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07/04/2005 | MONACO | N°6126

Monaco | Tribunal du travail, 7 avril 2005, p. CA. c/ la SA BANQUE U.B.S.


Abstract

Action en paiement d'une prime de rendement annuelle engagée par un salarié individuellement - Action identique engagée par une pluralité de salariés - Conditions d'application de la loi n°473 du 4 mars 1967 - Qualité des parties et objet de la contestation - Nécessité d'une collectivité de salariés demandeurs - Demande tendant à titre principal à la reconnaissance de droits bénéficiant à l'ensemble des travailleurs - Conditions non réunies

Résumé

Un cadre de banque engage, contre son employeur, une action en paiement d'une prime de rendement, p

erçue depuis plusieurs années, unilatéralement et brutalement renommée « bonus », do...

Abstract

Action en paiement d'une prime de rendement annuelle engagée par un salarié individuellement - Action identique engagée par une pluralité de salariés - Conditions d'application de la loi n°473 du 4 mars 1967 - Qualité des parties et objet de la contestation - Nécessité d'une collectivité de salariés demandeurs - Demande tendant à titre principal à la reconnaissance de droits bénéficiant à l'ensemble des travailleurs - Conditions non réunies

Résumé

Un cadre de banque engage, contre son employeur, une action en paiement d'une prime de rendement, perçue depuis plusieurs années, unilatéralement et brutalement renommée « bonus », dont le mode de calcul s'avérait pour lui moins avantageux. Selon le demandeur, la prime litigieuse n'est pas une gratification destinée à récompenser un effort particulier, ni un intéressement aux résultats obtenus mais un accessoire de sa rémunération récompensant la fidélité du salarié ainsi que son engagement et son expérience.

Parallèlement, 7 autres salariés de la même banque formulent la même demande dans le contexte d'une autre action, devant le même tribunal du travail.

L'employeur soulève l'incompétence du tribunal du travail, estimant que l'action introduite relève du champ d'application de la loi n°473 du 4 mars 1948, par les intérêts collectifs qu'elle concerne, engageant l'ensemble des salariés et même la profession bancaire en général.

Le Tribunal du travail rappelle d'abord les conditions pour qu'un litige revête un aspect collectif, (qualité des parties et objet de la contestation) et, se référant à la définition donnée par la cour de Révision le 5 octobre 1990 (aff. T.H.F.I.M c/ P, R, R, F), selon laquelle un conflit du travail n'est collectif que s'il est intenté par une collectivité de salariés. Il n'en est pas ainsi « lorsque plusieurs salariés intentent individuellement des actions tendant à la reconnaissance de droits analogues ». Puis, il constate que l'action introduite par le demandeur demeure individuelle et ceci d'autant plus que le salarié n'a pas manifesté son intention de faire trancher le litige sur un plan collectif et dans l'intérêt commun.

En conséquence, l'exception d'incompétence soulevée n'est pas fondée et doit être rejetée. Sur le fond, le litige sera évoqué ultérieurement, après que la banque qui n'a pas conclu sur la question de la prime, ait fait valoir ses observations.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 30 avril 2003, reçue le 5 mai 2003 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 20 mai 2003 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de Monsieur p. CA., en date des 9 octobre 2003 et 8 juillet 2004 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de la SA BANQUE U.B.S. (MONACO), en date des 26 février 2004, 21 octobre 2004 et 20 janvier 2005 ;

Après avoir entendu Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Monsieur p. CA., et Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la SA BANQUE U.B.S. (MONACO), en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

Employé par la SA BANQUE U.B.S. (MONACO) depuis l'année 1976, p. CA., qui occupe actuellement les fonctions de collaborateur back office statut cadre classe 5 au sein de cet établissement, a attrait, ensuite d'un procès-verbal de défaut en date du 19 mai 2003, son employeur devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail à l'effet :

