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30/09/2004 | MONACO | N°6701

Monaco | Tribunal du travail, 30 septembre 2004, s PE c/ la SAM CRISTAL MEDIA COMMUNICATION


Abstract

Licenciement pour faute grave - Preuve non rapportée - Non cumul des sanctions - Mesure disciplinaire définition

Résumé

Constitue une mesure disciplinaire, toute mesure impliquant l'intention de sanctionner le fait reproché.

Une assistante de direction embauchée le 19 avril 1999 dans le cadre de deux CDD, puis sous contrat à durée indéterminée, est licenciée pour faute grave, par courrier du 8 mars 2002 « compte tenu de la gravité des évènements survenus dernièrement motivant (les) lettres des 5 et 8 mars 2002 ». Contestant la validité d

u motif de rupture, qui intervient alors que, dans la même semaine, deux avertissements ont...

Abstract

Licenciement pour faute grave - Preuve non rapportée - Non cumul des sanctions - Mesure disciplinaire définition

Résumé

Constitue une mesure disciplinaire, toute mesure impliquant l'intention de sanctionner le fait reproché.

Une assistante de direction embauchée le 19 avril 1999 dans le cadre de deux CDD, puis sous contrat à durée indéterminée, est licenciée pour faute grave, par courrier du 8 mars 2002 « compte tenu de la gravité des évènements survenus dernièrement motivant (les) lettres des 5 et 8 mars 2002 ». Contestant la validité du motif de rupture, qui intervient alors que, dans la même semaine, deux avertissements ont déjà été notifiés pour les mêmes faits, d'ailleurs non fautifs, et qui présente selon elle un caractère injurieux et vexatoire, elle a attrait son employeur devant le bureau de jugement du Tribunal du travail. Elle demande paiement, outre de sommes non soumises au préliminaire de conciliation, des indemnités de préavis, congés payés sur préavis ainsi que de licenciement et dommages et intérêts pour licenciement abusif.

L'employeur soutient quant à lui que la matérialité des cinq griefs reprochés est établie, qu'il s'agisse des erreurs comptables, de l'organisation mauvaise d'un colloque, de la facturation indue d'achats personnels, du non-respect d'horaires de travail et de la dégradation du comportement de la salariée.

Le Tribunal du travail déclare tout d'abord irrecevables, les demandes non soumises à la procédure préalable obligatoire de conciliation puis s'attache à la faute grave alléguée. En application de la règle dite du non cumul des sanctions, une même faute ne peut faire l'objet de deux sanctions successives. Certes, une sanction aggravée peut être fondée sur des faits précédemment sanctionnés, mais seulement dès lors que l'existence de nouveaux griefs est établie. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce puisque la SAM CRISTAL MEDIA COMMUNICATION avait épuisé son pouvoir disciplinaire relativement aux faits invoqués dans les lettres précédant le licenciement. Ces correspondances s'analysaient en des mesures disciplinaires qui se définissent comme toutes mesures impliquant l'intention de sanctionner le fait reproché. La SAM CRISTAL MEDIA COMMUNICATION ne justifiait ainsi d'aucune faute grave ni même de motif valable l'autorisant à licencier la salariée. Celle-ci se voit allouer les indemnités de préavis, congés payés sur préavis, licenciement et des dommages et intérêts pour préjudice moral, compte tenu de la précipitation et de la brutalité de son licenciement à hauteur de 6000 €.

Motifs

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 6 juin 2002, reçue le 7 juin 2002 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 9 juillet 2002 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de Madame s PE, en date des 3 octobre 2002, 10 avril 2003 et 12 février 2004 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur, au nom de la Société Anonyme Monégasque CRISTAL MEDIA COMMUNICATION, en date des 7 février 2003, 16 octobre 2003 et 1er avril 2004

Après avoir entendu Maître Olivier MOULIGNEAUX, avocat au barreau de Nice, au nom de Madame s PE, et Maître Alexis MARQUET, avocat à la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la Société Anonyme Monégasque CRISTAL MEDIA COMMUNICATION, en leurs plaidoiries ;

Lesdits avocats-défenseurs ayant repris et maintenu ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal ;

Vu les pièces du dossier ;

*

Embauchée le 19 avril 1999 par la SAM CRISTAL MEDIA COMMUNICATION en qualité d'assistante de direction, d'abord dans le cadre de deux contrats à durée déterminée, puis, à compter du mois d'octobre 1999, d'un contrat à durée indéterminée, s PE a été licenciée de son emploi, par une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 8 mars 2002, dont le contenu s'avère le suivant :

«  Madame,

»  Compte tenu de la gravité des évènements survenus dernièrement « motivant mes lettres des 5 et 8 mars 2002, je suis dans l'obligation de » rompre notre collaboration et je vous signifie donc votre licenciement « pour faute grave à compter de ce jour ».

