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20/01/2005 | MONACO | N°6157

Monaco | Tribunal du travail, 20 janvier 2005, m MA c/ la SAM SAMIPA


Abstract

Convention collective applicable - Licenciement économique -Définition -Charge de la preuve de la réalité et de la validité du motif

Résumé

Dès lors qu'il ne résulte pas des pièces de dossier que les parties ont entendu soumettre leurs relations à une Convention collective française, les dispositions de cet accord collectif étranger ne leur sont pas applicables. Dès lors que sous le couvert d'un licenciement économique collectif, l'employeur a entendu modifier le mode de gestion de son personnel en substituant, à des emplois s'exerçant en CDI conf

iés à des salariés disposant d'une importante ancienneté, le recours systématique ...

Abstract

Convention collective applicable - Licenciement économique -Définition -Charge de la preuve de la réalité et de la validité du motif

Résumé

Dès lors qu'il ne résulte pas des pièces de dossier que les parties ont entendu soumettre leurs relations à une Convention collective française, les dispositions de cet accord collectif étranger ne leur sont pas applicables. Dès lors que sous le couvert d'un licenciement économique collectif, l'employeur a entendu modifier le mode de gestion de son personnel en substituant, à des emplois s'exerçant en CDI confiés à des salariés disposant d'une importante ancienneté, le recours systématique aux CDD et aux intermittents du spectacle, le motif invoqué n'est pas avéré.

Un monteur vidéo licencié pour motif économique, contestant le bien- fondé de la rupture, fait citer son employeur devant le Tribunal du Travail afin, sur le fondement d'un usage et d'une convention collective française, d'obtenir paiement d'indemnités de rupture, notamment un complément conventionnel d'indemnité de congédiement, et des dommages intérêts. Il soutient que les difficultés économiques alléguées ne peuvent justifier les licenciements intervenus, ce que conteste la société SAMIPA qui prétend que la dégradation de la situation financière était susceptible de remettre en cause la continuité de l'exploitation.

Le Tribunal du Travail constate tout d'abord que l'usage, pratique constante générale et fixe, n'est pas démontré à partir d'un seul exemple de salarié bénéficiaire de ses dispositions. Quant à l'application de la convention Collective française revendiquée, celle-ci n'est pas d'avantage exigible, les pièces versées aux débats n'établissant pas que les parties aient entendu s'y soumettre. Le motif du licenciement économique ensuite analysé, fait apparaître que si les documents comptables produits révèlent une dégradation de la situation financière de l'entreprise, les incohérences voire anomalies de certains postes du bilan, les augmentations de rémunération de certains salariés, des dispenses de préavis contraires au plan présenté aux délégués du personnel, démontrent que les difficultés financières alléguées ne sont pas avérées. Il apparait que, sous le couvert d'un licenciement économique collectif, l'employeur qui ne justifie pas avoir procédé à la suppression des postes concernés, a, en réalité, voulu modifier le mode de gestion de son personnel technique, en substituant à des emplois s'exerçant dans le cadre de contrats à durée indéterminée confiés à des salariés disposant d'une importante ancienneté, le recours systématique aux contrats à durée déterminée et aux intermittents du spectacle. Dès lors, le motif invoqué à l'appui de la rupture du contrat de travail du salarié n'est pas avéré. Le licenciement est, en outre, abusif, dès lors que les informations légales n'ont pas été fournies aux délégués du personnel dont les suggestions antérieures étaient restées sans suite et que la société SAMIPA n'a pas appliqué les dispositions de l'avenant n° 12 du 26 mars 1970 à la Convention Collective Nationale de Travail prescrivant notamment, par des mesures concrètes, de s'efforcer de réduire le nombre des licenciements. Une somme de 24.000 € est allouée à titre de dommages et intérêts.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 15 octobre 2002, reçue le 17 octobre 2002 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 26 novembre 2002 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur m MA, en date des 6 février 2003 et 1er avril 2004 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de la SAM SAMIPA, en date des 12 juin 2003 et 21 octobre 2004 ;

Après avoir entendu Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Monsieur m MA, et Maître Jérôme MOREL, avocat au barreau de Nice, au nom de la SAM SAMIPA, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauché le 13 décembre 1993 par la SAM SAMIPA en qualité de monteur vidéo, m MA a été licencié de son emploi par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 28 décembre 2001, ledit licenciement au regard de sa qualité de délégué du personnel suppléant ayant été préalablement autorisé par la commission administrative compétente le 17 décembre 2001.

