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20/07/2017 | MONACO | N°16224

Monaco | Tribunal du travail, 20 juillet 2017, M. s. BA. c/ SAM KBL MONACO PRIVATE BANKERS


Motifs

TRIBUNAL DU TRAVAIL

AUDIENCE DU 20 JUILLET 2017

En la cause de Monsieur s. BA., demeurant : « X1 » X1 à MONACO (98000),

demandeur, plaidant par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant élu domicile en son Etude,

d'une part ;

Contre :

La Société Anonyme Monégasque dénommée KBL MONACO PRIVATE BANKERS, dont le siège social se situe : 8, Avenue de Grande-Bretagne à MONACO,

défenderesse, plaidant par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant

élu domicile en son Etude,

d'autre part ;

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la re...

Motifs

TRIBUNAL DU TRAVAIL

AUDIENCE DU 20 JUILLET 2017

En la cause de Monsieur s. BA., demeurant : « X1 » X1 à MONACO (98000),

demandeur, plaidant par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant élu domicile en son Etude,

d'une part ;

Contre :

La Société Anonyme Monégasque dénommée KBL MONACO PRIVATE BANKERS, dont le siège social se situe : 8, Avenue de Grande-Bretagne à MONACO,

défenderesse, plaidant par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant élu domicile en son Etude,

d'autre part ;

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 19 février 2014, reçue le 21 février 2014 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 27 mai 2014 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de Monsieur s. B. en date des 2 octobre 2014, 2 avril 2015, 3 décembre 2015, 13 janvier 2016 et 28 avril 2016 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de la Société Anonyme Monégasque dénommée KBL MONACO PRIVATE BANKERS, en date 5 février 2015, 8 octobre 2015 et 3 mars 2016 ;

Après avoir entendu Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, pour Monsieur s. B. et Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, pour la Société Anonyme Monégasque dénommée KBL MONACO PRIVATE BANKERS, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

s. B. a été embauché par la SAM KBL PRIVATE BANKERS (la KBL) suivant contrat à durée indéterminée en date du 9 février 2011, en qualité de Directeur Général Administrateur à compter du 1er mars 2011, moyennant un salaire brut de 365.000 euros, outre divers bonus et avantages en nature.

Parallèlement à ce contrat de travail, Monsieur B. s'est vu confier un mandat social. Le 21 mars 2011, il a été nommé en qualité d'Administrateur avec effet au 31 mars 2011.

Suivant délibération du conseil d'administration du même jour, il a été nommé en qualité d'administrateur délégué.

Monsieur B. a été révoqué de ses fonctions d'Administrateur Délégué suivant procès-verbal de l'Assemblée Générale du 18 novembre 2013.

Le 20 novembre 2013, il a adressé aux membres du conseil d'administration un courriel, qui a amené l'employeur à lui notifier une mise à pied à titre conservatoire le même jour.

Cette mise à pied lui a été confirmée par courrier recommandé avec accusé de réception le lendemain, 21 novembre 2013.

Par courrier du 13 décembre 2013, Monsieur B. a été licencié pour insuffisance professionnelle.

Par requête en date du 19 février 2014, reçue le 21 février 2014, Monsieur B. a saisi le Tribunal du Travail en conciliation des demandes suivantes :

* Dire et juger son licenciement injustifié et dépourvu de motif valable, irrégulier et abusif,

* Condamner KBL à lui payer à titre de dommages et intérêts les sommes suivantes :

* 730.000 euros en réparation du préjudice financier (2 années de salaires),

* 500.000 euros à titre de préjudice moral et réputationnel,

* 180.000 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte du bonus qu'il aurait dû percevoir pour l'exercice 2013,

* Soit au total la somme de 1.410.000 euros.

Aucune conciliation n'étant intervenue, l'affaire a été renvoyée devant le Bureau de Jugement.

