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21/09/2017 | MONACO | N°16310

Monaco | Tribunal du travail, 21 septembre 2017, Mme c. MA. NO. c/ Société anonyme monégasque dénommée IMPRIMERIE TE.


Motifs

AUDIENCE DU 21 SEPTEMBRE 2017

TRIBUNAL DU TRAVAIL

En la cause de Madame c. MA. NO., demeurant X1 à CAP D'AIL (06320),

Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice,

D'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée IMPRIMERIE TE., dont le siège social se situe X2 à MONACO,

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défense

ur près la Cour d'appel de Monaco, substitué et plaidant par Maître Sophie MARQUET, avocat-stagiaire,

D'autre part ...

Motifs

AUDIENCE DU 21 SEPTEMBRE 2017

TRIBUNAL DU TRAVAIL

En la cause de Madame c. MA. NO., demeurant X1 à CAP D'AIL (06320),

Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice,

D'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée IMPRIMERIE TE., dont le siège social se situe X2 à MONACO,

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substitué et plaidant par Maître Sophie MARQUET, avocat-stagiaire,

D'autre part ;

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance reçue le 9 septembre 2014 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 15 décembre 2014 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de Madame c. M. N. les 7 mai 2015, 14 juillet 2016, 1er décembre 2016 et 2 mars 2017 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la société anonyme monégasque dénommée IMPRIMERIE T. les 4 février 2016, 6 octobre 2016 et 2 février 2017 ;

Après avoir entendu Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice, pour Madame c. M. N. et Maître Sophie MARQUET, avocat-stagiaire, pour la société anonyme monégasque dénommée IMPRIMERIE T. en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

c. M. N. est entrée au service de la S.A.M. IMPRIMERIE T. le 11 août 1972 en qualité de Papetière.

Elle a fait l'objet d'un licenciement pour motif économique par lettre du 14 octobre 2013, après 41 ans d'ancienneté.

Par requête reçue le 9 septembre 2014, Madame M. N. a saisi le Tribunal du Travail en conciliation des demandes suivantes :

* rappel de salaire (depuis septembre 2009) : 20.000 euros,

* congés payés sur rappel de salaire : 2.000 euros,

* complément indemnité de préavis : 1.000 euros,

* congés payés sur complément de préavis : 100 euros,

* complément indemnité de congédiement : 6.000 euros,

* dommages et intérêts pour non-paiement de salaire dû et discrimination notamment syndicale : 12.000 euros,

* intérêt au taux légal,

* exécution provisoire.

Aucune conciliation n'étant intervenue, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.

Madame M. N. a déposé des conclusions les 7 mai 2015, 14 juillet, 1er décembre 2016 et 2 mars 2017 dans lesquelles elle fait essentiellement valoir que :

Sur le rappel de salaire :

* elle a perçu 20 euros de moins par mois que Monsieur RA. à compter du mois d'octobre 2012 jusqu'à la rupture de son contrat de travail,

* Monsieur R. percevait 277,04 euros de plus qu'elle au moment du licenciement,

* ces deux salariés faisaient partie de la même catégorie professionnelle, le groupe V,

* à partir de 1991, l'employeur n'a pas déclaré sa nouvelle fonction d'opération PAO, ses bulletins de salaire mentionnant cette qualification.

Elle produit en outre des attestations démontrant qu'elle a bien occupé le poste d'opération PAO, le certificat de travail qui lui a été remis par l'employeur indique qu'elle a été employée en qualité de « opératrice PAO groupe V ».

Sur les dommages et intérêts :

* elle a dû subir une attitude discriminatoire et infâmante de la part de l'employeur en raison de ses fonctions syndicales,

* la production des permis de travail depuis de nombreuses années a permis de mettre en avant la mauvaise foi de l'employeur qui prétendait que Madame M. N. n'avait que la qualification de papetière.

Dans le dernier état de ses écritures, Madame M. N. sollicite du Tribunal de :

* faire droit aux demandes présentées en sa requête introductive d'instance et les présentes conclusions n° 3 récapitulatives.

