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17/01/2002 | MONACO | N°6042

Monaco | Tribunal du travail, 17 janvier 2002, s BI c/ a SI


Abstract

Qualification de cadre - Conditions non réunies - Convention collective exigeant un avertissement avant le licenciement - Non-respect - Licenciement sans motif valable et abusif

Résumé

Lorsqu'une convention collective prévoit qu'un licenciement ne peut intervenir sans avertissement, l'employeur ne peut, sauf faute grave, sanctionner la faute par un licenciement, à défaut d'avertissement préalable.

Une préparatrice en pharmacie ayant 11 ans d'ancienneté avait été licenciée pour refus d'obéissance, abus de pouvoir et propos injurieux envers un co

llègue de travail. Devant le tribunal du travail, elle soutenait être en droit de se...

Abstract

Qualification de cadre - Conditions non réunies - Convention collective exigeant un avertissement avant le licenciement - Non-respect - Licenciement sans motif valable et abusif

Résumé

Lorsqu'une convention collective prévoit qu'un licenciement ne peut intervenir sans avertissement, l'employeur ne peut, sauf faute grave, sanctionner la faute par un licenciement, à défaut d'avertissement préalable.

Une préparatrice en pharmacie ayant 11 ans d'ancienneté avait été licenciée pour refus d'obéissance, abus de pouvoir et propos injurieux envers un collègue de travail. Devant le tribunal du travail, elle soutenait être en droit de se voir reconnaître la qualité de cadre depuis 1996, moment auquel elle avait été promue au poste de « responsable du laboratoire de fabrication ». Aucun des griefs invoqués par son employeur n'étant, d'après elle, avéré, elle sollicitait le paiement d'une indemnité de licenciement et des dommages intérêts pour licenciement abusif.

Elle invoquait, à son profit, les dispositions de l'article 6 de la Convention collective applicable, stipulant que « le licenciement ne pourra intervenir qu'après un avertissement donné lors de la première observation et porté sur le registre des délégués ».

Sur la qualification, en application de la Convention Collective française de la Pharmacie d'officine, la salariée ne remplissait pas la double condition de la dépendance hiérarchique directe avec le chef d'entreprise ou son représentant et de la responsabilité d'au moins un secteur d'activités.

Le licenciement, dès lors que la faute grave n'était pas retenue, ne pouvait intervenir, l'employeur ne pouvant, « en l'absence de tout avertissement préalable, sanctionner la faute ». L'indemnité de licenciement, déduction faite de l'indemnité de congédiement était due. La mise en œuvre de la rupture ayant été faite avec une soudaineté certaine qui lui confère un caractère abusif, il a été alloué la somme de 6000 € à titre de dommages-intérêts.

Motifs

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 14 juin 1999 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 29 juin 1999 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PASTOR, avocat-défenseur, au nom de Madame s. BI., en dates des 7 octobre 1999, 11 mai 2000 et 15 février 2001 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Richard MULLOT, avocat, au nom de Monsieur a. SI., en dates des 25 novembre 1999, 9 novembre 2000 et 21 juin 2001 ;

Après avoir entendu Maître Danièle RIEU, avocat au barreau de Nice, au nom de Madame s. BI., et Maître Richard MULLOT, avocat à la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Monsieur a SI, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauchée le 15 novembre 1989 en qualité de préparatrice par a. SI., propriétaire exploitant la pharmacie à l'enseigne « Pharmacie de Fontvieille », s. BI. a été licenciée de cet emploi le 13 novembre 1998 pour les motifs suivants :

a) refus caractérisé d'obéissance et négligence d'information à la hiérarchie de différents incidents,

b) abus de pouvoir,

c) propos injurieux envers une collègue de travail.

Soutenant d'une part qu'elle était en droit d'obtenir à compter du mois de mai 1996, date de son affectation au poste de responsable du laboratoire de fabrication, la qualification de cadre, coefficient 340, et pouvait en conséquence prétendre à un rappel de salaire, d'indemnité de préavis et de congédiement, d'autre part que l'employeur ne justifiait pas d'un motif valable de licenciement et enfin que la rupture de son contrat de travail, au regard des circonstances l'ayant entourée, revêtait en l'espèce un caractère manifestement abusif, s. BI., ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 28 juin 1999, a attrait a. SI. devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, afin d'obtenir l'allocation à son profit, sous le bénéfice de l'exécution provisoire et avec intérêts de droit, des sommes suivantes :

• 42.000,00 F, à titre de rappel de salaire (dont notamment prime d'ancienneté, prime de travail en sous-sol, congés payés),

• 9.720,97 F, à titre de solde d'indemnité de préavis,

• 9.212,82 F, à titre de solde d'indemnité de congédiement,

• 16.344,63 F, à titre d'indemnité de licenciement (déduction faite de l'indemnité de congédiement, les deux indemnités n'étant pas cumulables),

• 140.000,00 F, à titre de dommages et intérêts.

