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09/11/2017 | MONACO | N°16495

Monaco | Tribunal du travail, 9 novembre 2017, Mme AE. née GH. c/ SAM CRÉDIT SUISSE DE MONACO


Motifs

TRIBUNAL DU TRAVAIL

AUDIENCE DU 9 NOVEMBRE 2017

En la cause de Madame m. AE. née GH., demeurant X1 à MONACO,

Demanderesse, ayant primitivement élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, puis en celle de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la même Cour ;

D'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée CRÉDIT SUISSE DE MONACO, devenue la société anonyme dénommée Banque JJS (Monaco), dont le siège social se situe 27 avenue de la Costa à MON

ACO,

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel...

Motifs

TRIBUNAL DU TRAVAIL

AUDIENCE DU 9 NOVEMBRE 2017

En la cause de Madame m. AE. née GH., demeurant X1 à MONACO,

Demanderesse, ayant primitivement élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, puis en celle de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la même Cour ;

D'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée CRÉDIT SUISSE DE MONACO, devenue la société anonyme dénommée Banque JJS (Monaco), dont le siège social se situe 27 avenue de la Costa à MONACO,

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco ;

D'autre part ;

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 17 juin 2016, reçue le même jour ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 11 octobre 2016 ;

Vu les conclusions de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, au nom de Madame m. A. née G. en date du 1er décembre 2016 ;

Vu les conclusions de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur, au nom de la société anonyme monégasque dénommée CRÉDIT SUISSE DE MONACO, en date du 6 avril 2017 ;

Vu les pièces du dossier ;

Madame m. G. a été embauchée par la S.A.M. CRÉDIT SUISSE DE MONACO (ci-après la banque) par contrat à durée indéterminée en date du 3 juin 2014, en qualité de Cadre, fonction « Relationship Manager ».

En octobre 2015, Madame m. G. a été nommée responsable de l'équipe chargée de la clientèle italienne.

Le 22 mars 2016, Madame F. a annoncé à tout le personnel le rachat du CRÉDIT SUISSE DE MONACO par SAFRA.

Le 31 mars 2016, par courrier remis en main propre, le directeur administratif et le responsable juridique ont signifié à la salariée sa mise à pied à titre conservatoire.

Par lettre du 26 avril 2016, la banque a motivé la mise à pied infligée le 31 mars et a convoqué Madame m. G. devant le conseil de discipline pour le 13 mai suivant.

Le 1er juin 2016, la banque communiquait à la salariée le procès-verbal du conseil de discipline ; ce dernier estimant que le licenciement de celle-ci ne se justifiait pas. Il était en outre préconisé « le maintien de Madame G. en qualité de chargé de clientèle uniquement et non plus en qualité de chef de team, accompagné d'un blâme ».

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 13 juin 2016, l'employeur informait Madame m.G.de ce qu'il validait la décision du conseil de discipline.

Par requête reçue au greffe le 17 juin 2016, Madame m. G. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :

* à titre principal :

* vu l'article 1039 du Code civil,

* vu la convention collective monégasque du travail du personnel des banques,

* prononcer la résiliation du contrat de travail aux torts exclusifs de la S.A.M. CRÉDIT SUISSE DE MONACO et en conséquence, condamner la S.A.M. CRÉDIT SUISSE à lui régler les sommes suivantes :

* indemnité de licenciement : 210.000 euros,

* préavis : 52.500 euros,

* indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 5.250 euros,

* indemnité compensatrice de congés payés (32 jours) : 25.454,54 euros,

* dommages et intérêts : 800.000 euros,

* prime différée objectifs 2014 : 11.905 euros,

* prime différée objectifs 2015 : 8.274 euros,

* prime objectifs 2016 : 155.000 euros,

* prime de rétention 2016 : 155.000 euros,

* TOTAL : 1.423.383,54 euros,

* condamner la S.A.M. CRÉDIT SUISSE à lui remettre les 4.039 actions du CRÉDIT SUISSE GROUPE AG qui lui ont été attribuées au titre des bonus 2014 et 2015, et ce, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, à compter du prononcé du jugement à intervenir,