* en conséquence, condamner la S.A.M. IMPRIMERIE T. à lui régler les sommes de :

* 14.399,15 euros à titre de rappel de salaire,

* 1.439,91 euros à titre de congés payés y afférents,

* 554,08 euros à titre de complément d'indemnité de préavis,

* 55,40 euros à titre de congés payés y afférents,

* 2.290,19 euros à titre de complément d'indemnité de congédiement,

* 12.000 euros à titre de dommages et intérêts,

* constater la nullité de l'attestation de Madame D. B. produite sous le numéro de pièce adverse n° 4,

* dire que les condamnations prononcées à titre de salaire, congés payés, préavis et indemnité de congédiement seront exécutoires à titre provisoire et assorties des intérêts au taux légal à compter de la demande en justice,

* condamner enfin la S.A.M. IMPRIMERIE T. en tous les dépens distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, sous sa due affirmation.

La demanderesse a indiqué à l'audience qu'elle ne sollicitait plus la nullité de l'attestation de Madame D. B. produite en pièce n° 4 par la défenderesse.

La S.A.M. IMPRIMERIE T. a déposé des conclusions les 4 février et 6 octobre 2016, 2 février 2017 dans lesquelles elle s'oppose aux prétentions émises à son encontre.

Elle expose essentiellement que :

Sur le rappel de salaire :

* contrairement aux mentions figurant sur les bulletins de salaire, Madame c. M. N. a toujours exercé les fonctions de papetière, conformément à son autorisation d'embauchage,

* les mentions portées sur le bulletin de salaire ne sont que des indices qui doivent être complétés par d'autres éléments établissant les compétences et les fonctions réelles du salarié,

* la mention portée sur les bulletins de salaire de la demanderesse constitue une erreur matérielle,

* le certificat de travail a été établi en référence à la mention du bulletin de salaire,

* les permis de travail concernant Madame c.M.N.ne mentionnent aucunement la fonction d'opératrice PAO,

* une nouvelle demande de permis de travail doit être établie dès lors que le salarié change de métier, ce qui n'a pas eu lieu en l'espèce,

* l'employeur verse des attestations de clients démontrant les fonctions réelles de Madame c. M. N.

* le salaire de base de cette dernière a toujours été largement supérieur à ceux prévus par les minimas conventionnels de sa catégorie,

* elle a perçu des augmentations de salaire depuis 2009,

* Monsieur William R. exerçait des fonctions totalement différentes et impliquant un plus haut degré de compétence et de technicité,

* il était classé dans l'échelon C du groupe V, soit une classification supérieure à celle de Madame c. M. N. ce qui justifiait un salaire supérieur,

* il en est de même concernant la comparaison de salaire avec celui de Monsieur Thierry RA.

* ce dernier cumulait deux fonctions (massicotier livreur),

* en avril 2013, le salaire de Monsieur RA. a diminué avec son accord du fait des difficultés économiques touchant l'employeur,

* les différences de salaire entre les salariés visés sont justifiées par des éléments objectifs liés à la nature même des fonctions exercées.

Sur la discrimination syndicale :

* la demanderesse se contente d'affirmer sans rien démontrer,

* l'attestation de Monsieur R. fait état de faits peu précis,

* l'employeur a toujours veillé au respect des prérogatives syndicales de Madame c. M. N.

* l'avertissement dont il est fait état par cette dernière n'est en aucune manière justifié par ses fonctions syndicales mais parce qu'elle s'est permise de dénigrer auprès d'autres collègues ses conditions de travail et de déposer des tracts d'informations du syndicat à des endroits inappropriés sans autorisation préalable de la direction,

* la salariée n'a d'ailleurs jamais contesté cet avertissement,

* l'attestation de Madame RO. sur des propos attribués à Monsieur T. n'est qu'affabulations et mensonges,

* Madame M. N. s'en est ouverte auprès de l'inspection du travail qui n'a donné aucune suite au courrier de celle-ci en date du 18 juin 2011,

* les échanges de courriers avec Monsieur P. sont sans rapport avec le présent litige,

* la demanderesse ne justifie pas du montant de sa demande indemnitaire et du préjudice subi.

