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28/05/2009 | MONACO | N°12076

Monaco | Tribunal du travail, 28 mai 2009, o. BE. c/ la SAM AS MONACO FOOTBALL CLUB


Abstract

Licenciement sur le fondement de l'article 6 de la Loi n° 749 - Discrimination entre hommes et femmes - Pacte de New York article 26 et Convention européenne de Sauvegarde des de l'Homme et des Libertés fondamentales Article 14 - Non respect - Licenciement abusif

Résumé

Compte tenu de l'évolution des mœurs, le licenciement d'une salariée au prétexte qu'elle ne pouvait accéder aux vestiaires des joueurs n'était pas indispensable à la protection des intérêts de l'entreprise et revêt un caractère abusif.

Une salariée embauchée, le 1er décemb

re 2004, par une entreprise sportive en qualité de « chargé internet », est licenciée, le ...

Abstract

Licenciement sur le fondement de l'article 6 de la Loi n° 749 - Discrimination entre hommes et femmes - Pacte de New York article 26 et Convention européenne de Sauvegarde des de l'Homme et des Libertés fondamentales Article 14 - Non respect - Licenciement abusif

Résumé

Compte tenu de l'évolution des mœurs, le licenciement d'une salariée au prétexte qu'elle ne pouvait accéder aux vestiaires des joueurs n'était pas indispensable à la protection des intérêts de l'entreprise et revêt un caractère abusif.

Une salariée embauchée, le 1er décembre 2004, par une entreprise sportive en qualité de « chargé internet », est licenciée, le 16 juin 2006, sur le fondement des dispositions de l'article 6 de la Loi n° 729 du 16 mars 1963. Elle a attrait son employeur devant le Tribunal du Travail en demandant le paiement de nombreuses heures supplémentaires ainsi que le remboursement de frais relatifs à des abonnements télévisuels, des dommages et intérêts pour licenciement abusif, estimant, par delà la référence à une restructuration, son licenciement discriminatoire. Lors de l'entretien préalable à cette mesure, il lui a en effet été indiqué que les missions recherchées dans la nouvelle organisation exigeaient une personne ayant la qualité de journaliste, capable d'approcher les joueurs dans l'intimité de leur vie professionnelle, ce que la demanderesse ne pouvait pas faire de par son statut et sa condition de femme.

Son employeur estimait irrecevables les demandes interverties par la salariée devant le bureau de jugement et tenait pour non démontrées les heures supplémentaires alléguées. S'agissant du licenciement celui-ci est notamment justifié par l'absence de statut de journaliste de la demanderesse et une incompatibilité des missions avec sa condition de femme.

Le Tribunal du Travail juge recevables les demandes d'heures supplémentaires formulées dans la mesure où, en dépit d'une erreur matérielle, leur nature et leur quantum n'ont pas été modifiées devant le bureau de jugement. Il rejette cependant la demande de la salariée dans la mesure où il n'est pas établi que les heures réclamées pour la première fois en justice, effectuées durant les week-ends ou en soirée, n'étaient pas intégrées aux heures normales de travail, ou rémunérés au titre des heures supplémentaires figurant sur les bulletins de salaires ou ne faisaient pas l'objet de compensation au cours d'une semaine donnée. La salariée ne démontre pas non plus s'être vue obligée de souscrire des abonnements à canal Plus et Canal Sat et ne peut en réclamer le paiement. Sur le licenciement, le Tribunal, uniquement chargé dans le cadre de la loi n° 729, de vérifier l'absence d'abus, se doit de vérifier l'absence d'illicéité du motif qui, selon la demanderesse s'inscrit dans le cadre d'une discrimination fondée sur son sexe. Or, tant l'article 26 du Pacte de New York du 16 décembre 1966 rendu exécutoire en Principauté de Monaco par ordonnance du 12 février 1998 que l'article 14 de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de L'Homme et des Libertés Fondamentales exécutoire à Monaco depuis le 15 février 2006, interdisent toute discrimination sur le sexe dans les rapports de travail, sauf justification raisonnable et objective. La juridiction saisie se reconnait ainsi le droit de vérifier, par-delà l'absence de consécration formelle par le législateur monégasque d'un principe général de non-discrimination entre hommes et femmes en matière sociale, si les conditions du licenciement sont discriminatoires. Il résulte du témoignage non contesté de la personne qui assistait à l'entretien préalable que le licenciement dont s'agit trouve son origine dans des considérations discriminatoires d'autant que « compte tenu de l'évolution des mœurs et de l'arrivée des femmes dans le monde footballistique, il apparait peu probable qu'une personne de sexe féminin n'aurait pas pu accéder aux vestiaires des joueurs… ». Il s'ensuit que le remplacement d'une femme par un homme au poste litigieux n'était pas indispensable à la protection des intérêts de l'entreprise, ni proportionné au but recherché. Le licenciement discriminatoire est jugé abusif et une somme de 10.000 € est allouée à la salariée.

