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22/11/2001 | MONACO | N°6075

Monaco | Tribunal du travail, 22 novembre 2001, c. GR. c/ la SAM MR CORPORATE SERVICES


Abstract

Licenciement pour insuffisance professionnelle - Validité du motif soumise à l'analyse du juge, le licenciement n'étant pas fondé sur l'article 6 de la loi n° 729

Résumé

Un employeur ne peut soutenir que le licenciement pour insuffisance professionnelle a été effectué sur le fondement des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 si les motifs de la rupture figurent dans la lettre et que l'indemnité de licenciement prévue par l'article 2 de la loi n° 845 n'a pas été versée.

Une secrétaire bilingue est licenciée, après plus de deux ann

ées de services, par la société qui l'emploie, pour insuffisance professionnelle par lettre...

Abstract

Licenciement pour insuffisance professionnelle - Validité du motif soumise à l'analyse du juge, le licenciement n'étant pas fondé sur l'article 6 de la loi n° 729

Résumé

Un employeur ne peut soutenir que le licenciement pour insuffisance professionnelle a été effectué sur le fondement des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 si les motifs de la rupture figurent dans la lettre et que l'indemnité de licenciement prévue par l'article 2 de la loi n° 845 n'a pas été versée.

Une secrétaire bilingue est licenciée, après plus de deux années de services, par la société qui l'emploie, pour insuffisance professionnelle par lettre dont copie lui fut remise en main propre. Elle soutient, devant le Tribunal du travail, où elle a attrait son employeur, qu'elle a toujours donné satisfaction à ses employeurs successifs, que les erreurs relevées sont imputables à une autre salariée, que le courrier électronique qui lui a été adressé est lui-même truffé de fautes et qu'en réalité le motif réel de son licenciement réside dans la relation amoureuse qu'elle entretenait avec un cadre de la société. Elle demande paiement de l'indemnité de licenciement et de dommages et intérêts.

Se prévalant des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729, la SAM MR CORPORATE SERVICES prétend de son côté que le Tribunal n'a pas à vérifier la cause de la rupture, mais seulement à vérifier que les droits du salarié ont été respecté et que les circonstances de la rupture sont exemptes de faute. Subsidiairement, elle soutient que les pièces versées aux débats démontrent le manque de fiabilité de l'intéressée.

Le tribunal réfute tout d'abord l'argument d'un licenciement fondé sur les dispositions de l'article 6 de la loi n° 729, dans la mesure où l'employeur a exposé à sa salariée, dans la lettre recommandée, les motifs inhérents à la personne et n'a pas versé l'indemnité de licenciement prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968. La juridiction saisie analyse ainsi la validité du motif dont la SAM MR CORPORATE SERVICES doit rapporter la preuve. L'insuffisance professionnelle repose bien, en l'espèce, sur des éléments concrets susceptibles de vérification. La satisfaction apportée à ses précédents employeurs est indifférente, les manquements reprochés lui sont bien imputables car ses initiales figurent sur les documents produits et les rapports affectifs allégués sont sans incidence prouvée sur le litige. Le licenciement repose sur un motif valable et aucun abus dans la mise en œuvre de la rupture n'est démontré. Aucune indemnité n'est due.

Motifs

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 17 novembre 1999 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 4 janvier 2000 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de Madame c. GR., en dates des 3 février 2000, 12 octobre 2000, 21 décembre 2000 et 5 avril 2001 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE MR CORPORATE SERVICES, exerçant sous l'enseigne MO RO, en dates des 13 juillet 2000, 16 novembre 2000, 1er février 2001 et 31 mai 2001 ;

Après avoir entendu Maître Jérôme MOREL, avocat au barreau de Nice, au nom de Madame c. GR., et Maître Alexis MARQUET, avocat-stagiaire à la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE MR CORPORATE SERVICES, exerçant sous l'enseigne MO RO, en leurs plaidoiries ;

Lesdits avocats-défenseurs ayant repris et maintenu ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauchée par la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE MR CORPORATE SERVICES, exerçant sous l'enseigne MO RO, à compter du 2 décembre 1996 en qualité de secrétaire bilingue, c. GR. a été licenciée de cet emploi aux termes d'une lettre dont copie lui a été remise en main propre le 30 juin 1999.

Le motif de la rupture de ce contrat de travail, tel qu'il est expressément énoncé dans une seconde correspondance, expédiée le même jour par la voie postale, est le suivant :

« À de nombreuses reprises, nous avons été amenés, verbalement, à attirer votre attention sur la nécessité impérieuse d'améliorer la qualité et la fiabilité de votre travail.

» Outre une fiabilité insuffisante dans l'exécution des travaux qui vous sont confiés, trop souvent, les documents que vous préparez contiennent des fautes, ce qui impose à votre supérieur hiérarchique une attention anormale, pour s'assurer que vous n'avez rien oublié ou que les documents à diffuser ne contiennent plus aucune erreur.

« Il arrive même souvent que des documents qui vous sont restitués pour correction reviennent à la signature avec un certain nombre d'erreurs identifiées auparavant, mais non corrigées.