Monsieur B. a déposé des conclusions les 2 octobre 2014, 2 avril et 3 décembre 2015, 13 janvier et 28 avril 2016 dans lesquelles il fait essentiellement valoir que :

* Dans le cadre de ses fonctions, il a constaté de nombreux dysfonctionnements, ayant pour certains une connotation pénale,

* La divulgation de ces dysfonctionnements a entraîné son licenciement,

* À partir du mois de mars 2013, Monsieur S. devient son supérieur hiérarchique et ses relations avec le groupe changèrent,

Sur le licenciement :

* La banque s'est abstenue de mettre en place la procédure disciplinaire prévue par l'article 27 de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques,

* L'employeur a substitué à deux reprises un motif vague et imprécis de licenciement à un autre, démontrant ainsi que le véritable motif de licenciement est tout simplement inavouable, à savoir l'hostilité de son supérieur hiérarchique direct au niveau du groupe, Monsieur S. à quoi il faut ajouter la volonté de ce dernier de le remplacer par une personne ayant sa préférence,

* Il a été licencié en l'état de motifs successifs et en dernier lieu pour insuffisance professionnelle,

* Il a rempli tous ses objectifs,

* Lorsqu'il a quitté la banque, elle était de nouveau bénéficiaire,

* Il n'existe aucune lettre ou rapport antérieur au licenciement faisant état d'une insatisfaction compte tenu de son travail,

* l'employeur a confirmé à la Banque de France que son licenciement ne remet pas en cause ses qualités professionnelles et sa compétence,

Sur l'incompétence du Tribunal du Travail :

* Il bénéficie d'un contrat de travail signé avec KBL visant des fonctions de directeur général,

* Les organismes sociaux n'ont jamais remis en cause la double qualité de mandataire social et de salarié,

* Dans le cadre de ses fonctions, il avait un supérieur hiérarchique en la personne de Monsieur P. lequel lui donnait des instructions, fixait ses objections et en vérifiait les progrès de façon régulière,

* KBL MONACO, bien qu'étant une filiale, avait une autonomie limitée et se trouvait intégrée dans la hiérarchie du groupe. En tant que filiale, elle est tenue d'avoir un représentant légal ainsi qu'un dirigeant responsable en vertu du mandat social,

* Il verse aux débats sa déclaration d'embauchage,

* L'employeur est à l'origine du cumul du contrat de travail et des fonctions d'administrateur de sorte qu'il ne peut s'en prévaloir au détriment du salarié,

* La jurisprudence de principe est en date du 10 mai 2001 et elle retient deux critères pour que le cumul soit possible, à savoir la réalité de l'emploi et l'existence d'un lien de subordination,

* L'exigence d'une rémunération distincte n'est pas posée,

* Les fonctions de directeur général comportent des aspects techniques qui vont au-delà de l'exercice d'un mandat social,

* Ses fonctions de mandataire social sont bien distinctes et lui imposaient pour l'essentiel d'assumer la responsabilité légale de la filiale et d'assister aux conseils d'administration,

* Il démontre par des attestations et des documents internes à la banque l'existence d'un lien de subordination avec l'employeur qui n'est autre que l'actionnaire de la filiale, le groupe KBL,

* Pôle Emploi estime qu'il ne remplit pas les conditions pour bénéficier de l'assurance chômage, mais lui verse toujours des allocations, sans en avoir sollicité le remboursement.

Dans ses dernières écritures, Monsieur B. sollicite de voir déclarer irrecevables les trois attestations communiquées par la KBL les 24 mars et 5 avril 2016 en l'état du calendrier de procédure aux termes duquel la défenderesse pouvait conclure mais sans production de pièces nouvelles.

Subsidiairement, sur les attestations :

* Monsieur S. était son supérieur hiérarchique. Il s'agit de la même personne qui, le 20 novembre 2013, lui a intimé brutalement de quitter la banque sans-lui donner aucune raison,

* Monsieur P. était son supérieur hiérarchique au niveau du groupe avant l'arrivée de Monsieur S. sous la subordination duquel il a été placé jusqu'à son remplacement,

* Monsieur N. relate des faits qu'il conteste formellement,

* Ces attestations émanent de salariés du groupe KBL ou de KBL Monaco, qui ont donc un intérêt direct au litige et ne peuvent que chercher à être favorables à leur employeur.