* à titre subsidiaire :

* prononcer l'annulation des sanctions notifiées par la S.A.M. CRÉDIT SUISSE le 13 juin 2016, à savoir « le maintien de [Madame A.] en qualité de chargé de clientèle uniquement et non plus en qualité de chef de team, accompagné d'un blâme » et l'annulation du procès-verbal du conseil de discipline du 20 mai 2016, notifié le 1er juin 2016, et en conséquence ordonner sa réintégration en ses fonctions de chef de team, et ce sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard, à compter du prononcé du jugement à intervenir,

* dire et juger que la S.A.M. CRÉDIT SUISSE a usé de manière abusive de son pouvoir disciplinaire,

* en conséquence :

* condamner la S.A.M. CRÉDIT SUISSE à lui verser les sommes suivantes :

* dommages et intérêts : 300.000 euros,

* prime objectifs 2016 : 155.000 euros,

* prime de rétention 2016 : 155.000 euros,

* TOTAL : 610.000 euros,

* dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la tentative de conciliation,

* ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Aucune conciliation n'étant intervenue, l'affaire a fait l'objet d'un renvoi devant le bureau de jugement.

Madame m. G. a déposé des conclusions le 1er décembre 2016 dans lesquelles elle fait essentiellement valoir que :

* en janvier 2016, elle a débuté une relation avec un de ses clients, Monsieur m. V.

* le 1er mars 2016, Monsieur V. a informé Madame F. de sa décision de quitter la banque en raison de sa future acquisition par SAFRA,

* le 28 mars 2016, Madame F. lui a demandé de cesser toute relation avec Monsieur m. V. Elle lui a également demandé de cesser sa fonction de chef d'équipe,

* elle a manifesté sa réticence via un courrier électronique adressé à Madame F.

* sur la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur :

* la mise à pied qui lui a été infligée le 31 mars 2016 est injustifiée, vexatoire et abusive, rendant impossible le maintien des relations contractuelles,

* les motifs invoqués par la banque sont infondés, mensongers et non prouvés,

* les attestations produites par la banque sont nulles et mensongères,

* le procès-verbal de constat établi par Maître ESCAUT-MARQUET est postérieur à la mise à pied et n'apporte aucun élément probant,

* elle a subi un préjudice colossal, provoquant un procès et une condamnation médiatique qui a ruiné définitivement son image professionnelle, sa carrière et toute possibilité de travailler encore dans une banque à Monaco,

* sa suspension l'a coupée de tout contact avec ses clients, lui faisant perdre sa clientèle acquise lors d'une carrière de plus de 30 ans et apportée au CRÉDIT SUISSE,

* en application du principe de non-cumul des sanctions, une même faute ne peut faire l'objet de deux sanctions cumulatives,

* elle a fait l'objet d'une triple sanction : une mise à pied, un blâme et une rétrogradation,

* l'employeur n'a pas respecté les dispositions des articles 27-3 et 27-4 de la convention collective monégasque du travail du personnel des banques,

* il n'a pas plus respecté le règlement intérieur du conseil de discipline,

* subsidiairement : sur l'annulation des sanctions et sa réintégration en ses fonctions de chef d'équipe :

* l'absence d'un début de commencement de preuve des manquements qui lui étaient reprochés aurait dû conduire le conseil de discipline à la réintégrer dans ses fonctions,

* ses sanctions sont affectées d'irrégularité de forme et elles violent la règle de non-cumul des sanctions disciplinaires.

