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30/09/2004 | MONACO | N°6705

Monaco | Tribunal du travail, 30 septembre 2004, r RE c/ la SAM Top Nett


Abstract

Licenciement pour fautes dans l'exécution du travail - Avertissements antérieurs - Pouvoir disciplinaire épuisé - Critique d'une sanction disciplinaire dans des termes non excessifs - Faute (non)

Résumé

À défaut de caractériser un abus de sa liberté d'expression relativement au contenu, à l'organisation et aux conditions d'exercice de son travail, la contestation, par une salariée, d'une sanction disciplinaire infligée, ne revêt en tant que telle, aucun caractère fautif.

Le contrat d'une salariée, embauchée en qualité d'agent de propreté

le 29 novembre 1994, avait été transféré au profit du nouvel adjudicataire d'un marché de ...

Abstract

Licenciement pour fautes dans l'exécution du travail - Avertissements antérieurs - Pouvoir disciplinaire épuisé - Critique d'une sanction disciplinaire dans des termes non excessifs - Faute (non)

Résumé

À défaut de caractériser un abus de sa liberté d'expression relativement au contenu, à l'organisation et aux conditions d'exercice de son travail, la contestation, par une salariée, d'une sanction disciplinaire infligée, ne revêt en tant que telle, aucun caractère fautif.

Le contrat d'une salariée, embauchée en qualité d'agent de propreté le 29 novembre 1994, avait été transféré au profit du nouvel adjudicataire d'un marché de nettoyage le 1er mars 2000. Par courrier du 21 février 2001, elle avait été licenciée, après différents avertissements, avec préavis, aux motifs de retards au travail et d'indiscipline. Elle avait attrait son employeur devant le Tribunal du travail en paiement d'indemnités de licenciement et dommages et intérêts pour rupture abusive. Devant le bureau de jugement, l'employeur maintenait que les fautes professionnelles reprochées, (retard, refus d'obéissance, mauvaise exécution de son travail) étaient suffisamment caractérisées et qu'ayant à nouveau commis un acte d'insubordination, son licenciement était justifié.

Le Tribunal du travail décide qu'en sanctionnant par un avertissement, ces trois fautes le 30 janvier 2001, la SAM Top Nett a épuisé son pouvoir disciplinaire relativement à ces faits qui ne pouvaient ultérieurement, être invoqués par l'employeur sauf à établir de nouveaux griefs. Or, ce dernier n'invoque, comme seul élément nouveau, que l'audace dont aurait fait preuve la salariée en contestant par écrit les affirmations de la direction. Cette contestation, dans des termes qui ne sont ni injurieux ni diffamatoires, ne revêtait aucun caractère fautif. La SAM Top Nett ne justifiant en définitive d'aucun motif valable l'autorisant à mettre fin au contrat, l'indemnité de licenciement était due, déduction faite de l'indemnité de congédiement déjà perçue. Aucune précipitation ou légèreté blâmable n'existant dans la mise en œuvre du droit unilatéral de rupture, la salariée ne pouvait prétendre à des dommages et intérêts.

Motifs

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 16 octobre 2001, reçue le 17 octobre 2001 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 6 novembre 2001 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Patrice LORENZI, avocat-défenseur, au nom de Madame r RE, en date du 10 janvier 2002 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de Madame r RE, en date des 27 février 2003 et 8 janvier 2004 ;

Vu les conclusions déposées par Monsieur c BO, Directeur Général, Administrateur Délégué, au nom de la Société Anonyme Monégasque dénommée TOP NETT, en date du 10 janvier 2002 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Jacques SBARRATO, avocat-défenseur, au nom de la Société Anonyme Monégasque dénommée TOP NETT, en date des 3 septembre 2003 et 7 avril 2004 ;

Après avoir entendu Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-stagiaire à la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Madame r RE, et Maître Jacques SBARRATO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE dénommée TOP NETT, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

*

r RE a été embauchée par la SAM EMONE HENRI VINCENT le 29 novembre 1994 en qualité d'agent de propreté.

