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18/05/2006 | MONACO | N°6191

Monaco | Tribunal du travail, 18 mai 2006, v. BO. c/ h. ST.


Abstract

Promesse d'embauche - Différence avec la simple déclaration d'intention - Inexécution - Compétence du Tribunal du travail - Dommages et intérêts (oui)

Résumé

L'inéxécution d'une promesse d'embauche engage la responsabilité délictuelle de son auteur.

Une candidate à l'embauche en qualité d'assistante personnelle, ayant fait acte de candidature auprès de l'éventuel futur employeur auteur de l'offre, avait été convoquée par ce dernier et verbalement informée de son engagement. Elle avait reçu, par fax, quelques jours après l'entretien, un

document intitulé « lettre d'intention d'embauche » comportant des indications relatives à l...

Abstract

Promesse d'embauche - Différence avec la simple déclaration d'intention - Inexécution - Compétence du Tribunal du travail - Dommages et intérêts (oui)

Résumé

L'inéxécution d'une promesse d'embauche engage la responsabilité délictuelle de son auteur.

Une candidate à l'embauche en qualité d'assistante personnelle, ayant fait acte de candidature auprès de l'éventuel futur employeur auteur de l'offre, avait été convoquée par ce dernier et verbalement informée de son engagement. Elle avait reçu, par fax, quelques jours après l'entretien, un document intitulé « lettre d'intention d'embauche » comportant des indications relatives à la nature et au lieu de l'emploi, à la rémunération mensuelle, la durée de la période d'essai et la date d'embauche. Restée ensuite sans nouvelles de son interlocuteur qu'elle tenait pour son employeur, elle avait fait citer celui-ci devant le Tribunal du Travail en sollicitant des dommages et intérêts représentant le manque à gagner correspondant aux salaires qui auraient dû lui être versés ainsi que son préjudice matériel et moral. L'auteur de l'offre soutenait, quant à lui, que ce différend ne relevait pas de la compétence d'attribution du tribunal du travail telle que déterminée par l'article 1er de la loi n° 446 et qu'en toute hypothèse, en l'absence de la moindre prestation, la lettre d'intention litigieuse ne constituait pas un contrat de travail. Il ajoutait que l'inexécution de l'intention d'embauchage résultait du refus des autorités monégasques de lui délivrer un titre de séjour.

Le Tribunal du Travail rappelle tout d'abord le principe posé par la jurisprudence suivant lequel une offre d'emploi, lorsqu'elle est ferme, précise, complète et adressée à une personne nommément désignée constitue une promesse d'embauche et non une simple déclaration d'intention. En l'espèce, la lettre litigieuse qui contenait l'énonciation des éléments essentiels du contrat, et n'était ni conditionnelle, ni hypothétique, ne constituait pas, nonobstant son intitulé, une simple déclaration d'intention, mais bien une promesse formelle d'engagement. En revanche, à défaut de commencement d'exécution ou de manifestation du pouvoir de direction, l'existence d'un contrat de travail n'était pas démontrée. La non réalisation d'une promesse d'embauche, lorsqu'elle n'est pas justifiée, engage cependant la responsabilité délictuelle de son auteur. En l'occurrence, le non-respect de cet engagement incombait à la négligence de son auteur qui n'avait pas communiqué aux services compétents les pièces nécessaires à l'instruction de sa demande de titre de séjour. Le Tribunal du Travail, en considération du préjudice financier constitué par la perte de salaire convenu et la nécessité d'effectuer des emprunts onéreux pour assure sa subsistance, alloue à la demanderesse la somme de 10.000 €.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 27 juillet 2005, reçue le 29 juillet 2005 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 8 novembre 2005 ;

Vu les conclusions déposées par Mademoiselle v. BO., en personne, en date des 15 décembre 2005 et 26 janvier 2006 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de Monsieur h. ST., en date du 12 janvier 2006 ;

Ouï Mademoiselle v. BO., en personne, en ses observations et explications ;

Ouï Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Monsieur h. ST., en sa plaidoirie ;

Vu les pièces du dossier ;

Selon procès-verbal de non-conciliation en date du 7 novembre 2005, v. BO. a attrait h. ST. devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, à l'effet d'obtenir la condamnation de ce dernier au paiement des sommes suivantes :

* 10.625,00 €, représentant le montant des salaires qu'elle estime lui être dus depuis le 23 mai 2005,

* 21.250,00 €, à titre de dommages et intérêts.

À l'audience fixée par les convocations les parties ont régulièrement comparu.

Puis, après trois renvois intervenus à leur demande, l'affaire a été contradictoirement débattue au cours de l'audience du 23 mars 2006, à l'issue de laquelle le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 18 mai 2006.

v. BO. expose, à l'appui de ses prétentions, qu'ayant appris par un cadre de l'hôtel FAIRMONT MONTE CARLO que h. ST. recherchait au plus vite une assistante personnelle, elle a immédiatement fait acte de candidature.

Qu'ensuite de cette candidature elle s'est vue convoquer le jour même à un entretien, à l'issue duquel, suite à l'accord verbal intervenu entre les parties relativement aux principales conditions du contrat, h. ST. l'a verbalement informée de son intention de l'engager aussi vite que possible.