La S.A.M. CRÉDIT SUISSE MONACO devenue BANQUE JSS (MONACO) S.A. a déposé des conclusions le 6 avril 2017 dans lesquelles elle s'oppose aux prétentions émises à son encontre et fait valoir que :

* dans le courant du premier trimestre de l'année 2016, la direction a remarqué à plusieurs reprises des agissements déloyaux de la part de Madame m. G. constituant des fautes professionnelles pouvant justifier une mesure de révocation,

* l'employeur n'a manqué à aucun de ses engagements à l'égard de sa salariée,

* il a simplement, à la suite de faits graves dont il a eu connaissance laissant planer un doute sur son rapport de confiance avec Madame m. G. décidé de mettre en œuvre la procédure disciplinaire en respectant scrupuleusement la procédure prévue dans la convention collective applicable,

* la salariée a acquiescé à la décision du conseil de discipline puisqu'elle n'a pas exercé de recours devant la commission paritaire prévu à l'article 27 de la convention collective,

* elle ne peut dès lors demander au Tribunal du travail d'exercer un contrôle a posteriori qui était du ressort de la commission paritaire,

* contrairement à ce qu'indique la demanderesse, la mise à pied notifiée le 31 mars 2016 n'est en rien une mesure disciplinaire ; il s'agit d'une mesure prise à titre conservatoire dans l'attente de la réunion du conseil de discipline,

* cette mesure n'a causé aucun grief à la salariée dont le salaire a été intégralement maintenu,

* le contrat de travail s'est poursuivi, Madame m. G. bénéficiant de surcroît du maintien de son salaire au poste précédent,

* les prétendues irrégularités formelles de la procédure devant le conseil de discipline ne sauraient entraîner la résiliation du contrat de travail,

* le principe du contradictoire a été respecté devant le conseil de discipline,

* sur les demandes subsidiaires :

* la demanderesse ne peut réclamer tout à la fois la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur puis dans un deuxième temps sa réintégration sous astreinte à son poste initial de chef de team,

* les griefs invoqués par Madame m. G. auraient dû être développés dans le cadre d'un recours en appel devant la commission paritaire.

SUR CE,

Sur la nullité des attestations produites par la défenderesse

Aux termes de l'article 324 du Code de procédure civile,

« l'attestation doit, à peine de nullité :

1° être établie par une personne remplissant les conditions requises pour être entendue comme témoin ;

2° être écrite, datée et signée de la main de son auteur ;

3° mentionner les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur, ainsi que l'existence ou l'absence de liens de parenté, d'alliance, de subordination ou d'intérêt avec les parties ;

4° préciser si son auteur a quelque intérêt au procès ;

5° indiquer qu'elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur sait qu'une fausse attestation l'exposerait aux sanctions prévues par l'article 103 du code pénal ;

6° être accompagnée de tout document officiel, en original ou en photocopie, justifiant de l'identité de son auteur et comportant sa signature ».

Les pièces n° 10 et 11 sont constituées par des attestations établies par Mesdames s. P. et s. S. lesquelles respectent l'ensemble des dispositions visées supra.

En effet, il est admis que les mentions exigées par l'article 324 du Code de procédure civile ne doivent pas nécessairement être reproduites à l'identique de la rédaction dudit article et que certaines informations telles notamment que l'intérêt au litige et l'existence d'un lien de subordination peuvent s'apprécier par le contenu même de l'attestation ;

De plus, l'alinéa 4 invoqué invite les auteurs d'une attestation à préciser s'ils ont « quelque intérêt au procès » ; il s'agit donc d'une précision à apporter lorsque cet intérêt existe, de sorte que l'absence d'une telle mention doit être entendue comme un défaut d'intérêt -ce d'autant qu'il n'est pas soutenu qu'un tel intérêt existerait en l'espèce- et ne peut être sanctionnée dès lors par la nullité de la pièce qui comporte les mentions légales imposées ;

Dès lors, la régularité des attestations ne saurait être discutée en ce qu'elles précisent que leur auteur travaille pour la société CRÉDIT SUISSE avec laquelle les attestants ont donc un lien de subordination ;

Sur la recevabilité

Aux termes de l'article 13 alinéa 3 de la Convention collective monégasque du Travail du Personnel des Banques, la Commission Paritaire « a également à formuler des avis sur les décisions du conseil de discipline qui lui seraient déférées en vertu de l'article 27, paragraphe 8 ci-après ».