Motifs

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 26 janvier 2007 reçue le 29 janvier 2007 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 27 février 2007 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de Mademoiselle o. BE., en date des 29 mars 2007, 8 novembre 2007 et 4 août 2008 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE dénommée AS MONACO FOOTBALL CLUB, en date des 5 juillet 2007, 10 janvier 2008 et 2 octobre 2008 ;

Après avoir entendu Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, pour Mademoiselle o. BE., et Maître René SCHILEO, avocat au barreau de Nice, pour la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE dénommée AS MONACO FOOTBALL CLUB, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

o. BE. a été employée par la société anonyme monégasque dénommée AS MONACO FOOTBALL CLUB à compter du 1er décembre 2004, en qualité de chargé internet et des achats puis en qualité de chargé internet.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 16 juin 2006, o. BE. s'est vue notifier son licenciement sur le fondement des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963.

Soutenant que la rupture de son contrat de travail revêt un caractère abusif, o. BE. a, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 26 février 2007, attrait la SAM AS MONACO FOOTBALL CLUB devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail à l'effet d'obtenir sa condamnation au paiement des sommes suivantes :

* 8.157,70 euros au titre des heures supplémentaires,

* 3.133,10 euros pour les matchs 2004-2005 (ligue 1- CFD, CDC, LDC) du 3 décembre 2004 au 26 août 2005, soit 242 heures supplémentaires,

* 1.554 euros pour la conception des programmes de matchs, soit 120 heures supplémentaires,

* 2.020,20 euros pour la conception de magazines, soit 156 heures supplémentaires,

* 1.450,40 euros pour la Super Cup 2005, du 1er juin au 26 août 2005, soit 112 heures supplémentaires,

* 662,78 euros au titre des frais,

* 369 euros au titre de l'abonnement Canal Plus, du 1er décembre 2004 au 30 septembre 2005,

* 293,78 euros au titre de l'abonnement Canal Sat, du 1er décembre 2004 au 30 septembre 2005,

* 600.000 euros à titre de dommages et intérêts (perte de salaire, préjudice financier sur 18 mois d'ancienneté et préjudice moral).

À l'audience fixée par les convocations, les parties ont régulièrement comparu.

Puis, après 12 renvois intervenus à leur demande, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 12 mars 2009, à l'issue de laquelle le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 28 mai 2009.

Dans ses conclusions ultérieures, o. BE. précisera que par suite d'une erreur matérielle, elle a interverti, dans sa requête initiale, les sommes réclamées au titre des heures supplémentaires pour la conception des programmes et pour la conception des magazines.

À l'appui de ses prétentions, elle fait valoir que :

* la rupture de son contrat de travail prononcée sur le fondement de l'article 6 a été précédée d'un entretien préalable au cours duquel il lui a été annoncé qu'elle était licenciée parce qu'elle est une femme (souhait de la remplacer par un homme pour une prétendue meilleure proximité avec l'équipe),

* le fait que la défenderesse ait également évoqué une restructuration de ses services ne saurait en aucun cas anéantir le motif réel de la rupture, à savoir la discrimination fondée sur son sexe, laquelle est prohibée tant par le Pacte International de New-York que par la Convention européenne des Droits de l'Homme,

* la référence à la restructuration, comme à l'article 6, camoufle une violation grave de l'obligation de non-discrimination qui ne pourra être validée par le Tribunal du Travail, alors que la position de l'employeur a été parfaitement contradictoire tout au long de la procédure de licenciement,