Le motif de la rupture du contrat de travail de m MA, qui s'inscrit dans le cadre d'un plan de licenciement collectif pour motif économique, s'énonce, aux termes de la correspondance susvisée, comme suit :

« Cher Monsieur,

» Comme vous le savez notre société traverse une période difficile.

« Cette situation nous amène malheureusement à effectuer des » suppressions de postes. Celles-ci interviennent dans le cadre du plan de « licenciement collectif pour motif économique présenté au délégué du » personnel lors d'une réunion du 6 décembre 2001 et dont une copie du « procès-verbal est affichée dans l'entreprise.

» Nous avons le regret de vous informer de notre décision de vous « licencier pour les raisons économiques que nous vous avons exposé(es).

» Votre licenciement prend effet à réception de la présente. Votre « préavis d'une durée de deux mois, prend également effet à réception de » cette lettre. Dans ce cadre, nous vous dispensons d'effectuer celui-ci. «.

Soutenant d'une part ne pas avoir été intégralement rempli de ses droits à indemnité de congédiement et d'autre part que la mesure de licenciement dont il a fait l'objet, qui ne repose sur aucun motif économique avéré, revêt en outre un caractère manifestement abusif, m MA, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 25 novembre 2002, a attrait la SAM SAMIPA devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, à l'effet d'obtenir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire et avec intérêts de droit jusqu'à parfait paiement, l'allocation à son profit des sommes suivantes :

• 6.532,13 €, à titre de complément d'indemnité conventionnelle de congédiement,

• 10.266,13 €, à titre d'indemnité de licenciement, dont à déduire l'indemnité de congédiement non cumulable,

• 64.163,28 €, à titre de dommages et intérêts, représentant deux années de salaire.

À l'audience fixée par les convocations les parties ont régulièrement comparu.

Puis, après quatorze renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 9 décembre 2004, à l'issue de laquelle le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 20 janvier 2005.

m MA soutient en premier lieu, à l'appui de ses prétentions, qu'alors que l'usage au sein de l'entreprise, tel qu'il est établi par le bulletin de salaire de Monsieur MI pour le mois de mars 1996 dont il a obtenu la copie dans le cadre d'une procédure de compulsoire, consistait jusque-là à régler aux salariés licenciés une indemnité de congédiement calculée sur la base d'un mois de salaire par année de présence, et que la Convention Collective de référence (Convention Collective n° 3048) stipule pour sa part que le montant de ladite indemnité doit être fixé sur la base de deux tiers de mois de salaire par année de présence, l'indemnité que lui a réglée la SAM SAMIPA a été en l'espèce calculée sur » la base légale appliquée au centième près «.

Qu'il se trouve par suite fondé à réclamer paiement à son employeur à ce titre d'un complément de 6.532,13 €.

Il estime par ailleurs et surtout que le motif d'ordre économique invoqué par la SAM SAMIPA à l'appui du licenciement n'est pas avéré.

Il fait valoir en substance à cet effet qu'alors que la preuve de la réalité et de la validité du motif du licenciement incombe exclusivement à l'employeur les quelques pièces produites à cette fin aux débats par la SAMIPA, tout comme les éléments factuels invoqués par ladite société, ne sont pas suffisants pour établir l'existence des » difficultés économiques catastrophiques « qui auraient nécessité son licenciement immédiat et sans préavis.

Après avoir liminairement rappelé qu'un bilan n'est effectué qu'à partir des chiffres fournis à l'expert-comptable par les responsables de la société, il estime ainsi qu'aucun crédit ne peut être apporté aux pièces comptables versées aux débats à partir du moment où, en sus des anomalies relevées par les commissaires aux comptes, la SAMIPA a elle-même en quelques mois d'intervalle chiffré le montant de ses pertes pour l'exercice 2001 :

– à 2 millions de francs le 6 décembre 2001,

– à 11 millions de francs le 31 décembre 2001,

– à 1 millions d'euros le 7 mai 2002.