L'article 15 de cette même convention collective prévoit que « les dispositions qui précédent ne peuvent avoir pour effet d'empêcher a) les employeurs ou les employés intéressés de s'adresser directement aux Tribunaux ».

De plus, la question du caractère « définitif » de la révocation, sanction du 2e degré envisagée, dans le délai de quinze jours suivant l'avis favorable donné par le Conseil de Discipline à la majorité des voix exprimées, n'a d'incidence que sur le moment de la notification de la rupture par l'employeur, alors qu'une disposition conventionnelle ne peut en aucun cas faire obstacle à la contestation d'une décision de licenciement devant le Tribunal du Travail, seul compétent pour statuer sur les litiges individuels nés à l'occasion d'un contrat de travail.

En conséquence, l'absence de recours formé par Madame m. G. devant la Commission Paritaire est sans effet sur la présente action qui est parfaitement recevable.

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur

La condition résolutoire étant, aux termes de l'article 1039 du Code civil, toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques pour le cas où l'une des deux parties ne satisferait pas à son engagement, la partie envers laquelle l'obligation convenue n'a pas été exécutée a la faculté, en l'absence de dispositions contraires dans la loi n° 729, concurremment avec l'exercice de son droit de résiliation unilatérale (licenciement ou démission), de solliciter auprès du Tribunal du travail la résiliation judiciaire du contrat de travail ainsi que des dommages et intérêts, dès lors que ces manquements sont d'une gravité suffisante.

Il convient pour ce faire de déterminer si la gravité des manquements de l'employeur permet de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur.

Madame m. G. justifie sa demande de résiliation judiciaire sur trois motifs :

* le caractère injustifié, vexatoire et abusif des sanctions prononcées par l'employeur,

* la violation du principe de non-cumul des sanctions disciplinaires,

* les irrégularités formelles de la procédure devant le conseil de discipline.

Sur les sanctions prononcées

La mise à pied conservatoire ne constitue pas une sanction disciplinaire. Il s'agit d'une mesure de précaution tendant à écarter le salarié de l'entreprise, dans l'attente d'une décision concernant la sanction.

En l'espèce, la banque a notifié à Madame m. G. une mise à pied conservatoire suivant courrier en date du 31 mars 2016, en ces termes :

« ... En l'état des manquements disciplinaires et des fautes professionnelles vous étant imputables et étant passibles de la révocation, nous vous informons de notre décision de convoquer le conseil de discipline de notre établissement, conformément à l'article 27 de la convention collective du personnel des banques, à l'effet de lui proposer de donner son avis sur votre éventuelle révocation sanction du deuxième degré prévue à l'article 25 de la convention collective, que notre établissement a décidé d'appliquer à votre encontre.

Vous serez informée par courrier dans les formes prévues à l'article 27 de la convention collective de la date de la réunion du conseil de discipline.

Conformément à l'article 27.5 de la convention collective, avant la date de la réunion vous recevrez communication de toutes les pièces relatives aux griefs articulés à votre encontre ainsi que la communication des notes professionnelles vous concernant.

Vous pourrez bien évidemment devant le conseil de discipline faire valoir vos arguments et vous faire assister par le défenseur de votre choix.

Nous tenons d'ores et déjà à vous informer que, compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, nous avons décidé de prononcer à votre encontre votre mise à pied conservatoire.

Cette décision est rendue nécessaire par les risques que vous faites encourir à l'entreprise.

Vous voudrez bien nous remettre votre téléphone professionnel ainsi que votre badge d'accès.

Je vous prie donc dès lors de ne plus vous présenter à la banque à compter de la date de la remise du présent courrier en main propre, et ce, jusqu'à ce qu'une décision définitive soit prise à votre encontre ».

Cette lettre ne comporte aucune sanction « déguisée » à l'encontre de la salariée. L'employeur invoquant seulement des fautes d'une gravité telle qu'elles justifient une mise à l'écart temporaire jusqu'à la décision du conseil de discipline.

