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10/01/2002 | MONACO | N°6057

Monaco | Tribunal du travail, 10 janvier 2002, p. DE. c/ m. CO.


Abstract

Contrat de travail - Rupture - Modification du contrat - Réduction de l'horaire mensuel de 39 heures à 20 heures par semaine - Refus - Licenciement non fondé sur un motif valable

Résumé

Lorsque le salarié refuse la modification de son contrat de travail, l'employeur doit, s'il ne renonce pas à cette modification, procéder à son licenciement, lequel repose sur un motif valable, si la modification proposée par l'employeur répond à un intérêt réel pour l'entreprise.

Tel n'est pas le cas, en l'espèce, d'une salariée qui a été licenciée à la

suite de son refus d'accepter la modification d'un élément essentiel de son contrat de trav...

Abstract

Contrat de travail - Rupture - Modification du contrat - Réduction de l'horaire mensuel de 39 heures à 20 heures par semaine - Refus - Licenciement non fondé sur un motif valable

Résumé

Lorsque le salarié refuse la modification de son contrat de travail, l'employeur doit, s'il ne renonce pas à cette modification, procéder à son licenciement, lequel repose sur un motif valable, si la modification proposée par l'employeur répond à un intérêt réel pour l'entreprise.

Tel n'est pas le cas, en l'espèce, d'une salariée qui a été licenciée à la suite de son refus d'accepter la modification d'un élément essentiel de son contrat de travail (réduction de l'horaire mensuel de 39 heures à 20 heures par semaine) qui lui avait été proposée, dès lors que la diminution du travail, motif économique invoqué par l'employeur, ne reposait que sur les affirmations de ce dernier. Elle n'était établie par aucun document comptable démontrant le recul du chiffre d'affaires ou tout au moins la diminution des ventes, en sorte que le licenciement ne pouvait être considéré comme justifié par un motif valable.

Cette décision a été confirmée, en appel, par jugement du Tribunal de Première Instance du 10 juillet 2003.

Motifs

P R I N C I P A U T E D E M O N A C O

TRIBUNAL DU TRAVAIL

AUDIENCE DU 10 JANVIER 2002

En la cause de Madame p. DE., demeurant : X à Beausoleil (06240),

demanderesse, bénéficiant de l'Assistance Judiciaire par décision du Bureau n° 94 ASJ 99, en date du 11 octobre 2000, ayant élu domicile en l'étude de Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître Alexis MARQUET, avocat-stagiaire à la Cour d'Appel de Monaco,

d'une part ;

Contre :

Monsieur m. CO. exerçant le commerce sous l'enseigne « DIANA FURS », sise 31, boulevard des Moulins à Monaco,

défendeur, plaidant par Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco et ayant élu domicile en son étude .

d'autre part ;

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 9 janvier 2001 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 6 février 2001 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur, au nom de p. DE., en date du 5 avril 2001 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Patricia REY, avocat-défenseur au nom de m. CO. en date du 7 juin 2001 ;

Après avoir entendu Maître Alexis MARQUET, avocat-stagiaire à la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Madame p. DE., et Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Monsieur m. CO. en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauchée le 1er mars 1991, selon contrat à durée indéterminée, par m. CO. en qualité de finisseuse-doubleuse, p. DE. a été licenciée de cet emploi par une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 8 juillet 1996, présentée pour la première fois le 10 juillet 1996 à son destinataire, et dont le contenu est le suivant :

« Vu votre refus du 28 juin 1996 de mon offre de réduction de travail à 20 heures par semaine à partir du 1er juillet 1996, je suis obligé de vous licencier, à effet immédiat, avec préavis légal à effectuer ».

Soutenant d'une part qu'elle n'avait pas été remplie de ses droits à congés payés, d'autre part que son licenciement ne reposait pas sur un motif valable, au sens de l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968, et enfin que cette mesure, au regard des circonstances de fait l'ayant entourée, revêtait un caractère manifestement abusif, p. DE., en suite d'un procès-verbal de non conciliation en date du 5 février 2001, a attrait m. CO. devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, afin d'obtenir l'allocation à son profit, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, des sommes suivantes :

À titre principal :

* 22.173,68 francs à titre d'indemnité de licenciement,

* 107.292 francs à titre de dommages et intérêts, ladite somme représentant un an de salaires,

* 9.877,53 francs à titre de solde restant dû sur congés payés,

À titre subsidiaire :

* 4.470,50 francs à titre d'indemnité de congédiement.

À la date fixée par les convocations les parties ont comparu par leurs conseils respectifs.

Puis, après cinq renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue le 22 novembre 2001 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour, 10 janvier 2002.

p. DE. expose, à l'appui de ses prétentions, qu'alors qu'elle se trouvait en arrêt maladie depuis le 7 juin 1996, son employeur lui a adressé le 24 juin 1996 un courrier aux termes duquel il lui indiquait qu'en raison de la situation économique il souhaitait réduire son temps de travail à 20 heures hebdomadaires au lieu des 39 heures initialement prévues, et ce à effet du 2 juillet 1996 ; qu'ayant refusé cette modification d'un élément essentiel de son contrat de travail, elle s'est vu notifier le 8 juillet 1996 son licenciement.