SUR CE,

Sur l'inégalité salariale

Si le principe d'égalité de traitement en matière de salaires n'est certes pas formellement consacré sur un plan général par le législateur monégasque, l'article 2-1 de la loi n° 739 sur le salaire ne prohibant expressément que les discriminations fondées sur le sexe, il résulte toutefois des dispositions de l'article 7 du Pacte International relatif aux droits civiques et politiques, fait à New York le 16 décembre 1966 et rendu exécutoire en Principauté de Monaco par l'ordonnance n° 13.330 du 12 février 1998, que tous les salariés doivent recevoir une rémunération égale en contrepartie d'un travail égal ou de valeur égale, la rémunération s'entendant non seulement du salaire proprement dit, mais également des divers avantages et accessoires y afférents.

La généralité du champ d'application du principe de non-discrimination en matière de salaires, en droit social monégasque, se trouve en outre et en tout état de cause illustrée :

* tant par les débats qui ont précédé l'adoption par le Conseil National, lors de la séance du 8 avril 1974, de l'article 2-1 de la loi n° 739 sur le salaire, lesquels traduisent très clairement la volonté du législateur monégasque de transposer d'une « manière plus large et plus explicite », dans le domaine du droit social, le principe d'égalité des monégasques devant la loi édicté par l'article 17 de la Constitution du 17 décembre 1962,

* que par la formulation employée par la Cour de Révision dans ses arrêts en date du 9 juin 2005 (P et autres demandeurs contre SBM), érigeant le principe « à travail égal salaire égal » au rang de règle.

En application de ce principe, la S.A.M. IMPRIMERIE T. a donc l'obligation d'assurer l'égalité de rémunération entre tous les employés de son entreprise qui, placés dans des conditions identiques, accomplissent un même travail ou un travail de valeur égale.

Conformément aux dispositions de l'article 1162 du Code civil, il incombe ainsi au salarié, qui invoque une atteinte à ce principe, de présenter au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, à charge pour l'employeur, si la disparité alléguée apparaît suffisamment caractérisée, d'établir pour sa part que cette différence est justifiée par des éléments objectifs.

S'agissant d'un différend de nature individuelle, le litige opposant Madame M. N. à son employeur ne peut être appréhendé, sous l'angle de la preuve, sur le terrain purement théorique de la disparité de traitement existant entre telle ou telle catégorie de salariés mais requiert nécessairement un examen individualisé de chaque situation.

Il appartient donc au demandeur de soumettre au Tribunal du Travail des éléments précis et concrets, déduits des activités effectivement exercées par les employés concernés, de nature à établir que :

* le travail qu'il accomplit est égal ou de valeur égale à celui qu'effectue un collègue de travail clairement désigné, disposant d'un niveau de connaissances professionnelles, de qualification et de responsabilités comparable au sien,

* la rémunération qui lui est versée en contrepartie de ce travail par la défenderesse s'avère inférieure à celle dont bénéficie le salarié de référence.

En l'espèce, Madame c. M. N. produit les éléments suivants :

* le bulletin de salaire de Thierry RA. entré au service de la S.A.M. IMPRIMERIE T. le 28 août 2012 en qualité de Massicotier-Livreur, fait également partie du groupe V et percevait un salaire de :

* 1.934,61 euros brut dès son entrée en fonction,

* 1.943,63 euros brut au mois d'octobre 2012.

* Le bulletin de salaire de William R. entré au service de la S.A.M. IMPRIMERIE T. le 19 septembre 2005, en qualité de Conducteur Offset, fait également partie du groupe V et percevait un salaire de :

* 1.886,77 euros brut au mois de décembre 2010,

* 2.200,67 euros au mois de décembre 2013.

La demanderesse a une ancienneté bien plus importante que ses deux collègues (11/08/1972) et percevait un salaire de :

* 1.155,75 euros au mois de décembre 2010 (pour 122 heures mensuelles, soit 9,46 euros de l'heure),

* 1.472,49 euros brut au mois de mars 2012 (pour 140 heures mensuelles, soit 11,33 euros de l'heure),

* 1.923,63 euros brut au mois d'octobre 2012 jusqu'à son licenciement.

L'employeur ne conteste pas la différence de salaire évoquée par Madame M. N. mais la justifie en soutenant que les autres salariés ont des fonctions différentes.

