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06/05/2004 | MONACO | N°608494

Monaco | Tribunal du travail, 6 mai 2004, s AB c/ la Société anonyme monégasque MONE et h VI


Abstract

Demande de jonction d'instances - Nécessité de prétentions recevables dans le second litige - Autorité de chose jugée(non) - Principe de l'unicité de l'instance - Énoncé et tempérament - Fin de non-recevoir (oui)

Résumé

Pour que l'exception de chose jugée puisse être accueillie, il faut que la même question litigieuse oppose les mêmes parties prises en la même qualité et procède de la même cause que la précédente. Une première décision déclarant une demande non chiffrée irrecevable, avait été suivie d'une seconde demande chiffrée, non e

ncore soumise au bureau de conciliation lors de la première audience de jugement. L'exception...

Abstract

Demande de jonction d'instances - Nécessité de prétentions recevables dans le second litige - Autorité de chose jugée(non) - Principe de l'unicité de l'instance - Énoncé et tempérament - Fin de non-recevoir (oui)

Résumé

Pour que l'exception de chose jugée puisse être accueillie, il faut que la même question litigieuse oppose les mêmes parties prises en la même qualité et procède de la même cause que la précédente. Une première décision déclarant une demande non chiffrée irrecevable, avait été suivie d'une seconde demande chiffrée, non encore soumise au bureau de conciliation lors de la première audience de jugement. L'exception de chose jugée est rejetée.

En application du principe de l'unicité de l'instance prévu par l'article 59 de la loi du 10 mai 1946, toutes les demandes dérivant d'un même contrat de louage de services entre les mêmes parties doivent avoir fait l'objet d'une seule et même instance à peine d'être déclarées non recevables.

La législation monégasque a cependant institué deux tempéraments à cette règle :

- Lorsque les causes des demandes nouvelles ne sont nées ou n'ont été connues du demandeur que postérieurement à la demande primitive,

- Lorsque le tribunal du travail ne s'est pas encore prononcé en premier ou dernier ressort sur les chefs de cette première demande.

En l'espèce, le demandeur ne soutient pas que la cause de la demande de rappel de salaires, d'indemnités et congés payés, serait née à son profit ou n'aurait été connue de lui qu'après l'introduction de la demande primitive.

Par ailleurs, les prétentions figurant dans la deuxième requête tendent aux mêmes fins que celles contenues dans la première (sauf la conversion en euros) et reposent sur des fondements identiques.il ne s'agit donc pas de demandes nouvelles. La fin de non-recevoir tirée du principe de l'unicité de l'instance est reçue. Les demandes en paiement introduites par la seconde procédure sont irrecevables.

Motifs

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 10 octobre 2002.

Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur s AB, en date des 17 mars 2003 et 20 novembre 2003.

Vu les conclusions déposées par Maître Jacques SBARRATO, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE EMONE – h VI, en date des 5 juin 2003 et 18 décembre 2003.

Après avoir entendu Maître Danièle RIEU, avocat au barreau de Nice, au nom de Monsieur s AB, et Maître Jacques SBARRATO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE EMONE – h VI, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

Ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 11 novembre 2002, s AB a attrait la SAM EMONE – h VI, son ancien employeur, devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, à l'effet d'obtenir l'allocation à son profit, avec intérêts de droit et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, des sommes suivantes :

1°) complément de salaire de base, heures supplémentaires, heures de nuit et prime d'expérience à compter du 1er juillet 1999 : 1.530,16 €,

2°) indemnité monégasque de 5 % : 79,12 €,

3°) complément de préavis : 46,84 €,

4°) solde de congés payés : 264,70 €,

TOTAL : 1.920,82 €.

À la date fixée par les convocations, s AB d'une part et la SAM EMONE d'autre part ont régulièrement comparu par leurs conseils.

Puis, après divers renvois intervenus à la demande des parties, l'affaire a reçu fixation pour être plaidée le 18 mars 2003, les débats portant exclusivement sur la demande de jonction présentée par s AB et les fins de non-recevoir soulevées par la SAM EMONE, partie défenderesse.

Se prévalant des dispositions de l'article 59 alinéa 2 de la loi du 16 mai 1946 modifiée, s AB demande à la présente juridiction d'ordonner la jonction entre la présente instance et celle précédemment introduite par ses soins selon requête en date du 11 juin 2001.

Il fait valoir, à cet effet, que le but recherché par le législateur monégasque, tel qu'il ressort des débats ayant précédé le vote de la loi n° 763 du 16 mars 1963, modifiant l'article 59 de la loi n° 446, était de simplifier les procédures en permettant au demandeur de regrouper toutes les prétentions qu'il peut avoir à formuler au sujet d'un même contrat de travail dans le cadre d'une même instance, donnant lieu à un seul et même jugement, et non d'entraver les parties en les enfermant dans un carcan.

