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21/09/2017 | MONACO | N°16307

Monaco | Tribunal du travail, 21 septembre 2017, Mme j. AB. c/ SAM COMPAGNIE MONÉGASQUE DE BANQUE


Motifs

AUDIENCE DU 21 SEPTEMBRE 2017

TRIBUNAL DU TRAVAIL

En la cause de Madame j. AB., demeurant X1 à MONACO,

Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Grégory NAUD, avocat au barreau de Nantes,

D'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée COMPAGNIE MONEGASQUE DE BANQUE, dont le siège social se situe 23 avenue de la Costa à MONACO,

Défenderesse, plaidant par Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cou

r d'appel de Monaco, et ayant élu domicile en son étude,

D'autre part ;

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré co...

Motifs

AUDIENCE DU 21 SEPTEMBRE 2017

TRIBUNAL DU TRAVAIL

En la cause de Madame j. AB., demeurant X1 à MONACO,

Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Grégory NAUD, avocat au barreau de Nantes,

D'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée COMPAGNIE MONEGASQUE DE BANQUE, dont le siège social se situe 23 avenue de la Costa à MONACO,

Défenderesse, plaidant par Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant élu domicile en son étude,

D'autre part ;

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 27 mai 2015 reçue le 29 mai 2015 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 23 juin 2015 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur, au nom de Madame j. A. les 8 octobre 2015, 3 mars 2016 et 2 juin 2016 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la société anonyme monégasque dénommée COMPAGNIE MONÉGASQUE DE BANQUE, les 7 janvier 2016, 14 avril 2016 et 6 octobre 2016 ;

Après avoir entendu Maître Grégory NAUD, avocat au barreau de Nantes, pour Madame j. A. et Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, pour la société anonyme monégasque dénommée COMPAGNIE MONÉGASQUE DE BANQUE, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

j. A. a été embauchée par la S.A.M. COMPAGNIE MONÉGASQUE DE BANQUE (la C.M.B.) par contrat à durée indéterminée du 4 novembre 2010, à compter du 3 janvier 2011, en qualité de responsable clientèle senior, statut cadre, avec un salaire brut de 120.000 euros par an sur 14,5 mois et une prime exceptionnelle discrétionnaire prévue à l'article 6.3 du contrat de travail.

L'article 6.4 du contrat de travail prévoyait également que Madame A. avait droit à une rémunération variable.

Estimant que des sommes lui étaient dues au titre de la prime d'intéressement que l'employeur refusait de lui régler, elle présentait sa démission le 28 février 2014.

Par requête en date du 27 mai 2015 reçue le 29 mai 2015, Madame A. a saisi le Tribunal du Travail en conciliation des demandes suivantes :

* solde de rémunération variable pour l'année 2013 : 25.956 euros bruts,

* indemnité de congédiement : 77.810,02 euros bruts,

* indemnité compensatrice de préavis : 34.177,17 euros bruts,

* congés payés afférents : 3.417,71 euros bruts,

* dommages et intérêts pour licenciement abusif : 140.000 euros,

* indemnité pour privation de la voiture de fonction pendant le préavis : 825 euros,

* rappel de salaire sur heures supplémentaires : 477.675,32 euros bruts,

* congés payés afférents : 47.767,53 euros bruts,

* indemnité pour non-respect des durées maximales de travail : 10.000 euros bruts,

* rectification des bulletins de salaire et réintégration de l'avantage en nature « voiture ».

Lors de la tentative de conciliation, la S.A.M. COMPAGNIE MONÉGASQUE DE BANQUE a formé une demande reconventionnelle de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour demandes abusives, laquelle n'a pas été reprise dans ses conclusions.

Aucune conciliation n'étant intervenue, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.