Monsieur B. indique enfin que la défenderesse a eu toute latitude pour conclure sur le fond en réponse, ce qu'elle a d'ailleurs fait, ce qui implique qu'il n'existe aucune raison de lui allouer des réserves ou de disjoindre son moyen de défense (qui n'est pas d'ailleurs pas une exception de procédure) avec le fond.

La KBL a déposé des conclusions les 5 février et 8 octobre 2015, 3 mars 2016 dans lesquelles elle demande au Tribunal de :

* Dire et juger recevables les pièces communiquées par la SAM KBL MONACO PRIVATE BANKERS sous les n° 28, 29, 30 et 31 avec toutes conséquences de droit,

* À défaut, déclarer irrecevable la pièce n° 50 versée aux débats par s. B. en ce qu'elle a été sciemment communiquée tardivement le 16 mars 2016 alors même qu'il s'agit d'un courrier daté du 6 août 2014, avec toutes conséquences de droit,

* Déclarer irrecevable la pièce n° 52 versée tardivement aux débats par s. B. le 29 avril 2016, hors audience, avec toutes conséquences de droit,

In limine litis, sur l'incompétence du Tribunal du Travail,

* Déclarer irrégulière l'attestation du dénommé f. G. communiquée à deux reprises sous les numéros 28 et 34, en ce qu'elle ne respecte pas les prescriptions de l'article 325 du Code de Procédure Civile et, dès lors, l'écarter des débats, avec toutes conséquences de droit,

* Dire et juger que s. B. n'exerçait pas de fonctions techniques distinctes de celles de son mandat social,

* Dire et juger que les pouvoirs et prérogatives très larges qui lui avaient été délégués par le conseil d'administration le 31 mars 2011 excluaient tout contrôle continu de son activité par cet organe et, par là même, l'existence d'un lien de subordination,

* Dire et juger que les bulletins de salaire de s. B. font apparaître qu'il était rémunéré en qualité d'Administrateur Délégué et ne percevait donc aucune rémunération distincte au titre de son contrat de travail,

En conséquence,

* Voir le Tribunal du Travail constater l'application des règles relatives au cumul du mandat social et salarié et, de fait, se déclarer incompétent pour avoir à connaître des prétentions de s. B. compte tenu de l'absence de contrat de travail liant ce dernier à la SAM KBL MONACO PRIVATE BANKERS, avec toutes conséquences de droit,

Subsidiairement sur le fond,

* Donner acte à la SAM KBL MONACO PRIVATE BANKERS qu'elle se réserve la faculté de conclure sur le fond de cette affaire, si par exceptionnel l'exception d'incompétence soutenue ne devait pas être retenue par le Tribunal de Céans, lequel ne manquerait pas d'ordonner la réouverture des débats,

En tout état de cause,

* Condamner s. B. au paiement d'une somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts, toutes causes de préjudices confondues,

* Le condamner aux dépens.

La KBL soutient essentiellement que :

* Un Arrêt de principe de la Cour de Révision a été rendu le 10 mars 2003 sur la possibilité de cumuler un mandat social et un contrat de travail.

* Elle exige la réunion de trois conditions :

* L'effectivité de fonctions techniques, distinctes de celles indiquées par le mandat social,

* Le maintien d'un lien juridique de subordination continue entre l'employé et la société,

* L'existence d'une rémunération du contrat de travail distincte de celle du mandat social.

* Il s'agit de conditions cumulatives. Aucun de ces critères n'est rempli par Monsieur B.

* L'exigence d'une rémunération distincte a été confirmée par le Tribunal du Travail et la Cour d'Appel.

* Le contrat de travail de Monsieur B. a été absorbé par son mandat social, notamment en ce que, compte tenu de son poste de Président Délégué, il n'occupait pas de fonctions techniques distinctes et n'était pas soumis à un lien de subordination quotidien, comme l'est un véritable salarié.

* Le contrat de travail de Monsieur B. en qualité de cadre de direction générale ne contient aucune description de ses tâches et fonctions.