Par courrier du 26 avril 2016, l'employeur notifiait à Madame m. G. la date de fixation du conseil de discipline à savoir le 13 mai 2016 (reporté au 20 mai 2016 à la demande de la salariée) et détaillait les griefs qui lui étaient reprochés :

« des absences répétées non justifiées, un comportement inapproprié à l'encontre de certains employés de la banque et d'un client en particulier avec lequel vous avez rompu le secret professionnel ainsi qu'une tentative de détournement de la clientèle de Crédit Suisse (Monaco) et enfin une utilisation des moyens de la banque à des fins personnelles ».

Suivant procès-verbal en date du 20 mai 2016, le conseil de discipline a décidé :

« Les membres du conseil de discipline considèrent à la majorité des voix, qu'en l'absence de formalisation des manquements constatés par la direction au moment de la survenance des faits, le licenciement de Madame A. ne semble pas être justifié.

Le conseil de discipline estime également à la majorité des voix, que le maintien de Madame A. en qualité de chargé de clientèle uniquement et non plus en qualité de chef de team, accompagné d'un blâme, doit être envisagé par la direction ».

Par la suite, l'employeur faisait part à la salariée de sa décision ainsi motivée :

« ... En conséquence, nous vous informons par la présente que la direction de Crédit Suisse (Monaco) valide la décision du conseil de discipline du 20 mai 2016 et décide de vous réintégrer au sein de notre établissement en qualité de » chargé de clientèle « uniquement et non plus en qualité de chef de team.

Cette mesure est également accompagnée d'un blâme qui vous est délivré par la présente compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés.

Nous vous remercions en conséquence de bien vouloir vous présenter le 16 juin 2016 à 8h30 en nos locaux afin de reprendre vos fonctions en qualité de chargé de clientèle.

La banque veillera à ce que votre réintégration s'effectue dans les meilleures conditions afin de vous permettre de saisir cette opportunité de manière optimale ».

Avant d'apprécier la réalité des fautes commises par Madame m.G.et dès lors la légitimé des sanctions prononcées, il convient de vérifier si la règle du non-cumul des sanctions disciplinaires pour un même fait a été violée par l'employeur.

En vertu du principe dit du non-cumul des sanctions disciplinaires, un même fait ne peut faire l'objet de deux sanctions successives.

En l'espèce, l'employeur n'a pas sanctionné successivement un même fait ou ensemble de faits, mais a prononcé un blâme et une rétrogradation en même temps.

Ce faisant, la banque n'a pas procédé à deux sanctions successives pour sanctionner un seul fait fautif, de sorte que la règle visée ci-dessus n'a pas été violée.

En effet, l'employeur a, sous certaines réserves, le libre choix de la sanction. Mais une faute du salarié est nécessaire et la ou les sanctions prononcées doivent être proportionnelles à la faute commise.

En l'espèce, pour justifier les griefs reprochés à Madame m. G. l'employeur produit les éléments suivants :

* un procès-verbal en date du 13 avril 2016, de constat établi par Maître ESCAUT-MARQUET, Huissier de justice à Monaco, qui retranscrit des conversations téléphoniques démontrant :

* que le 16 mars 2016, une personne (un homme) téléphone à l'assistante de Madame m. G. à sa demande, pour solliciter le mot de passe de celle-ci sans aucune précision du matériel concerné.

Cependant, il ne peut s'agir que d'un appareil professionnel dans la mesure où Madame m. G.fait appeler son assistante.

* que le même jour, Astrid indique à son correspondant qu'elle a « tout envoyé à m. », celui-ci répondant :

« parce que voyez-vous, m. est en rendez-vous avec l'avocat ».

* que le 17 mars 2016, une femme donne des informations sur des clients à une autre femme. Rien ne permet d'identifier Madame m. G. dans cette conversation.

* que le 18 mars 2016, une conversation est intervenue entre l'assistante de Madame m. G. l'ami de cette dernière et elle-même en toute fin.