Madame j. A. a déposé des conclusions les 8 octobre 2015, 3 mars et 2 juin 2016, dans lesquelles elle fait valoir essentiellement que :

* sur le solde de rémunération variable :

* l'article 6.4 du contrat de travail et l'avenant du 26 novembre 2012 ne prévoient à aucun moment que la prime d'intéressement puisse être versée en plusieurs fois, ni que son versement puisse être soumis à une quelconque autre condition que celles prévues au contrat,

* cette prime doit être distinguée de la prime exceptionnelle discrétionnaire prévue à l'article 6.3 du contrat de travail,

* elle repose sur des éléments objectifs et chiffrés,

* cette prime lui a été versée au mois de juillet 2011, à l'issue des 6 premiers mois de travail, en janvier 2012 et 2013 au titre des résultats de l'année précédente,

* au début de l'année 2014, elle n'a été pas été payée de l'intégralité de sa prime d'intéressement,

* l'employeur a décidé unilatéralement de différer le versement de cette prime et d'en conditionner l'obtention à la réalisation de nouvelles conditions non prévues au contrat de travail,

* l'employeur ne produit pas l'avenant en date du 18 janvier 2012 sur lequel il se fonde pour justifier le non-paiement de l'intégralité de la prime,

* cette prime est la contrepartie des résultats qu'elle a obtenus au terme du travail déjà accompli,

* sur l'exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur :

* en la privant unilatéralement et sans la moindre justification d'une somme de plus de 25.000 euros, l'employeur a exécuté de manière parfaitement déloyale le contrat de travail,

* la S.A.M. COMPAGNIE MONÉGASQUE DE BANQUE a abusé de sa position d'employeur et lui a causé un préjudice moral distinct de la perte de son emploi,

* sur la rupture du contrat de travail :

* elle a dû constater la défiance de l'employeur à son égard en dépit de son travail et de son sérieux,

* elle a été très affectée par l'attitude de l'employeur qui l'a mise en difficulté par le non-versement de l'intégralité de sa rémunération,

* elle a ainsi été contrainte de présenter sa démission,

* elle s'est également résolue, avant de présenter sa démission, de rechercher un autre poste ; ce n'est qu'après avoir eu l'assurance d'un revenu de substitution qu'elle a rompu son contrat de travail,

* elle a été embauchée au CRÉDIT SUISSE, mais a perdu le bénéfice de ses avantages acquis au sein de la S.A.M. COMPAGNIE MONÉGASQUE DE BANQUE et a pris le risque d'une nouvelle période d'essai,

* cette dernière a d'ailleurs été rompue et elle n'a pas retrouvé d'emploi depuis,

* sur le rappel de salaire :

* pendant toute la relation de travail, elle a travaillé au minimum 50 heures par semaine,

* elle commençait son travail chaque matin vers 8 heures et quittait rarement son bureau avant 17 heure 30, en prenant une pause déjeuner qui n'excédait jamais 1 heure 30,

* elle travaillait chaque soir depuis son domicile, notamment pour communiquer avec des clients ou prospects établis dans des pays soumis à un fort décalage horaire,

* elle a également accompli, en dehors de ses horaires habituels de travail, de nombreux déplacements dépassant le temps habituel de trajet entre son domicile et son lieu de travail.

La S.A.M. COMPAGNIE MONÉGASQUE DE BANQUE a déposé des conclusions les 7 janvier, 14 avril et 6 octobre 2016 dans lesquelles elle s'oppose aux prétentions émises à son encontre.

Elle soutient essentiellement que :

* sur la rémunération variable :

* le paiement échelonné de la prime d'intéressement était un usage dans l'entreprise et n'avait pas besoin d'être explicité dans chaque contrat de travail individuel,

* ce paiement échelonné correspond à une modalité spécifique de versement et ne peut s'analyser en une condition supplémentaire à son versement,

* par un avenant en date du 18 janvier 2012 produit aux débats, la prime exceptionnelle discrétionnaire a été remplacée par un bonus incitatif,

* Madame j. A. a été informée des modalités de versement et ne les a pas contestées,

* c'est la démission de la salariée qui l'a empêchée de recevoir l'intégralité de la prime d'intéressement,

* le préavis de Madame j. A. s'est achevé le 31 mai 2014 et elle n'était plus présente dans l'entreprise au moment où le solde de la prime d'intéressement devait être versé, soit au mois de juin 2014,