» Outre vos erreurs très fréquentes, votre comportement pose problèmes, car vous réagissez généralement de manière peu constructive lorsqu'on vous fait observer vos erreurs.

« Ces faits ont fait l'objet de maintes et fréquentes remarques verbales ainsi que d'une confirmation écrite, par courrier interne, le 19 août 1998.

» Ne constatant aucune amélioration durable dans la fiabilité de votre travail et votre supérieur hiérarchique, à qui vous êtes attachée principalement, ne pouvant continuer de vérifier minutieusement l'exécution des consignes et instructions qu'elle vous donne, nous avons décidé de mettre fin à votre contrat pour cause de qualité de travail chroniquement insuffisante. ".

Soutenant d'une part que le motif invoqué par l'employeur pour justifier la rupture du contrat de travail n'était pas avéré, et d'autre part que le licenciement revêtait, au regard des circonstances l'ayant entouré, un caractère manifestement abusif, c. GR., ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 3 janvier 2000, a attrait devant le Bureau de Jugement la SAM MR CORPORATE SERVICES, son ancien employeur, afin d'obtenir l'allocation à son profit des sommes suivantes :

* 15.872,00 F, à titre d'indemnité de licenciement, dont à déduire l'indemnité de congédiement, d'ores et déjà perçue (soit 3.479,80 F) les deux indemnités n'étant pas cumulables,

* 307.200,00 F, à titre de dommages et intérêts représentant deux ans de salaires.

À la date fixée par les convocations les parties ont comparu par leurs conseils respectifs.

Puis, après treize renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue le 18 octobre 2001 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 22 novembre 2001.

c. GR. fait valoir à l'appui de ses prétentions que l'insuffisance professionnelle qui lui a été soudainement reprochée après deux années de bons et loyaux services, et alors qu'elle a toujours donné satisfaction à ses employeurs successifs, ainsi qu'en attestent les lettres de recommandation et les attestations versées aux débats, n'est nullement caractérisée et ne constitue donc qu'un prétexte destiné à masquer le véritable motif de la rupture.

Qu'en effet les erreurs dans les envois de fax dont la SAM MR CORPORATE SERVICES lui fait grief, sont en réalité imputables à une autre salariée de l'entreprise (Mademoiselle DE MO.).

Qu'en outre les pièces produites par l'employeur lui-même émanant d'autres employés démontrent que le manque de fiabilité était un problème généralisé au sein du secrétariat de l'entreprise.

Qu'enfin le courrier électronique qui lui a été adressé par son supérieur hiérarchique direct, Madame c. MU.-BR., est lui-même truffé de fautes.

Soutenant que le véritable motif de son licenciement réside en réalité dans la relation amoureuse qu'elle entretenait avec un cadre de la société MR CORPORATE SERVICES, laquelle n'a pas été tolérée par la direction de cette entreprise et encore moins par Madame MU.-BR., elle demande au Tribunal du travail de sanctionner la non validité du motif invoqué ainsi que l'exercice abusif par l'employeur de son droit de rupture unilatéral en faisant droit à l'intégralité des prétentions contenues dans sa requête introductive d'instance, telles qu'elles ont été exposées et détaillées ci-dessus.

Se prévalant des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 la SAM MR CORPORATE SERVICES prétend tout d'abord que le Tribunal du travail n'a pas à vérifier la cause de la rupture, mais seulement à s'assurer d'une part que les droits et prérogatives du salarié ont bien été respectés et d'autre part que les circonstances ayant entouré la résiliation sont exemptes de faute.

Qu'en conséquence, il n'y a pas lieu de débattre du motif du licenciement mais seulement de vérifier si les circonstances de cette mesure ne révèlent pas un abus de droit ou une soudaineté assimilable à un quasi délit ; que tel n'est assurément pas le cas en l'espèce, dès lors que l'employeur d'une part a pris la précaution d'exposer verbalement sa décision avant de la notifier et d'autre part a respecté le délai de préavis légal de deux mois, même si la salariée a, dans les faits, été dispensée de l'exécuter.

Elle fait valoir à titre subsidiaire que la raison de la rupture, telle qu'elle a été exposée à c. GR. dans le courrier annexe qui lui a été adressé concomitamment à la notification de son licenciement, réside dans le manque de fiabilité de l'intéressée, se traduisant concrètement par des erreurs nombreuses et répétées, lequel est amplement démontré par les pièces versées aux débats.

Après avoir rappelé que le domaine juridique dans lequel évoluait c. GR. nécessite une précision et une attention toute particulière, elle soutient que l'avocate, supérieure directe de l'intéressée, était en droit d'exiger une orthographe satisfaisante et un contrôle rigoureux des documents envoyés aux clients et aux correspondants ; qu'à tout le moins elle pouvait légitimement s'attendre, après deux années de collaboration, à ce que son nom et son prénom soient correctement orthographiés.

Soulignant qu'il ne peut être exigé d'un supérieur hiérarchique qu'il consacre un temps anormalement long à vérifier le travail de son secrétariat, la SAM MR CORPORATE SERVICES estime en définitive que le licenciement de c. GR. repose bien sur un motif valable.