Il est fait état des appels téléphoniques de la banque à la salariée pendant son arrêt maladie, l'homme ajoutant :

« Alors, m. a des problèmes énormes avec la séparation d'avec son mari, de gros problèmes au travail parce que vous êtes en train de faire des changements qui ne lui conviennent pas. Bien entendu ensuite moi aussi je suis impliqué... ».

Les conversations ainsi retranscrites démontrent que Madame G. a demandé, par l'intermédiaire d'un tiers, le transfert de certaines données de l'employeur, et ce, en méconnaissance de son obligation de confidentialité contenue dans son contrat de travail en son article VIII.

Même en l'absence de précision sur le contenu des informations transférées, il n'est pas contestable que le compagnon de Madame m. G. était également client du CRÉDIT SUISSE et que ce simple fait devait conduire la salariée à la plus extrême prudence et discrétion sur sa clientèle.

Il s'agit pour le moins d'un manque de lucidité justifiant à elle seule une mesure disciplinaire.

Une attestation de Madame s. S. Gestionnaire de clientèle au CRÉDIT SUISSE MONACO, ainsi libellée :

« J'ai connu Madame m. A. le 15/07/2015, jour de mon arrivé à la banque, en qualité de ma collègue appartenant à la même équipe.

L'impression que j'avais eu à cette époque c'était que elle était professionnelle, très attachée au travail, disponible vis-à-vis des collègues et des clients.

Depuis début janvier, Mme A. a complètement changé d'attitude au travail et j'ai remarqué les faits suivants :

* absence de bureau,

* manque total de communication concernant la vente de la banque et les impacts,

* absence aux réunions de travail et pas de feedback,

* pas joignable pour les urgences pendants ses rdv à l'extérieur par téléphone car Mme A. avait renvoyé son portable sur son poste fixe à la banque de façon permanente,

* pression pour extourne frais hors procédure concernant son client/ami M. M.V.,

* empêchement d'obtenir de l'aide d'une des deux assistants de l'équipe occupée la plus part de temps à satisfaire des requêtes extra professionnelles pour Mme A.et son client/ami M. M.V.

En conséquence de son comportement, les impacts pour l'équipe et moi-même étaient :

* aucun soutien,

* manque d'information concernant nouvelles procédures mises en place,

* tension/malaise au sein de l'équipe à cause de son comportement,

* agressivité envers certains membres de l'équipe,

* très difficile de lui parler car ou Mme A. était absente ou il y avait de la présence de M. M.V. ou Mme A. n'était pas concentrée à cause des coups de téléphone incessants de M. M.V.,

* surcharge de travail pour s'occuper des ses clients dont elle n'avait pas pris le soin de nous informer du suivi des dossiers,

* risques opérationnels dus au manque des consignes des clients écrites ou téléphoniques enregistrés ».

Une attestation de Madame s. P. cadre bancaire, gestionnaire de clientèle privée et back up de Madame m. A. au sein du CRÉDIT SUISSE, ainsi libellée :

« Depuis plusieurs semaines, j'ai constaté un changement radical du comportement de notre collègue au détriment de son travail et des clients. Madame A. semblait avoir la tête ailleurs.

Ses absences répétées tant pendant les heures de travail qu'aux réunions de direction auxquelles j'aurais dû assister si j'avais été avisée ont nui gravement à l'organisation du service, à la connaissance des informations (vente du Crédit Suisse) et à la qualité du service fourni à la clientèle.

Pendant les quelques heures passées au bureau, il était impossible d'avoir une conversation suivie du fait des nombreux appels téléphoniques de son compagnon et client. Notre collègue traitait ses affaires personnelles (recherche appartement, emploi, CV sur la photocopieuse) ainsi que celles de son client et ami (courses personnelles, déménagement en Suisse, déclaration de douane, billets de train...). Pour ce faire, elle employait notre assistante. Son langage était désobligeant envers elle et certains membres de l'équipe. En résumé, elle privilégiait son client-ami au détriment de tous les autres clients qui pour certains se sont plaints. Je ne citerai pas leurs noms par devoir de réserve.