* en raison de sa démission, la salariée n'a pu régulariser les dossiers dont elle avait la charge et obtenir le solde,

* sur la rupture :

* le contenu de la lettre de démission est parfaitement clair et non équivoque,

* Madame j. A. se félicite du temps passé dans l'établissement et exprime sa gratitude envers l'employeur, sans jamais évoquer, ni même sous-entendre le moindre grief à son encontre,

* pendant toute la durée de la relation de travail, la salariée n'a jamais formulé le moindre reproche à l'encontre de l'employeur,

* en application de la convention collective applicable, la prime d'intéressement n'est pas un élément constitutif du salaire,

* Madame j. A. ne rapporte la preuve d'aucune faute de l'employeur en lien avec la décision de démissionner,

* la salariée a démissionné parce qu'elle avait trouvé un emploi dans une autre banque, avec des responsabilités plus importantes et une rémunération en conséquence,

* la présente procédure a été diligentée après la rupture de la période d'essai par le CRÉDIT SUISSE,

* sur le rappel de salaire :

* le calcul effectué sur la base des demandes présentées par la salariée donne bien la durée légale d'un peu moins de 8 heures par jour et non 10 heures,

* Madame j. A. était cadre supérieur et ne pouvait prétendre de ce fait au paiement des heures supplémentaires effectuées individuellement et librement,

* la salariée n'a jamais formulé la moindre demande à ce titre pendant la relation de travail.

SUR CE,

Sur le solde de rémunération variable

Le contrat de travail prévoit en son article 6.4 :

« Par ailleurs, six mois après le début de l'activité du salarié, il lui sera accordé une prime de 1€ (un pour mille) calculée sur la collecte nette d'actifs, gérés ou non, déposés par la clientèle que le salarié aura développée personnellement.

À partir du second semestre, et les années suivantes, il sera accordé au salarié 1€ (un pour mille) sur la collecte nette que le salarié aura développée personnellement, hors le portefeuille déjà constitué les années précédentes ».

Une modification du contrat de travail est intervenue par un avenant en date du 18 janvier 2012, portant sur l'article 6 « rémunération et accessoires (sur 14.5 mois) » et notamment l'article 6.4 « rémunération variable » : « Chaque année, il sera versé au salarié 1 € (un pour mille) sur la collecte nette que ce dernier aura développée personnellement, hors le portefeuille déjà constitué les années précédentes, et 10 % des revenus nets annuels générés pour la CMB sur ces mêmes ressources (incluant les intérêts découlant de l'activité crédit de cette clientèle, selon la règle de répartition de la banque) après déduction du cost-income ratio ».

Une nouvelle modification de la clause 6.4 est intervenue le 26 novembre 2012 en ces termes :

« Chaque année, il sera versé au salarié 1 € (un pour mille) sur la collecte nette que ce dernier aura développée personnellement, hors le portefeuille déjà constitué les années précédentes, et 12,50 % des revenus nets annuels générés pour la CMB sur ces mêmes ressources (incluant les intérêts découlant de l'activité crédit de cette clientèle, selon la règle de répartition de la banque) après déduction du cost-income ratio ».

Il en résulte que le mode de calcul de la rémunération variable change sans qu'il soit fait mention d'une modification dans le mode de versement de celle-ci.

Ainsi, Madame j. A. a perçu les primes d'intéressement suivantes :

* 29.634 euros versée avec le salaire de juillet 2011,

* 149.606 euros versée avec le salaire de janvier 2012,

* 103.717 euros versée avec le salaire de janvier 2013.

Le 20 janvier 2014, la S.A.M. COMPAGNIE MONÉGASQUE DE BANQUE adresse un courrier à Madame A. l'informant de l'attribution d'une prime d'intéressement d'un montant de 103.824 euros dont les modalités de paiement sont les suivantes :

« - un montant de 77.868 € sera versé avec vos appointements de janvier 2014.