* en tout état de cause, le motif allégué est fallacieux, alors que la soudaineté de la mesure n'était absolument pas justifiée par les circonstances de la cause mais s'explique par le fait que la SAM AS MONACO FOOTBALL CLUB a embauché un nouveau salarié, peu de temps après le licenciement, pour la remplacer,

* il apparaît ainsi que la défenderesse a planifié son départ sans pour autant lui proposer le moindre reclassement (dans un contexte où elle a crée quatre nouveaux emplois), alors qu'elle donnait entière satisfaction (augmentation de salaire, propos tenus lors de l'entretien préalable),

* en outre, l'employeur ne rapporte absolument pas la preuve de la nécessité de procéder à son remplacement par une personne du sexe « fort »,

* elle a particulièrement mal vécu cette mesure abusive qui l'a d'ailleurs plongée dans un état dépressif du 26 juillet au 13 août 2006, et ce d'autant que la référence à une restructuration dans la convocation à son entretien préalable pouvait lui laisser penser qu'elle serait reclassée,

* elle s'est en effet retrouvée désemparée et isolée pour tenter une réinsertion professionnelle,

* de plus, la SAM AS MONACO FOOTBALL CLUB ne peut soutenir qu'elle ne serait pas concernée par les difficultés qu'elle a rencontrées pour retrouver un nouvel emploi, alors qu'elle l'a injustement privée d'une place qui l'intéressait, pour laquelle elle s'était totalement investie (notamment en déménageant) et avait été jugée irréprochable,

* par ailleurs, les rencontres de football, auxquelles elle assistait, avaient lieu au cours des week-ends et dans la soirée, de telle sorte qu'elle a été amenée à effectuer de nombreuses heures supplémentaires pour préparer ses interviews durant les matchs ou réaliser ses articles durant la nuit,

* elle verse également aux débats les brochures ASM FC MATCH pour lesquelles elle faisait des interviews, choisissait les images, préparait l'éditorial, envoyait la maquette à l'imprimeur, recevait le bon à tirer et le retournait pour tirage, étant relevé que malgré son insistance, elle n'a jamais été rémunérée pour ce travail,

* de même, elle s'occupait de la conception du magazine officiel du club pour lequel elle effectuait des interviews et programmait les photos afférentes, alors que cette prestation importante était réalisée en dehors du temps requis pour exécuter ses tâches contractuelles,

* enfin, elle a été amenée à assurer la mise en place d'un plan « action marketing et communication » pour la manifestation de la Super Cup 2005 (juin-juillet 2005 : mise en place du projet par la constitution d'un fichier et d'une base de données ; juillet 2005 : vente des produits ; août 2005 : comptabilisation des packages réalisés et suivi de la clientèle), cette opération lui ayant coûté en heures de disponibilité durant les soirées et les week-ends,

* à cet égard, elle a établi un calendrier par semaines civiles, sauf pour la conception des magazines, lesquels étaient édités mensuellement,

* la jurisprudence prévoit une obligation respective des parties quant à la preuve des heures supplémentaires, étant relevé que l'employeur ne fournit aucun élément de nature à justifier les horaires réalisés,

* en outre, l'erreur matérielle commise concernant la présentation, dans la requête initiale, des réclamations formulées au titre de la conception des programmes de matchs et des magazines peut parfaitement être rectifiée par des conclusions, alors que l'inversion sollicitée ne peut être assimilée à une demande nouvelle,

* les frais dont elle réclame le remboursement ont été exposés dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail, alors que les factures correspondantes concernent des contrats au nom de Monsieur PE., son concubin, avec lequel elle était en ménage à l'époque des faits,

* si ces dépenses n'étaient pas imposées par l'employeur, il n'en demeure pas moins que ce dernier a bénéficié des avantages tirés de cet investissement et ne peut lui refuser la somme modique ainsi sollicitée.