Soutenant d'une part que son licenciement n'était justifié ni par une faute grave, ni même par un motif valable de rupture et d'autre part que cette mesure revêtait, au regard du contexte particulièrement injurieux et vexatoire dans lequel elle était intervenue, un caractère abusif, s PE, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 8 juillet 2002, a attrait la SAM CRISTAL MEDIA COMMUNICATION devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail à l'effet d'obtenir l'allocation à son profit, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, des sommes suivantes :

* 8.165,02 €, à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 671,03 €, au titre des congés payés y afférents,

* 1.156,00 €, à titre d'indemnité de licenciement,

ces trois sommes produisant intérêts de retard au taux légal à compter de la citation en conciliation,

* 75.000,00 €, à titre de dommages et intérêts.

À l'audience fixée par les convocations les parties ont régulièrement comparu par leurs conseils.

Puis, après quatorze renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 24 juin 2004 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 30 septembre 2004.

Après avoir liminairement souligné que ses compétences professionnelles et les performances réalisées par ses soins ont conduit son employeur d'une part à renouveler le contrat à durée déterminée de trois mois qui lui avait été initialement consenti puis à le transformer en contrat à durée indéterminée et d'autre part à lui accorder successivement plusieurs augmentations significatives de salaire, s PE fait valoir, à titre principal, que les fautes que son employeur a tenté de lui imputer à compter du début du mois de mars 2002 et qui l'ont conduit à lui notifier, en moins d'une semaine, deux avertissements suivis d'un licenciement immédiat pour faute grave, ne sont nullement avérées ; qu'en conséquence la rupture de son contrat de travail ne repose sur aucun motif valable.

Qu'en effet dès lors d'une part que la tenue de la comptabilité ne relève pas des attributions d'une assistante de direction, à fortiori lorsque ladite société s'est attachée les services d'un expert-comptable, et d'autre part que l'attestation établie par Madame DE s'avère entachée de nullité absolue pour inobservation des mentions impératives prescrites par l'article 324 du Code de procédure civile, et enfin et en tout état de cause que l'employeur ne justifie d'aucun préjudice, le premier grief tenant à l'existence de multiples erreurs constatées dans la tenue de la comptabilité ne résiste pas à l'examen.

Qu'il en va de même en ce qui concerne le grief tenant à la mauvaise exécution des instructions relatives à l'organisation d'une réunion de travail, la SAM CRISTAL MEDIA COMMUNICATION ne versant aux débats aucun élément de preuve permettant de justifier les accusations portées de manière fantaisiste à son encontre, les factures d'hôtel produites aux débats, qui mentionnent l'existence de consommations bar et de débours concierge – aéroport – VP, démontrant au contraire que l'événement programmé n'a nullement été annulé.

Que si elle a certes effectivement fait l'acquisition pour le compte de son employeur auprès du magasin POINT OFFICE d'un chargeur secteur et d'une carte pour téléphone portable, ces faits ne revêtent aucun caractère fautif à partir du moment où le matériel concerné n'était pas destiné à son usage personnel, mais à celui des employés de Londres, lorsqu'ils étaient présents à Monaco.

Qu'elle ne s'est accordée aucun congé autre que ceux auxquels elle avait droit, entrecoupant au contraire systématiquement ses périodes de vacances à la demande de Madame MOORE pour venir au bureau voir si des messages urgents étaient arrivés.