À la date fixée par les convocations, les parties ont comparu par leurs conseils, puis après seize renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue le 29 novembre 2001 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 17 janvier 2002.

s. BI. expose en premier lieu à l'appui de ses prétentions qu'après avoir exercé pendant plus de cinq années la fonction de responsable des stocks, elle a été promue au mois de mai 1996 au poste de «responsable du laboratoire de fabrication ».

Soutenant d'une part que dans l'exercice de cette activité elle avait autorité sur au moins trois personnes et d'autre part que son efficacité, sa compétence professionnelle et l'importance de ses attributions ne peuvent être remises en cause, elle estime être en droit de prétendre à compter du 1er mai 1996 à la qualification de cadre non pharmacien, position I, coefficient 340 prévue par la Convention Collective Française de la pharmacie d'officine.

Elle sollicite en conséquence, sur la base de ce coefficient, les rappels de salaires et d'indemnités suivants :

* rappel de salaire minima, déduction faite de la prime travail laboratoire, outre l'indemnité monégasque de 5 % : 29.400,35 F,

* rappel de prime d'ancienneté : 1.680,00 F,

* rappel de salaire sur les heures supplémentaires, qui ont été rémunérées sur la base du coefficient 300 alors qu'elles auraient dû l'être sur la base du coefficient 340 : 1.652,40 F,

* congés payés afférents au rappel de salaire : 3.273,24 F,

* solde de préavis, en ce compris l'indemnité de congés payés correspondante : 14.823,20 F,

* solde d'indemnité conventionnelle de congédiement, calculée sur la base d'un salaire mensuel de 12.589,94 F et à raison de 3/10e de mois de salaire par année d'ancienneté : 17.664,65 F.

s. BI. soutient en second lieu qu'aucun des griefs invoqués à son encontre dans la lettre de notification de la rupture n'a été ultérieurement conforté par une « quelconque preuve ».

Elle estime au contraire avoir toujours fidèlement exécuté les ordres donnés par son employeur, informant en outre ce dernier de tous les problèmes rencontrés.

Elle conteste, par ailleurs, avoir tenu des propos injurieux à l'encontre d'une collègue de travail, prétendant s'être contentée, à la demande d'a SI de faire des remarques à ce salarié sur la qualité de son travail.

Rappelant qu'en neuf années d'activité au service d'a. SI. elle n'a jamais fait l'objet d'un avertissement, ni même d'une quelconque observation, elle invoque à son profit les dispositions de l'article 6 de la Convention Collective du Travail selon lequel :

« le licenciement ne pourra intervenir qu'après un avertissement donné lors de la première observation et porté sur le registre du délégué »,

et soutient en conséquence, aucune faute grave ne lui ayant été reprochée, d'une part que la rupture de son contrat de travail a été mise en œuvre pour un motif non valable et d'autre part que l'employeur a agi avec une légèreté blâmable et fait ainsi un usage abusif de son droit de licencier.

Estimant en définitive que son congédiement visait en réalité à sanctionner l'action revendicative qu'elle a conduite dans l'entreprise, en sa qualité de déléguée du personnel, elle demande au Tribunal du Travail de lui allouer à titre d'indemnité de licenciement la somme de 20.960,60 F, (soit 55.897,55 F – 34.936,95 F représentant le montant de l'indemnité de congédiement), outre celle de 140.000,00 F à titre de dommages et intérêts.

a. SI. conclut pour sa part au rejet de l'intégralité des prétentions formées à son encontre par s. BI.