Soutenant qu'à partir du moment où m. CO. a fait appel à une tierce personne pour exécuter les travaux de couture qui lui étaient antérieurement confiés, le motif économique de licenciement tenant à une « diminution du travail de doubleuse et finisseuse » n'est pas avéré, p. DE. sollicite l'allocation à son profit de l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968, soit une somme de 22.173,68 francs.

Estimant par ailleurs qu'en supprimant son emploi pour un motif qui s'est avéré non fondé, l'employeur, qui n'a pas hésité pour ce faire à se mettre en infraction vis à vis de la législation monégasque sur le travail, a fait un usage abusif de son droit unilatéral de rupture, elle demande que le préjudice, tant matériel que moral, qu'elle a subi soit équitablement réparé par l'allocation d'une somme de 107.292 francs, à titre de dommages et intérêts.

m. CO. conclut pour sa part au rejet de l'intégralité des prétentions formées à son encontre.

Après avoir liminairement souligné que la présente procédure a été introduite à son encontre plus de quatre années après le licenciement de p. DE., il invoque en substance les moyens suivants :

* L'attestation et le constat d'huissier versés aux débats par p. DE. pour démontrer qu'elle a été remplacée dans son emploi sont dépourvus de toute valeur probante compte tenu :

* du caractère particulièrement vague des affirmations de Madame RI.,

* du contenu d'un constat d'huissier dressé le 28 mai 2001 à sa requête par Maître NOTARI, lequel prouve que « lors de ses passages devant le magasin, Madame RI. n'a pu apercevoir qui que ce soit ou quoi que ce soit ».

* Les déclarations faites le 28 février 1997 à Maître ESCAUT-MARQUET tant par l'employeur que par Madame AI. établissent que la présence de cette dernière dans le magasin le 28 février 1997 revêtait un caractère tout à fait fortuit,

* Compte tenu de son âge (69 ans) et de sa situation de retraitée, Madame AI. ne pouvait en tout état de cause faire l'objet d'une embauche au sein du magasin DIANA FURS,

* Il ne peut être sérieusement prétendu que p. DE. aurait été immédiatement remplacée dans son emploi, alors que, selon les mentions contenues dans le registre de paie, il n'a été procédé à l'embauche d'une nouvelle salariée au sein de l'entreprise qu'au mois de février 1998, soit près de dix huit mois après le licenciement,

* Compte tenu de la crise économique, qui a entraîné une forte dévaluation de la lire italienne, rendant ainsi impossible de fait toute concurrence avec les boutiques hors frontières, la réduction d'horaires proposée à p. DE. et refusée par cette dernière était parfaitement justifiée,

* En assurant à p. DE. le paiement de l'indemnité de licenciement, ainsi que de l'indemnité de congés payés « acquise », l'employeur a satisfait à ses obligations légales. Dès lors le licenciement ne peut être qualifié d'abusif.

SUR CE,

1) Sur la validité du motif

Il est constant en l'espèce que le licenciement de p. DE. est intervenu à la suite du refus de cette dernière d'accepter la modification d'un élément essentiel de son contrat de travail (réduction de l'horaire mensuel de 39 heures à 20 heures par semaine), qui lui avait été proposée le 21 juin 1996.

La rupture imputable à l'employeur, qui découle de sa volonté maintenue d'imposer au salarié des conditions nouvelles que celui-ci refuse n'étant pas illégitime en elle même, il convient, pour apprécier s'il existe un motif valable de licenciement, de rechercher si la modification proposée par l'employeur répondait à un intérêt réel pour l'entreprise.

En l'espèce, si la lettre adressée le 21 juin 1996 par m. CO. à p. DE. fait certes allusion à la « situation économique », force est de constater toutefois que l'employeur ne justifie nullement, autrement que par les affirmations péremptoires contenues dans ses conclusions, des difficultés d'ordre économique qu'il prétend avoir traversées.

En effet, si le continent européen a certes été touché au cours des années 1992-1995 par une crise économique ayant notamment provoqué la dévaluation de la lire italienne, à défaut de verser aux débats le moindre élément comptable, démontrant le recul du chiffre d'affaires réalisé par son commerce ou tout au moins la diminution des ventes, m. CO. ne justifie pas de la diminution du travail, et notamment de la réduction des retouches, dont il se prévaut dans l'attestation destinée à l'ASSEDIC, qui l'auraient contraint à réduire de moitié l'horaire de travail de sa salariée.