Qu'en outre, le grief relatif au règlement par l'employeur de factures téléphoniques et de cotisations mutuelle incombant personnellement à la salariée n'apparaît pas plus fondé, dès lors que les paiements correspondants ont été effectués, conformément aux accords verbaux intervenus entre les parties, en toute connaissance de cause par Madame MO, laquelle, si elle ne parle certes pas le français, s'avère tout de même capable de lire le bénéficiaire des différents chèques qu'elle a délibérément et sciemment signés chaque mois pendant plusieurs années, étant observé, à toutes fins utiles, que si cet élément avait revêtu pour l'employeur la gravité que celui-ci lui prête aujourd'hui, ce dernier l'aurait alors immédiatement licenciée pour faute grave.

Qu'enfin les reproches tenant à l'absence de maîtrise de l'outil informatique ou à l'emprunt des vêtements de l'employeur, outre qu'ils n'ont pas été évoqués dans la lettre de rupture et ne peuvent dès lors être valablement invoqués devant la présente juridiction, s'avèrent également totalement infondés.

s PE prétend subsidiairement qu'en vertu du principe selon lequel un même fait ne peut-être doublement sanctionné, les divers manquements invoqués dans les lettres d'avertissement des 5 mars 2002 et 8 mars 2002 ne pouvaient, en l'absence de tout élément nouveau, justifier le licenciement prononcé à son encontre le 8 mars 2002.

Soutenant enfin qu'en remettant en cause non seulement ses compétences professionnelles mais aussi son honnêteté, l'employeur a fait preuve d'une mauvaise foi conférant, combinée avec les circonstances injurieuses et vexatoires dans lesquelles son éviction de l'entreprise est intervenue, au licenciement un caractère manifestement abusif, s PE sollicite, dans le dernier état de ses écritures judiciaires, la condamnation de son employeur, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

1) au remboursement de la somme de 2.115,85 €, qu'elle lui a restituée sous la contrainte le 6 novembre 2001,

2) au paiement des sommes suivantes :

* 8.165,02 € brut, à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 671,03 € brut, au titre des congés payés afférents au préavis,

1. 156,00 €, à titre d'indemnité de licenciement sans motif valable,

* le montant des vingt-huit jours de congés non pris à la date du licenciement,

* 75.000,00 €, à titre de dommages et intérêts.

Estimant quant à elle d'une part que les cinq griefs suivants, à savoir :

– les erreurs imputables à s PE constatées dans la tenue de la comptabilité de la société,

– la mauvaise exécution des instructions relatives à l'organisation d'un important colloque,

– la facturation à l'employeur d'achats réalisés auprès de l'établissement POINT OFFICE pour le compte personnel de la salariée,

– le non-respect par cette dernière de ses horaires de travail, qu'il s'agisse de la durée hebdomadaire ou de l'étendue des congés annuels,

– la dégradation du comportement de la salariée,

dont la matérialité est établie par les pièces produites constituent « de façon évidente des fautes graves et justifient incontestablement son licenciement », et d'autre part qu'en l'état de la particulière indulgence et de la patience dont elle a fait preuve, la rupture n'est pas intervenue dans un contexte injurieux ou vexatoire, la SAM CRISTAL MEDIA COMMUNICATION conclut au rejet des diverses demandes formulées par s PE, tant au titre des indemnités de préavis, de congés payés sur ledit préavis, de licenciement que des dommages et intérêts.

La SAM CRISTAL MEDIA COMMUNICATION prétend par ailleurs qu'à défaut pour s PE d'avoir rapporté la preuve de l'exploitation abusive par son employeur de sa situation de dépendance économique, la demande tendant à obtenir le remboursement de la somme de 2.115,85 €, réglée par ses soins, qui n'a au surplus pas été soumise au préliminaire de conciliation, n'est pas recevable et ne pourra par suite qu'être rejetée.