* Il tenait ses tâches et attributions du procès-verbal du conseil d'administration du 31 mars 2011 par lequel il a été nommé en qualité d'administrateur délégué avec les pouvoirs nécessaires pour la gestion courante de la société.

* Il reconnaît lui-même dans un courriel du 2 janvier 2013 qu'il exerce les fonctions d'administrateur délégué, c'est-à-dire de dirigeant de la SAM KBL.

* La subordination doit être continue et l'obligation pour Monsieur B. de rendre compte de façon très épisodique au conseil d'administration est insuffisante pour caractériser le lien de subordination.

* Les directives provenant du conseil d'administration sont insuffisantes pour caractériser l'existence d'un lien de subordination.

* Le demandeur tente de créer une confusion entre le lien de subordination et la simple organisation d'un groupe financier international de sociétés, tel que KBL. À ce titre, il devait rendre compte de son activité auprès de la société-mère.

* Les rapports entre un mandataire social et le conseil d'administration ou la société-mère ne caractérisent pas l'existence d'un lien de subordination.

* Il n'était astreint à aucun horaire déterminé.

* Les bulletins de paye produits démontrent qu'il était rémunéré en qualité d'administrateur délégué et non de directeur général. Il ne percevait donc aucune rémunération distincte.

* Pôle Emploi n'a pas reconnu l'existence d'un contrat de travail pour le demandeur qui n'a pas été déclaré éligible à l'allocation d'aide au retour à l'emploi et ne perçoit aucune somme à ce titre.

* L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur consentement mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité du travailleur.

* Les critiques de Monsieur B. sur les attestations qu'elle produit sont dénuées de tout fondement et aucunement justifiées.

* L'attestation de Monsieur M. produite par le demandeur doit être appréciée avec la plus grande réserve dans la mesure où il s'agit d'un ancien salarié de KBL, qui a été successivement licencié de plusieurs établissements de Monaco et qui a fait l'objet d'une condamnation par le tribunal correctionnel le 31 mai 2016 du chef de faux en écriture privée commis au préjudice de la banque KBL.

* Sur le fond, Monsieur M. atteste que Monsieur B. n'avait aucun pouvoir décisionnel alors qu'il n'a occupé aucune fonction dirigeante pendant ses 17 mois de présence au sein de KBL.

SUR CE,

Sur la compétence matérielle du Tribunal du Travail

En application des dispositions de l'article 1er de la loi n° 729 du 16 mars 1963 le contrat de travail est la convention par laquelle une personne s'engage temporairement à exécuter un travail sous l'autorité et au profit d'une autre personne contre paiement d'un salaire déterminé.

Par ailleurs l'article 1er de la loi n° 739 du même jour définit le salaire comme la rémunération contractuellement due au travailleur placé sous l'autorité d'un employeur, en contrepartie du travail ou des services qu'il a accomplis au profit de ce dernier.

Enfin l'autorité reconnue à l'employeur consiste dans le pouvoir de donner des ordres et des directives à son salarié, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner le cas échéant les manquements de celui-ci, ainsi placé sous sa subordination.

Ces règles étant d'ordre public, l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont pu donner à leur convention, mais seulement des conditions de fait dans lesquelles s'exerce l'activité du travailleur, notamment de la réalité ou de l'absence d'un lien de subordination.

Il peut également y avoir cumul entre un mandat social et un contrat de travail, ce dernier n'étant qu'apparent. Il appartient dès lors au tribunal de rétablir la qualification réelle du contrat au-delà des qualifications contractuelles retenues, en recherchant quelle était l'intention commune des parties contractantes et de rechercher l'objet réel du contrat au regard des conditions effectives dans lesquelles l'activité pour autrui a été exercée, lesquelles révèlent, au-delà de l'intention exprimée dans l'acte, la volonté réelle des contractants.

