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31/05/2001 | MONACO | N°6561

Monaco | Tribunal du travail, 31 mai 2001, g. WE. c/ la SAM Prospective


Abstract

Licenciement pour motif économique contesté - Recrutements ponctuels et précaires postérieurs indifférents - Heures supplémentaires non garanties contractuellement ou conventionnellement - Paiement (non)

Résumé

Des recrutements ponctuels et précaires ne peuvent être assimilés au remplacement effectif d'un salarié licencié pour motif économique.

Le salarié d'un commerce à prédominance alimentaire, ayant plus de quinze ans d'ancienneté, est licencié pour suppression de poste lié aux mauvais résultats, après qu'il se soit vu, en vain, pro

poser le maintien dans l'entreprise avec une durée de travail et un salaire réduits. Contesta...

Abstract

Licenciement pour motif économique contesté - Recrutements ponctuels et précaires postérieurs indifférents - Heures supplémentaires non garanties contractuellement ou conventionnellement - Paiement (non)

Résumé

Des recrutements ponctuels et précaires ne peuvent être assimilés au remplacement effectif d'un salarié licencié pour motif économique.

Le salarié d'un commerce à prédominance alimentaire, ayant plus de quinze ans d'ancienneté, est licencié pour suppression de poste lié aux mauvais résultats, après qu'il se soit vu, en vain, proposer le maintien dans l'entreprise avec une durée de travail et un salaire réduits. Contestant le bien fondé du motif économique et soutenant le caractère abusif de son licenciement, il avait attrait son employeur devant le Tribunal du Travail en paiement d'indemnités de licenciement, heures supplémentaires (supprimées sans son accord), prime d'ancienneté et dommages et intérêts. L'employeur qui l'avait dispensé de l'exécution de son préavis néanmoins payé, confirmait notamment la réalité des difficultés financières, l'absence d'embauches durables assimilable à un remplacement effectif et l'absence de droit acquis au maintien de l'accomplissement d'heure supplémentaires.

Le Tribunal du Travail rappelle d'abord qu'à l'exception des cas où l'accomplissement des heures supplémentaires est garanti par le contrat de travail ou la Convention Collective, l'employeur peut réduire ou supprimer celles-ci en considération de la situation économique et que, relevant du pouvoir de direction, cette mesure n'est pas soumise à l'assentiment du salarié. L'exigibilité de la prime d'ancienneté ne ressort pas de la Convention Collective applicable et le salaire versé excède, de toute façon, le seuil conventionnel défini pour l'ancienneté de l'intéressé. Sur le bien-fondé du licenciement, il apparait que les éléments produits par la SAM Prospective caractérisent suffisamment l'existence des difficultés économiques par elle rencontrées. Le motif de rupture étant avéré, le salarié est débouté de ses demandes y compris de dommages et intérêts, la preuve d'une faute de l'employeur et d'un préjudice du salarié n'étant pas rapportée.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 12 mars 1999 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 30 mars 1999 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, au nom de Monsieur g. WE., en date des 9 mars 2000, 19 octobre 2000 et 8 février 2001 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PASTOR, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE PROSPECTIVE, en date des 18 mai 2000 et 30 novembre 2000 ;

Lesdits avocats-défenseurs ayant repris et maintenu ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal ;

Après avoir entendu Maître Christophe SOSSO, avocat à la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Monsieur g. WE., et Maître Olivier ROMANI, substituant Maître Jean-Pierre POLI, avocat au barreau de Nice, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE PROSPECTIVE, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauché le 1er février 1983 par l'entreprise exploitant le commerce à prédominance alimentaire actuellement sous l'enseigne Shopi, g. WE. a été licencié le 5 novembre 1998 par la SAM PROSPECTIVE pour le motif économique suivant :

« Compte tenu de la taille du magasin, de son chiffre d'affaires et de son résultat, il n'est plus possible de conserver » votre poste de responsable.

« Nous vous avons informé en date du 31 octobre que nous allions créer un poste d'employé commercial de 25 heures par semaine pour un salaire de 4.500,00 F brut par mois et vous avez décidé de rejeter cette offre.