* Le solde, soit 25.956 €, fera l'objet d'un paiement avec votre salaire de juin 2014, après constatation par le compliance officer de vos efforts et résultats dans l'amélioration continue du respect des règles et procédures en matière de KYC ».

La lecture de ce courrier montre que l'employeur a ajouté une condition supplémentaire au versement de ladite prime, à savoir la « constatation par le compliance officer de vos efforts et résultats dans l'amélioration continue du respect des règles et procédures en matière de KYC ».

L'employeur ne remet pas en cause le montant ainsi fixé ci-dessus mais estime que Madame j. A. n'a pas vocation à percevoir le solde de la prime d'intéressement dans la mesure où elle a démissionné et que son préavis s'est achevé le 31 mai 2014, alors que le solde devait être versé au mois de juin 2014.

Cette analyse ne saurait être retenue par le Tribunal.

En effet, il résulte de la nature même de la prime d'intéressement telle qu'elle a été accordée à Madame j. A. qu'elle est calculée sur les résultats de l'année précédente, de sorte qu'elle est acquise définitivement au salarié lorsque les résultats escomptés ont été réalisés.

Le contrat de travail et les avenants postérieurs ne font aucunement état, soit d'un versement en plusieurs fois, soit d'une obligation pour le salarié de faire encore partie des effectifs de l'entreprise pour son versement.

Les pièces produites par Madame j. A. démontrent que la prime d'intéressement a toujours été versée en une seule fois et que seule la prime exceptionnelle était réglée en deux échéances.

Il convient dans ces circonstances de faire droit à la demande de Madame j.A.et de condamner la Compagnie Monégasque de Banque à lui payer la somme de 25.956 euros bruts à titre de solde de la prime d'intéressement, outre celle de 2.595,60 euros bruts au titre des congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

En application des dispositions de l'article 989 alinéa 3 du Code civil, les conventions doivent être exécutées de bonne foi.

Il a été démontré supra que l'employeur avait abusivement refusé de verser le solde de la prime d'intéressement à Madame j. A.

La salariée a nécessairement subi un préjudice moral qui sera correctement indemnisé par l'allocation d'une somme de 800 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

Sur la rupture

En application des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, chaque partie au contrat de travail à durée indéterminée dispose d'un droit de rupture unilatérale.

Le salarié peut donc librement mettre fin au contrat de travail en démissionnant de son emploi.

Le fait pour le salarié d'imputer à l'employeur la responsabilité de la rupture des relations contractuelles, tout en prenant l'initiative, ne constitue pas l'expression claire et non équivoque de son intention de démissionner, quand bien même les griefs exprimés ne seraient pas fondés. (TPI, 25 janvier 2007, Société V c/ RC).

Pour autant, le salarié, qui soutient que la cessation des relations contractuelles s'analyse en un licenciement en raison du comportement fautif de l'employeur, doit rapporter la preuve que la rupture résulte du non-respect par ce dernier de ses obligations substantielles, qui a rendu impossible la poursuite du contrat de travail (TT, 31 mai 2007, KS c/ Société C confirmé par TPI, 5 février 2009).

La démission est valable si elle est l'expression d'une volonté libre et réfléchie, elle doit être exprimée librement en dehors de toute contrainte ou pression exercée par l'employeur et de façon explicite.

La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.

Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en un licenciement si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire, d'une démission.

Le Juge doit apprécier le caractère équivoque ou non équivoque de la démission au regard de circonstances antérieures ou contemporaines à celle-ci.

Le salarié doit ainsi rapporter la preuve que la rupture du contrat de travail est imputable au non-respect par l'employeur de ses obligations substantielles rendant impossible la poursuite du contrat de travail.

L'existence d'un litige avec l'employeur, antérieur ou contemporain de la démission, est de nature à donner à celle-ci un caractère équivoque.

Un lien de causalité entre les manquements imputés à l'employeur et l'acte de démission doit exister et ce lien est établi si lesdits manquements sont antérieurs ou au moins contemporains de la démission et s'ils avaient donné lieu à une réclamation, directe ou indirecte du salarié.