L'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946 donne compétence exclusive au Tribunal du Travail pour connaître des différents individuels nés à l'occasion d'un contrat de travail ;

Il appartient au tribunal d'analyser le contrat litigieux, sans méconnaître la volonté des parties, et d'en révéler la véritable nature juridique pour pouvoir, in fine, retenir ou pas, la compétence du Tribunal du Travail ;

Il appartient encore à celui qui se prévaut de la coexistence d'un mandat social et d'un contrat de travail d'en rapporter la preuve et de démontrer le caractère réel de son contrat.

Parallèlement au « contrat de travail » en date du 9 février 2011, Monsieur B. a été, aux termes d'un procès-verbal en date du 31 mars 2011 nommé par le conseil d'administration de la KBL en qualité d'Administrateur Délégué.

Si le mandat d'administrateur délégué d'une société n'est certes pas en lui-même incompatible avec des fonctions salariales, ce cumul exige toutefois, selon la jurisprudence de la Cour de Révision (10 mars 2003 – BO. c/ Comptoir Pharmaceutique Méditerranéen) la réunion des trois conditions suivantes :

* l'effectivité de fonctions techniques dissociables des fonctions de mandataire social,

* le maintien d'un lien juridique de subordination entre l'employé et la société,

* l'existence d'une rémunération du contrat de travail distincte de celle du mandat social ; En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats que :

* Le contrat ainsi conclu prévoit les fonctions de Monsieur B. de la manière suivante : « cadre de direction générale hors classe en charge de la marche générale des affaires de la banque »,

* le « contrat de travail » prévoit encore que « le salarié est le responsable de la bonne marche des affaires de l'employeur et est à ce titre rattaché directement au conseil d'administration et sera responsable devant lui »,

* L'autorisation d'embauchage mentionne que Monsieur B. est engagé en qualité de « Directeur Général Administrateur »,

* par une décision du 31 mars 2011, l'Assemblée Générale des actionnaires de la KBL a nommé le demandeur en qualité d'administrateur,

* suivant une délibération en date du même jour, le Conseil d'administration a nommé Monsieur B. aux fonctions d'Administrateur Délégué avec les pouvoirs nécessaires pour la gestion courante de la société. Il est ainsi prévu qu'il « aura les pouvoirs nécessaires pour l'exécution des délibérations du conseil et pour la gestion courante des affaires sociales et, notamment les pouvoirs suivants :

-Représenter la société vis à vis des tiers et de toutes administrations,

-Nommer et révoquer tous agents et employés de la société, fixer les conditions de leur admission et de leur renvoi, ainsi que tous traitements, salaires, remises, gratifications et participations ainsi que les conditions de leur admission et de leur retraite,

-Remplir toutes formalités pour soumettre la société aux lois des pays dans lesquels elle pourrait opérer ; nommer tous agents responsables,

-Diriger et surveiller les bureaux chargés du service commercial et de la comptabilité. Fixer les dépenses générales d'administration,

-Signer la correspondance,

-Passer et accepter tous contrats, traités et marchés, rentrant dans l'objet de la société,

-Toucher les sommes dues à la société et payer celles qu'elle doit ; régler et arrêter tous comptes. Délivrer quittances,

-Contracter et résilier toutes assurances ; souscrire, endosser, accepter, négocier et acquitter tous billets, chèques, traites, lettres de change et effets commerce ; cautionner et avaliser,

-Faire ouvrir à la société, dans toutes banques, notamment à la Banque de France tous comptes courants et d'avance, comptes titres ou comptes de toute nature ; louer, au nom de la société, tous compartiments de coffre-fort,

-Acheter, vendre, réaliser toutes valeurs de Bourses, effets publics, valeurs mobilières et titres de toute nature, brevets d'inventions ou autres valeurs,

-Effectuer auprès de tous établissements que l'administrateur-délégué choisira tous dépôts et retraits de titres,

-Réaliser tous prêts, crédits, avances, découverts, cautionnements ou garanties bancaires avec ou sans sûreté particulière dans la limite de UN MILLION ET CINQ CENT MILLE EUROS par opération,

-Accepter toutes garanties, en donner mainlevée avant ou après paiement,

-Ouvrir à toute personne qui en ferait la demande, des comptes courants, comptes titres, comptes de dépôts ou autres,