Prétendant en outre que le fait de ne pas garder dans l'entreprise un salarié qui commet un nombre anormal d'erreurs ne constitue pas un abus de droit, elle demande au Tribunal du travail de débouter c. GR. de l'intégralité de ses prétentions.

SUR CE,

Dès lors d'une part qu'elle a clairement exposé à sa salariée dans la lettre recommandée en date du 30 juin 1999 les motifs, inhérents à la personne de celle-ci, de la rupture du contrat de travail, et d'autre part et en tout état de cause qu'elle n'a pas versé à l'intéressée le montant de l'indemnité de licenciement prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968, la SAM MR CORPORATE SERVICES ne peut sérieusement soutenir que le licenciement de c. GR. aurait été effectué sur le fondement des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729.

Il lui appartient donc, dans le cadre de la présente instance, de rapporter la preuve de la réalité et de la validité du motif de rupture allégué par ses soins.

Il résulte à la fois des termes de la correspondance susvisée en date du 30 juin 1999 et des écritures déposées par la société défenderesse devant la présente juridiction que le licenciement de c. GR. a été mis en œuvre en raison de son incompétence professionnelle.

Il est constant en droit qu'à partir du moment où elle n'est pas fondée sur l'appréciation purement subjective de l'employeur, mais repose au contraire sur des éléments concrets, susceptibles de vérification par le Tribunal, l'insuffisance professionnelle d'un salarié constitue bien un motif valable de rupture du contrat de travail.

En versant aux débats un échantillonnage des correspondances mises en forme ou expédiées par c. GR. au cours du seul mois précédant la notification de la rupture, lesquelles révèlent l'existence d'erreurs aussi grossières que multiples, la société MR CORPORATE SERVICES rapporte suffisamment la preuve de l'incompétence professionnelle de c. GR. ou à tout le moins de l'inadaptation de l'intéressée à l'emploi de secrétaire bilingue au sein d'un service juridique pour lequel elle avait été recrutée.

Compte tenu en effet, d'une part des répercussions sur l'image de marque de l'entreprise, des nombreuses fautes ci-dessus relevées, s'agissant d'un domaine (matière juridique) exigeant avant tout rigueur et précision et d'autre part de l'existence d'une mise en garde préalable, adressée à c. GR. par un courrier électronique interne en date du 19 août 1998, émanant de son supérieur hiérarchique direct, l'invitant à l'avenir à modifier son comportement professionnel, en se montrant notamment plus attentive, la persistance de ces erreurs d'étourderie et d'inattention constitue bien un motif valable de rupture du contrat de travail.

Il importe peu en conséquence que c. GR. ait donné satisfaction à ses employeurs dans les emplois de nature différente qu'elle a pu occuper avant ou après son embauche par la SAM MR CORPORATE SERVICES.

c. GR. ne peut par ailleurs sérieusement imputer à d'autres salariés la responsabilité de certains des manquements qui lui sont aujourd'hui reprochés, alors que les initiales figurant sur chacun des documents expédiés permettent d'identifier précisément l'auteur de la transmission incomplète…. Qu'il résulte en outre du témoignage établi par Madame DE CR. que c. GR. n'a plus eu recours à ses services à partir du début de l'année 1998.

L'argument tiré de l'imperfection formelle du courrier électronique adressé par Madame MU.-BR. à c. GR. apparaît également particulièrement spécieux voire même tout à fait déplacé en l'espèce, dès lors que la pratique de la dactylographie tout comme l'utilisation de l'outil informatique ne font pas partie des aptitudes habituellement exigées d'un juriste de Haut Niveau (Sollicitor) alors qu'elles constituent l'essence même de la profession de secrétaire.

Enfin, si c. GR. démontre certes l'existence par les pièces versées à cette fin aux débats (carte postale – carte d'anniversaire – attestation LE.) des rapports affectifs qu'elle entretenait avec l'un de ses collègues de travail, force est de constater toutefois qu'elle ne justifie nullement de l'incidence qu'ont pu avoir ces relations sur la mesure de licenciement dont elle a fait l'objet.

Le licenciement de c. GR. ayant ainsi été mis en œuvre pour un motif valable, cette dernière ne peut prétendre au bénéfice de l'indemnité de licenciement prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968.

La preuve d'un abus commis par l'employeur dans l'exercice de son droit unilatéral de rupture du contrat de travail n'étant pas davantage rapportée, c. GR. sera également déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré.

Dit que le licenciement de c. GR. repose sur un motif valable.

Dit en outre que cette mesure ne revêt aucun caractère abusif.

Déboute en conséquence c. GR. de l'intégralité de ses prétentions.

La condamne aux entiers dépens.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6075
Date de la décision : 22/11/2001

Analyses

Conditions de travail ; Rupture du contrat de travail ; Responsabilité de l'employeur


Parties
Demandeurs : c. GR.
Défendeurs : la SAM MR CORPORATE SERVICES

Références :

article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2001-11-22;6075 ?

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