En réponse, la SAM AS MONACO FOOTBALL CLUB soutient pour l'essentiel que :

* le fait de solliciter devant le bureau de jugement des modifications de la nature et du quantum de certaines prétentions, par voie de substitution, revient à demander de statuer sur des réclamations non soumises au préliminaire de conciliation, de telle sorte que le Tribunal devra en tirer les conséquences juridiques,

* il convient de souligner que le nombre extraordinaire d'heures supplémentaires invoquées, dont l'existence doit être prouvée par la salariée, aurait porté son travail à 240 heures par mois,

* à cet égard, o. BE. n'explique pas les raisons pour lesquelles elle aurait délibérément omis de lui reconnaître l'accomplissement d'heures supplémentaires, alors qu'elle a volontairement réglé toutes celles dont il a été justifié, comme le démontrent les bulletins de salaires (septembre à décembre 2005 et janvier à avril 2006),

* en outre, la demanderesse n'a jamais formulé aucune réclamation sur ce point, ni communiqué avant la présente procédure les tableaux dactylographiés dont elle se prévaut désormais et qui ont été élaborés par ses soins en dehors de tout contradictoire,

* le témoignage de s. PE. n'a pas de force probante, dans la mesure où ce dernier est le petit ami d'o. BE. et se contente de procéder par voie d'allégations générales et non circonstanciées quant aux prétendus travaux accomplis,

* de plus, la salariée, qui n'avait pas d'horaire imposé pour exécuter ses fonctions, était libre d'organiser son temps de travail comme elle l'entendait pour réaliser les tâches inhérentes à son activité,

* par ailleurs, elle conteste formellement la version des faits développée par o. BE. concernant le licenciement, la déclaration écrite de j. GA. ne mentionnant à aucun moment que la demanderesse se serait vue indiquer qu'elle était licenciée en raison de sa condition de femme,

* il convient de préciser qu'elle emploie dans ses rangs 9 personnes de sexe féminin, soit 30 % de son personnel administratif,

* en outre, la rupture ne revêt aucun caractère brutal ou précipité, dans la mesure où elle a été précédée d'un entretien préalable au cours duquel toutes les explications utiles ont été données à la salariée en présence de l'un de ses amis,

* le préavis dont la demanderesse a été dispensée a été rémunéré nonobstant son arrêt de travail du 26 juin au 31 juillet 2006,

* de plus, o. BE. a été remplie de ses droits, alors que le licenciement est effectivement fondé sur la nécessité de réorganiser l'entreprise,

* en effet, elle avait ouvert un nouveau site internet permettant plus de développement que le précédent et nécessitant la présence d'un WEB MASTER JOURNALISTE ayant notamment pour mission d'accompagner l'équipe dans tous les stages et déplacements, préparer les avant-matchs et mettre à jour en quasi instantané le score des matchs et son déroulement, assister à tous les entraînements et accéder à la partie du centre d'entraînement de la Turbie réservé à l'équipe, réaliser plusieurs articles quotidiens sur l'actualité et la vie du club, mettre à jour les différentes rubriques du site et développer de nouvelles rubriques ainsi que les produits cadeaux pour les visiteurs, gérer la partie interactif du site, réaliser régulièrement des interviews, enquêtes et reportages, rédiger des articles pour le magazine officiel du club et participer à sa relecture et son bouclage, rédiger régulièrement les textes du programme de match,

* ces missions ne pouvaient être accomplies que pour une personne ayant la qualité de journaliste, capable d'approcher les joueurs dans l'intimité de leur vie professionnelle, ce qui impliquait la possibilité d'accéder dans les lieux où cette intimité se dévoilait,

* or, la demanderesse n'avait pas le statut de journaliste, alors que le partage de cette intimité était incompatible avec sa condition de femme,

* ainsi, les conditions inhérentes au statut, à la capacité et à la personne d'o. BE. constituaient un obstacle majeur à l'accomplissement des tâches attachées à la gestion du nouveau site internet,

* les embauches des Messieurs UB., BR. et BI. aux postes respectifs d'attaché commercial, directeur de la communication et du marketing, responsable administratif du centre de formation, sont sans rapport avec l'emploi de la salariée,

* v. DE. a quant à lui été engagé le 15 juillet 2006 pour exercer les fonctions bien plus importantes et étendues de WEB MASTER JOURNALISTE,

* la restructuration est donc bien avérée et a entraîné plusieurs embauches ainsi qu'une redistribution et une nouvelle définition des rôles de chacun,

* elle n'avait par ailleurs aucune obligation de reclassement, alors qu'il ne saurait lui être fait grief des difficultés rencontrées par o. BE. dans la recherche d'un nouveau travail,