-Déterminer le taux et les conditions de l'escompte et des dépôts de toute nature,

-Régler les conditions d'émission et la forme des titres de toute nature, tous à vue, à ordre ou au porteur, à échéance fixe ou autre à émettre par la société,

-Exercer toutes actions judiciaires, tant en demandant qu'en défendant, constituer tous avocats ou avoués ; représenter la société dans toutes opérations de faillite ou de règlement judiciaire ou liquidation des biens,

-Faire tous traités et transactions, consentir tous acquiescements et désistements, ainsi que toutes subrogations, saisies, oppositions et autres droits, avant ou après paiement,

-Passer et résilier tous baux et locations ; demander ou consentir tous acquiescements et prorogations ; faire faire toutes réparations, arrêter tous devis et conventions,

-Retirer à la poste tous objets recommandés, toutes sommes et tous plis,

-Faire tous actes de vente, achats, emprunts, subrogations, affectations hypothécaires, mainlevées et tous autres actes comportant la forme authentique,

-Aux effets ci-dessus, passer et signer tous actes et pièces, constituer tous mandataires spéciaux et, généralement, faire tout ce qui sera nécessaire pour l'administration courante des affaires de la société et l'exécution des décisions du conseil.

– Pouvoirs de signature :

Le conseil octroie à Monsieur s. B. Administrateur Délégué, une signature »A« ».

Il résulte de cette décision du conseil d'administration que Monsieur B. bénéficiait de pouvoirs très étendus et très larges, qui correspondent à la mission qui lui a été attribuée dans le « contrat de travail », à savoir « en charge de la marche générale des affaires de la banque ».

Monsieur B. évoque les rapports d'audit qui démontreraient qu'il s'était vu confier des tâches relevant du domaine de la « compliance ».

Les plans d'audit en question concernant la KBL Monaco ont fait l'objet d'une externalisation auprès de KBL European Private Bankers (KBL ebp) depuis 2003, l'audit étant réalisé dans les mêmes conditions pour toutes les entités du groupe KBL ebp.

Il résulte de ces documents que les résultats des audits sont communiqués à l'ARCC (?) et au SICCFIN, lesquels établissent des rapports et des recommandations adressées au « responsable de la conformité locale ». L'administrateur délégué, dans le cadre de ses fonctions, est ensuite chargé de les mettre en pratique (il en est ainsi pour la clôture des comptes « africains » : il ne s'agit pas d'un ordre de la maison mère mais d'une recommandation du SICCFIN).

Enfin, des plans d'action sont établis et adressés à la direction.

En comparant lesdits plans d'action et les attributions de l'administrateur délégué telles que reprises supra, il s'agit d'un simple prolongement de celles-ci et notamment afin de « remplir toutes formalités pour soumettre la société aux lois des pays dans lesquels elle pourrait opérer » et dans la gestion des comptes clients (ouverture, suivi et fermeture).

Il apparaît ainsi que l'exercice de fonctions techniques distinctes de celles résultant du mandat social n'est pas justifié, alors que la direction de la société relevait, par sa généralité, non pas d'un contrat de travail mais du mandat social dont Monsieur B. était investi.

Ce dernier percevait en outre une rémunération unique. Les bulletins de salaire produits mentionnent en outre que l'emploi de Monsieur B. est « administrateur délégué ».

La dénomination de « salaire » et l'établissement de bulletins correspondants ne sauraient suffire à établir la réalité du lien juridique revendiqué par l'intéressé.

Sur le lien de subordination

Les quelques attestations produites par Monsieur B. ne sont corroborées par aucun document démontrant qu'il rendait compte régulièrement à la « maison mère » à Luxembourg et que des instructions lui étaient données par celle-ci.

Ces attestations sont d'ailleurs contredites par le courriel adressé par Monsieur B. aux membres du conseil d'administration le 20 novembre 2013 et dans lequel il détaille le rôle qu'il a joué dans le « redressement » de la KBL.