Il souligne en outre qu'à partir du moment où il résulte des organigrammes de la société que Monsieur DE RA est largement secondé et assisté par un Directeur Adjoint, un responsable du développement, un Directeur Financier, un Attaché de Direction et un Secrétaire Général, l'absence de l'intéressé pour cause de maladie pendant près d'un an n'a pu sérieusement générer l'effondrement de la société.

Il soutient enfin que les difficultés économiques alléguées ne peuvent en tout état de cause justifier les licenciements intervenus dès lors qu'il résulte des éléments recueillis par ses soins :

* que trois des collaborateurs de la SAM SAMIPA ont bénéficié, immédiatement après le départ des salariés licenciés, d'une augmentation conséquente de leur salaire,

* qu'alors que les 180 fiches de tournage obtenues par le biais de la procédure de compulsoire démontrent que l'activité de la SAM SAMIPA est demeurée pendant l'année 2002 à un niveau soutenu et qu'il y avait ainsi encore » du travail pour du personnel qualifié, trois des quatre salariés licenciés dans le cadre du plan de licenciement collectif pour motif économique (Messieurs AR, CE et MA) ont été, en contradiction totale avec les indications contenues dans le procès-verbal du 20 juin 2001, dispensés de l'exécution de leur préavis,

* que de même en proposant à ces trois salariés pendant le cours de leur préavis qu'elle les avait dispensé d'exécuter des contrats à durée déterminée ou des missions de courte durée, la SAM SAMIPA démontre d'une part que les emplois concernés n'ont pas été supprimés et d'autre part qu'elle ne rencontrait en réalité aucune difficulté sérieuse de Trésorerie puisqu'elle s'est avérée en mesure de régler à certains de ses employés deux salaires pour le même temps de travail.

Estimant en définitive que sous le couvert de prétendues difficultés financières la SAM SAMIPA a en réalité cherché à se séparer d'employés qualifiés disposant d'une importante ancienneté recrutés dans le cadre de contrat à durée indéterminée pour les remplacer par des salariés recrutés dans un cadre précaire (contrats à durée déterminée – intermittents) et qu'en conséquence le motif d'ordre économique n'est pas avéré, m MA demande à la présente juridiction de condamner la SAM SAMIPA à lui payer, au titre de l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845, la somme de 10.266,13 € se décomposant comme suit :

(2.673,47 € x 96) / 25 = 10.266,13 €

dont à déduire l'indemnité de congédiement d'ores et déjà perçue non cumulable.

Soutenant enfin qu'au regard, tant du caractère fallacieux du motif allégué que des nombreuses irrégularités constatées dans le déroulement de la procédure, le licenciement intervenu revêt un caractère abusif et ouvre droit à son profit au bénéfice des dommages et intérêts prévus par l'article 13 de la loi n° 729, m MA sollicite l'allocation, à ce titre, de la somme de 64.163,28 € représentant deux années de salaire, en réparation du préjudice, matériel et moral subi.

La SAM SAMIPA conclut quant à elle au rejet de l'intégralité des prétentions formulées à son encontre par m MA.

Elle invoque à cette fin les moyens suivants :

– la réalité du motif économique allégué, qui s'inscrit dans le cadre d'un contexte économique et financier catastrophique pour l'entreprise, est amplement démontrée par les pièces comptables (bilans 2000 - 2001) versées aux débats, desquelles il résulte,

* que la société est passée d'un résultat bénéficiaire au 31 décembre 1999 de 230.475,02 F à un résultat déficitaire au 31 décembre 2001 de 11.051.531,00 F (1.684.795 €),

* que la dégradation de la situation financière de la SAM SAMIPA était susceptible, selon les propres affirmations du commissaire aux comptes, de remettre en cause la continuité de l'exploitation,

l'érosion du marché et l'altération de l'état de santé de Monsieur DE RA, qui l'a tenu éloigné des affaires pendant près d'un an, ayant en outre fortement perturbé l'activité de l'entreprise,