* en outre, aucune explication n'a été fournie par la demanderesse sur les suites données à la proposition d'emploi formulée en janvier 2007,

* de plus, la somme réclamée à titre de dommages et intérêts est exorbitante au regard de l'ancienneté de la salariée, alors qu'o. BE. est une personne jeune, sans charge de famille, qui n'est pas d'une santé psychologique fragile ou atteinte d'un handicap physique dommageable, qui a bénéficié de prestations sociales en rapport avec sa rémunération et n'a pas été en demande d'emploi pendant une longue période,

* contrairement aux affirmations de la demanderesse, les factures dont le paiement est sollicité sont adressées à Madame m. PE. au […] à Nice et non à s. PE. demeurant […] à Nice,

* en tout état de cause, elle ne lui a jamais imposé de souscrire personnellement de tels abonnements pour les besoins de son activité, de telle sorte qu'elle n'est tenue à aucun remboursement.

SUR QUOI,

I) Sur la recevabilité des demandes

Si le demandeur peut, en vertu des dispositions de l'article 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, augmenter sa demande initiale devant le bureau de conciliation, une telle possibilité, en l'absence d'une disposition identique contenue dans cette même loi, ne lui est pas ouverte devant le bureau de jugement, lequel ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative obligatoire de conciliation, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum, en application de l'article 1er de la loi précitée.

Aucune disposition légale n'impose cependant pas au demandeur d'indiquer avec précision le contour de ses prétentions dans sa requête initiale.

Si o. BE. a interverti, dans la présentation de sa requête initiale, au niveau des différentes sous-parties de sa demande relative aux heures supplémentaires, le nombre d'heures concernées ainsi que la somme réclamée au titre de la conception des programmes de matchs et de la conception des magazines, il n'en demeure pas moins que la SAM AS MONACO FOOTBALL CLUB a été clairement informée, au stade de la conciliation, du montant total des sommes réclamées à cet égard, soit 8.157,70 euros, et du nombre d'heures supplémentaires invoquées, soit 630 heures, alors que les données en cause sont demeurées inchangées devant le bureau de jugement.

Ainsi, la demande tendant au paiement des heures supplémentaires, qui a été soumise au préliminaire de conciliation, n'apparaît pas avoir été modifiée quant à sa nature ou augmentée quant à son quantum devant le bureau de jugement, en dépit de l'erreur matérielle commise dans le détail de cette prétention, laquelle n'a manifestement pas été un obstacle à une éventuelle conciliation.

Le moyen d'irrecevabilité soulevé de ce chef ne peut dès lors être accueilli.

II) Sur la demande relative aux heures supplémentaires

Il appartient au salarié qui revendique le paiement d'heures supplémentaires de rapporter la preuve de leur existence, alors que lorsque celle-ci est établie, il incombe à l'employeur de fournir les éléments qu'il détient et qui sont de nature à justifier les horaires ainsi réalisés.

En l'espèce, o. BE. a été embauchée pour une durée hebdomadaire de travail de 39 heures.

Il résulte des bulletins de paie de la salariée que de nombreuses heures supplémentaires ont été rémunérées pendant l'exécution de son contrat de travail.

De plus, les divers tableaux dactylographiés versés aux débats, qui ont été établis par la demanderesse elle-même, ne permettent pas de démontrer la réalité des heures supplémentaires invoquées ou même de différencier celles qui ont été réglées ou ne l'auraient pas été.

En outre, il n'est pas justifié qu'en dépit de la nature de ses fonctions, la salariée était soumise à des horaires de travail fixes, que les heures effectuées durant les week-ends ou en soirée n'étaient pas au moins partiellement intégrées à ses heures normales de travail, n'ont pas été rémunérées au titre des heures supplémentaires sus évoquées ou ne faisaient pas l'objet d'une compensation au cours d'une semaine donnée, ni enfin que les différents travaux litigieux (conception de magazines, de programmes de matchs et Super Cup 2005) ne correspondaient pas à ses tâches contractuelles et n'auraient pas été réalisés au cours de ses heures normales de travail, et ce d'autant qu'o. BE. n'a jamais formulé aucune réclamation à cet égard, ni exigé la définition claire de son poste.