* de voir dire et juger qu'il est en droit de prétendre au versement d'une prime de rendement annuelle qui constitue une partie intégrante de sa rémunération et dont le montant est au minimum égal à la prime de rendement perçue pour l'année 1998, et ce avec toutes conséquences de droit, notamment au niveau des congés payés, à compter de l'année 1999 et déclarations auprès des organismes sociaux,

* d'obtenir la condamnation de la SA BANQUE U.B.S. (MONACO), sous le bénéfice de l'exécution provisoire au paiement de la somme de 15.988,95 €, outre intérêts au taux légal, correspondant au différentiel existant entre le montant des primes de rendement effectivement versées par cette dernière pour les années 1999, 2000, 2001 et 2002 (9.622,45 euros) et le montant de celles qui auraient dû lui être payées sur la base fixe de la prime réglée pour l'année 2000 ( 25.611,40 euros).

À l'audience fixée par les convocations les parties ont toutes deux régulièrement comparu.

Puis, après onze renvois intervenus à la demande des avocats l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 24 février 2005, à l'issue de laquelle le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 7 avril 2005.

p. CA. expose que depuis l'origine de son activité ou en tout cas depuis 1976 l'U.B.S. verse à l'ensemble de ses salariés une prime habituelle de rendement.

Qu'au cours du mois d'octobre 2001, dans le cadre d'une politique de groupe imposée par la société Mère, la SA BANQUE U.B.S. SUISSE, la SA BANQUE U.B.S. (MONACO) a unilatéralement décidé de requalifier cette prime de rendement en un bonus, dont le nouveau mode de calcul, totalement aléatoire, a conduit à attribuer à certains salariés une prime inférieure à celle dont ils avaient bénéficié l'année précédente.

Qu'il a pour sa part contesté, comme d'autres salariés, cette décision unilatérale dès lors qu'elle remettait en question le montant minimal de la rémunération à laquelle il était en droit de prétendre.

Que devant le refus de la banque de revenir sur sa décision il s'est vu dans l'obligation, après l'avoir officiellement mise en demeure d'avoir à rétablir à son bénéfice les droits dont il disposait auparavant, d'introduire la présente procédure.

p. CA. soutient à l'appui de ses prétentions, que la prime de rendement, dont le montant s'avérait au moins égal à celui réglé l'année précédente, versée de façon systématique et régulière chaque année par la SA BANQUE U.B.S. (MONACO) à l'ensemble de ses salariés, quel que soit leur poste de travail, ne s'analyse en droit ni en une gratification exceptionnelle destinée à récompenser un effort particulier, ni en un intéressement aux résultats obtenus par l'entreprise mais constitue au contraire, en ce qu'elle était destinée à récompenser la fidélité d'un salarié à l'entreprise ainsi que son engagement et son expérience, une partie intégrante de sa rémunération.

Que par suite la SA BANQUE U.B.S. (MONACO) ne pouvait unilatéralement, sans consultation préalable et donc sans l'accord des salariés concernés, ni décider de requalifier la prime de rendement en un « bonus », ni encore moins diminuer son montant par rapport au minimum garanti qui est le montant de l'année précédente.

Qu'il est par suite fondé à obtenir paiement par son employeur du différentiel existant entre le montant des primes de rendement effectivement servies par la SA BANQUE U.B.S. au cours des années 1999 à 2002 et le montant de celles qui auraient dû lui être payées sur la base fixe de la prime versée pour l'année 2000.

Estimant pour sa part que l'action exercée individuellement à son encontre par p. CA., parallèlement à celle introduite séparément sur les mêmes fondements par Mesdames et Messieurs AM., CAV., CO., DE PO., RE., OL. et RA., en ce qu'elle engage indirectement l'ensemble des salariés de la banque U.B.S. et même la profession bancaire en général, atteint en réalité des intérêts collectifs et relève dès lors du champ d'application de la loi n° 473 du 4 mars 1948, la SA BANQUE U.B.S. (MONACO) demande à la présente juridiction :

* à titre principal de se déclarer incompétente pour en connaître avec toutes conséquences de droit,

* à titre subsidiaire, si elle estimait néanmoins devoir retenir sa compétence, de lui donner acte de ce qu'elle se réserve le droit de conclure plus amplement sur le fond.