– le licenciement intervenu est juridiquement fondé dès lors que le chef d'entreprise est en droit, lorsque des difficultés économiques l'y contraignent, de prendre les dispositions nécessaires pour permettre à son entreprise d'y faire face et le cas échéant d'assurer sa survie,

– la procédure préalable au licenciement a été intégralement respectée, qu'il s'agisse de l'information des délégués du personnel prévue par l'avenant n° 12 de la Convention Collective Nationale du Travail ou de la saisine, préalablement à la rupture des contrats de travail des salariés protégés, de la commission de licenciement prévue par la loi n° 459 du 19 juillet 1947,

– les propositions d'embauche sous contrat à durée déterminée faites aux salariés licenciés leur ont été présentées dans le cadre de la priorité de réembauchage qui leur est reconnue par la loi n° 629, afin de faire face à la relance de l'activité qui s'est amorcée au début de l'année 2002 au sein de l'entreprise,

– si Monsieur DE RA a certes été condamné par les juridictions correctionnelles, il est constant toutefois qu'à la date du contrôle, soit le 3 avril 2002, les dossiers d'autorisation avaient été transmis à l'administration compétente, mais se trouvaient en cours de traitement,

– l'augmentation de salaire accordée aux salariés non-licenciés se justifie par le surcroît de travail qu'ils ont dû assumer, consécutivement à la restructuration opérée,

– les prescriptions de la loi n° 629 relativement aux priorités de réembauchage et de débauchage ne s'appliquent pas lorsque le salarié nouvellement recruté est un intermittent du spectacle,

– la Convention Collective Française n° 3048 des Techniciens de la Production Cinématographique n'est pas applicable en l'espèce, seule la convention collective monégasque du travail ayant, selon les indications fournies par l'inspection du travail, vocation à régir les relations des parties.

Estimant au vu de ces divers éléments que la procédure engagée à son encontre par m MA revêt un caractère manifestement abusif, la SAM SAMIPA sollicite reconventionnellement la condamnation de son ancien salarié au paiement de la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts.

SUR CE,

Sur la demande en paiement d'un complément d'indemnité de congédiement

Pour prétendre au paiement d'une indemnité complémentaire de 6.532,13 €, m MA, qui a reçu de son employeur à titre d'indemnité de congédiement la somme de 2.379,44 € calculée conformément aux dispositions de l'article 1er de la loi n° 845 et de l'article 6 de l'avenant n° 18 à la convention collective nationale du travail, sur la base :

– d'un dixième de mois de salaire par année d'ancienneté jusqu'à dix ans d'ancienneté,

– d'un dixième de mois de salaire par année d'ancienneté plus un quinzième de mois par année au-delà de dix ans,

invoque à son profit d'une part l'existence d'un usage en vigueur au sein de l'entreprise, et d'autre part les dispositions de l'article 39 de la convention collective française n° 3048 de la production cinématographique.

Il est constant qu'un usage peut se définir en Droit social comme une pratique habituellement suivie au sein d'une entreprise prenant la forme d'un avantage supplémentaire accordé aux salariés ou à une catégorie d'entre eux par rapport à la loi, la convention collective ou le contrat de travail ;

Que toutefois, pour qu'une pratique d'entreprise acquière la valeur contraignante d'un usage dont les salariés pourront se prévaloir, il est nécessaire que ladite pratique soit à la fois constante, générale et fixe ;

S'il résulte certes des pièces produites aux débats ensuite d'une procédure de compulsoire par le salarié (bulletin de salaire édité le 1er avril 1996) que Monsieur MI, qui exerçait au sein de la SAM SAMIPA la fonction de chauffeur, a perçu lors de son départ de l'entreprise le 31 mars 1996 ensuite de son licenciement une indemnité de congédiement (qualifiée erronément d'indemnité de licenciement) représentant, pour une ancienneté de services de quatre années, quatre mois de salaire, ce seul exemple (les bulletins de paie de Mesdames EL et CA n'ayant pas été produits aux débats) n'est pas suffisant pour caractériser la constance et la généralité de l'attribution aux salariés licenciés d'une telle indemnité ;