Il indique notamment :

« Pendant ces deux ans et demi, mon rôle n'a pas vraiment consisté à développer la société, mais plutôt à transformer son fonctionnement, basé sur des manœuvres et autres agissements légalement discutables, pour en faire une entité saine et transparente. Par ce biais, j'ai mis au jour un certain nombre de points délicats dont le conseil d'administration aurait dû avoir connaissance....

Voici certains des résultats que j'ai obtenus au profit de KBLM et du groupe KBL :

* Découverte et démantèlement de toutes les structures frauduleuses au sein de la société,

* Relocalisation de mon activité depuis 2012, en acceptant uniquement les comptes déclarés depuis 2012 (par là nous avons précédé la décision du groupe),

* Instauration de nouvelles procédures, pratiques courantes et mesures de précautions en vue de la protection et de la gestion prudentielle de la société,

* Licenciement des personnes tirant parti du système pour leur intérêt personnel,

* Responsabilisation des salariés en énonçant clairement leurs attributions, responsabilités et objectifs,

* Création et embauche d'une équipe de professionnels dotés d'une expérience internationale afin d'éliminer totalement le risque de la banque, en acceptant des clients internationaux de qualité qui se sont installés à Monaco,

* Le personnel que j'ai gardé et embauché a fait des heures supplémentaires et a travaillé pendant les week-ends pour accélérer l'assainissement de la banque,

* Rôle de leader et de moteur dans l'élaboration d'une vision de la banque que nous voulions avoir, et insufflant un esprit d'équipe et de cohésion,

* Mise en place de procédures, d'une méthodologie de management commercial, de segmentations de la clientèle, d'indicateurs clés de performance pour les banques privées, etc..., et d'une communication à double sens qui a renforcé l'équilibre des objectifs de la banque,

* Les consultants de McKinsey&Co étaient tellement impressionnés par l'ensemble des outils/procédures qu'ils ont même demandé des spécimens/copies ».

Ces résultats et les moyens mis en œuvre pour y parvenir font partie des attributions de l'administrateur délégué, reprises ci-dessus.

Il résulte encore des documents produits que Monsieur B. avait pour seule obligation de rendre compte de sa gestion au conseil d'administration, devant lequel il était responsable.

Le demandeur ne rapporte pas la preuve qu'il se trouvait assujetti à des directives particulières dans le cadre de ses fonctions de directeur général et d'administrateur délégué.

Monsieur B. produit en pièce n° 38 un document intitulé « réunion programmée et appel téléphoniques avec mon superior et réunions programmées avec le comité exécutive de KBL Group » pour justifier du lien de subordination.

Cependant, il apparaît que ce document a été établi par le demandeur et n'est corroboré par aucun autre élément extérieur ; nul ne pouvant se constituer de preuve à soi-même, il n'en sera pas tenu compte.

La KBL produit par ailleurs des courriels de Monsieur B. adressé au personnel de KBL Monaco, dans lesquels il se présente en tant qu'administrateur délégué et non de directeur général. À ce titre, il a établi un nouvel organigramme qu'il transmet en pièce jointe à ses collaborateurs, à qui il précise : « courant janvier, je vous convierai tous à une présentation de notre plan et stratégie pour 2013 et les années qui suivront ».

Il s'agit de toute évidence de missions comprises dans les fonctions qui lui ont été attribuées en tant qu'administrateur délégué.

Les courriels en pièces 22 et 23 sont signés avec la mention « administrateur délégué », ce qui confirme encore l'absorption du contrat de travail par le mandat social.

Le demandeur ne démontre pas plus une quelconque immixtion de la « maison-mère » dans la gestion de KBL Monaco.

Il n'est encore pas plus contestable que Monsieur B. n'était soumis à aucun horaire de travail défini.

Il y a lieu dès lors, sans avoir à examiner la validité des attestations portées dans le débat, de se déclarer incompétent, les parties n'étant pas liées par un contrat de travail.

Sur la demande reconventionnelle de la KBL

L'action en justice constitue l'exercice d'un droit et que l'appréciation erronée qu'une partie fait de ses droits n'est pas, en soi, constitutive d'un abus, sauf démonstration, non rapportée au cas d'espèce, d'une intention de nuire, d'une malveillance ou d'une erreur équipollente au dol.