À compter du 1er mars 2000, en application des dispositions de l'article 15 de la loi n° 729, son contrat de travail a été transféré au profit de la SAM TOP NETT, nouvel adjudicataire du marché de nettoyage de la zone J de Fontvieille.

Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 21 février 2001, r RE s'est vu notifier son licenciement dans les termes suivants :

« Madame,

» À la suite de l'avertissement que je vous ai adressé le 30 janvier 2001 « (Réf. LE/01.02/089), j'ai pris connaissance de votre lettre recommandée » avec avis de réception du 15 février 2001.

« D'une part, dans un souci d'équité, j'ai vérifié les éléments que vous » me communiquez. En effet, vous aviez l'accord de vos supérieurs pour « vous rendre au Consulat Général du Maroc le Lundi 22 janvier ; votre » absence était donc justifiée.

« Une mauvaise transmission d'information est la cause de cette erreur » dont je vous prie de m'excuser, et il était opportun en ce sens que vous « sollicitiez la prise en compte de ce fait.

» En contrepartie, vous êtes arrivée en retard le Mardi 23 à 6 h 22 au « lieu de 6 h 00.

» Je vous confirme également un « refus d'obéissance caractérisé » le « Mardi 23 ; le chef d'équipe vous a recommandé de ne pas utiliser la » mono brosse en raison du passage des usagers et vous n'avez pas tenu « compte de ses instructions et le non-respect de la » fiche de poste «.

» Il est tout à fait normal qu'il y ait eu le Samedi 27 janvier deux « personnes à ces horaires puisque c'était un jour FERIE ; je vous confirme » votre faute professionnelle en raison des carences observées. Je vous « confirme bien trois fautes professionnelles au lieu de quatre : » retard « - » « refus d'obéissance » et « carences et malfaçons ».

« Malgré mes recommandations je constate que vous n'êtes pas » consciente des carences auxquelles vous devez faire face et que vous « avez l'audace de contester par écrit mes affirmations et celles de votre » inspecteur du site.

« En conséquence, il ne me paraît pas opportun de poursuivre une » collaboration aussi négative et je suis dans l'obligation de mettre un « terme à votre contrat, à la suite de deux mois de préavis ; votre contrat » prendra donc fin le 21 avril 2001 après votre service. «.

Contestant le bien-fondé de la rupture de son contrat de travail et soutenant que cette mesure revêtait en outre un caractère manifestement abusif, r RE, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 5 novembre 2001, a attrait la SAM TOP NETT devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, à l'effet d'obtenir l'allocation à son profit, avec intérêts de droit au taux légal et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, des sommes suivantes :

* 1.877,40 F, à titre de solde d'indemnité de congédiement,

* 1.663,46 F, à titre d'indemnité de licenciement,

* 10.178,61 F, à titre de dommages et intérêts pour préjudice matériel,

* 44.975,40 F, à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral.

À la date fixée par les convocations les parties ont régulièrement comparu.

Puis, après divers renvois successivement intervenus à leur demande, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 8 juillet 2004 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 30 septembre 2004.

r RE fait valoir, à l'appui de ses prétentions, à titre principal que les griefs invoqués à son encontre par son employeur ne sont pas avérés dans la mesure où :

– elle avait été autorisée à s'absenter de l'entreprise le 22 janvier 2001 pour se rendre au Consulat du Maroc à Marseille,

– le retard de 22 minutes à la prise de service du mardi 23 janvier a été compensé par un départ reculé à 13 h 30 au lieu de 13 heures,

– en l'absence de tout ordre donné par le chef d'équipe, le refus d'obéissance qui lui est reproché n'est nullement caractérisé,

– aucun élément objectif ne permet de corroborer la réalité de l'abandon de poste qui lui est reproché.

Que par ailleurs les anciens avertissements qui lui ont été notifiés par la SAM EMONE les 2 juin 1995, 9 avril 1998 et 1er octobre 1999, qu'elle a systématiquement contestés en leur temps, ne sont pas de nature à conforter les allégations de la SAM TOP NETT quant au motif de son licenciement.

