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31/01/2002 | MONACO | N°6083

Monaco | Tribunal du travail, 31 janvier 2002, p. ME. c/ la SAM Mercury Travel Agency


Abstract

Licenciement sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729 - Rôle du Tribunal en cas de contestation

Résumé

Il appartient au tribunal, lorsque le licenciement, mis en œuvre sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729, est contesté, de vérifier non pas la cause de la rupture, mais le respect par l'employeur des droits et prérogatives du salarié et les circonstances ayant entouré la résiliation, qui doivent être exemptes de faute.

Une secrétaire comptable de vingt années d'ancienneté est licenciée, sur le fondement de l'article 6 de l

a loi n° 729 du 16 mars 1963, par son employeur, le jour même de son retour au travail, ...

Abstract

Licenciement sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729 - Rôle du Tribunal en cas de contestation

Résumé

Il appartient au tribunal, lorsque le licenciement, mis en œuvre sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729, est contesté, de vérifier non pas la cause de la rupture, mais le respect par l'employeur des droits et prérogatives du salarié et les circonstances ayant entouré la résiliation, qui doivent être exemptes de faute.

Une secrétaire comptable de vingt années d'ancienneté est licenciée, sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, par son employeur, le jour même de son retour au travail, après deux mois d'arrêt pour maladie. Si elle reconnaît avoir reçu paiement de l'intégralité des indemnités lui revenant, elle estime qu'en la congédiant par une lettre de l'expert-comptable, sans la moindre information préalable, après une telle ancienneté de services sans reproches, son licenciement soudain est empli de brutalité qui lui confère un caractère abusif. En outre, elle soutient devant le Tribunal du travail où elle a attrait son employeur en paiement de dommages et intérêts, que certaines attestations versées aux débats sont nulles.

L'employeur soutient, quant à lui, que des mises en gardes verbales avaient effectuées, que le licenciement n'a pas été soudain car l'intéressée avait le choix d'effectuer ou non son préavis et qu'elle a perçu toutes les indemnités auxquelles elle avait droit.

Le Tribunal du Travail écarte tout d'abord des débats des attestations non conformes à l'article 324-5°qui prescrit, à peine de nullité, d'indiquer leur finalité. Sur le fond, le Tribunal rappelle que le licenciement mis en œuvre sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729 qui permet de congédier un salarié sans se référer à un motif inhérent à la personne, n'instaure pas pour autant un droit discrétionnaire et absolu au profit de l'employeur. Il appartient au tribunal, lorsque le licenciement est contesté, de vérifier non pas la cause de la rupture, mais le respect par l'employeur des droits et prérogatives du salarié, d'une part, et les circonstances ayant entouré la résiliation, qui doivent être exemptes de faute, d'autre part. Dès lors que la salariée qui n'avait jamais fait l'objet de la moindre sanction, s'est vue notifier son licenciement le jour même de la rupture, après deux mois d'arrêt de travail pour maladie, par une personne extérieure à l'entreprise, sans la moindre information préalable, la rupture est abusive. Compte tenu de l'âge et de l'ancienneté de la salariée et du montant de son salaire, il lui est alloué la somme de 30.000 euros€.

Motifs

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 1er décembre 1999 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 4 janvier 2000 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, au nom de Madame p. ME., en dates des 2 mars 2000, 15 juin 2000, 1er mars 2001 et 4 octobre 2001 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PASTOR, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE MERCURY TRAVEL AGENCY, en dates des 13 avril 2000, 26 octobre 2000 et 10 mai 2001 ;

Après avoir entendu Maître Christophe SOSSO, avocat à la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Madame p. ME., et Maître Elie COHEN, avocat au barreau de Nice, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE MERCURY TRAVEL AGENCY, en leurs plaidoiries

Vu les pièces du dossier ;

Embauchée le 15 juin 1979 par la SAM MERCURY TRAVEL AGENCY en qualité de secrétaire comptable, p. ME. a été licenciée de son emploi par une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 1er septembre 1999, dont le contenu est le suivant :

« Conformément à l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, il est mis fin à votre contrat de travail à compter de ce jour ».

Soutenant que ce licenciement revêtait, eu égard à la brutalité avec laquelle il lui avait été notifié, un caractère abusif, p ME, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 3 janvier 2000, a attrait son ancien employeur devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail afin d'obtenir l'allocation à son profit, avec intérêts de droit à compter de la requête introductive d'instance et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, de la somme de 800.000,00 F, à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice tant matériel que moral qu'elle a subi.

À la date fixée par les convocations les parties ont comparu par leurs conseils respectifs.

Puis, après quinze renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue le 20 décembre 2001 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 31 janvier 2002.

p. ME. fait valoir à l'appui de ses prétentions, que les attestations cotées n° 3, 4 et 5 versées aux débats par la SAM MERCURY TRAVEL AGENCY ne sont pas conformes aux prescriptions édictées à peine de nullité par l'article 324 du Code de procédure civile et doivent dès lors être écartées des débats.