Soutenant enfin avoir subi un préjudice consécutivement :

– à l'échec du colloque qui devait avoir lieu les 17 et 19 mai 2001,

– à l'imputation parmi ses charges d'une dépense personnelle à s PE,

la SAM CRISTAL MEDIA sollicite reconventionnellement la condamnation de s PE au paiement de la somme totale de 2.496,91 €, représentant le montant des factures émises par l'hôtel VISTA PALACE et l'établissement POINT OFFICE, outre celle de 20.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

SUR CE,

1) Sur les demandes formées par s PE à l'encontre de son employeur

a) Sur la recevabilité des deux demandes (remboursement de la somme de 2.115,85 € - Paiement de vingt-huit jours de congés) non soumises au préliminaire de conciliation

À défaut d'avoir été soumises à la procédure préalable obligatoire de la conciliation, par application des dispositions de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946, lequel édicte que le Tribunal du travail, institué pour terminer par voie de conciliation les différends s'élevant entre salariés et employeurs, ne juge ces différends que lorsque la conciliation est demeurée sans effet, les demandes tendant à obtenir d'une part le remboursement par son employeur de la somme de 2.115,85 €, qu'elle lui aurait restituée sous la contrainte le 6 novembre 2001 et d'autre part le paiement de vingt-huit jours de congés payés non pris formulées par s PE pour la première fois dans ses conclusions déposées le 3 octobre 2002 devant le Bureau de Jugement sont irrecevables.

Elles ne pourront, dans ces conditions, faire l'objet d'un examen au fond par la présente juridiction.

b) Sur la faute grave ou à tout le moins la validité du motif de rupture

S'agissant d'un licenciement mis en œuvre pour faute grave, il appartient à la SAM CRISTAL MEDIA COMMUNICATION de caractériser l'existence d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables à s PE, constituant une violation des obligations résultant de son contrat de travail ou des relations de travail, lesquels auraient rendu impossible son maintien dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis.

Il est constant, par ailleurs, en application de la règle dite du non cumul des sanctions, qu'une même faute ne peut faire l'objet de deux sanctions successives.

Qu'en conséquence, un licenciement motivé par les seuls griefs déjà sanctionnés sur le plan disciplinaire doit être considéré comme dépourvu de motif valable.

Que toutefois, l'employeur peut valablement, pour justifier une sanction aggravée reposant sur une appréciation globale du comportement de son salarié, faire état de faits précédemment sanctionnés, dès lors que l'existence de griefs nouveaux s'avère préalablement établie.

En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats que s PE s'est vu notifier préalablement à son licenciement pour faute grave intervenu le 8 mars 2002 :

– le 5 mars 2002 un courrier qualifié par erreur, en l'absence de tout précédent, de « deuxième lettre d'avertissement en due forme », visant à sanctionner :

• la carence dont elle aurait fait preuve dans l'organisation matérielle de la manifestation prévue à l'occasion du Grand Prix Historique intitulée « Cristal Strategy Summit and Vintage Grand Prix of Monaco »,

• de manière plus générale son insuffisance professionnelle, tant dans le domaine du classement que dans celui de la transmission des informations en cours aux autres salariés,

• divers abus commis tant en ce qui concerne son temps effectif de travail (35 heures au lieu de 39 heures) que l'étendue de ses droits à congés,

– le 8 mars 2002 un courrier, aux termes duquel son employeur, après lui avoir signifié une ultime fois son mécontentement relativement à son travail, lui reprochant essentiellement de ne pas avoir mis en forme un courrier destiné à France Télécom, l'informait avoir perdu toute confiance en elle et lui précisait être arrivé à la conclusion qu'il allait « devoir terminer son emploi (sic) à cause de tous ces problèmes »,

– le 8 mars 2002 un nouveau courrier lui notifiant son licenciement immédiat et sans indemnités de rupture, dans les termes suivants :

«  Madame,

» Compte tenu de la gravité des évènements survenus dernièrement « motivant mes lettres des 5 et 8 mars 2002, je suis dans l'obligation de » rompre notre collaboration et je vous signifie donc votre licenciement « pour faute grave à compter de ce jour ».

Il est constant en droit que constitue une mesure disciplinaire toute mesure impliquant l'intention de sanctionner le fait reproché.

Qu'en conséquence la correspondance en date du 8 mars 2002, aux termes de laquelle cette société, après avoir signifié à sa salariée une ultime, c'est-à-dire une dernière fois, son mécontentement, l'informait au surplus qu'elle allait (futur proche) devoir « terminer son emploi », doit être considérée comme un deuxième et dernier avertissement et s'analyse donc bien en droit en une mesure disciplinaire.