Une fois le lien de causalité établi, le juge examine les griefs afin de déterminer s'ils caractérisent des manquements suffisamment graves pour entraîner la requalification en un licenciement.

Par ailleurs, pour produire effet, la démission doit être donnée en dehors de toute pression émotionnelle.

En l'espèce, Madame j. A. démissionne par un courrier non daté, sans réserve, ainsi libellé (en langue anglaise accompagné de sa traduction en français) :

« Monsieur P.

Je souhaite vous informer de ma démission du poste de fondé de pouvoir que j'occupe à la Compagnie Monégasque de Banque, qui prendre effet le 28 février 2014.

Je vous remercie pour les possibilités de développement professionnel et personnel que vous m'avez fournies au cours des trois dernières années. J'ai aimé travailler pour la Banque et apprécie toutes les formes de soutien que vous m'avez apportées dans les fonctions que j'occupais dans la société.

Je vous remercie encore, et si je peux vous être d'une aide quelconque au cours de cette transition, je vous invite à me le faire savoir.

Je vous prie, Monsieur P. de recevoir mes salutations chaleureuses ».

Une simple lecture de ce document permet de conclure à une démission non équivoque, la salariée ne faisant état d'aucun litige avec son employeur ou ne formulant aucune réclamation.

Ce faisant, Madame j. A. fait état d'une défiance de son employeur qui a décidé suivant courrier du 20 janvier 2014 de lui accorder une prime d'intéressement de 103.824 euros, versée en deux échéances, et de conditionner le versement de la seconde à la réussite d'une nouvelle évaluation.

Elle estime dès lors que sa situation était devenue intenable, la carence de l'employeur dans le versement de l'intégralité de sa rémunération l'ayant mise en difficulté.

Ainsi qu'il a été rappelé supra, il appartient au salarié qui conteste sa démission de rapporter la preuve d'une faute de l'employeur dans l'exécution de ses obligations substantielles rendant impossible la poursuite du contrat de travail et le lien de causalité entre les manquements reprochés l'acte de démission.

Le Tribunal relève que le courrier de l'employeur en date du 20 janvier 2014 n'a suscité aucune réaction ni aucune réclamation de la part de Madame j. A.

Bien plus, il a été proposé à Madame j. A. par courriel du 5 février 2014, de procéder à un entretien sur les résultats réalisés, ce qui a été accepté sans réserve par la salariée.

Il apparaît à la lecture de ces pièces qu'il n'existait aucun litige sur le paiement de l'intégralité de la prime d'intéressement lorsque la salariée a adressé sa lettre de démission ; le processus tel que prévu par la lettre du 20 janvier 2014 étant en cours.

En outre, Madame j. A. a démissionné avant la date prévue pour le versement du solde de la prime litigieuse de sorte qu'elle ne saurait reprocher à l'employeur un défaut de paiement, alors qu'elle n'en a aucunement réclamé le versement avant ladite démission.

Enfin, Madame j. A. fait état de difficultés mais ne donne aucune précision sur celles-ci et ne produit aucune pièce à l'appui de son affirmation.

L'employeur démontre en outre que la demanderesse est entrée au service du CRÉDIT SUISSE en tant que Director dès l'expiration de son préavis (premiers courriels avec cette qualité en date du 24 avril 2014).

Il résulte dans ces circonstances de l'ensemble des explications développées supra que la démission de Madame j. A. ne présente aucun caractère équivoque et doit recevoir son plein et entier effet.

Madame j. A. sera dès lors déboutée de ses demandes financières subséquentes

Sur les dommages et intérêts pour privation du véhicule de fonction pendant la durée du préavis

Madame j. A. soutient qu'elle bénéficiait d'un véhicule de fonction, à savoir une Mini Cooper 4x4. Le Tribunal relève que le contrat de travail ne fait référence à aucun avantage en nature à ce titre.

L'employeur ne conteste pas avoir mis à la disposition de sa salariée une voiture de fonction et soutient qu'elle était à usage exclusivement professionnel et ne constituait pas un avantage en nature.