Elle soutient d'autre part que les griefs invoqués à son encontre dans la lettre d'avertissement du 30 janvier 2001, dès lors qu'ils ont d'ores et déjà été sanctionnés, ne peuvent justifier le licenciement intervenu le 21 février 2001.

Qu'en outre tout salarié étant en droit, dans le cadre de sa liberté d'expression, de se défendre en répondant à l'avertissement qui lui a été infligé, le fait d'avoir contesté par écrit les affirmations de son employeur et celles de son inspecteur du site ne constitue pas un motif valable de licenciement.

Elle prétend enfin qu'en ne prenant pas en compte ses protestations sérieuses et légitimes et en la licenciant au contraire parce qu'elle avait osé contester les sanctions prises à son encontre son employeur, contrairement au comportement d'équité dont il se prévaut, a agi à son encontre avec une légèreté blâmable confinant à l'intention de nuire, laquelle confère assurément à la rupture de son contrat de travail un caractère abusif ; qu'elle est fondée dans ces conditions à obtenir réparation du préjudice tant matériel (perte de salaire du 22 avril au 3 juin 2001) que moral subi.

Elle demande par suite à la présente juridiction de faire droit à l'intégralité des prétentions contenues dans sa requête introductive d'instance.

Estimant quant à elle en substance d'une part que le motif invoqué à l'appui du licenciement de r RE est à la fois avéré et valable » au sens de la loi «, puisque les trois fautes professionnelles reprochées à cette salariée à savoir :

– son retard,

– son refus d'obéissance,

– les carences et malfaçons dans l'exécution de son travail,

sont amplement caractérisées, et d'autre part que l'intéressée n'a pas été doublement sanctionnée dès lors qu'après avoir reçu un premier avertissement pour des fautes diverses et répétées, elle a, à nouveau, commis un acte d'insubordination, en refusant à la fois de quitter la structure au sein de laquelle elle avait créé des tensions insupportables et d'intégrer une nouvelle équipe, et enfin que les circonstances dans lesquelles la décision de licenciement a été mise en œuvre ne revêtent pas de caractère anormal susceptible de démontrer un abus de l'exercice du droit de licencier, la SAM TOP NETT conclut au rejet de l'intégralité des prétentions formulées à son encontre.

SUR CE,

a) Sur la demande en paiement d'un solde de congédiement

Dès lors que r RE, qui a reçu paiement par son employeur, comme en atteste sa fiche de paie du mois d'avril 2001, d'une somme de 5.548,91 F à titre d'indemnité de congédiement (qualifiée erronément d'indemnité de licenciement) ne fournit à la présente juridiction aucune pièce établissant qu'elle serait en droit de prétendre à une indemnité supérieure à cette dont elle a effectivement bénéficié, sa demande tendant à obtenir paiement d'un solde de 1.877,40 F ne pourra qu'être rejetée.

b) Sur la validité du motif de rupture

Il est constant en l'espèce que r RE s'est vu infliger le 30 janvier 2001 par son employeur un premier avertissement sanctionnant les trois manquements professionnels suivants :

– un retard de 22 minutes à la prise de service le Mardi 23 janvier 2001,

– un refus d'obéissance caractérisé à l'égard de son chef d'équipe le même jour,

– une mauvaise exécution de son travail le 27 janvier 2001 (sanitaires R1 sales avec traces de serpillière visibles).

En sanctionnant ces trois fautes le 30 janvier 2001 par un avertissement, la SAM TOP NETT a épuisé son pouvoir disciplinaire relativement à ces faits.

Ces trois manquements ne pouvaient donc être ultérieurement invoqués par l'employeur pour justifier la mesure de licenciement prononcée le 21 février 2001 à l'encontre de r RE qu'à la condition que l'existence de nouveaux griefs, postérieurs au 30 janvier 2001, soit préalablement établie.

Force est de constater toutefois, à la lecture de la lettre de notification de la rupture adressée le 21 février 2001 à r RE par la société TOP NETT, que cette dernière, après avoir rappelé l'existence des trois fautes commises les 23 et 27 janvier 2001, n'invoque, comme seul et unique élément nouveau, que l'audace dont aurait fait preuve l'intéressée en contestant par écrit les affirmations de son employeur ainsi que celles de son inspecteur de site.