Il ajoute que :

* Monsieur Thierry RA. cumulant en outre celle de Massicoteur et de Livreur et a été embauché dans un premier temps à durée déterminée, ce qui justifie un taux horaire supérieur ; son salaire ayant ensuite été revu à la baisse lors de la conclusion du contrat à durée indéterminée,

* les fonctions de Monsieur William R. impliquaient un plus haut degré de compétence et de technicité. Il était d'ailleurs classé dans l'échelon C du groupe V, soit une classification supérieure à celle de Madame c. M. N.

La convention collective définit le poste de massicotier de la manière suivante :

« Massicotier

Utilise selon des instructions précises un massicot afin de mettre au format soit du papier, imprimé ou non, soit des produits finis ».

Cette fonction fait partie du groupe V échelon A.

Monsieur Thierry RA. occupe en outre le poste de Livreur, l'adjonction de cette fonction supplémentaire justifiant une différence de rémunération.

De plus, l'activité professionnelle de massicotier s'exerce en position debout avec de fréquents déplacements entre les machines, dans un atelier généralement bruyant et exposé à des odeurs de produits chimiques.

La fonction de conducteur offset est définie de la manière suivante par la convention collective :

« Conducteur de machine à imprimer d'exploitation simple.

Assure les opérations nécessaires à la réalisation de l'impression, conformément au bon à tirer, sur machine d'exploitation simple (feuille ou bobine, une ou deux couleurs).

Il doit appréhender en outre des connaissances de type automatisme, électronique.

Conducteur de machine à imprimer d'exploitation complexe Réalise et/ou dirige les opérations nécessaires à la réalisation du produit imprimé conformément au bon à tirer, sur machine d'exploitation complexe (feuille, bobine, rotative multi-groupes d'impression). Il doit appréhender en autre des connaissances de type automatisme, informatique, hydraulique, électronique ».

Le premier fait partie du groupe V échelon B et le second, du groupe V échelon C. Le site d'information CIDJ décrit le métier ainsi :

« Il commence par régler la machine selon le matériel utilisé et le travail commandé, choisit les encres en fonction de leur composition et du support à imprimer, puis cale sur la machine la » forme imprimante «, c'est-à-dire une plaque sur laquelle sont reproduits les textes et/ou les dessins à imprimer.

Tous ces réglages se font le plus souvent à l'aide de systèmes automatisés et d'écrans de contrôle.

Une fois la machine calée, le conducteur de presse offset fait des essais pour éviter tout défaut d'impression (encrage, couleurs...). Il modifie les réglages si nécessaire et, lorsque le tirage réalisé correspond au modèle, il valide le » bon à rouler « qui lui permet de lancer le tirage.

Il réalise ensuite le nombre d'exemplaires voulu, en contrôlant régulièrement la qualité de l'impression.

Le conducteur de presse offset s'occupe aussi de la petite maintenance de la machine et de ses systèmes de commande (entretien et premiers dépannages). Il doit donc avoir des connaissances en automatisme, en électronique, en mécanique et en informatique.

Seul sur une machine parfois très bruyante, le conducteur de presse offset doit être rigoureux et méticuleux, et doit intervenir rapidement en cas de panne ou de défaut d'impression.

Les ateliers fonctionnent souvent en équipes tournantes et le travail peut s'effectuer de nuit, parfois le week-end et les jours fériés ».

Le site de l'ONISEP précise :

« La rigueur et la minutie sont essentielles. Il faut agir vite et bien. Certains travaux de manutention requièrent en outre de la force et de la dextérité. Par ailleurs, les rouleaux de papier pèsent très lourd, ce qui demande au conducteur d'avoir une bonne condition physique. À noter également que la manipulation de certains produits chimiques utilisés lors de l'entretien des machines peut indisposer les allergiques.

Connaissances techniques et informatiques.

Comme il faut parfois ajuster les machines, des notions en automatismes et mécanique peuvent être utiles. Il est également impératif de maîtriser l'outil informatique, en sachant s'adapter aux évolutions technologiques. Enfin, conduire une machine à imprimer implique de connaître la chaîne graphique de A à Z, du montage à la finition, ainsi que les différents procédés d'impression, les différentes sortes d'encres et de papier ».