» Vous serez en préavis dispensé de présence du 5 novembre 1998 au 4 février 1999, date à laquelle vous recevrez votre solde de tout compte, ainsi que tous les papiers nécessaires «.

Soutenant d'une part que la suppression de poste alléguée par l'employeur ne constituait pas, en l'état des embauches intervenues ultérieurement et de la dispense d'exécution du préavis qui lui a été notifiée, un motif valable de rupture du contrat de travail et que ce licenciement revêtait en outre, compte tenu des circonstances l'ayant entouré, un caractère abusif et d'autre part qu'il n'avait pas été rempli de ses droits tout au long de l'exécution du contrat de travail, g. WE., ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 29 mars 1999, a attrait la SAM PROSPECTIVE devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, afin d'obtenir l'allocation à son profit des sommes suivantes :

* 5.276,00 F, à titre d'indemnité de licenciement, déduction faite de l'indemnité de congédiement d'ores et déjà perçue, les deux indemnités n'étant pas cumulables,

* 4.765,50 F, à titre de rappel d'heures supplémentaires,

* 1.095,00 F, à titre de rappel de prime d'ancienneté,

* 65.000,00 F, à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif et injustifié.

À la date fixée par les convocations, les parties ont comparu en personne en ce qui concerne le demandeur et par l'intermédiaire de son conseil en ce qui concerne la société défenderesse.

Après seize renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 5 avril 2001 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 31 mai 2001.

g. WE. fait valoir en premier lieu à l'appui de ses prétentions que le motif d'ordre économique invoqué par son employeur n'est pas avéré.

Qu'en effet les graves difficultés financières dont celui-ci fait état ne sont pas établies par les pièces versées aux débats, lesquelles n'ont au demeurant aucun caractère probant ; que par ailleurs il a été en réalité aussitôt remplacé dans son emploi par deux personnes recrutées corrélativement à son licenciement, exerçant les mêmes tâches que celles qui lui étaient antérieurement dévolues moyennant une rémunération de 4.500,00 F pour 25 heures de travail ; qu'en outre la SAM PROSPECTIVE a ultérieurement procédé à de nombreuses autres embauches, pour des périodes autres que les fêtes de fin d'année.

Il soutient d'autre part, après avoir rappelé qu'il a été dispensé d'exécuter ses trois mois de préavis, qu'il s'agit là d'un luxe qu'une entreprise en difficulté peut difficilement se permettre à fortiori pendant les périodes où elle connaît un surcroît d'activité ; que cette circonstance doit dès lors s'analyser comme un indice supplémentaire confirmant le caractère fallacieux du motif.

Il estime ainsi en définitive que le prétendu motif économique invoqué à son encontre ne constituait qu'un prétexte fallacieux destiné à se débarrasser à bon compte de ses services.

Il prétend en second lieu qu'à partir du moment où il n'a jamais donné son accord, ni verbalement ni par écrit, à la suppression des cinq heures supplémentaires payées au taux majoré dont il bénéficiait jusqu'au mois de novembre 1997, la SAM PROSPECTIVE ne pouvait unilatéralement supprimer cet avantage acquis.

Il indique enfin ne pas avoir reçu paiement depuis le mois de février 1998 par son employeur de la prime d'ancienneté à laquelle les dispositions de la Convention Collective lui ouvraient pourtant droit.

Il demande en conséquence au Tribunal du Travail de faire droit à l'intégralité de ses prétentions, telles qu'elles ont été exposées ci-dessus.

La SAM PROSPECTIVE conclut pour sa part à l'entier débouté des demandes formées à son encontre.

Elle invoque à cette fin, en substance, les moyens suivants :

• les difficultés financières qu'elle rencontre sont incontestables en l'état des pièces comptables versées par ses soins aux débats, lesquelles révèlent non seulement une stagnation préoccupante du chiffre d'affaires entre 1995 et 1998 mais aussi des pertes considérables, puisque l'exercice clos au 31 janvier 1999 s'est traduit par un résultat net déficitaire de 1.103.338,00 F,

• le licenciement de g. WE., dont la rémunération annuelle (salaires + charges) s'élevait à 150.000,00 F s'avérait donc, dans ce contexte précis, une mesure indispensable au rétablissement d'une situation économique viable,