Dès lors, par ailleurs, qu'il ne ressort d'aucune des pièces du dossier, en l'absence notamment de toute mention en ce sens dans le contrat de travail ou sur les fiches de paie du salarié concerné, que les parties aient entendu soumettre leurs relations à la Convention Collective Française n° 3048 de la Production Cinématographique, les dispositions de cet accord collectif étranger ne sont pas applicables en l'espèce (Cour de Révision du 26 mars 1998 : ED c/ IV) ;

m MA ne pouvant, en l'absence de Convention Collective Monégasque propre à l'activité exercée par la SAM SAMIPA, prétendre à une indemnité supérieure à celle que cette dernière lui a spontanément versée, ce dernier doit être en définitif débouté de sa demande de ce chef ;

Sur la validité du motif de rupture

Il est constant en l'espèce que le licenciement pour suppression de poste de m MA est intervenu (cf. lettre de notification de la rupture en date du 28 décembre 2001) dans le cadre d'un plan de licenciement collectif pour motif économique, consécutivement à la « période difficile » qu'aurait traversée la SAM SAMIPA ;

Constitue en droit un licenciement économique la rupture d'un contrat de travail effectuée par un employeur pour un ou plusieurs motifs, non inhérents à la personne du salarié, résultant d'une suppression de son emploi, consécutive notamment à des difficultés d'ordre économique ou financier ;

Si le salarié doit certes établir le caractère abusif du licenciement la charge de la preuve de la réalité et de la validité du motif incombe en revanche à l'employeur (TPI : MO c/ DE – 5 décembre 1996) ;

Il appartient donc à la SAM SAMIPA de démontrer par des éléments matériels objectifs et probants que le licenciement de m MA est fondé sur un motif non inhérent à la personne de celui-ci, résultant d'une suppression de son emploi de monteur vidéo consécutive aux mauvais résultats financiers obtenus au cours des exercices 2000 et 2001 ;

En l'espèce si les documents comptables versés à cette fin aux débats par la SAM SAMIPA (bilans – comptes de pertes et profits – rapports généraux des commissaires aux comptes sur les états financiers des exercices clos les 31 décembre 1999, 2000 et 2001) révèlent certes une dégradation de sa situation financière de cette entreprise, caractérisée notamment par les éléments suivants :

– une chute du chiffre d'affaires passant de 66.066.012 F au 31 décembre 1999 à 59.273.344 F au 31 décembre 2000 puis à 43.233.476 F au 31 décembre 2001,

– un résultat (230.475,02 F au 31 décembre 1999) devenu déficitaire à compter de l'exercice suivant à hauteur de 5.420.138 F au 31 décembre 2000, puis de 11.051.530 F au 31 décembre 2001, force est toutefois de constater qu'en l'état :

* des variations sensibles affectant les données chiffrées successivement communiquées par la SAM SAMIPA à ses salariés dans le cadre du présent litige (la perte afférente à l'exercice 2001 a été, à titre d'exemple, chiffrée par l'employeur lors de la présentation du deuxième plan à 2.000.000 de francs au lieu de 11.051.531 F),

* des incohérences, voire même des anomalies constatées, relativement à certains des postes du bilan, soit par les commissaires aux comptes, soit par la présente juridiction (importance des créances douteuses – indemnités, dont le montant apparaît au surplus important eu égard au déficit enregistré, versées à un administrateur délégué postérieurement à sa démission, réévaluation contestable du droit au bail, dont la contrepartie affecte sensiblement le montant du fonds social, etc.),

les résultats comptables susvisés doivent être analysés et interprétés avec la plus grande circonspection ;

Que par ailleurs, à partir du moment où il résulte des pièces versées aux débats par les salariés eux-mêmes, obtenues notamment grâce au recours à des procédures de compulsoire :

– que dès le 1er mars 2002 au moins trois des salariés demeurés en fonction au sein de la SAM SAMIPA se sont vu accorder par leur employeur une substantielle augmentation de leur rémunération (les salaires mensuels versés à Monsieur RO – Monsieur TA-WA et Madame DA qui s'élevaient respectivement à 2.950,40 €, 2.342,00 € et 2.134,00 € au 1er janvier 2002 ont été portés à compter du 1er mars 2002 à 3.650,00 € pour le premier, 2.705,00 € pour le second et 2.480,00 € pour le troisième),