L'égalité de traitement suppose un travail identique ou de valeur égale.

La notion de valeur égale est prévue par la législation française et n'a pas d'équivalent en droit monégasque. Ainsi, selon le Code du travail français (article L. 3221-4), la notion de travail de valeur égale s'entend des « travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charges physique ou nerveuse ».

La Cour de justice des communautés européennes s'attache aux fonctions effectivement exercées, aux responsabilités assumées et aux qualités particulières liées au poste (CJCE, 11 mai 1999, aff. C-309/97). Selon cette conception, la classification dans une même catégorie affectée d'un même coefficient n'est pas à elle seule suffisante pour conclure à un travail de valeur égale, ces éléments devant être « corroborés par des facteurs précis et concrets déduits des activités effectivement exercées par les travailleurs concernés » (CJCE, 26 juin 2001, aff. C-381/99, Br.).

En l'espèce, il n'est pas contestable que Madame M. N. n'effectue pas les mêmes tâches que Messieurs RA.et R.

Les sujétions liées aux emplois occupés par ces derniers sont différentes de celles applicables au poste de Madame M. N. (papetière ou opérateur PAO).

En effet, Messieurs RA.et R. travaillent dans un environnement bruyant, en position debout, sont confrontés à des risques liés à l'utilisation de produits chimiques et leur poste requièrent de la force.

Au contraire, les tâches de Madame M. N. s'effectuent en position assise (site CIDJ sur opérateur PAO : « La posture de travail est toujours assise devant un ordinateur dans un bureau où l'opérateur est rarement seul » ).

La fonction de brocheur papetier ne comporte pas les mêmes contraintes techniques, physiques ou nerveuses que le métier de conducteur offset.

Le brocheur-papetier « réalise manuellement ou au moyen de machines appropriées d'exploitation simple des opérations de façonnage (encartage, pliure, assemblage, collage...) des produits imprimés (BRIP) selon des instructions précises ».

Il résulte des explications développées supra que Madame M.N.et les salariés de comparaison ne sont pas placés dans une situation professionnelle identique puisqu'ils accomplissent un travail avec des responsabilités et une charge physique ou nerveuse différentes.

Il existait ainsi des raisons objectives pouvant justifier une différence de traitement entre les trois salariés visés supra.

Madame M. N. sera dans ces circonstances déboutée de sa demande de rappel de salaire à ce titre, et ce, sans qu'il y ait lieu de s'interroger sur la qualification réelle de celle-ci (papetière ou opératrice PAO), les deux hypothèses ayant été abordées par le Tribunal pour statuer sur ladite prétention.

Elle devra également être déboutée des demandes financières subséquentes en congés payés, compléments d'indemnité de préavis et d'indemnité de congédiement, toutes liées à la demande principale (discrimination salariale).

Sur les dommages et intérêts pour discrimination notamment syndicale

La discrimination salariale invoquée par la demanderesse n'étant pas avérée, il convient de statuer sur la discrimination syndicale dont il est fait état par la salariée.

La discrimination syndicale résulte ainsi d'une différence de traitement en raison d'un motif expressément prohibé, en l'occurrence l'activité syndicale.

Il incombe au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte et, au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En l'espèce, Madame M. N. invoque :

* que son affiliation syndicale a été retenue par l'employeur pour lui refuser toute augmentation de salaire. Elle produit pour en justifier les éléments suivants :

* L'attestation de Monsieur R. salarié du défendeur, ainsi libellée : « Lors d'une réunion début juin 2011 où tout le personnel de l'imprimerie était réuni, Mr T. a dit à Mme N. qu'il n'avait jamais augmenté son salaire parce qu'elle était syndiquée !! ».

