de l'employeur, à défaut, cela reviendrait à utiliser la notion française de « cause réelle et sérieuse ».

En effet, en droit français, un licenciement sans cause réelle et sérieuse (fondé sur un faux motif) est abusif et entraîne automatiquement l'allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

En droit monégasque, un licenciement fondé ou non sur des motifs valables peut ne pas être considéré comme abusif.

Eu égard à ces observations, le Tribunal relève que Madame m-j L. ne démontre pas la volonté de nuire ou de tromper de l'employeur.

Dès lors, aucune faute de l'employeur ne peut ouvrir droit à l'indemnisation d'un préjudice matériel et financier résultant du licenciement.

Madame m-j L. soutient en outre que son licenciement s'est réalisé dans des conditions brutales et vexatoires.

Les développements concernant le motif de la rupture, en lien avec l'avertissement, montrent que l'employeur a agi avec légèreté.

En effet, disposant de l'ensemble des éléments lui permettant de prendre une sanction en adéquation avec les faits reprochés à la salariée, il a agi en deux temps plaçant Madame m-j L. dans une position de défiance à l'égard de ses collègues de travail.

Quant au préjudice invoqué, il est de principe que toute demande de dommages et intérêts formée du chef d'un abus dans les conditions de mise en œuvre de la rupture, et non d'un abus dans la prise de décision, ne peut être admise qu'en ce qui concerne le préjudice moral qui résulte du contexte ayant présidé à sa mise en œuvre, et ce, à l'exclusion du préjudice matériel qui serait résulté d'un licenciement abusif dans son principe.

Les difficultés financières dont il est fait état sont en effet le résultat de la diminution de revenu, provoquée par la perte d'emploi et non la conséquence de la brutalité et de l'abus qui, à les supposer établis, auraient caractérisé le licenciement. De plus, le demandeur n'établit nullement en quoi ces difficultés matérielles auraient été provoquées par les circonstances fautives ayant entouré le licenciement, lesquelles n'ont d'ailleurs pas été retenues par le Tribunal. Elles ne peuvent être de nature à établir l'existence d'une faute dans la mise en œuvre de la rupture (Cour de révision, 26 mars 2014, Pourvoi n° 2013-17).

L'employeur a ainsi fait preuve de légèreté blâmable et effectué un usage excessif de son pouvoir disciplinaire qui confère au licenciement un caractère abusif.

Cet abus dans les conditions de mise en œuvre du licenciement ouvre droit à la réparation du préjudice moral consécutif subi par cette salariée, qui sera correctement indemnisé par l'allocation d'une somme de 100.000 euros, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision.

Sur la remise des documents sociaux

Il convient également d'ordonner la délivrance de documents sociaux modifiés conformément à la présente décision, dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette condamnation d'une astreinte.

Les condamnations prononcées supra sont mises à la charge de la S.A. CRÉDIT DU NORD, société de droit étranger, la société CRÉDIT DU NORD MONACO n'étant qu'une succursale dont la personnalité juridique n'est précisée par aucune des parties.

Sur l'exécution provisoire

Il n'est pas justifié pour le surplus des conditions nécessaires au prononcé de l'exécution provisoire autre que l'exécution provisoire de droit prévue par les dispositions de l'article 60 de la loi n° 446 du 16 mai 1946.

Sur les dépens

Partie succombante, la S.A. CRÉDIT DU NORD, société de droit étranger, sera condamnée aux dépens.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Dit que le licenciement de Madame m-j L.ne repose pas sur une cause valable et revêt un caractère abusif ;

Condamne en conséquence la S.A. CRÉDIT DU NORD, société de droit étranger, à payer à Madame m-j L. les sommes suivantes :

* 80.794 euros (quatre-vingt mille sept cent quatre-vingt-quatorze euros) à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

* 15.198 euros (quinze mille cent quatre-vingt-dix-huit euros) à titre d'indemnité de préavis, outre les congés payés afférents à hauteur de 1.519,80 euros (mille cinq cent dix-neuf euros et quatre-vingts centimes) avec intérêts au taux légal à compter du 20 mai 2016 date de réception au greffe de la requête ;

* 100.000 euros (cent mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision ;

Ordonne la délivrance par la S.A. CRÉDIT DU NORD, société de droit étranger, à Madame m-j L. dans le délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision, des documents sociaux modifiés conformes à la présente décision ;

Déboute les parties du surplus de ses demandes ;

Condamne la S.A. CRÉDIT DU NORD, société de droit étranger, aux dépens.