Que dans cet esprit les « nouveaux chefs de demandes » visés par l'alinéa 2 de l'article 59 doivent s'entendre dans un sens large, comme « tout ce qui existait ou était connu au moment de l'introduction de la première procédure, mais qui, pour une raison ou une autre, n'a pas été demandé ».

Qu'en conséquence l'irrecevabilité des demandes de rappel de salaires, dont le montant n'avait pas été chiffré lors de l'introduction de la première procédure, ne fait nullement obstacle, tant qu'un jugement au fond n'est pas intervenu sur les autres chefs de demande, à ce qu'une deuxième requête soit introduite devant le Bureau de Conciliation, pour présenter des demandes, cette fois-ci déterminées quant à leur montant, même si elles découlent des mêmes causes.

Qu'en effet à partir du moment où l'irrecevabilité prononcée par le jugement du 5 décembre 2002 n'était qu'une irrecevabilité de pure forme, le salarié demeure en droit, tant que la prescription quinquennale n'est pas acquise et que la première affaire n'est pas jugée, de présenter une autre requête devant le Bureau de Conciliation pour solliciter le paiement de sommes précises lui restant dues dans le cadre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.

La SAM EMONE sollicite pour sa part de la présente juridiction :

* à titre principal qu'après avoir accueilli favorablement sa fin de non-recevoir tirée de l'exception de chose jugée, elle déclare les nouvelles demandes de s AB irrecevables et constate par voie de conséquence que la demande de jonction est dépourvue d'objet,

* à titre subsidiaire qu'elle déclare lesdites demandes irrecevables, sur le fondement des dispositions de l'alinéa 1er de l'article 59 de la loi n° 446, comme n'étant pas justifiées par des causes nées à son profit ou connues de lui postérieurement à l'introduction de la demande primitive,

* à titre infiniment subsidiaire, qu'elle déclare lesdites demandes irrecevables sur le fondement des dispositions de l'alinéa 2 de l'article 59 de la loi n° 446 « compte tenu de l'existence du jugement rendu le 5 décembre 2002 »,

* à titre reconventionnel, qu'elle sanctionne le caractère manifestement abusif de la présente procédure en condamnant s AB à lui verser la somme de 2.300,00 €, à titre de dommages et intérêts.

Elle invoque, à cet effet, les moyens suivants :

* en l'état de la triple identité de personnes, d'objet et de cause existant entre les deux instances successivement introduites par s AB, son employeur est fondé à lui opposer la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée qui s'attache à la décision, aujourd'hui définitive, rendue le 5 décembre 2002 par la présente juridiction,

* en tout état de cause le tempérament apporté au principe de l'unicité de l'instance par les alinéas 1 et 2 de l'article 59 de la loi n° 446 ne peut jouer en l'espèce dès lors que :

• les causes de la deuxième demande soumise par s AB à la présente juridiction étaient non seulement nées mais aussi connues de lui lorsqu'il a introduit sa demande primitive,

• la demande en paiement de la somme totale de 1.920,82 €, à titre de rappel de salaires, d'indemnité monégasque, de complément de préavis et de congés payés, qui constitue l'objet de la deuxième procédure diligentée par s AB à l'encontre de son ancien employeur, ne peut être considérée comme une demande nouvelle puisque l'intéressé sollicite en réalité exactement la même chose que celle qu'il avait réclamée au cours de la précédente instance, ayant abouti au jugement du 5 décembre 2002, à l'exception près que les montants exprimés à l'origine en francs ont été convertis en euros.

s AB réplique pour sa part à ces divers arguments :

* que les dispositions de l'article 59 de la loi du 16 mai 1946 ont été établies dans l'intérêt exclusif des parties et ne sont donc pas dans ces conditions d'ordre public,

* que le Tribunal du Travail, dans sa décision du 5 décembre 2002, ne s'étant pas prononcé sur le bien-fondé de la demande de jonction, qui ne lui avait à l'époque pas été soumise, mais seulement sur l'opportunité de surseoir à statuer, dans l'attente de cette jonction, la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée attachée au jugement susvisé ne peut lui être utilement opposée,

* que les demandes précisément chiffrées par ses soins dans la requête en date du 10 octobre 2002 ne sont pas les mêmes que celles présentées dans sa première requête du 11 juin 2001, « puisqu'elles sont ici chiffrées alors qu'elles ne l'étaient pas dans cette dernière », l'adjectif nouveau ne voulant pas forcément dire différent, mais s'appliquant aussi à une succession de choses de même nature.

SUR CE,

Si le Tribunal du Travail est certes, au principal, saisi d'une demande de jonction entre les deux instances successivement introduites par s AB à l'encontre de son ancien employeur, encore faut-il, pour que la jonction sollicitée puisse être utilement ordonnée, que les prétentions, qui constituent l'objet du deuxième litige soumis à la présente juridiction, soient elles-mêmes recevables.

Il convient donc, avant de se prononcer sur cette demande de jonction, d'examiner successivement les deux séries de fins de non-recevoir opposées par la SAM EMONE aux nouveaux chefs de demande formulés par s AB, dans sa requête introductive d'instance du 10 octobre 2002.

1) Sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée

En application des dispositions de l'article 1198 du Code Civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement.

Pour que l'exception de chose jugée puisse être accueillie, il faut donc que la même question litigieuse oppose les mêmes parties prises en la même qualité et procède de la même cause que la précédente.

En l'espèce, si le Bureau de Jugement du Tribunal du Tribunal s'est certes prononcé, dans sa décision en date du 5 décembre 2002, sur la recevabilité des demandes non chiffrées formulées par s AB dans sa requête introductive d'instance en date du 11 juin 2001, il n'a en revanche nullement statué sur la recevabilité des demandes contenues dans la deuxième requête déposée le 10 octobre 2002 par l'intéressé, dont il n'était au demeurant pas valablement saisi puisque ladite requête n'avait, à la date de l'audience des débats soit le 17 octobre 2002, pas encore été soumise au Bureau de Conciliation.

L'exception de chose jugée soulevée par la SAM EMONE ne pourra par suite qu'être rejetée.

2) Sur les fins de non-recevoir tirées du principe de l'unicité de l'instance

Il est constant en droit qu'en application du principe dit de l'unicité de l'instance, tel qu'il est clairement affirmé par l'article 59 de la loi du 16 mai 1946, toutes les demandes dérivant d'un même contrat de louage de services entre les mêmes parties doivent avoir fait l'objet d'une seule et même instance, à peine d'être déclarées non recevables.

Que le législateur monégasque a toutefois, à l'instar du législateur français, afin de « simplifier tant soit peu la procédure » et de permettre aux parties « parfois mal instruites de leur cause » de défendre avec efficacité leurs intérêts, « sans avoir à observer des règles par trop nuancées », expressément institué deux tempéraments à la règle susvisée :

* le premier figurant dans la rédaction initiale de la loi du 16 mai 1946, lorsque le demandeur est en mesure de justifier que les causes des demandes nouvelles ne sont nées à son profit ou n'ont été connues de lui que postérieurement à l'introduction de la demande primitive,

* le second, issu de la loi du 16 mars 1963, concernant les demandes nouvelles, à la condition toutefois que le Tribunal du Travail ne se soit pas encore prononcé en premier ou en dernier ressort sur les chefs de la demande primitive.

En l'espèce, force est de constater tout d'abord que le demandeur ne prétend nullement que la cause de la demande de rappel de salaires, d'indemnité monégasque et de congés payés, formulée par ses soins le 10 octobre 2002, ne serait née à son profit ou n'aurait été connue de lui que postérieurement à l'introduction le 11 juin 2001 de la demande primitive.

Dès lors, par ailleurs, qu'il résulte de l'examen comparatif des deux requêtes introductives d'instance successivement soumises à la présente juridiction par s AB que les prétentions exprimées par l'intéressé dans la deuxième requête déposée le 10 octobre 2002 tendent non seulement aux mêmes fins que celles contenues dans la première requête présentée le 11 juin 2001, dont il a ultérieurement chiffré les montants dans ses conclusions numéro 1 déposées le 17 janvier 2002, à l'exception près qu'elles ont été converties en euros, mais reposent en outre sur des fondements juridiques identiques, lesdites prétentions ne constituent pas des demandes nouvelles.

s AB ne pouvant en définitive se prévaloir d'aucun des deux tempéraments au principe de l'unicité de l'instance prévus par les alinéas 1 et 2 de l'article 59 de la loi n° 446, les demandes en paiement de rappel de salaires, d'indemnité monégasque et de solde de congés payés, qui constituent l'objet de la deuxième procédure introduite le 10 octobre 2002 devant la présente juridiction, sont irrecevables.

3) Sur la demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts

Aucun abus, détachable du droit d'ester en justice, n'étant caractérisé à l'encontre de s AB, la SAM EMONE doit être déboutée de sa demande en dommages et intérêts.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré.

Rejette la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée.

Vu l'article 59 de la loi du 16 mai 1946.

Reçoit la SAM EMONE – h VI en sa fin de non-recevoir tirée du principe de l'unicité de l'instance.

Déclare en conséquence irrecevables les demandes en paiement d'un rappel de salaires, d'indemnité monégasque et de solde de congés payés, introduites par s AB à l'encontre de la SAM EMONE – h VI selon requête introductive d'instance en date du 8 octobre 2002 (réceptionnée au secrétariat le 10 octobre 2002).

Déboute la SAM EMONE – h VI de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts.

Condamne s AB aux entiers dépens.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 608494
Date de la décision : 06/05/2004

Analyses

Contrats de travail


Parties
Demandeurs : s AB
Défendeurs : la Société anonyme monégasque MONE et h VI

Références :

loi n° 763 du 16 mars 1963
article 59 alinéa 2 de la loi du 16 mai 1946
article 59 de la loi du 10 mai 1946
article 1198 du Code Civil
loi du 16 mars 1963
loi du 16 mai 1946


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2004-05-06;608494 ?

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