* L'attestation de Madame Corinne RO. ancienne salariée du défendeur, ainsi libellée : « Début juin 2011, à l'heure du déjeuner, Mr T. a convoqué tout le personnel de l'Imprimerie T. dans le bureau pour faire une réunion. J'étais présente et me rappelle très bien qu'à un moment Mr T. a dit bien haut qu'il était anti-syndicaliste. Mme N c. qui était donc présente, lui a demandé devant tout le monde si c'était pour ça qu'il n'avait jamais voulu augmenter son salaire, Mr T. lui répondu oui, c'est pour cela et Mme N. lui a répondu et lui a demandé qu'il savait qu'il n'avait pas le droit de faire cela, que c'était de la discrimination syndicale ? il lui a répondu en se moquant d'elle que oui il n'avait pas le droit de le faire et que si elle le voulait, elle pouvait porter plainte contre lui, elle lui a alors répondu qu'effectivement elle le ferait, que c'était dans son intention.... Dans l'après-midi, j'étais avec Mme L. Virginie à la machine à café et Mme L. a demandé à Mme N. de ne rien faire contre Mr T. Moi et Mme N. en avons discuté après toutes les deux et m'a dit que si elle ne portait pas plainte, Mr T. lui avait promis qu'il l'augmenterait et Mme N. préférait finir les 3 années qui lui restaient à faire dans de bonnes conditions, ni tension avec la direction ».

L'employeur conteste lesdites attestations sans apporter d'éléments concrets pour ce faire.

Il en résulte une discrimination syndicale objectivée par les propos du directeur de l'imprimerie, même si aucune discrimination salariale n'a été retenue ou si elle n'a pas été suivie d'effet, Madame M. N. ayant bénéficié d'augmentation de salaire.

Par ces propos, l'employeur entendait réserver un traitement particulier à la demanderesse, et ce, du fait de son appartenance syndicale.

Peu importe en effet qu'aucune conséquence n'en ait été tirée sur le plan de la rémunération ou du déroulement de carrière ; ce qui caractérise la discrimination en l'espèce est le lien opéré par la direction entre l'absence d'augmentation de salaire et l'appartenance syndicale de la salariée.

L'appréhension de la fonction syndicale par Monsieur Gérard T. ressort parfaitement du courrier qu'il a adressé à Madame M. N. le 11 mai 2001, et dans lequel il fait état de ses compétences et son investissement dans l'entreprise sans l'appui d'un « quelconque groupement association ou syndicat » et « bien loin des lois syndicales ».

Le préjudice subi par Madame M. N. sera correctement indemnisé par l'allocation d'une somme de 1.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral.

Chacune des parties succombant partiellement en ses demandes, elles conserveront à leur charge leurs propres dépens.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Déboute c. M. N. de ses demandes financières liées à la discrimination salariale,

Condamne la société anonyme monégasque IMPRIMERIE T. à payer à c. M. N. la somme de 1.000 euros (mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral résultant de la discrimination syndicale,

Dit que chacune des parties conserve à sa charge ses propres dépens.

Composition

Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Jacques ORECCHIA, Emile BOUCICOT, membres employeurs, Messieurs Lionel RAUT, Fabrizio RIDOLFI, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le vingt et un septembre deux mille dix-sept, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Messieurs Emile BOUCICOT et Lionel RAUT, Messieurs Jacques ORECCHIA et Fabrizio RIDOLFI étant empêchés, assistés de Madame Sandrine FERRER-JAUSSEIN, Secrétaire en Chef.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 16310
Date de la décision : 21/09/2017