• elle n'a procédé à aucune embauche durable assimilable à un remplacement effectif de g. WE. sur son poste de travail, puisque les recrutements dont ce dernier a fait état n'ont été effectués dans le cadre de contrats à durée déterminée de courte durée et à temps partiel, que pour faire face à des besoins ponctuels (surcroît d'activité généré par les fêtes de fin d'année – remplacement de salariés en congés annuels),

• g. WE. a été dispensé d'exécuter son préavis d'une part pour lui permettre de retrouver plus facilement un emploi et d'autre part afin d'éviter que le mécontentement légitime de ce salarié puisse avoir des répercussions sur la clientèle,

• l'accomplissement par le salarié d'heures supplémentaires ne constituant pas un avantage acquis, l'employeur est donc libre de demander au salarié de ne plus en effectuer ; en tout état de cause en apposant la mention Lu et Approuvé sur le courrier qui lui a été adressé le 23 avril 1998 g. WE. a implicitement acquiescé à leur suppression,

• dès lors d'une part que son salaire était supérieur au seuil minimum retenu par la Convention Collective appliquée dans l'entreprise jusqu'au 31 janvier 1998 et d'autre part que l'Accord Collectif applicable à compter de cette date ne prévoit pas le versement d'une telle prime, g. WE. n'est pas fondé à solliciter le bénéfice d'une prime d'ancienneté.

SUR CE,

1) Sur les demandes au titre de l'exécution du contrat de travail

a) Heures supplémentaires

Il est constant en droit, qu'à l'exception des cas où l'accomplissement d'heures supplémentaires est garanti par le contrat de travail ou la Convention Collective, l'employeur peut réduire ou supprimer les heures supplémentaires effectuées par ses salariés en considération de la situation économique et des données se rapportant à la marche de l'entreprise ; qu'en conséquence une telle réduction, en dehors des hypothèses limitativement énumérées supra, ne s'analyse pas en une modification du contrat de travail ; que relevant ainsi du pouvoir de direction du chef d'entreprise, elle n'est pas soumise à l'accord préalable du salarié.

Si g. WE. soutient certes, dans la correspondance qu'il a adressée le 9 mars 1999 à son ancien employeur ainsi que dans ses écritures devant cette juridiction, que l'accomplissement par ses soins de cinq heures supplémentaires chaque mois lui avait été expressément garanti par le dernier contrat de travail » signé lors de son statut de cadre technique en 1990 ", force est de constater toutefois qu'il n'en rapporte pas la preuve.

La SAM PROSPECTIVE était dans ces conditions en droit de mettre fin unilatéralement à compter du mois de novembre 1997 à la réalisation de ces heures supplémentaires.

g. WE. ne peut dès lors prétendre à l'allocation de la somme de 4.765,50 F qu'il réclame à ce titre.

b) Prime d'ancienneté

Si le personnel de la SAM PROSPECTIVE est certes soumis depuis le 1er juillet 1998, compte tenu de la nature de l'activité exercée par cette société, en application des dispositions de l'article 11 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, en ce qui concerne uniquement la détermination du montant des salaires primes et indemnités de toute nature, aux dispositions de la Convention Collective Française des commerces à prédominance alimentaire, ce dernier, qui se trouvait régi antérieurement à cette date par la Convention Collective des Magasins Populaires est en droit de prétendre, jusqu'au 30 juin 1999 au bénéfice des dispositions de l'un ou l'autre de ces deux accords collectifs, selon celui qui lui est le plus favorable.

Il apparaît à la lecture de la Convention Collective des commerces à prédominance alimentaire, versée aux débats par l'employeur que cet accord ne contient aucune disposition prévoyant l'attribution de prime d'ancienneté au profit des salariés.

Par ailleurs, si cette prime est en revanche expressément prévue par la Convention Collective Nationale des Magasins Populaires, g. WE. ne peut toutefois en l'espèce y prétendre dès lors que son salaire annuel brut, à la date du 1er février 1998 (soit 107.896,69 F), excédait le seuil minimum de 105.720,00 F défini pour une ancienneté de quinze années par l'additif du 27 avril 1994 relatif aux appointements minima garantis des cadres.

La demande de ce chef doit donc également être rejetée.