Si r RE a certes, dans le courrier adressé par ses soins le 15 février 2001 à la SAM TOP NETT en réponse à l'avertissement qui lui avait été notifié, contesté chacun des griefs formulés à son encontre, les termes de cette correspondance ne sont toutefois ni injurieux ni diffamatoires à l'égard de la SAM TOP NETT ou de son dirigeant.

En conséquence, à défaut de caractériser un abus par r RE de sa liberté d'expression relativement au contenu, à l'organisation et aux conditions d'exercice de son travail, la contestation par la salariée de la sanction disciplinaire qui venait de lui être infligée, ne revêt, en tant que telle, aucun caractère fautif.

La SAM TOP NETT ne peut par ailleurs sérieusement soutenir dans ses conclusions déposées devant la présente juridiction que le licenciement de r RE serait en réalité justifié par l'acte d'insubordination dont celle-ci aurait fait preuve, en refusant le changement de poste décidé par son employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, alors que la lettre d'avertissement du 30 janvier 2001 n'intimait aucun ordre à r RE, mais lui indiquait seulement que » si les relations actuelles perduraient ou se dégradaient « la SAM TOP NETT se verrait » dans l'obligation de l'affecter au poste d'entretien de l'après-midi ".

La SAM TOP NETT ne justifiant en définitive d'aucun motif valable l'autorisant à mettre fin au contrat de travail de r RE, cette dernière est fondée à solliciter paiement de l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845.

Compte tenu de son ancienneté de services (six ans et cinq mois préavis inclus), et du montant mensuel brut de sa rémunération, (7.680,14 F) le montant de l'indemnité revenant à r RE s'élève à :

(7.680,14 F x 77) / 25 = 23.654,83 F,

dont à déduire le montant de l'indemnité de congédiement de 5.548,91 F d'ores et déjà perçue, les deux indemnités n'étant pas cumulables, soit un solde de 18.105,92 F correspondant à 2.760,23 € en sa faveur.

Le Tribunal du travail ne pouvant toutefois statuer au-delà de ce qui lui a été demandé, il y a lieu d'allouer à r RE la somme réclamée à ce titre dans sa requête introductive d'instance, soit 1.663,46 F, dont le montant n'a pas été augmenté lors de la comparution des parties en conciliation.

c) Sur le caractère abusif de la rupture

Aucune précipitation ou légèreté blâmable dans la mise en œuvre de son droit unilatéral de rupture n'apparaît en l'espèce caractérisée à l'encontre de la SAM TOP NETT, dès lors que le licenciement a été précédé de quatre avertissements (trois infligés par la SAM EM, précédent employeur, et un infligé par la SAM TOP NETT).

Le motif allégué à l'appui de la rupture, s'il ne peut juridiquement être considéré comme valable, n'étant cependant pas fallacieux, le licenciement de r RE ne revêt pas de caractère abusif.

Cette dernière ne peut par suite prétendre à l'allocation de dommages et intérêts.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré.

Dit que le licenciement de r RE ne repose pas sur un motif valable.

Dit en revanche que ce licenciement ne revêt pas de caractère abusif.

Condamne en conséquence la SAM TOP NETT à payer à r RE à titre d'indemnité de licenciement la somme de :

* 1.663,46 francs, (mille six cent soixante-trois francs et quarante-six centimes), soit 253,59 euros, (deux cent cinquante-trois euros et cinquante-neuf centimes).

Déboute r RE du surplus de ses prétentions.

Ordonne le partage des dépens qui seront supportés par moitié par chacune des parties et recouvrés, en ce qui concerne r RE, conformément à la législation régissant l'assistance judiciaire.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6705
Date de la décision : 30/09/2004

Analyses

Rupture du contrat de travail ; Pouvoir disciplinaire


Parties
Demandeurs : r RE
Défendeurs : la SAM Top Nett

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2004-09-30;6705 ?

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