Elle soutient par ailleurs dans le dernier état de son argumentation que si l'article 6 de la loi n° 729 institue certes au profit de l'employeur un droit unilatéral de rupture lui permettant de licencier un salarié sans se référer à un motif inhérent à la personne de celui-ci, le Tribunal du Travail doit toutefois dans cette hypothèse s'assurer d'une part que les droits et prérogatives du salarié ont été respectés et d'autre part que les circonstances ayant entouré la résiliation sont bien exemptes de faute.

Elle rappelle en effet que quelle que soit la nature ou la qualification d'un licenciement, l'employeur peut avoir commis dans l'exercice de son droit unilatéral de résiliation une faute, au sens de l'article 1229 du Code civil constituant le droit commun applicable.

Si elle ne conteste pas avoir reçu paiement de l'intégralité des indemnités lui revenant, en ce compris l'indemnité de licenciement, elle estime en revanche qu'en la congédiant le jour même de son retour au travail après deux mois d'absence, sans l'avoir préalablement avisée par une lettre ou par tout autre moyen de sa décision ou tout au moins de son intention de mettre fin au contrat de travail, alors au surplus qu'en vingt années de services elle n'avait jamais fait l'objet d'aucune sanction, ni même d'un simple reproche, la SAM MERCURY TRAVEL AGENCY a agi avec une soudaineté et une légèreté fautives, qui confèrent incontestablement au licenciement dont elle a été l'objet un caractère abusif.

Elle demande en conséquence que le préjudice, notamment moral, particulièrement important qu'elle a subi soit sanctionné par l'allocation à son profit d'une somme de 800.000,00 F, à titre de dommages et intérêts.

La SAM MERCURY TRAVEL AGENCY conclut pour sa part au rejet de l'intégralité des prétentions formées à son encontre par p. ME.

Elle invoque à cette fin en substance les moyens de fait et de droit suivants :

– le licenciement de p. ME. n'a pas été conduit avec une soudaineté ou une légèreté fautive, cette dernière, qui avait le choix d'effectuer ou non son préavis, ayant en outre perçu toutes les indemnités auxquelles elle ouvrait droit,

– le licenciement de l'intéressée a été rendu nécessaire par son incapacité à s'adapter, nonobstant les formations qui lui ont été dispensées à cette fin, à l'évolution des techniques au sein de l'entreprise, ainsi que par son attitude négative, son absence de maîtrise du nouveau système informatique et enfin et surtout par le retard accumulé dans la tenue de la comptabilité,

– si p. ME. n'a certes jamais reçu notification de sanctions disciplinaires, elle avait en revanche été mise en garde verbalement à plusieurs reprises sur les conséquences dommageables pour la société de son retard dans la production des documents comptables,

– la réalité de ces reproches est établie par les courriers émanant de la direction des services fiscaux, du commissaire aux comptes, de la direction de l'expansion économique, et de la société I.G.A. versés aux débats, étant observé qu'à partir du moment où le département comptabilité était à la seule charge de p ME, les erreurs importantes et nombreuses stigmatisées par les documents susvisés sont nécessairement imputables à l'intéressée,

– la demanderesse ne peut sérieusement prétendre avoir été anéantie par la mesure dont elle a fait l'objet, alors qu'elle avait annoncé au cabinet comptable extérieur à l'entreprise qu'elle ne souhaitait pas continuer à travailler pour MERCURY TRAVEL AGENCY puisqu'on ne reconnaissait pas ses mérites et que de toutes manières, compte tenu de ses compétences, elle trouverait facilement du travail ailleurs, ajoutant qu'elle envisageait de donner sa démission avant la fin de l'année,

– à partir du moment enfin où p. ME. avait été informée de l'éventualité de son licenciement avant même qu'elle ne soit malade, le caractère de soudaineté de la rupture n'est nullement démontré,

– en tout état de cause, à supposer avéré l'état anxio-dépressif réactionnel décrit dans les certificats médicaux versés aux débats, le lien de causalité entre le licenciement et ledit état n'est pas démontré.

p. ME. réplique à son tour à ces divers arguments :

– que les griefs développés par la Société MERCURY TRAVEL AGENCY à son encontre, qui n'ont été mentionnés que pour tenter de donner une justification à son licenciement, non seulement ne reposent sur aucun élément probant mais encore sont contraire à la réalité des faits,

– que la légèreté blâmable dont s'est rendue coupable la société MERCURY TRAVEL AGENCY en l'espèce se trouve confortée par le fait que les dirigeants de cette société ont laissé le soin au cabinet comptable extérieur à l'entreprise de lui notifier son licenciement.

SUR CE,

1) Sur la nullité des attestations

En application des dispositions de l'article 324-5° du Code de procédure civile, l'attestation doit, à peine de nullité, indiquer qu'elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur sait qu'une fausse attestation l'exposerait aux sanctions prévues par l'article 103 du Code pénal.

En l'espèce, si les rédacteurs des attestations cotées n° 3, 4 et 5, produites aux débats par la société MERCURY TRAVEL AGENCY ont certes indiqué de façon manuscrite, à la fin de leur témoignage, qu'ils « reconnaissaient » que leurs attestations pouvaient être produites en justice et que toute fausse déclaration les exposerait à « des sanctions civiles ou pénales », force est de constater toutefois que cette formulation, vague et imprécise, n'est pas celle exigée à peine de nullité par le législateur monégasque.