Que son engagement lui a été confirmé par écrit dès le 14 mai 2005 par l'envoi par fax d'un document daté du 13 mai 2005 intitulé « lettre d'intention d'embauche ».

Que nonobstant ses relances téléphoniques et épistolaires, h. ST. ne s'est plus manifesté auprès d'elle depuis le 14 mai 2005.

Soutenant d'une part que le document daté du 13 mai 2005 s'analyse en droit en un contrat de travail dans la mesure où il comporte les indications relatives :

* à la nature de l'emploi,

* au lieu de travail,

* à la rémunération mensuelle convenue,

* à la durée de la période d'essai,

* à la date d'embauche,

* « au cadre juridique » retenu,

et d'autre part que dès le 12 mai 2005 h. ST. s'est comporté à son égard comme un véritable employeur faisant usage de son lien de subordination, v. BO. sollicite en premier lieu de la présente juridiction qu'elle constate l'existence du contrat de travail à durée indéterminée la liant à compter du 23 mai 2005 à h. ST.

Estimant par ailleurs qu'en n'exécutant pas loyalement les « obligations mises à sa charge dans la promesse d'embauche ayant valeur de contrat de travail à durée indéterminée », et en ne répondant à aucune de ses demandes téléphoniques et écrites, h. ST. a commis une faute dont il lui appartient, en application des dispositions des articles 1001 et 1229 du Code Civil, de réparer les conséquences, v. BO. réclame l'allocation à son profit, dans le dernier état de ses écritures judiciaires, des sommes suivantes :

* 16.875,00 €, représentant le montant de son manque à gagner, correspondant aux salaires qui auraient dû lui être versés pour la période du 23 mai au 15 décembre 2005,

* 10.625,00 €, représentant le montant de son préjudice matériel et moral.

Elle fait valoir à cet effet :

* que tenue par les liens du contrat de travail à durée indéterminée conclu avec h. ST. elle a cessé de procéder à de nouvelles recherches d'emploi et a été contrainte de refuser de donner suite aux propositions qui lui avaient été faites,

* qu'elle a été dans l'obligation pour assurer sa survie financière de contracter des emprunts dont les taux d'intérêt s'avèrent très élevés,

* que l'état de stress permanent dans lequel elle se trouve depuis de nombreux mois a engendré des répercussions importantes sur sa santé.

*

Soutenant pour sa part, à titre principal, que le différend l'opposant à v. BO. ne relève pas de la compétence d'attribution du Tribunal du Travail, telle qu'elle est déterminée par les dispositions de l'article 1er de la loi n° 446, h. ST. demande à la présente juridiction de se déclarer incompétente.

Il fait valoir, à cet effet, qu'il n'a jamais eu le statut d'employeur en Principauté de Monaco, à défaut d'avoir obtenu les autorisations requises à cette fin par la réglementation monégasque.

Qu'en tout état de cause, en l'absence de réalisation par v. BO. de la moindre prestation à son profit, la lettre d'intention litigieuse ne constitue pas un contrat de travail.

Invité par le Tribunal à s'exprimer immédiatement sur le fond du litige, h. ST. a conclu oralement au débouté des demandes formées à son encontre pour les motifs suivants :

* le document daté du 13 mai 2005 ne peut s'analyser en droit, en l'absence de tout commencement d'exécution, que comme une lettre d'intention d'embauche,

* la non réalisation de cette intention d'embauchage ne lui est pas imputable, puisqu'elle résulte du refus des autorités monégasques de lui délivrer un titre de séjour,

* ce refus l'a contraint à résilier son bail et à quitter la Principauté le 16 ou le 17 mai 2005.

v. BO. réplique quant à elle à ces divers arguments :

* S'agissant de l'exception d'incompétence

Qu'à partir du moment où le présent litige est relatif à l'exécution d'un contrat de travail à durée indéterminée ayant au surplus reçu un commencement d'exécution dès le 12 mai 2005, le Tribunal du Travail est compétent.

Que par ailleurs et en tout état de cause les litiges nés de la non exécution d'une promesse d'embauche relèvent également de la compétence de cette juridiction.

* S'agissant du bien fondé de ses demandes

Dès lors qu'il résulte de la pièce produite à cet effet que le défaut d'obtention de la carte de séjour dont se prévaut h. ST. est imputable à la carence de l'intéressé qui n'a pas fourni aux services compétents les éléments nécessaires à l'instruction de son dossier, ce dernier ne peut valablement s'en prévaloir.

SUR CE,

1) Sur l'exception d'incompétence

Il est constant en droit qu'une offre d'emploi, lorsqu'elle est ferme, précise, complète et adressée à une personne nommément désignée constitue une promesse d'embauche et non une simple déclaration d'intention (Tribunal du Travail : CH. c/ SCS PONTI et Cie –28 septembre 2000).

En l'espèce, il résulte du document en date du 13 mai 2005, adressé par fax le 14 mai 2005 par h. ST. à v. BO., que ce dernier s'est engagé à embaucher v. BO. :

* en qualité d'assistante personnelle,

* dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée assorti d'une période d'essai de quatre semaines,

* à compter du lundi 23 mai 2005,

* moyennant paiement d'un salaire net mensuel de 2.500 € hors heures supplémentaires.