– qu'alors qu'il avait été expressément prévu dans le premier plan de licenciement présenté le 20 juin 2001 aux délégués du personnel que les salariés concernés devraient effectuer la totalité de leur préavis dans l'entreprise, Messieurs AR, CE et MA ont été dispensés par leur employeur de l'exécution dudit préavis,

l'acuité d'une part et le caractère permanent ou à tout le moins durable d'autre part des difficultés financières alléguées par la SAM SAMIPA ne sont pas suffisamment démontrés ;

Ladite société ne peut en outre sérieusement prétendre, sans avoir cependant fourni aux débats le moindre élément quantitatif en justifiant, que l'importante réduction de son activité aurait rendu indispensable la suppression de plusieurs emplois occupés par des « salariés permanents » de l'entreprise, alors qu'il ressort des pièces communiquées par les salariés eux-mêmes (fiches de tournage – jugement rendu le 7 janvier 2003 par le Tribunal Correctionnel – propositions de contrats à durée déterminée) que le nombre de tournages à effectuer dans le courant de l'année 2002 (180 pour les seuls salariés embauchés à Monaco) a nécessité l'embauche de personnel technique (cameramen, monteurs réalisateurs) et de journalistes, dans le cadre de contrats à durée déterminée parfois renouvelés ou sous la qualification d'intermittents du spectacle, certains des salariés ( Messieurs AR – MA – CE) licenciés dans le cadre du plan de licenciement économique s'étant ainsi vu proposer, pendant le cours du préavis qu'ils avaient pourtant été dispensés d'exécuter, de travailler pour leur ancien employeur, soit sous contrats à durée déterminée soit pour des missions journalières moyennant toutefois une rémunération nettement moins favorable que celle dont ils bénéficiaient avant leur congédiement (– 30 %) ;

Par ailleurs, si l'employeur, en ce qu'il est responsable de la bonne marche de son entreprise, est certes en droit lorsque des difficultés économiques l'y contraignent de prendre les dispositions nécessaires pour permettre à son entreprise d'y faire face et le cas échéant d'assurer sa survie, en procédant à la suppression d'un ou plusieurs postes de travail, ce dernier doit cependant, lorsque ces licenciements se trouvent judiciairement contestés, établir le caractère effectif de la restructuration à laquelle il prétend avoir procédé ;

À défaut de justifier par le moindre document probant :

– du nombre exact d'emplois supprimés (la liste des salariés concernés évoquée dans les procès-verbaux des 20 juin et 6 décembre 2001 n'a pas été produite aux débats),

– des différentes catégories professionnelles concernées,

– de l'organisation de l'entreprise avant et après la mise en œuvre des licenciements,

la SAM SAMIPA ne démontre pas l'effectivité de la restructuration à laquelle elle aurait procédé au sein de ses services dans le courant du deuxième semestre 2001 ;

Dès lors qu'il apparaît ainsi en définitive que, sous le couvert d'un licenciement économique collectif, la SAM SAMIPA, qui ne justifie pas avoir procédé à la suppression des postes concernés, a en réalité simplement entendu modifier le mode de gestion de son personnel technique, en substituant à des emplois s'exerçant dans le cadre de contrats à durée indéterminée confiés à des salariés disposant d'une importante ancienneté le recours systématique aux contrats à durée déterminée et aux intermittents du spectacle, le motif invoqué à l'appui de la rupture du contrat de travail de m MA n'est pas avéré ;

Compte tenu de son ancienneté de services d'une part (8 ans et 2 mois) et du montant de son salaire (2.673,47 €) d'autre part, l'indemnité due par la SAM SAMIPA à m MA au titre de l'article 2 de la loi n° 845 s'élève à la somme de 10.266,12 € se décomposant comme suit :