Les attestations établies par Madame MA., Monsieur MA. et Madame PE. étant dès lors entachées de nullité, celles-ci doivent être écartées des débats.

Il convient d'observer, à titre surabondant, qu'à supposer même que ces témoignages puissent être considérés comme valables, ces derniers qui émanent soit de personnes unies à la société défenderesse par un lien de subordination, soit de personnes en relation d'affaires avec elle, ne présentent pas de garanties d'impartialité suffisantes pour emporter la conviction du Tribunal et ne pourraient en conséquence, en tout état de cause, qu'être écartés des débats.

2) Sur le fond du litige

Il est constant en l'espèce que le licenciement de p. ME. a été mis en œuvre par la société MERCURY TRAVEL AGENCY sur le fondement des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729.

Si ce texte permet certes à l'employeur de congédier un salarié sans se référer de façon implicite ou explicite à un motif inhérent à la personne de celui-ci, il n'instaure pas toutefois au profit de ce dernier un droit discrétionnaire et absolu.

Il appartient dès lors au Tribunal du Travail, lorsque le licenciement est contesté, de vérifier non pas la cause de la rupture, mais le respect par l'employeur des droits et prérogatives du salarié d'une part et les circonstances ayant entouré la résiliation, qui doivent être exemptes de faute, d'autre part.

Il est constant (cf. bulletin de salaire en date du 1er septembre 1999) que p. ME. a perçu ensuite de son licenciement toutes les indemnités (préavis – congés payés – 13e mois - indemnité de licenciement) auxquelles son ancienneté lui ouvrait droit.

La salariée ayant ainsi perçu l'intégralité des indemnités auxquelles elle pouvait prétendre, le rôle du Tribunal du travail se limite en définitive à vérifier si l'employeur n'a pas commis d'abus dans l'exercice de son droit de rupture du contrat, la charge de la preuve d'un tel abus incombant à celui qui s'en prévaut, et donc en l'espèce à p. ME.

Seules devant être prises en considération, pour caractériser l'existence éventuelle d'une telle faute, les circonstances de fait ayant entouré la rupture du contrat de travail, à l'exclusion de toute considération inhérente au comportement professionnel du salarié, les motifs qui ont pu conduire l'employeur à prendre sa décision, même s'ils ont été exposés dans les conclusions des parties, n'ont pas à être débattus dans le cadre de la présente instance.

L'employeur ne peut ainsi les évoquer pour tenter de justifier a posteriori le bien-fondé de sa décision et démontrer ainsi qu'il n'a commis aucune faute.

Dès lors en l'espèce qu'il résulte des éléments du dossier d'une part qu'en vingt années de services p. ME. n'a jamais fait l'objet de la moindre sanction, ni même d'une simple observation écrite de la part de son employeur et d'autre part que la rupture de son contrat de travail lui a été effectivement notifiée le jour même où elle reprenait son travail, après deux mois continu d'arrêt pour raisons médicales, par une personne extérieure à l'entreprise (l'expert-comptable MA.), sans que cette dernière n'ait été préalablement informée ou avertie, de quelque manière que ce soit, des intentions de son employeur, le licenciement de la demanderesse a bien été, en la forme, conduit avec une soudaineté, une brusquerie et une légèreté fautives, lesquelles lui confèrent incontestablement un caractère abusif.

p. ME. justifie par les pièces notamment d'ordre médical qu'elle a versées aux débats (cf. certificat médical du Docteur FR. et SA.) avoir subi, ensuite de son licenciement, lequel a incontestablement aggravé l'état dépressif médicalement constaté depuis le mois de janvier 1999, un préjudice important, non seulement matériel mais également d'ordre moral.

Compte tenu de son âge (39 ans lors de la notification de la rupture) de son importante ancienneté de services (20 années) et enfin du montant de sa rémunération mensuelle, ce préjudice sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts.

En l'absence de considération particulière propre à la justifier, il n'y a pas lieu d'assortir la présente décision du bénéfice de l'exécution provisoire.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré.

Déclare nulles les attestations cotées n° 3, 4 et 5 établies par Mesdames MA. et PE. ainsi que par Monsieur p. MA.

Condamne la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE MERCURY TRAVEL AGENCY à payer à p. ME., la somme de 30.000,00 euros, (trente mille euros), à titre de dommages et intérêts.

Condamne la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE MERCURY TRAVEL AGENCY aux entiers dépens.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6083
Date de la décision : 31/01/2002

Analyses

Rupture du contrat de travail ; Contentieux (Social) ; Justice (organisation institutionnelle)


Parties
Demandeurs : p. ME.
Défendeurs : la SAM Mercury Travel Agency

Références :

article 324-5° du Code de procédure civile
article 103 du Code pénal
article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963
article 324 du Code de procédure civile
article 1229 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2002-01-31;6083 ?

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