Par ailleurs, l'attestation de s. PE. n'apparaît pas suffisamment circonstanciée pour établir avec précision le nombre d'heures supplémentaires effectuées au cours de la période en cause.

En conséquence, faute pour la salariée de rapporter la preuve de l'existence des heures supplémentaires invoquées, sa demande formée à cet égard doit être rejetée.

III) Sur les abonnements Canal Plus et Canal Sat

Il n'est nullement établi que l'employeur aurait imposé à sa salariée de souscrire de tels abonnements, de telle sorte que cette dernière ne peut en réclamer le remboursement, et ce d'autant que leur paiement était assuré par m. PE. et non s. PE.

IV) Sur le licenciement

Aux termes d'un courrier en date du 9 juin 2006, la défenderesse a indiqué à o. BE. « comme vous le savez, l'AS MONACO FC a entrepris une restructuration de ses services. Dans ce cadre, nous avons le regret de vous informer que nous envisageons de procéder à votre licenciement. Vous voudrez bien vous rendre le mercredi 14 juin à 11h00 au siège du club pour participer à un entretien relatif à ce motif. Nous vous précisions que vous pourrez vous faire assister, à cette occasion d'une personne de votre choix appartenant au personnel du club ».

La lettre de licenciement du 16 juin 2006 est rédigée dans les termes suivants :

« En date du 9 juin 2006, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à la rupture de votre contrat de travail qui s'est tenue le 14 juin 2006 au siège du club. À votre demande, vous étiez assistée lors de cet entretien par Monsieur j. GA.

Dans le cadre de la restructuration du club, un certain nombre de secteurs sont réorganisés. C'est le cas notamment de la Direction de la communication afin de répondre aux attentes de la direction du club.

En conséquence, nous vous informons de notre décision de vous licencier en nous appuyant sur l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 qui précise que » Le contrat de travail à durée indéterminée peut toujours cesser par la volonté de l'une des parties ; il prend fin au terme du préavis «

Cette mesure prendra effet le 30 juin 2006 et nous vous dispensons d'effectuer votre préavis qui vous sera payé (…) »

En application de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, l'employeur dispose d'un droit unilatéral de résiliation lui permettant de congédier un salarié sans se référer de façon explicite ou implicite à un motif inhérent à la personne de celui-ci, et doit supporter les conséquences de sa décision de ne pas énoncer le motif de la rupture, en versant le montant de l'indemnité de licenciement prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968.

Cependant, l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 n'instaurant pas, au profit de l'employeur, un droit discrétionnaire et absolu, il appartient au Tribunal du Travail de vérifier le respect par l'employeur des droits et prérogatives du salarié d'une part, et les circonstances ayant entouré la résiliation, qui doivent être exemptes de tout abus d'autre part.

En l'espèce, il n'est pas contesté qu'o. BE. a été remplie de ses droits et a effectivement perçu l'indemnité de licenciement susvisée ainsi que l'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés.

Il appartient ainsi à la salariée de rapporter la preuve, au soutien de sa demande en paiement de dommages et intérêts, de l'existence de l'abus commis par la défenderesse dans l'exercice de son droit unilatéral de rupture et du préjudice qui en est résulté.

Si la SAM AS MONACO FOOTBALL CLUB s'est expliquée, au moment du licenciement et dans le cadre de la présente instance, bien qu'elle n'y était pas tenue, sur les motifs de la rupture, le Tribunal n'a pas à en apprécier la validité, en l'état du paiement effectif de l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968.

Toutefois, compte tenu des raisons invoquées par la société défenderesse à l'appui de sa décision de licenciement notamment lors de l'entretien du 14 juin 2006, le Tribunal doit déterminer si la rupture ne présente pas un caractère illicite et par là même abusif.

La demanderesse soutient que le licenciement s'inscrit dans le cadre d'une discrimination fondée sur son sexe.

À cet égard, elle se prévaut des dispositions du Pacte International relatif aux droits civiques et politiques, fait à New-York le 16 décembre 1966 et rendu exécutoire en Principauté de Monaco par l'ordonnance n° 13.330 du 12 février 1998, lequel a institué un contrôle international des normes conventionnelles relatives aux droits de l'homme, et comporte en lui-même des normes directement applicables, en tant qu'elles apparaissent suffisamment précises, à la fois en leur objet et en leur forme, pour être mises en œuvre dans l'ordre juridique interne des Etats sans mesures complémentaires d'exécution.

o. BE. doit dès lors être admise à invoquer utilement ces normes devant les juridictions monégasques.