À partir du moment où d'une part elle contient l'énonciation des éléments essentiels du contrat de travail et où d'autre part elle n'est ni conditionnelle ni hypothétique, h. ST. ayant seulement précisé que le poste ferait l'objet d'une régularisation officielle dès que possible auprès des services gouvernementaux monégasques conformément aux lois en vigueur en Principauté de Monaco, la lettre susvisée ne constitue pas, nonobstant l'intitulé choisi par son rédacteur, une simple déclaration d'intention, mais une promesse formelle d'engagement.

v. BO. ne justifiant pas d'une part avoir accompli la moindre diligence concrète au profit de h. ST. et n'établissant pas davantage d'autre part que l'intéressé se soit comporté dès le 12 mai 2005 comme un véritable employeur en faisant usage à son égard de son pouvoir de direction, les affirmations en ce sens contenues dans ses conclusions n'étant corroborées par aucune pièce probante, l'existence d'un contrat de travail la liant depuis le 12 mai 2005 à h. ST. n'est en revanche pas démontrée.

Le litige né de la non exécution d'une promesse d'embauche relevant, dès lors qu'il s'agit là d'un différend s'élevant à l'occasion du contrat de travail, de la compétence d'attribution du Tribunal du Travail, telle qu'elle est définie par l'article 1er de la loi n° 446, l'exception d'incompétence soulevée par h. ST. n'est pas fondée et doit être par suite rejetée.

2) Sur le bien fondé des demandes formulées par v. BO. à l'encontre de h. ST.

La non réalisation d'une promesse d'embauche, lorsqu'elle n'est pas justifiée, engage, selon une jurisprudence constante, la responsabilité délictuelle de l'employeur.

Si h. ST. prétend certes en l'espèce que le refus de lui délivrer un titre de séjour que lui ont opposé les autorités monégasques constituerait un motif valable justifiant qu'il n'ait donné aucune suite à la promesse d'embauche faite à v. BO., force est de constater toutefois que cet argument ne résiste pas à l'examen.

Qu'il ressort en effet très clairement des termes de la correspondance en date du 20 mars 2006 émanant du Conseiller de gouvernement pour l'Intérieur que l'absence de délivrance à h. ST. d'une carte de séjour est la conséquence du défaut de communication par l'intéressé aux services compétents des pièces nécessaires à l'instruction de sa demande.

Le non respect par h. ST. de la promesse d'embauche faite à v. BO. ne résultant pas ainsi d'une cause extérieure à la personne de l'employeur mais de la propre négligence de ce dernier, v. BO. est fondée à obtenir réparation par h. ST. du préjudice qu'elle a subi.

En ne répondant ni aux multiples appels téléphoniques ni à la correspondance que lui a adressée en désespoir de cause le 23 juin 2005 v. BO., aux termes de laquelle elle l'invitait à la fixer sur ses intentions, h. ST. a plongé en premier lieu cette dernière dans un état de détresse psychologique persistant nécessitant la prescription par le Docteur PU. les 28 septembre 2005 et 18 janvier 2006 d'un médicament anxiolytique (LYSANXIA 10).

Le non respect par h. ST. de son engagement a par ailleurs causé à v. BO. un préjudice financier constitué par la perte du salaire non négligeable convenu et la nécessité corrélative dans laquelle elle s'est trouvée d'effectuer des emprunts pour assurer sa subsistance.

Si cette dernière soutient certes en outre avoir été, du fait du comportement d'h. ST., contrainte de refuser plusieurs emplois qui lui auraient été proposés postérieurement au 14 mai 2005, l'affirmation en ce sens contenue dans ses écritures n'est toutefois justifiée par aucune pièce probante.

Dès lors en effet qu'il ne relate pas des faits qu'il a personnellement constatés, mais rapporte seulement les dires de v. BO., le témoignage de Monsieur CA. s'avère dépourvu de tout effet.

Au vu de ces divers éléments, le préjudice subi par v. BO., ensuite du non respect par h. ST. de sa promesse d'embauche, sera équitablement réparé par l'allocation à son profit toutes causes confondues de la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré.

Rejette l'exception d'incompétence soulevée par h. ST.

Dit que le document en date du 13 mai 2005, transmis par fax le 14 mai 2005 par h. ST. à v. BO., s'analyse en droit en une promesse d'embauche.

Dit que la non réalisation de cette promesse d'embauche est imputable à h. ST. et ouvre droit pour v. BO. à l'allocation de dommages et intérêts.

Condamne h. ST. à verser à v. BO. la somme de 10.000,00 € (dix mille euros), toutes causes de préjudice confondues, à titre de dommages et intérêts.

Condamne h. ST. aux dépens.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6191
Date de la décision : 18/05/2006

Analyses

Contrat - Inexécution ; Contrats de travail


Parties
Demandeurs : v. BO.
Défendeurs : h. ST.

Références :

articles 1001 et 1229 du Code Civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2006-05-18;6191 ?

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