L'employeur n'ayant ainsi aucun motif légitime de modifier les conditions substantielles du contrat de travail de p. DE., le refus de cette dernière d'accepter la transformation de son emploi à temps plein en un emploi à mi-temps ne peut-être considéré comme un motif valable de licenciement.

p. DE. est en conséquence en droit de prétendre au bénéfice de l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968.

Compte tenu de son ancienneté de services (5 ans et 6 mois) d'une part et du montant de sa rémunération mensuelle d'autre part (8.941 francs), la somme lui revenant à ce titre s'élève à (8.941 x 66) / 25 =23.604,24 francs.

soit 3.598,44 euros, dont il convient de déduire l'indemnité de congédiement (qualifiée erronément d'indemnité de licenciement), versée le 30 septembre 1996, s'élevant à la somme de 2.236 francs (soit 340,88 euros), soit en définitive un solde de 3.598,44 euros - 340,88 euros = 3.257,56 euros, (soit 21.368,19 francs) en faveur de la salariée.

2) Sur le caractère abusif du licenciement

Il résulte de l'attestation établie par Madame RI., dont le contenu a été ultérieurement confirmé en tous points par le procès-verbal de constat dressé le 28 février 1997 par Maître ESCAUT-MARQUET, à la suite d'une Ordonnance sur requête rendue le 4 novembre 1996 par le Président du Tribunal de Première Instance, que, contrairement de ce qu'il prétend et à ce qu'il résulte des documents officiels (livre de paie), m. CO. a en réalité remplacé p. DE. dans son emploi de finisseuse- retoucheuse au moins à partir du 4 novembre 1996, en employant à ses lieux et place AU NOIR une personne retraitée, âgée de 69 ans.

Dès lors qu'il a été dressé plus de quatre années et demi après les faits dénoncés par Madame RI., laissant ainsi à l'employeur tout loisir de modifier la disposition des lieux ou à tout le moins l'agencement de son fonds de commerce, le constat établi le 28 mai 2001 par Maître NOTARI ne revêt en effet, en l'espèce, aucun caractère déterminant.

Compte tenu, en tout état de cause, du caractère suffisamment précis des constatations effectuées par Madame RI. (une personne de sexe féminin d'un âge certain se tenant dans le fond de la boutique semblant exécuter des travaux de couture), la présence le 28 février 1997 dans l'arrière boutique, d'une femme âgée de 69 ans en train d'effectuer des travaux de couture, et notamment de coudre des boutons sur une veste, ne présente à l'évidence aucun caractère fortuit.

En licenciant p. DE. sous le couvert d'un motif économique fallacieux, afin de la remplacer aussitôt dans son emploi par un salarié embauché en fraude de la législation monégasque du travail, m. CO. a assurément fait un usage abusif de son droit unilatéral de rupture.

Compte tenu des éléments d'appréciation dont dispose ce Tribunal et notamment de l'âge de p. DE., lors de la notification de son licenciement (52 ans) et de son ancienneté de services (5 ans et demi), le préjudice, tant matériel que moral, subi par cette dernière, consécutivement à la rupture de son contrat de travail sera équitablement réparé par l'allocation à son profit d'une somme de 10.000 euros, à titre de dommages et intérêts.

3) Sur la demande au titre des congés payés

Dès lors d'une part qu'elle n'est étayée par aucune pièce et d'autre part qu'il apparaît, à l'examen du reçu pour solde de tout compte, que p. DE. a été remplie de ses droits à congés payés, la demande formulée à ce titre à hauteur d'une somme de 9.877,53 francs ne pourra qu'être rejetée.

En l'absence de circonstances particulières la justifiant, l'exécution provisoire n'a pas à être ordonnée en l'espèce.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré.

Dit que le licenciement de p. DE. a été mis en œuvre pour un motif non valable.

Dit en outre que cette rupture revêt en l'espèce un caractère manifestement abusif.

Condamne en conséquence m. CO. à payer à p. DE. les sommes suivantes :

* 3.257,56 euros (trois mille deux cent cinquante sept euros et cinquante six centimes), soit 21.368,19 francs à titre d'indemnité de licenciement,

* 10.000 euros (dix mille euros), soit 65.595,70 francs à titre de dommages et intérêts.

Déboute p. DE. du surplus de ses prétentions.

Condamne m. CO. aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés par l'Administration de l'enregistrement conformément aux règles régissant l'assistance judiciaire.

Composition

Ainsi jugé et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice le dix janvier deux mille deux, par Martine COULET-CASTOLDI, Juge de Paix, Président, Messieurs Jacques ORECCHIA, Georges MAS, membres employeurs, Monsieur Bernard ASSO, Madame Dominique MARTET, membres salariés, assistés de Madame Catherine AUBERGIER, Secrétaire.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6057
Date de la décision : 10/01/2002

Analyses

Contrats de travail ; Rupture du contrat de travail ; Conditions de travail


Parties
Demandeurs : p. DE.
Défendeurs : m. CO.

Références :

article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2002-01-10;6057 ?

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