Or, aux termes de l'article 26 de ce Pacte, qui apparaît ainsi directement applicable, « toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. À cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique et de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ».

En outre, l'article 14 de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, rendue exécutoire à Monaco par l'ordonnance n° 408 du 15 février 2006, lequel prévoit que « la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation », combiné à l'article 8 de cette même Convention, lequel garantit le droit au respect de la vie privée et par là même le droit de nouer et de développer des relations avec ses semblables dans le cadre de son activité professionnelle, interdit toute discrimination fondée sur le sexe dans les rapports de travail et leur cessation, à moins qu'elle ne trouve une justification raisonnable et objective.

En conséquence, si le législateur monégasque n'a pas formellement consacré sur un plan général le principe de non-discrimination entre hommes et femmes, notamment en matière sociale, bien que l'article 2-1 de la loi n° 739 du 16 mars 1963 prohibe une telle discrimination en matière de salaires, il appartient à la présente juridiction de déterminer, conformément aux normes internationales sus évoquées d'application directe, si les conditions dans lesquelles la salariée a été licenciée révèlent une discrimination fondée sur son sexe, compte tenu des éléments de preuve fournis par cette dernière.

La demanderesse a produit aux débats une attestation établie par j. GA., présent lors de l'entretien préalable sus évoqué, aux termes de laquelle ce dernier a déclaré que Monsieur a. CL., Directeur Administratif, Juridique et Financier du Club avait précisé : « comme je vous l'ai expliqué, il s'agit davantage d'une nouvelle réorientation. Nous recherchons à travers la personne qui va occuper le poste des éléments complémentaires. C'est une question de proximité du groupe, c'est pour cela que c'est un garçon qui vous remplacera. Je ne sais pas encore qui mais nous allons prendre un garçon, c'est sûr. La décision a été accélérée par la restructuration. Par rapport au site internet, nous voulons un garçon qui soit tout le temps avec l'équipe, nous voulons qu'il soit intégré dans l'équipe et qu'il puisse partager des moments. Depuis que vous êtes là, vous n'êtes jamais rentrée dans les vestiaires du centre d'entraînement, ce qui est logique. Ce n'est pas un reproche que je vous adresse, c'est un fait. La volonté est premièrement de prendre un homme qui soit au contact de l'équipe et deuxièmement par rapport à l'aspect rédactionnel, nous voulons un journaliste. Aujourd'hui, vous n'êtes pas journaliste. Je vous explique ce qui est souhaité, je ne vous fais pas de reproche. Petit un, nous souhaitons un garçon, petit deux nous souhaitons un journaliste capable d'écrire comme un journaliste. Voilà pourquoi la décision finale a été prise. En ne rentrant pas dans les vestiaires, vous ne pouvez pas partager un certain nombre de moments, des moments d'intimité comme lors des entraînements à la Turbie, où lorsqu'un joueur est en salle de rééducation pour pouvoir tirer des remarques au niveau de la communication. Cela aurait été une autre jeune femme ou Louise, cela aurait été la même chose ». Le témoin a ajouté que Monsieur CL. a conclu en disant que « le club n'avait rien à lui reprocher, qu'il comprenait son état de choc et de tristesse, qu'il comprenait le fait que cela la déstabilisait particulièrement avant de lui dire que sur le plan de l'enthousiasme, de la motivation, de l'énergie et de l'investissement, il n'y avait rien à dire ».

La teneur des propos ainsi rapportés n'a nullement été contestée par la SAM AS MONACO FOOTBALL CLUB.

Ce discours est axé de manière dominante sur la volonté d'embaucher un homme au poste occupé par la demanderesse pour des raisons tenant à sa condition féminine, alors que l'emploi des formules répétitives « premièrement » et « petit 1 » démontre que la priorité de l'employeur était de remplacer son employée de sexe féminin par un salarié de sexe masculin.