Composition

Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Monsieur Georges MAS, Madame Carol MILLO, membres employeurs, Messieurs Jean-Pierre PIZZOLATO, Lucien REBAUDO, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le dix-neuf avril deux mille dix-huit, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Messieurs Georges MAS, Lucien REBAUDO et Madame Carol MILLO, Monsieur Jean-Pierre PIZZOLATO étant empêché, assistés de Madame Christèle SETTINIERI, Secrétaire-Adjoint. -

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Synthèse
Numéro d'arrêt : 16977
Date de la décision : 19/04/2018

Analyses

En vertu du principe dit du non-cumul des sanctions disciplinaires, un même fait ne peut faire l'objet de deux sanctions successives. Le comportement fautif du salarié doit se manifester par un acte positif ou une abstention de nature volontaire, fait avéré qui lui est imputable et constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail. La lettre de notification doit énoncer des motifs précis et matériellement vérifiables. Elle doit indiquer la consistance des faits et ne pas se contenter de viser leur qualification.Constitue un licenciement abusif l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister notamment dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux, qu'il appartient au salarié qui se prévaut du caractère abusif de la rupture d'en rapporter la preuve.Il appartient à celui qui réclame des dommages-intérêts, de prouver outre le préjudice subi, l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ou dans la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec lesquelles le congédiement a été donné.En application de l'article 13 de la Loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts.Le licenciement qui ne repose pas sur un motif valable n'ouvre droit à la réparation du préjudice matériel en résultant que lorsque l'employeur a commis un abus dans la prise de décision, soit par exemple en invoquant des motifs fallacieux ou encore en prononçant la rupture malgré l'absence de tout fondement légal, ce qui ne s'avère pas être le cas en l'espèce.Le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué combinée à la volonté de tromperie et de nuisance de celui qui l'invoque.Un licenciement peut être considéré comme abusif (qu'il ait été reconnu valable ou non) si l'employeur a avancé pour le justifier un faux motif, c'est-à-dire un motif qui n'était pas le motif réel qui l'a conduit à prendre cette décision et qui voulait « tromper ».Par ailleurs, le faux motif ne peut caractériser de facto l'abus de l'employeur, à défaut, cela reviendrait à utiliser la notion française de « cause réelle et sérieuse ».En effet, en droit français, un licenciement sans cause réelle et sérieuse (fondé sur un faux motif) est abusif et entraîne automatiquement l'allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.En droit monégasque, un licenciement fondé ou non sur des motifs valables peut ne pas être considéré comme abusif.Quant au préjudice invoqué, il est de principe que toute demande de dommages et intérêts formée du chef d'un abus dans les conditions de mise en œuvre de la rupture, et non d'un abus dans la prise de décision, ne peut être admise qu'en ce qui concerne le préjudice moral qui résulte du contexte ayant présidé à sa mise en œuvre, et ce, à l'exclusion du préjudice matériel qui serait résulté d'un licenciement abusif dans son principe.En l'espèce, les difficultés financières dont il est fait état sont en effet le résultat de la diminution de revenu, provoquée par la perte d'emploi et non la conséquence de la brutalité et de l'abus qui, à les supposer établis, auraient caractérisé le licenciement. De plus, le demandeur n'établit nullement en quoi ces difficultés matérielles auraient été provoquées par les circonstances fautives ayant entouré le licenciement, lesquelles n'ont d'ailleurs pas été retenues par le Tribunal. Elles ne peuvent être de nature à établir l'existence d'une faute dans la mise en œuvre de la rupture (Cour de révision, 26 mars 2014, Pourvoi n° 2013-17).En l'espèce, l'employeur a ainsi fait preuve de légèreté blâmable et effectué un usage excessif de son pouvoir disciplinaire qui confère au licenciement un caractère abusif.

Rupture du contrat de travail  - Pouvoir disciplinaire.

Contrat de travail - Mesure disciplinaire - Interdiction de la double sanction - Principe de non-cumul des sanctions disciplinaires pour un même faitLicenciement abusif - Rupture abusive (oui) - Dommages-intérêts (oui).


Parties
Demandeurs : Mme m-j L.
Défendeurs : SA CRÉDIT DU NORD

Références :

article 13 de la Loi n° 729 du 16 mars 1963
article 60 de la loi n° 446 du 16 mai 1946


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2018-04-19;16977 ?

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