Elle invoque à ces diverses fins les moyens suivants :

* l'action introduite par p. CA. n'est pas isolée puisque dans le même temps sept autres salariés de la banque, ayant tous le même conseil, ont porté devant le Tribunal du Travail des demandes identiques sur les mêmes fondements, au moyen de conclusions identiques reproduites dans chaque procédure,

* dès lors que le bonus que le salarié demandeur entend voir qualifier d'élément du salaire est servi par la banque à tous les agents présents au jour du versement, sans distinction entre ceux qui n'en ont aucune mention dans leur contrat de travail et ceux pour lesquels le principe d'un bonus annuel y est évoqué, la présente action atteint des intérêts collectifs,

* la démarche de p. CA. visant à conférer le caractère de salaire à ce bonus aura nécessairement des incidences sur les boni versés à l'ensemble des salariés de la place, puisqu'elle incitera toutes les banques à mettre fin à de telles pratiques ou tout au moins à en limiter le volume ainsi qu'à en priver tout nouveau salarié afin de ne pas se voir un jour opposer un précédent sur un élément non contractuel. Examinée sous cette angle elle touche ainsi de manière significative les intérêts de toute une profession.

p. CA. réplique en premier lieu à cette argumentation que les conditions permettant l'introduction d'une procédure de conflit collectif de travail prévues par l'article 2 de la loi n° 473 ne sont nullement réunies en l'espèce.

Qu'en effet les salariés qui ont individuellement saisi le Tribunal du Travail ne représentent ni la majorité des salariés de l'entreprise ni la majorité des délégués du personnel.

Il fait valoir par ailleurs :

* que le fait qu'un salarié agisse en justice afin d'obtenir le paiement par son employeur d'une prime versée de manière générale à l'ensemble du personnel présent au sein de l'entreprise ne suffit pas à conférer à son action le caractère de conflit collectif du travail,

* qu'une décision de justice, compte tenu de son effet relatif, ne s'applique qu'entre les parties à l'action, ni la Principauté de Monaco ni la France ne reconnaissant la pratique des jugements ou arrêts de règlement ayant une valeur normative pour les tiers,

* que la circonstance que plusieurs salariés de la même entreprise présentent une réclamation similaire au Tribunal du Travail ne permet pas de les ériger en collectivité, quand bien même auraient ils confié la défense de leurs intérêts au même avocat-défenseur, et encore moins en syndicat ouvrier, étant rappelé, en tant que de besoin, nul ne plaidant par procureur, que les salariés demandeurs ne peuvent valablement « représenter » de manière virtuelle le reste du personnel de l'entreprise,

* que par suite la demande présentée par ses soins tendant à obtenir le paiement d'une prime dans son intégralité, qui constitue une partie intégrante de son salaire, laquelle lui est personnellement due, constitue un conflit individuel du travail relevant de la compétence d'attribution de la présente juridiction, peu important par ailleurs que d'autres salariés se trouvant dans la même situation et qui constituent une minorité des salariés de l'entreprise aient également engagé une procédure similaire.

SUR CE,

Pour qu'un litige revête le caractère d'un conflit collectif du travail, régi par la loi n° 473 du 4 mars 1967, deux conditions doivent être cumulativement remplies :

* la première, d'ordre objectif, tenant à la qualité des parties,

* la seconde, d'ordre subjectif, se rapportant à l'objet de la contestation.

S'agissant du premier critère, tenant à la qualité des parties, il est de principe, selon la définition donnée par la Cour de Révision le 5 octobre 1990 dans les affaires TRUSTS HOUSES FORTE INTERNATIONAL MANAGEMENT LIMITED contre PI., RE., RE., FA., qu'un conflit du travail n'est collectif que s'il est intenté par une collectivité de salariés.