(2.673,47 € x 96) / 25 = 10.266,12 €

dont à déduire l'indemnité de congédiement d'ores et déjà perçue (2.379,44 €) les deux indemnités n'étant pas cumulables, soit un solde en sa faveur de 7.886,68 € ;

Sur le caractère abusif de la rupture

Alors que, s'agissant d'un licenciement collectif pour motif économique, les dispositions de l'avenant n° 12 du 26 mars 1970 à la convention collective nationale du travail devaient recevoir application, il résulte des correspondances adressées par les délégués du personnel, tant à l'employeur qu'aux différentes autorités compétentes ou intéressées (conseiller de gouvernement pour les affaires sociales – inspection du travail – syndicat monégasque de l'audiovisuel), que la SAM SAMIPA :

– n'a pas donné à ses délégués du personnel dans un document écrit toutes les indications utiles de nature à leur permettre d'être pleinement informés et de jouer ainsi effectivement le rôle consultatif qui leur est dévolu,

– n'a pas davantage, alors que le projet de licenciement collectif envisagé résultait d'une décision de restructuration, informé lesdits délégués des facteurs économiques ou techniques se trouvant à l'origine de cette situation ni encore moins indiqué les dispositions qu'elle avait pu prendre ou envisagé de prendre pour limiter les mesures de licenciement,

contrevenant ainsi aux dispositions des articles 7 et 8 de l'accord collectif susvisé ;

Force est de constater par ailleurs que la SAM SAMIPA ne justifie nullement s'être conformée aux dispositions de l'article 11 de l'avenant précité, lequel lui impartissait la triple obligation suivante :

– s'efforcer de réduire autant qu'il est possible le nombre des licenciements,

– utiliser les possibilités offertes à cet égard par une politique de mutations internes, soit à l'intérieur de l'établissement concerné, soit d'un établissement à un autre de l'entreprise,

– mettre à l'étude les suggestions présentées par les délégués du personnel, en vue de réduire le nombre des licenciements, aucune des suggestions émises par les intéressés lors des réunions des 20 juin 2001 et 6 décembre 2001 n'ayant reçu la moindre suite concrète ;

Ces violations des dispositions de forme et de fond de l'avenant n° 12, combinées d'une part avec l'absence de mise à jour du registre d'entrées et sorties du personnel, ainsi que l'ont définitivement jugé les juridictions correctionnelles, rendant impossible le contrôle du respect de l'ordre des priorités établi par l'article 6 de la loi n° 629 et d'autre part avec l'allégation par l'employeur d'un motif fallacieux de rupture, confèrent incontestablement au licenciement intervenu un caractère abusif ;

Âgé de 41 ans lors de la rupture de son contrat de travail, m MA justifie d'une ancienneté de services de huit années au sein de la SAM SAMIPA ;

N'étant pas parvenu à retrouver d'emploi stable, conforme à ses compétences de monteur vidéo, il bénéficie à ce jour pour seules ressources des allocations de fin de droits qui lui sont servies par l'ASSEDIC ;

Compte tenu de ces divers éléments, il y a lieu d'évaluer à la somme de 24.000,00 €, toutes causes confondues, le préjudice subi par l'intéressé ensuite du caractère abusif de son licenciement ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré.

Dit que le licenciement de m MA par la SAM SAMIPA ne repose pas sur un motif valable.

Dit en outre que cette mesure revêt un caractère abusif.

Condamne en conséquence la SAM SAMIPA à payer à m MA les sommes suivantes :

• 7.886,68 euros, (sept mille huit cent quatre-vingt-six euros et soixante-huit centimes), à titre d'indemnité de licenciement, déduction faite de l'indemnité de congédiement d'ores et déjà perçue, non cumulable,

• 24.000,00 euros, (vingt-quatre mille euros), à titre de dommages et intérêts.

Déboute m MA du surplus de ses prétentions.

Condamne la SAM SAMIPA aux entiers dépens.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6157
Date de la décision : 20/01/2005

Analyses

Rupture du contrat de travail ; Relations collectives du travail


Parties
Demandeurs : m MA
Défendeurs : la SAM SAMIPA

Références :

loi n° 459 du 19 juillet 1947


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2005-01-20;6157 ?

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