Cette attitude extrêmement dommageable nous a fait courir un risque d'erreur et de réputation pour la banque car plusieurs clients ont manifesté leur mécontentement. Nous avons dû faire face à une désorganisation de notre équipe (seulement 6 personnes au total) et un surcroît de travail dans l'urgence. Cette situation a généré un climat très tendu ».

Il résulte de ces deux attestations un manque de motivation et d'implication de Madame m. G. dans son travail, ainsi que l'utilisation des moyens de la banque à des fins personnelles et un comportement inapproprié avec certains collègues.

La demanderesse conteste ces témoignages sans apporter d'élément permettant de les mettre en doute, de sorte qu'ils seront retenus.

Il résulte de l'ensemble des explications développées supra que les fautes reprochées à la salariée sont démontrées par l'employeur et sont suffisamment grave eu égard à la fonction de Madame m. G. pour justifier les sanctions disciplinaires qui lui ont été infligées.

Enfin, Madame m. G. a invoqué les irrégularités formelles de la procédure devant le conseil de discipline, lesquelles, si elles étaient avérées ne constitueraient pas des manquements d'une gravité telle justifiant la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur.

Elle soutient dans un premier temps que les avis des membres du conseil de discipline ne sont pas consignés.

L'article 27-3 de la convention collective monégasque du travail du personnel des banques prévoit en effet qu'il est établi un procès-verbal où sont consignés les avis formulés par les membres du conseil de discipline.

Si lesdits avis ne sont effectivement pas consignés dans le procès-verbal, il n'est pas établi que cette carence, à supposer qu'elle puisse engager la responsabilité de la défenderesse, aurait causé un quelconque préjudice à Madame m. G.

Il n'est en effet pas contesté qu'elle a pu faire valoir sa défense, accompagnée de son conseil et qu'elle a eu connaissance et communication des pièces produites par l'employeur à l'appui de son recours, en temps utile.

La même argumentation sera reprise par le Tribunal concernant le non-respect des dispositions de l'article 27-4 de la convention collective.

Madame G. indique que les membres du conseil ont reçu les pièces de la direction le 26 avril 2016 à l'exception de Monsieur e. C. qui n'a pas porté de date à la réception dudit courrier, se contentant d'apposer la mention « reçu ce jour ».

La preuve d'un préjudice spécifique en lien avec le non-respect allégué n'est pas rapportée, la salariée ne justifiant aucunement que la décision du conseil de discipline aurait été toute autre si Monsieur e. C. désigné par la direction, avait apposé la date à laquelle il a reçu les pièces.

Madame G. fait également état d'une violation du règlement intérieur du conseil de discipline, en ses articles 6 paragraphe 2, 6 paragraphe 6, 7 alinéa 3 et 7 alinéa 7.

L'article 6 paragraphe 2 premier prévoit que « le procès-verbal contiendra le nom et la fonction dans la banque des quatre membres présents ».

La lecture du procès-verbal montre que cette disposition n'est pas respectée.

Cependant, Madame m. G. ne démontre pas plus que ci-dessus un quelconque préjudice en lien avec cette absence de mention.

De plus, le paragraphe suivant lui permettait de récuser un représentant du personnel « s'il est établi qu'il est directement concerné par les faits ou si, à cause des faits ou de l'intéressé, l'agent visé estime que le conseil de discipline ne peut statuer en toute objectivité. Il sera fait appel, sur le champ, dans ce cas, à un suppléant ».

L'article 6 paragraphe 6 prévoit :

« Pendant la phase contradictoire, le conseil, composé des quatre membres, reçoit un représentant de la direction autre que ceux siégeant au conseil, ainsi que l'agent visé par la mesure disciplinaire, avec le cas échéant les conseils de deux parties. Le représentant de la direction exposera, en début de session les motifs amenant la banque à envisager une sanction. L'agent est ensuite invité à s'exprimer personnellement et/ou par son conseil ».