La Compagnie Monégasque de Banque ne produit pas plus d'élément sur le « statut » de ce véhicule de fonction.

Les faits de la cause et les écritures des parties démontrent qu'il s'agissait d'une mise à disposition à titre permanent, Madame j. A. pouvant en disposer en toute circonstance, en dehors du temps de travail ; la salariée n'était pas tenue de restituer le véhicule en dehors de ses périodes de travail.

Il s'agit dès lors d'un avantage en nature.

Par ailleurs, l'employeur soutient que Madame j. A. a été dispensée d'avoir à observer son préavis et n'a donc pas travaillé pendant cette période, de sorte que la voiture devait être immédiatement restituée.

Là encore, la S.A.M. COMPAGNIE MONEGASQUE DE BANQUE est défaillante dans l'administration de la preuve et aucun élément n'est produit sur ce point.

La privation de cet avantage en nature est dès lors fautive et la salariée a ainsi droit à des dommages et intérêts à ce titre.

Madame j. A. fixe un prix d'achat à 33.000 euros pour prendre une base de 10 % par an de la valeur du neuve du véhicule, alors que :

* le prix d'entrée de gamme est de 26.900 euros,

* il n'est donné aucune précision sur le modèle et sa finition,

* l'évaluation de l'avantage est effectuée, selon le barème français en l'absence de barème monégasque, sur la base de 9 % du coût d'achat du véhicule pour un véhicule de moins de 5 ans et de 6 % au-delà.

Ce faisant, le Tribunal est dans l'incapacité de procéder à un calcul de l'avantage perdu par la salariée pendant la durée du préavis.

Madame j. A. sera dans ces circonstances déboutée de ce chef de demande.

Sur les heures supplémentaires

Madame j. A. sollicite une somme de 16.379,23 euros à ce titre, outre les congés payés afférents.

Il appartient au demandeur de rapporter la preuve de l'existence des heures supplémentaires dont il revendique le paiement.

S'il appartient au salarié de rapporter la preuve de l'existence des heures supplémentaires dont il revendique le paiement, il demeure que lorsque celle-ci est établie, il incombe à l'employeur de fournir les éléments qu'il détient et sont de nature à justifier les horaires ainsi effectivement réalisés par le salarié.

Pour pouvoir prétendre au paiement, dans le cadre de la présente instance, des heures supplémentaires effectuées par ses soins, Madame j. A. doit produire un décompte établi par semaine civile et mentionnant, conformément aux dispositions de l'article 8 de l'Ordonnance Loi du 2 décembre 1959, pour chacune des semaines couvertes par sa réclamation :

* le nombre total d'heures de travail effectivement accomplies au cours de la semaine considérée,

* le nombre d'heures effectuées au-delà de 39 heures,

* le taux horaire de base applicable,

* le taux horaire majoré (+ 25 % pour les huit premières + 50 % pour les heures suivantes).

La demanderesse produit un décompte des heures supplémentaires réclamées en pièce n° 10 duquel il ressort un total de 86,42 heures, soit 1 heure 25 en plus par jour.

La convention collective monégasque du travail du personnel des banques prévoit en son chapitre V « Durée du travail et heures supplémentaires », pour les cadres :

« Les heures supplémentaires effectuées individuellement et librement par un gradé ou un cadre en dehors de l'horaire normal de service auquel il appartient ne sont pas rémunérées.

Mais lorsque en vue de faire face à un surcroît extraordinaire de travail, il sera effectué après autorisation de l'inspection du travail, des heures supplémentaires dans un ou plusieurs services ou fractions de services de l'entreprise, les heures supplémentaires effectuées par les gradés et les cadres de ces services ou fractions de services devront être rémunérées au tarif de la classe ou de l'échelon auquel ils appartiennent pour les gradés et au tarif de l'échelon le plus élevé de la classe IV pour les cadres ».