La SAM CRISTAL MEDIA ayant ainsi épuisé son pouvoir disciplinaire relativement à tous les faits invoqués dans les lettres des 5 et 8 mars 2002, qu'il s'agisse de l'organisation défectueuse du « Cristal Strategy Summit », de l'insuffisance professionnelle dont s PE aurait fait preuve en matière de classement, des éventuels abus commis en matière de temps de travail ou de prise des congés ou enfin de la non mise en forme du courrier destiné à France Télécom, la défenderesse se trouve dans l'obligation, pour pouvoir valablement en faire état et justifier le prononcé de la sanction aggravée que constitue le licenciement pour faute grave mis en œuvre le 8 mars 2002, d'établir préalablement l'existence de nouveaux manquements.

Force est de constater toutefois que cette preuve n'apparaît nullement rapportée en l'espèce par l'employeur, ce dernier ne se fondant, dans la lettre de rupture, pour justifier le licenciement immédiat de s PE que sur la gravité des évènements ayant « motivé » ses lettres des 5 et 8 mars 2002.

Que si la SAM CRISTAL, dans ses écritures judiciaires, a certes invoqué l'existence d'autres griefs, il n'en demeure pas moins :

1) qu'à partir du moment où l'attestation rédigée par Madame DE produite à cette fin aux débats, à défaut d'une part de comporter la mention exigée par l'alinéa 5 de l'article 324 du Code de procédure civile et d'autre part d'être accompagnée d'un document justifiant de l'identité de son auteur, s'avère entachée de nullité, la preuve de l'existence des nombreuses erreurs qu'aurait commises s PE, tant dans la tenue de la comptabilité que dans le classement des factures, n'est nullement démontrée,

2) que par ailleurs la prise en compte par l'employeur d'une facture se rapportant à des achats personnels à s PE, à supposer même qu'elle s'avère suffisamment caractérisée, ne peut valablement être invoquée par l'employeur, s'agissant de faits commis au mois d'octobre 2001, lesquels ne constituent donc pas des éléments nouveaux, et dont la SAM CRISTAL MEDIA admet en outre n'avoir eu connaissance que le 22 novembre 2002, soit plus de huit mois après le départ de la demanderesse de l'entreprise,

3) que le grief éminemment subjectif tenant à la « dégradation du comportement » de s PE, à défaut pour l'employeur de justifier de la survenance d'un événement particulier au cours de la journée du 8 mars 2002, ne peut justifier, en l'état des deux avertissements précédemment signifiés les 5 et 8 mars 2002, la rupture du contrat de travail de cette salariée,

4) qu'il convient enfin de souligner que l'employeur apparaît particulièrement mal fondé à se prévaloir, une énième fois, de l'incident relatif à la prise en compte par la SAM CRISTAL MEDIA de dépenses téléphoniques et de frais de mutuelle incombant en propre à s PE, alors que :

• en apposant, mois après mois, pendant près d'une année sa signature sur chacun des chèques émis au profit de s PE, Madame MOORE, même si elle ne maîtrise pas bien la langue française, n'a manifestement pas pu se méprendre sur l'identité du bénéficiaire de ces règlements,

• en versant aux débats chacune des factures correspondantes (téléphone ou mutuelle) l'employeur démontre que ces règlements n'ont pas été effectués à son insu mais correspondaient au contraire à l'exécution de l'accord verbalement conclu entre les parties,

• en tout état de cause, la mention finale apposée par s PE sur le document manuscrit établi le 6 novembre 2001 révèle que le remboursement par cette dernière à son employeur de la somme de 13.879 F devait, selon la volonté des parties et notamment de l'employeur, « mettre un terme à cette Histoire », cette interprétation se trouvant confirmée par l'absence de notification à la salariée de toute sanction disciplinaire relativement à ces faits au moment où ils ont été découverts.