2) Sur les demandes relatives à la cessation du contrat de travail

a) Sur la validité du motif

En versant aux débats les comptes de pertes et profits pour la période du 1er février 1995 au 31 janvier 1999 certifiés par la société d'expertise comptable SYGESTE, la SAM PROSPECTIVE rapporte incontestablement la preuve de la réalité et de la validité du motif économique de licenciement allégué par ses soins.

Il ressort en effet de ces documents :

* que le chiffre d'affaires réalisé par la SAM PROSPECTIVE a connu une baisse constante au cours des trois exercices précédant le licenciement, puisqu'il est passé de 15.587.351,61 F, (exercice du 1er février 1995 au 31 janvier 1996) à 14.121.437,56 F (exercice du 1er février 1997 au 31 janvier 1998) pour atteindre enfin 13.067.783,44 F au cours de l'exercice clos le 31 janvier 1999,

* que l'entreprise a obtenu, au cours de la même période, les résultats nets suivants :

* perte au 31 janvier 1996 – 550.217,40 F,

* perte au 31 janvier 1997 – 605.338,74 F,

* perte au 31 janvier 1998 – 1.451.633,17 F,

* perte au 31 janvier 1999 – 1.103.338,59 F.

* que les mesures de réduction des charges décidées par la direction de la SAM PROSPECTIVE au cours de l'année 1998, en ramenant notamment le coût des frais de personnel de 2.646.398,98 F, au cours de l'exercice du 1er février 1997 au 31 janvier 1998 à 1.837.753,46 F puis 1.570.541,70 F au cours des deux exercices suivants ont effectivement permis d'amorcer un retour vers l'équilibre financier de cette société, l'exercice clos le 31 janvier 2000 s'étant soldé par une perte limitée à 524.302,46 F (contre 1.451.663,17 F au 31 janvier 1998).

Ces éléments objectifs et précis caractérisent suffisamment l'existence des difficultés économiques rencontrées par la SAM PROSPECTIVE.

L'effectivité de la suppression du poste occupé par g. WE. n'est par ailleurs pas sérieusement contestable en l'espèce.

En effet, si la SAM PROSPECTIVE a certes procédé, à la fin de l'année 1998 et au cours de l'année 1999, pour faire face à des surcroîts ponctuels d'activité (fêtes de fin d'année) ou pourvoir au remplacement de personnels en congés annuels, à des recrutements de courte durée, généralement à temps partiel, prenant la forme de contrats à durée déterminée, ces embauches, compte tenu de leur caractère ponctuel et précaire, ne peuvent être assimilées à un remplacement effectif de g. WE. sur son poste de travail.

Aucune conséquence particulière ne peut enfin être tirée du fait que l'intéressé ait été dispensé d'exécuter son préavis, cette décision procédant au contraire du souci légitime de la SAM PROSPECTIVE d'éviter tout contact entre un salarié nécessairement mécontent de la rupture de son contrat de travail d'une part et la clientèle d'autre part.

Le motif économique de rupture avancé par l'employeur étant ainsi avéré, g. WE. ne peut prétendre au bénéfice de l'indemnité de licenciement qu'il sollicite.

b) Sur le caractère abusif du licenciement

Il appartient à g. WE. qui sollicite l'allocation à son profit des dommages et intérêts prévus par l'article 13 de la loi n° 723 au bénéfice des salariés victimes d'une rupture abusive de leur contrat de travail de rapporter la preuve, outre du préjudice subi, de la faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail.

Cette preuve n'étant en l'espèce aucunement rapportée, g. WE. doit être débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant, publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré.

Dit que le licenciement de g. WE. a été mis en œuvre pour un motif valable et qu'il ne revêt aucun caractère abusif.

Déboute en conséquence g. WE. de l'intégralité de ses prétentions.

Condamne g. WE. aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à la législation régissant l'Assistance Judiciaire.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6561
Date de la décision : 31/05/2001

Analyses

Rupture du contrat de travail ; Conditions de travail


Parties
Demandeurs : g. WE.
Défendeurs : la SAM Prospective

Références :

article 11 de la loi n° 729 du 16 mars 1963


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2001-05-31;6561 ?

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