Analyses

Si le principe d'égalité de traitement en matière de salaires n'est certes pas formellement consacré sur un plan général par le législateur monégasque, l'article 2-1 de la loi n° 739 sur le salaire ne prohibant expressément que les discriminations fondées sur le sexe, il résulte toutefois des dispositions de l'article 7 du Pacte International relatif aux droits civiques et politiques, fait à New York le 16 décembre 1966 et rendu exécutoire en Principauté de Monaco par l'ordonnance n° 13.330 du 12 février 1998, que tous les salariés doivent recevoir une rémunération égale en contrepartie d'un travail égal ou de valeur égale, la rémunération s'entendant non seulement du salaire proprement dit, mais également des divers avantages et accessoires y afférents.La généralité du champ d'application du principe de non-discrimination en matière de salaires, en droit social monégasque, se trouve en outre et en tout état de cause illustrée :- tant par les débats qui ont précédé l'adoption par le Conseil National, lors de la séance du 8 avril 1974, de l'article 2-1 de la loi n° 739 sur le salaire, lesquels traduisent très clairement la volonté du législateur monégasque de transposer d'une « manière plus large et plus explicite », dans le domaine du droit social, le principe d'égalité des monégasques devant la loi édicté par l'article 17 de la Constitution du 17 décembre 1962,- que par la formulation employée par la Cour de Révision dans ses arrêts en date du 9 juin 2005 (P et autres demandeurs contre SBM), érigeant le principe « à travail égal salaire égal » au rang de règle.Conformément aux dispositions de l'article 1162 du Code civil, il incombe ainsi au salarié, qui invoque une atteinte à ce principe, de présenter au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, à charge pour l'employeur, si la disparité alléguée apparaît suffisamment caractérisée, d'établir pour sa part que cette différence est justifiée par des éléments objectifs.S'agissant d'un différend de nature individuelle, le litige opposant le salarié à son employeur ne peut être appréhendé, sous l'angle de la preuve, sur le terrain purement théorique de la disparité de traitement existant entre telle ou telle catégorie de salariés mais requiert nécessairement un examen individualisé de chaque situation.Il appartient donc au demandeur de soumettre au Tribunal du Travail des éléments précis et concrets, déduits des activités effectivement exercées par les employés concernés, de nature à établir que :- le travail qu'il accomplit est égal ou de valeur égale à celui qu'effectue un collègue de travail clairement désigné, disposant d'un niveau de connaissances professionnelles, de qualification et de responsabilités comparable au sien,- la rémunération qui lui est versée en contrepartie de ce travail par la défenderesse s'avère inférieure à celle dont bénéficie le salarié de référence.L'égalité de traitement suppose un travail identique ou de valeur égale.La notion de valeur égale est prévue par la législation française et n'a pas d'équivalent en droit monégasque. Ainsi, selon le Code du travail français (article L. 3221-4), la notion de travail de valeur égale s'entend des « travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charges physique ou nerveuse ».La Cour de justice des communautés européennes s'attache aux fonctions effectivement exercées, aux responsabilités assumées et aux qualités particulières liées au poste (CJCE, 11 mai 1999, aff. C-309/97). Selon cette conception, la classification dans une même catégorie affectée d'un même coefficient n'est pas à elle seule suffisante pour conclure à un travail de valeur égale, ces éléments devant être « corroborés par des facteurs précis et concrets déduits des activités effectivement exercées par les travailleurs concernés » (CJCE, 26 juin 2001, aff. C-381/99, Br.).La discrimination salariale invoquée par la salariée n'étant pas avérée, il convient de statuer sur la discrimination syndicale dont il est fait état par la salariée. La discrimination syndicale résulte ainsi d'une différence de traitement en raison d'un motif expressément prohibé, en l'occurrence l'activité syndicale. Il incombe au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte et, au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.En l'espèce, l'employeur conteste lesdites attestations sans apporter d'éléments concrets pour ce faire. Il en résulte une discrimination syndicale objectivée par les propos du directeur de l'imprimerie, même si aucune discrimination salariale n'a été retenue ou si elle n'a pas été suivie d'effet, Madame M. N. ayant bénéficié d'augmentation de salaire.Par ces propos, l'employeur entendait réserver un traitement particulier à la demanderesse, et ce, du fait de son appartenance syndicale.Peu importe en effet qu'aucune conséquence n'en ait été tirée sur le plan de la rémunération ou du déroulement de carrière ; ce qui caractérise la discrimination en l'espèce est le lien opéré par la direction entre l'absence d'augmentation de salaire et l'appartenance syndicale de la salariée.

Contentieux (Social)  - Relations collectives du travail  - Contrats de travail.

Contrat de travail - Salaires - Discrimination salariale - Inégalité salariale (non).


Parties
Demandeurs : Mme c. MA. NO.
Défendeurs : Société anonyme monégasque dénommée IMPRIMERIE TE.

Références :

ordonnance n° 13.330 du 12 février 1998
article 1162 du Code civil
article 17 de la Constitution du 17 décembre 1962


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2017-09-21;16310 ?

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