Qu'il n'en est pas ainsi, selon la Haute juridiction, lorsque « plusieurs salariés intentent individuellement des actions tendant à la reconnaissance de droits analogues ».

Dans ces conditions, l'action visant à voir reconnaître à une prime le caractère d'un élément du salaire et à obtenir par suite paiement de diverses sommes lui restant dues à ce titre dirigée par p. CA. à l'encontre de la SA BANQUE U.B.S. (MONACO), son employeur, demeure l'objet d'un différend individuel, même si elle s'accompagne, dans le cadre d'autres instances conduites parallèlement, de revendications de même nature, formulées sur les mêmes fondements juridiques, dans des conclusions identiques, par six autres travailleurs, ayant fait choix d'un seul et même conseil.

S'agissant du second critère tenant à l'objet de la contestation habituellement retenu par la jurisprudence, pour qu'un litige revête le caractère de conflit collectif du travail, il est nécessaire que la demande tende à titre principal à faire reconnaître des droits bénéficiant à l'ensemble des travailleurs (TPI : dame FU. c/ Dame DI RO. – 24 juin 1976).

Le salarié doit donc, en d'autres termes, avoir manifesté son intention sous une forme quelconque de faire trancher sur un plan collectif et dans l'intérêt commun le différend qui l'oppose à son employeur.

Dès lors en l'espèce, en l'absence de volonté exprimée en ce sens par le salarié, que ni le caractère de généralité, expressément reconnu par l'employeur lui même, au versement de la prime litigieuse, ni la portée générale que revêt incontestablement la question soulevée, ni même les répercussions que la décision à intervenir est susceptible d'entraîner pour les autres salariés de l'établissement, voire pour ceux de toute la place bancaire, ne sauraient suffire à conférer à la contestation individuelle de p. CA. ainsi portée devant le Tribunal du Travail par la voie d'une action personnelle le caractère collectif qui lui est prêté par la SA BANQUE U.B.S. (MONACO), l'exception d'incompétence soulevée par cette dernière n'est en définitive pas fondée et ne pourra dans ces conditions qu'être rejetée.

La partie défenderesse ne s'étant à ce jour exprimée que sur la compétence rationae materiae de la présente juridiction cette dernière n'est pas en mesure de rendre dès à présent une décision sur le fond du litige.

Il convient donc, dans le souci d'une bonne administration de la justice et afin de respecter le principe du contradictoire, de surseoir à statuer sur l'ensemble des demandes formées par p. CA. à l'encontre de la SA BANQUE U.B.S. (MONACO), en renvoyant cette dernière à conclure sur ces différents points pour l'audience du 2 juin 2005.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, par jugement non susceptible d'appel immédiat, conformément aux dispositions des articles 423 du Code de procédure civile et 49 de la loi n° 446 du 16 mai 1946.

Dit que le différend faisant l'objet du présent jugement opposant p. CA. à la SA BANQUE U.B.S. (MONACO) constitue un conflit individuel relevant de la compétence d'attribution du Tribunal du Travail.

Rejette en conséquence l'exception d'incompétence soulevée par la SA BANQUE U.B.S. (MONACO).

Surseoit à statuer sur l'intégralité des demandes formées par p. CA. à l'encontre de la SA BANQUE U.B.S. (MONACO).

Renvoie la SA BANQUE U.B.S. (MONACO) à conclure sur le fond du litige l'opposant à p. CA., pour l'audience du 2 JUIN 2005.

Réserve les dépens.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6126
Date de la décision : 07/04/2005

Analyses

Contrats de travail ; Relations collectives du travail


Parties
Demandeurs : p. CA.
Défendeurs : la SA BANQUE U.B.S.

Références :

loi n° 446 du 16 mai 1946
articles 423 du Code de procédure civile
loi n°473 du 4 mars 1967
loi n°473 du 4 mars 1948


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2005-04-07;6126 ?

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