Le non-respect de cette formalité ne constitue qu'une légèreté blâmable de l'employeur susceptible d'ouvrir droit à l'allocation de dommages et intérêts dans le cadre du caractère abusif de la sanction.

Il ne remet pas en cause la sanction en elle-même qui demeure valable. L'article 7 alinéa 3 prévoit :

« Ce procès-verbal contiendra soit le constat d'un avis unanime du conseil, soit la consignation des avis de chaque membre. Les avis sont évoqués sur le procès-verbal dans l'ordre prévu par la convention, c'est-à-dire en commençant par le membre du niveau hiérarchique le moins élevé, ou, en cas d'égalité de niveau, le moins ancien ».

Le Tribunal renvoie à ses explications concernant le non-respect de l'article 27-3 de la convention collective et l'absence de préjudice démontré par Madame m. G. en lien avec cette carence.

L'article 7 alinéa 7 dispose :

« Le procès-verbal contenant l'avis du conseil est établi en deux exemplaires originaux dûment signés par les membres du conseil, dont un est remis à l'intéressé dans les deux jours de sa signature ».

Ces dispositions n'ont pas plus été respectées.

Cependant, la salariée ne soutient pas que le document qui lui a été adressé postérieurement au délai susmentionné diffère de celui qu'elle a signé le 20 mai 2016.

Il s'agit d'une irrégularité susceptible d'engager la responsabilité de l'employeur dans le cadre du caractère abusif de la sanction, constitutive d'une légèreté blâmable, à charge pour le salarié de rapporter la preuve d'un préjudice, inexistant en l'espèce.

Il ressort de l'ensemble des explications développées supra que Madame m. G. ne rapporte pas la preuve de manquements suffisamment graves de l'employeur justifiant la résiliation du contrat de travail à ses torts.

Elle sera dans ces circonstances déboutée de ce chef de demande et de ses prétentions financières subséquentes.

Les sanctions disciplinaires prononcées ayant été déclarées valables, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande subsidiaire d'annulation desdites sanctions et de réintégration dans ses anciennes fonctions.

Succombant dans ses prétentions, Madame m. G. sera condamnée aux dépens.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Déboute Madame m. G. de toutes ses demandes ; La condamne aux dépens.

Composition

Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Alain GALLO, Paul-Marie JACQUES, membres employeurs, Messieurs Jean-Marie PASTOR, Philippe LEMONNIER, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le neuf novembre deux mille dix-sept, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Messieurs Alain GALLO, Jean-Marie PASTOR et Philippe LEMONNIER, Monsieur Paul-Marie JACQUES étant empêché, assistés de Madame Sandrine FERRER-JAUSSEIN, Secrétaire en Chef.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 16495
Date de la décision : 09/11/2017

Analyses

Avant d'apprécier la réalité des fautes commises par Madame m. G. et dès lors la légitimé des sanctions prononcées, il convient de vérifier si la règle du non-cumul des sanctions disciplinaires pour un même fait a été violée par l'employeur. En vertu du principe dit du non-cumul des sanctions disciplinaires, un même fait ne peut faire l'objet de deux sanctions successives. En l'espèce, l'employeur n'a pas sanctionné successivement un même fait ou ensemble de faits, mais a prononcé un blâme et une rétrogradation en même temps. Ce faisant, la banque n'a pas procédé à deux sanctions successives pour sanctionner un seul fait fautif, de sorte que la règle visée ci-dessus n'a pas été violée. En effet, l'employeur a, sous certaines réserves, le libre choix de la sanction. Mais une faute du salarié est nécessaire et la ou les sanctions prononcées doivent être proportionnelles à la faute commise.

Contrats de travail  - Pouvoir disciplinaire.

Contrat de travail - Mesure disciplinaire - Interdiction de la double sanction - Sanction valable (oui).


Parties
Demandeurs : Mme AE. née GH.
Défendeurs : SAM CRÉDIT SUISSE DE MONACO

Références :

article 103 du code pénal
article 1039 du Code civil
article 324 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2017-11-09;16495 ?

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