La SAM CRISTAL MEDIA COMMUNICATION ne justifiant en définitive ni de l'existence de la faute grave qu'aurait commise s PE ni même d'un motif valable l'autorisant à licencier cette salariée, cette dernière est en droit de prétendre à l'allocation à son profit des sommes suivantes, sur la base d'une ancienneté de services de trois ans, préavis inclus, et d'une rémunération mensuelle brute de base s'élevant à 4.082,51 € :

– indemnité compensatrice préavis (deux mois) = 8.165,02 € (4.082,51 x 2),

– congés payés sur le préavis 816,50 € ramenés au montant de la demande, soit 671,03 €, le Tribunal ne pouvant statuer ultra petita,

– indemnité de licenciement : (4.082,51 x 36) / 25 = 5.878,81 €, ramenée au montant de la demande présentée à ce titre, soit la somme de 1.156 €.

c) Sur le caractère abusif de la rupture

En adressant à une employée dont le contrat initial à durée déterminée avait été non seulement renouvelé mais également transformé en contrat à durée indéterminée et qui avait par ailleurs bénéficié successivement de plusieurs augmentations de sa rémunération portée en l'espace de dix-huit mois de 17.839 F à 26.776 F pour 162,5 heures de travail, démontrant ainsi l'estime qu'elle lui témoignait, pas moins de deux avertissements en trois jours immédiatement suivis d'un licenciement pour faute grave, et en invoquant à l'égard de cette dernière des motifs de rupture non seulement fallacieux mais aussi pour certains d'entre eux déplacés (emprunt de vêtements – transformation du bureau en salon de massage) voire mêmes vexatoires (incapacité de la salariée à utiliser un ordinateur), la SAM CRISTAL MEDIA a fait un usage abusif du droit unilatéral de rupture qui lui est reconnu par la loi.

À défaut d'avoir produit aux débats la moindre pièce justifiant de sa situation professionnelle et financière actuelle, s PE ne démontre pas avoir subi, consécutivement à la rupture de son contrat de travail, un préjudice à caractère matériel.

Le préjudice moral découlant des conditions de précipitation et de brutalité dans lesquelles son licenciement lui a été notifié, l'invocation de la faute grave ayant pour effet de la priver des indemnités de rupture (préavis et congédiement) sur lesquelles elle était en droit de compter, sera en revanche justement compensé par l'allocation à son profit de la somme de 6.000 € à titre de dommages et intérêts.

2) Sur la demande reconventionnelle de l'employeur

À défaut pour la SAM CRISTAL MEDIA COMMUNICATION d'avoir rapporté la preuve par des éléments objectifs et probants :

– de l'appropriation par s PE du chargeur et de la carte SFR objets de la facture POINT OFFICE,

– de l'annulation effective du « Cristal Strategy Summit and Vintage Grand Prix of Monaco » et de l'imputabilité de cette annulation à s PE,

– de l'existence du préjudice prétendument subi, consécutivement à cette annulation, la demande reconventionnelle en dommages et intérêts ne pourra qu'être rejetée.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré.

Déclare irrecevables, comme n'ayant pas été soumises au préliminaire obligatoire de conciliation les demandes de s PE tendant à obtenir :

– le remboursement par son employeur de la somme de 2.115,85 €,

– le paiement de vingt-huit jours de congés payés.

Prononce la nullité de l'attestation établie par Madame d DE.

Dit que le licenciement de s PE par la SAM CRISTAL MEDIA COMMUNICATION ne repose pas sur une faute grave et n'est pas davantage justifié par un motif valable de rupture.

Dit en outre que cette mesure revêt un caractère abusif.

Condamne en conséquence la SAM CRISTAL MEDIA COMMUNICATION à payer à s PE les sommes de :

* 8.165,02 euros, (huit mille cent soixante-cinq euros et deux centimes), à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 671,03 euros, (six cent soixante et onze euros et trois centimes), au titre des congés payés afférents au préavis,

lesquelles sommes produiront intérêts de retard à compter de la convocation en conciliation,

* 1.156,00 euros, (mille cent cinquante-six euros), à titre d'indemnité de licenciement,

* 6.000,00 euros, (six mille euros), à titre de dommages et intérêts,

ces deux sommes produisant intérêts de retard à compter du présent jugement.

Déboute s PE du surplus de ses prétentions.

Déboute la SAM CRISTAL MEDIA COMMUNICATION de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts.

Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du présent jugement.

Condamne la SAM CRISTAL MEDIA COMMUNICATION aux entiers dépens.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6701
Date de la décision : 30/09/2004

Analyses

Pouvoir disciplinaire ; Rupture du contrat de travail


Parties
Demandeurs : s PE
Défendeurs : la SAM CRISTAL MEDIA COMMUNICATION

Références :

article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946
article 324 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2004-09-30;6701 ?

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