Il apparaît ainsi que le licenciement d'o. BE. trouve son origine dans des considérations discriminatoires fondées sur son sexe, et ce d'autant qu'il n'est nullement démontré que le travail effectivement réalisé par v. DE., engagé au poste de WEB MASTER JOURNALISTE après le licenciement d'o. BE., serait différent sur un plan rédactionnel et journalistique de celui qui était effectué par la demanderesse.

Par ailleurs, compte tenu de l'évolution des mœurs et de l'arrivée progressive de femmes dans le monde footballistique, il apparaît peu probable qu'une personne de sexe féminin n'aurait pas pu, au moins pour un temps, accéder aux vestiaires des joueurs ou en salle de rééducation mais également assister à des entraînements.

De plus, le partage de « l'intimité » des joueurs ne peut se limiter à la présence constante d'un salarié dans les vestiaires mais dépend de l'intégration à une équipe, laquelle apparaît relever de considérations toutes autres que celles relatives à la condition féminine.

En tout état de cause, il n'est pas établi objectivement que le fait qu'o. BE. soit une femme aurait été un frein à la bonne exécution de son contrat de travail, quand bien ses fonctions auraient dû évoluer au regard de la restructuration alléguée.

Il s'ensuit que le remplacement d'une femme par un homme au poste litigieux ne peut être considéré comme indispensable à la protection des intérêts de l'entreprise, ni proportionné, compte tenu de l'emploi occupé et du travail demandé, au but recherché.

En conséquence, la discrimination dont la demanderesse a fait l'objet dans le cadre de son licenciement apparaît illicite et confère à cette mesure un caractère abusif.

o. BE., quand bien même son ancienneté n'était pas encore de deux années au moment de la rupture, a subi un préjudice moral considérable lié :

* à l'injustice du traitement dont elle a fait l'objet, lequel changera immanquablement à son jeune âge sa conception du monde actuel du travail ainsi que de l'égalité des chances entre hommes et femmes, et pourra constituer un frein à son évolution ou épanouissement professionnel,

* à la déception importante inhérente à la perte d'un emploi pour lequel elle s'était particulièrement investie et avait apporté entière satisfaction, ainsi que le reconnaît l'employeur,

* aux difficultés rencontrées dans la recherche d'un nouvel emploi et à l'incertitude de retrouver un travail équivalent à celui dont elle disposait.

À cet égard, la demanderesse a été placée en arrêt maladie du 26 juin au 13 août 2006, alors que son médecin traitant a relevé le 4 juillet 2006 l'existence d'un état dépressif important nécessitant des soins médicaux.

De plus, la perte de revenus liée à la privation injustifiée de son emploi est également établie par les différentes pièces versées aux débats (prise en charge par l'ASSEDIC en novembre et décembre 2006).

En conséquence, compte de l'ensemble de ces éléments, le Tribunal estime à la somme de 100.000 euros le montant des dommages et intérêts qui doivent alloués à o. BE. en réparation des préjudices subis.

Enfin, la SAM AS MONACO FOOTBALL CLUB, qui succombe, doit supporter les dépens.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré,

Rejette le moyen d'irrecevabilité soulevé par la société anonyme monégasque dénommée AS MONACO FOOTBALL CLUB ;

Déboute o. BE. de ses demandes en paiement d'heures supplémentaires et en remboursement de frais ;

Dit que le licenciement d'o. BE. par la société anonyme monégasque dénommée AS MONACO FOOTBALL CLUB revêt un caractère abusif ;

Condamne, en conséquence, la société anonyme monégasque dénommée AS MONACO FOOTBALL CLUB à payer à o. BE. la somme de 100.000 euros, (cent mille euros), à titre de dommages et intérêts ;

Condamne la société anonyme monégasque dénommée AS MONACO FOOTBALL CLUB aux dépens.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 12076
Date de la décision : 28/05/2009

Analyses

Rupture du contrat de travail ; Contentieux (Social) ; Responsabilité de l'employeur ; Droit des personnes


Parties
Demandeurs : o. BE.
Défendeurs : la SAM AS MONACO FOOTBALL CLUB

Références :

ordonnance du 12 février 1998
article 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946
article 2-1 de la loi n° 739 du 16 mars 1963
article 6 de la Loi n° 729 du 16 mars 1963
ordonnance n° 408 du 15 février 2006
article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968
ordonnance n° 13.330 du 12 février 1998


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2009-05-28;12076 ?

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