Il invoque à cette fin en substance les moyens suivants :

* le changement d'affectation de s. BI. ne constitue pas contrairement à ce que soutient cette dernière une promotion,

* la prime exceptionnelle intitulée « prime de travail labo » versée à cette dernière à compter de novembre 1997 n'était pas destinée à « gratifier un prétendu poste de responsabilité » mais seulement à compenser un éventuel manque à gagner consécutif à l'instauration, au profit des préparateurs travaillant au comptoir, d'une prime de vente,

* s. BI. ne peut en tout état de cause prétendre au statut de cadre, dès lors qu'elle n'avait aucun droit d'autorité et de direction sur les autres employés et ne disposait pas davantage du pouvoir de signer les bons,

* s. BI. s'étant permise, au cours d'une réunion organisée à son initiative le 12 novembre 1998, hors la présence de son employeur et à l'insu de celui-ci, de juger les compétences professionnelles d'une de ses collègues de travail et de proférer à l'encontre de cette dernière injures et intimidations, alors qu'elle ne disposait d'aucun pouvoir de direction vis à vis des autres salariés de la pharmacie, le licenciement prononcé le 13 novembre 1998 est parfaitement fondé et justifié.

SUR CE,

1) SUR LES DEMANDES RELATIVES À L'EXÉCUTION DU CONTRAT DE TRAVAIL

Pour revendiquer le statut de cadre et l'attribution du coefficient 340, s. BI. se prévaut d'une part de l'importance du service (laboratoire de fabrication) au sein duquel elle était affectée, ce dernier fournissant selon elle en préparations magistrales outre la pharmacie de Fontvieille, une centaine d'autres officines, d'autre part de l'étendue de ses compétences et de ses aptitudes professionnelles, et enfin du fait qu'elle aurait eu autorité sur d'autres salariés (au moins trois).

Si les deux premiers arguments invoqués ne sont en l'espèce ni contestés, ni au demeurant contestables, au regard des pièces produites, il n'en demeure pas moins qu'en application des dispositions de l'article 2 de la section II classification des cadres non pharmaciens de la Convention Collective Française de la Pharmacie d'officine, ne peuvent être considérés comme cadres que les collaborateurs qui :

1° du point de vue de la hiérarchie relèvent directement du chef d'entreprise ou d'un fondé de pouvoir ayant qualification d'employeur, ou d'un autre cadre dûment mandaté par le chef d'entreprise,

2° du point de vue de la fonction sont responsables au moins d'un secteur d'activité de l'entreprise.

Force est de constater que cette double condition n'est pas remplie en l'espèce.

Qu'en effet s. BI. ne peut tout d'abord être considérée comme ayant assumé la responsabilité du préparatoire alors qu'elle ne conteste nullement ne pas avoir disposé du pouvoir de signer les bons, cette tâche relevant des attributions d'un cadre pharmacien.

Qu'il n'est pas davantage établi par les témoignages produits aux débats que cette dernière ait exercé des fonctions de commandement ou de surveillance à l'égard des autres employés du laboratoire, la tutelle exercée sur l'apprentie préparatrice n'étant à cet égard pas significative.

Aucune conséquence ne peut en outre être tirée de l'attribution par l'employeur à s. BI., à compter du mois de novembre 1997 d'une prime mensuelle intitulée prime travail labo, dès lors que l'affirmation d'a. SI., selon laquelle l'objet de cette prime était de compenser le manque à gagner subi par sa salariée consécutivement à l'instauration au profit des préparateurs exerçant leurs fonctions au comptoir, d'une prime d'intéressement n'a pas été utilement contredite par la salariée.

s. BI .ne justifiant pas enfin remplir les conditions prévues par l'article 2-3 de l'annexe II susvisée, qu'elle n'a au demeurant jamais invoqué dans ses conclusions devant cette juridiction, sa demande tendant à se voir reconnaître le statut de cadre, ainsi que toutes celles qui en découlent directement (rappel de salaires – de prime d'ancienneté – d'heures supplémentaires de préavis – de congédiement) ne pourront qu'être rejetées.

2) SUR LE LICENCIEMENT

Il est constant en l'espèce que s. BI., au cours des neuf années passées au service d'a. SI., n'a jamais fait l'objet d'un avertissement ni d'aucune sanction disciplinaire, de quelque nature qu'elle soit.