Madame j. A. soutient qu'elle commençait à travailler chaque matin vers 8 heures et quittait rarement son bureau avant 17 heure 30, prenant une pause déjeuner qui n'excédait jamais 1 heure 30.

Si l'on tient compte de l'amplitude horaire allant de 8 heures à 17 heure 30 et si l'on retire la pause déjeuner, la journée de travail de Madame A. comporte 8 heures.

Bien plus, le décompte fourni et établi par la demanderesse ne précise aucunement l'heure d'entrée pas plus que l'heure de sortie et ne correspond pas aux déclarations de Madame A. reprises ci-dessus.

Ce faisant, la demanderesse soutient que le dépassement d'horaire d'1 heure 25 par jour correspond à des rendez-vous clients pendant la pause déjeuner.

Cependant, Madame j. A. ne démontre aucunement que les heures supplémentaires invoquées ont été effectuées à la demande de l'employeur et résultent d'un surcroît extraordinaire de travail tel que prévu dans la convention collective applicable.

Il convient en effet de rappeler que la salariée bénéficiait d'une prime d'intéressement sur les nouveaux clients par elle apportés au cours de l'année de référence, ce qui peut conduire à un dépassement volontaire des heures normales de travail, sans pour autant constituer des heures supplémentaires eu égard aux explications développées supra.

Enfin, Madame j. A. produit un tableau récapitulatif de ses déplacements effectués depuis le 10 février 2012, lesquels ne démontrent en aucune manière qu'elle aurait travaillé à raison de 14,12 heures sur la période considérée, et ce d'autant qu'elle bénéficiait, en sa qualité de cadre, d'une autonomie pour organiser son travail.

Elle sera dans ces circonstances déboutée de ce chef de demande.

Sur l'indemnisation des temps de trajet

Madame j. A. qualifie sa demande d'heures inhabituelles de trajet consistant en de nombreux déplacements dépassant le temps habituel de trajet entre son domicile et son lieu de travail.

Les temps de déplacements sont exclus du temps de travail effectifs, qu'ils se situent à l'intérieur ou en dehors de l'horaire de travail ou qu'ils excèdent ou non le temps de travail habituel de trajet domicile-travail et n'ont pas à être pris en compte pour le calcul du seuil de déclenchement des heures supplémentaires, ni à être rémunérés comme heures de travail.

Ils peuvent néanmoins donner lieu à compensation en repos ou argent.

En l'espèce, le tribunal relève la manœuvre de Madame j. A. qui a produit ses bulletins de salaire sauf ceux correspondant aux déplacements à l'étranger tels que figurant dans sa pièce n° 12 ; ce qui interdit tout contrôle à la présente juridiction sur une éventuelle compensation.

Ce faisant, Madame j. A. sera déboutée de ce chef de demande.

Sur l'indemnité pour non-respect des durées maximales de travail

Eu égard aux développements visées ci-dessus, Madame j. A. ne pourra qu'être déboutée à ce titre.

Sur les dommages et intérêts pour résistance abusive

Les demandes de Madame j. A. étant très partiellement fondées, aucune résistance abusive ne peut être retenue à l'encontre de la Compagnie Monégasque de Banque.

Sur l'exécution provisoire et les dépens

Il n'est pas justifié pour le surplus des conditions nécessaires au prononcé de l'exécution provisoire autre que l'exécution provisoire de droit prévue par les dispositions de l'article 60 de la loi n° 446 du 16 mai 1946.

Chacune des parties succombant partiellement en ses demandes, elles conserveront à leur charge leurs propres dépens.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Condamne la société anonyme monégasque dénommée COMPAGNIE MONÉGASQUE DE BANQUE à payer à j. A. la somme de 25.956 euros bruts (vingt-cinq mille neuf cent cinquante-six euros) à titre de solde de la prime d'intéressement, outre celle de 2.595,60 euros bruts (deux mille cinq cent-quatre-vingt-quinze euros et soixante centimes) au titre des congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

Condamne la société anonyme monégasque dénommée COMPAGNIE MONÉGASQUE DE BANQUE à payer à j. A. la somme de 800 euros (huit cents euros) de dommages et intérêts en réparation du préjudice à ce titre, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

Déboute j. A. du surplus de ses demandes ;

Dit que chacune des parties conservera à sa charge ses propres dépens.