Monsieur B. n'apparaît pas avoir commis d'abus en saisissant le Tribunal du Travail, n'ayant commis aucune faute dans l'exercice de ce recours ni d'erreur équipollente au dol, ni fait preuve d'une quelconque intention de nuire envers le défendeur, compte tenu notamment de la complexité de la matière et de la diversité de la jurisprudence ; il a donc pu se méprendre sur l'étendue de ses droits, l'appréciation erronée du bien-fondé de ses demandes ne suffisant pas à caractériser un abus à l'encontre de la société défenderesse ;

La demande de dommages-intérêts formulée par la KBL sera purement et simplement rejetée ; Succombant dans ses prétentions, Monsieur B. sera condamné aux dépens.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant par jugement contradictoire, en premier ressort, après en avoir délibéré,

Se déclare incompétent pour connaître des demandes formées par s. B. à l'encontre de la SAM KBL PRIVATE BANKERS,

Déboute la SAM KBL PRIVATE BANKERS de sa demande de dommages et intérêts,

Condamne s. B. aux dépens.

Composition

Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Monsieur Didier MARTINI, Madame Anne-Marie MONACO, membres employeurs, Madame Agnès ORECCHIA, Monsieur Lionel RAUT, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le vingt juillet deux mille dix-sept, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Madame Anne-Marie MONACO et Lionel RAUT, Monsieur Didier MARTINI et Madame Agnès ORECCHIA étant empêchés, assistés de Madame Catherine CATANESE, Secrétaire en Chef.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : 16224
Date de la décision : 20/07/2017

Analyses

En application des dispositions de l'article 1er de la loi n° 729 du 16 mars 1963 le contrat de travail est la convention par laquelle une personne s'engage temporairement à exécuter un travail sous l'autorité et au profit d'une autre personne contre paiement d'un salaire déterminé. Par ailleurs l'article 1er de la loi n° 739 du même jour définit le salaire comme la rémunération contractuellement due au travailleur placé sous l'autorité d'un employeur, en contrepartie du travail ou des services qu'il a accomplis au profit de ce dernier. Enfin l'autorité reconnue à l'employeur consiste dans le pouvoir de donner des ordres et des directives à son salarié, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner le cas échéant les manquements de celui-ci, ainsi placé sous sa subordination. Ces règles étant d'ordre public, l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont pu donner à leur convention, mais seulement des conditions de fait dans lesquelles s'exerce l'activité du travailleur, notamment de la réalité ou de l'absence d'un lien de subordination. Il peut également y avoir cumul entre un mandat social et un contrat de travail, ce dernier n'étant qu'apparent. Il appartient dès lors au tribunal de rétablir la qualification réelle du contrat au-delà des qualifications contractuelles retenues, en recherchant quelle était l'intention commune des parties contractantes et de rechercher l'objet réel du contrat au regard des conditions effectives dans lesquelles l'activité pour autrui a été exercée, lesquelles révèlent, au-delà de l'intention exprimée dans l'acte, la volonté réelle des contractants.L'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946 donne compétence exclusive au Tribunal du Travail pour connaître des différents individuels nés à l'occasion d'un contrat de travail. Il appartient au tribunal d'analyser le contrat litigieux, sans méconnaître la volonté des parties, et d'en révéler la véritable nature juridique pour pouvoir, in fine, retenir ou pas, la compétence du Tribunal du Travail. Il appartient encore à celui qui se prévaut de la coexistence d'un mandat social et d'un contrat de travail d'en rapporter la preuve et de démontrer le caractère réel de son contrat.

Contrats de travail.

Contrat de travail - Qualification - Contrat individuel de travail (non) - Compétence matérielle du Tribunal du travail (non).


Parties
Demandeurs : M. s. BA.
Défendeurs : SAM KBL MONACO PRIVATE BANKERS

Références :

article 325 du Code de Procédure Civile
article 1er de la loi n° 729 du 16 mars 1963
article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2017-07-20;16224 ?

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