Il est également constant que cette dernière n'a pas été licenciée pour faute grave, l'employeur après avoir indiqué dans la lettre de rupture que les motifs évoqués « devraient, à son avis, faire l'objet d'un licenciement pour faute grave, ayant expressément renoncé, dans ce même courrier, par » mesure de tolérance «, à s'en prévaloir.

s. BI. est dès lors fondée à se prévaloir des dispositions de l'article 6 de la Convention Collective Monégasque du Travail, lequel s'énonce comme suit :

» le licenciement est la sanction prise à l'égard d'un ouvrier ou d'un employé à la suite d'une faute commise par celui-ci ; Le licenciement ne pourra intervenir qu'après un avertissement donné lors de la première observation et porté sur le registre du délégué. Cette sanction sera communiquée en présence des délégués aux intéressés ".

L'employeur ne pouvant en l'absence de tout avertissement préalable sanctionner la faute qu'il reproche à sa salariée d'avoir commise par un licenciement, la rupture du contrat de travail de s. BI. ne repose pas sur un motif valable.

Cette dernière est dès lors en droit de prétendre au bénéfice de l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968.

Compte tenu d'une part de son ancienneté de services et d'autre part du montant du salaire perçu par s BI, l'indemnité revenant à cette salariée s'élève à la somme de 51.100,54 F, se décomposant comme suit :

(11.613,76 F x 110) / 25 = 51.100,54 F

dont il convient de déduire l'indemnité de congédiement versée le 17 novembre 1998 s'élevant à 17.292,30 F, soit un solde de 33.808,24 F en faveur de la salariée, correspondant à 5.154,03 euros.

La demanderesse ne pouvant en application de l'article 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946 portant création du Tribunal du Travail, augmenter sa demande postérieurement à sa comparution devant le Bureau de Conciliation, la présente juridiction ne peut prendre en considération que les prétentions chiffrées contenues dans le procès-verbal de non-conciliation du 28 juin 1999, à savoir :

* un solde d'indemnité de congédiement de 9.212,82 F,

* une indemnité de licenciement (déduction faite de l'indemnité de congédiement de 16.344,60 F)

soit un total de 25.557,45 F soit 3.896,21 euros.

Le Tribunal ne pouvant statuer au-delà de ce qui lui a été demandé, c'est cette somme de 3.896,21 € qui sera en définitive allouée à s. BI.

Au regard des dispositions de l'article 6 de la Convention Collective Nationale du Travail, le licenciement de s. BI. a été mis en œuvre avec une soudaineté certaine, qui lui confère un caractère abusif.

Cette dernière à qui il incombe de démontrer la réalité et l'étendue du dommage qu'elle estime avoir subi ne justifie de son statut de demanderesse d'emploi que pour la période du 30 avril 1999 au 31 décembre 1999, soit pendant une période limitée à huit mois, pendant laquelle elle a reçu de l'ASSEDIC des allocations pour un montant net imposable de 49.567,00 F, alors que si elle avait conservé son emploi au service d'a SI elle aurait perçu un salaire net de 81.760,87 F, soit une perte financière s'élevant à 32.103,00 F.

Le préjudice résultant du caractère abusif de la rupture sera dès lors équitablement réparé par l'allocation d'une somme de 6.000 € à titre de dommages et intérêts.

En l'absence de circonstances propres à la justifier, il n'y a pas lieu enfin d'assortir la présente décision du bénéfice de l'exécution provisoire.

Dispositif

Par ces motifs,

Le Tribunal du travail,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré.

Déboute s. BI. de sa demande tendant à se voir reconnaître la qualification de cadre ainsi que de toutes les demandes découlant directement de cette prétention.

Dit que le licenciement de s. BI. a été mis en œuvre pour un motif non valable.

Dit en outre que cette mesure revêt un caractère abusif.

Condamne en conséquence a. SI. à payer à s. BI. les sommes de :

• 3.896,21 euros, (trois mille huit cent quatre vingt seize euros et vingt et un centimes), à titre d'indemnité de licenciement,

• 6.000,00 euros, (six mille euros), à titre de dommages et intérêts,

ces deux sommes produisant intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

Déboute s. BI. du surplus de ses prétentions.

Condamne a. SI. aux dépens.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6042
Date de la décision : 17/01/2002

Analyses

Rupture du contrat de travail ; Relations collectives du travail ; Pouvoir disciplinaire ; Conditions de travail


Parties
Demandeurs : s BI
Défendeurs : a SI

Références :

article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968
article 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2002-01-17;6042 ?

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