Composition

Ainsi jugé et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le vingt et un septembre deux mille dix-sept, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau du Tribunal du Travail, Madame Carol MILLO, Monsieur Anthony GUICHARD, membres employeurs, Messieurs Silvano VITTORIOSO, Jean-Marc JOURDIN, membres salariés, assistés de Madame Sandrine FERRER-JAUSSEIN, Secrétaire en Chef.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : 16307
Date de la décision : 21/09/2017

Analyses

En application des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, chaque partie au contrat de travail à durée indéterminée dispose d'un droit de rupture unilatérale. Le salarié peut donc librement mettre fin au contrat de travail en démissionnant de son emploi. Le fait pour le salarié d'imputer à l'employeur la responsabilité de la rupture des relations contractuelles, tout en prenant l'initiative, ne constitue pas l'expression claire et non équivoque de son intention de démissionner, quand bien même les griefs exprimés ne seraient pas fondés. (TPI, 25 janvier 2007, Société V c/ RC). Pour autant, le salarié, qui soutient que la cessation des relations contractuelles s'analyse en un licenciement en raison du comportement fautif de l'employeur, doit rapporter la preuve que la rupture résulte du non-respect par ce dernier de ses obligations substantielles, qui a rendu impossible la poursuite du contrat de travail (TT, 31 mai 2007, KS c/ Société C confirmé par TPI, 5 février 2009).La démission est valable si elle est l'expression d'une volonté libre et réfléchie, elle doit être exprimée librement en dehors de toute contrainte ou pression exercée par l'employeur et de façon explicite. La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en un licenciement si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire, d'une démission. Le Juge doit apprécier le caractère équivoque ou non équivoque de la démission au regard de circonstances antérieures ou contemporaines à celle-ci. Le salarié doit ainsi rapporter la preuve que la rupture du contrat de travail est imputable au non-respect par l'employeur de ses obligations substantielles rendant impossible la poursuite du contrat de travail. L'existence d'un litige avec l'employeur, antérieur ou contemporain de la démission, est de nature à donner à celle-ci un caractère équivoque. Un lien de causalité entre les manquements imputés à l'employeur et l'acte de démission doit exister et ce lien est établi si lesdits manquements sont antérieurs ou au moins contemporains de la démission et s'ils avaient donné lieu à une réclamation, directe ou indirecte du salarié. Une fois le lien de causalité établi, le juge examine les griefs afin de déterminer s'ils caractérisent des manquements suffisamment graves pour entraîner la requalification en un licenciement. Par ailleurs, pour produire effet, la démission doit être donnée en dehors de toute pression émotionnelle.S'il appartient au salarié de rapporter la preuve de l'existence des heures supplémentaires dont il revendique le paiement, il demeure que lorsque celle-ci est établie, il incombe à l'employeur de fournir les éléments qu'il détient et sont de nature à justifier les horaires ainsi effectivement réalisés par le salarié.Les temps de déplacements sont exclus du temps de travail effectifs, qu'ils se situent à l'intérieur ou en dehors de l'horaire de travail ou qu'ils excèdent ou non le temps de travail habituel de trajet domicile-travail et n'ont pas à être pris en compte pour le calcul du seuil de déclenchement des heures supplémentaires, ni à être rémunérés comme heures de travail. Ils peuvent néanmoins donner lieu à compensation en repos ou argent.

Social - Général  - Rupture du contrat de travail  - Contrats de travail.

Contrat de travail - Démission - Caractère équivoque (non) - Requalification en licenciement (non).


Parties
Demandeurs : Mme j. AB.
Défendeurs : SAM COMPAGNIE MONÉGASQUE DE BANQUE

Références :

article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963
article 989 alinéa 3 du Code civil
article 60 de la loi n° 446 du 16 mai 1946


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2017-09-21;16307 ?

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