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05/04/2001 | MONACO | N°6492

Monaco | Tribunal du travail, 5 avril 2001, j-c DH c/ la Société anonyme monégasque R + TECHNOLOGY MONACO, anciennement D.P.S.


Abstract

Requalification d'une mise à pied disciplinaire - Licenciement pour faute grave - Réception de messages personnels immoraux sur l'adresse internet professionnelle

Résumé

Un ingénieur développement commercial, licencié pour faute grave, après mise à pied, pour avoir utilisé son adresse professionnelle internet à des fins personnelles, a attrait son employeur devant le tribunal du travail, après procès- verbal de non-conciliation, en paiement du préavis et des indemnités de rupture.

Il soutient tout d'abord que la mise à pied qui lui a été i

nfligée est de nature disciplinaire et non conservatoire et qu'il ne peut donc pas faire ...

Abstract

Requalification d'une mise à pied disciplinaire - Licenciement pour faute grave - Réception de messages personnels immoraux sur l'adresse internet professionnelle

Résumé

Un ingénieur développement commercial, licencié pour faute grave, après mise à pied, pour avoir utilisé son adresse professionnelle internet à des fins personnelles, a attrait son employeur devant le tribunal du travail, après procès- verbal de non-conciliation, en paiement du préavis et des indemnités de rupture.

Il soutient tout d'abord que la mise à pied qui lui a été infligée est de nature disciplinaire et non conservatoire et qu'il ne peut donc pas faire l'objet d'un licenciement pour les mêmes faits. Il prétend ensuite que les faits reprochés ne peuvent constituer un motif valable de licenciement prononcé au demeurant avec brutalité.

Après analyse de son contenu, le Tribunal requalifie la mise à pied improprement appelée disciplinaire par l'employeur, en mise à pied conservatoire. Il n'existe donc pas de double sanction en l'espèce.

Sur le licenciement, au double motif d'utilisation de l'adresse professionnelle internet à des fins personnelles et de réception de messages ou dessins à caractère sexuel voire pornographique, le juge rappelle, en premier lieu, la règle voulant que le matériel, mis à la disposition des salariés par l'entreprise, soit réservé, en principe, à un usage professionnel. Cependant, seule l'utilisation abusive de ces moyens à des fins personnelles et donc étrangères au contrat de travail, qu'il s'agisse du minitel, du téléphone, d'un véhicule automobile ou d'un ordinateur, peut constituer un motif valable de rupture. Tel n'est pas le cas ici. Par ailleurs, une faute ne peut constituer un tel motif que si elle est imputable au salarié concerné. Or rien n'établit le rôle actif de ce dernier dans la réception des messages et rien ne permet d'affirmer que la réception de deux messages constitue le reflet d'une activité organisée ou permanente. Le préavis, l'indemnité de licenciement déduction faite de l'indemnité de congédiement non cumulable, ainsi que des dommages intérêts pour rupture abusive à hauteur de 150.000 f sont alloués. Il est fait droit aussi par le tribunal à une demande de paiement de 13e mois contractuellement prévu, l'employeur ne pouvant modifier unilatéralement un élément essentiel du contrat.

Motifs

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 17 novembre 1998 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception, en date du 15 décembre 1998 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur j-c DH, en date des 4 mars 1999, 11 novembre 1999, 13 avril 2000 et 14 décembre 2000 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PASTOR, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE R + TECHNOLOGY MONACO, anciennement dénommée SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE D.P.S., en date des 14 octobre 1999, 22 février 2000 et 19 octobre 2000 ;

Après avoir entendu Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Monsieur j-c DH, et Maître Yann LAJOUX, avocat à la Cour d'Appel de Monaco, substituant Maître Joëlle PASTOR, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE R + TECHNOLOGY MONACO, anciennement dénommée SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE D.P.S., en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauché le 2 avril 1996 par la SAM D.P.S. dénommée depuis R + TECHNOLOGY MONACO en qualité d'ingénieur développement commercial, j-c DH a été licencié de cet emploi par une lettre datée du 7 septembre 1998, dont le contenu est le suivant :

« Nous sommes au regret de vous signifier votre » licenciement pour faute grave à compter de ce jour.

« Suite à notre entretien du Mercredi 2 septembre et à la » mise à pied dont vous avez fait l'objet pour motif :

« * Utilisation de votre adresse Internet professionnelle sur » l'ordinateur mis à disposition par la Société à des fins « personnelles.

» * Réception de :

« a) (films à tendance pornographique)

» b) dessins humoristiques à tendances sexuelles.

« Je vous confirme que votre licenciement est effectif à » compter de ce jour. « ;

Soutenant d'une part que ce congédiement avait été mis en œuvre pour un motif non valable, d'autre part qu'il revêtait, compte tenu des circonstances ayant entouré la rupture, un caractère manifestement abusif et enfin qu'il n'avait pas été rempli de l'intégralité de ses droits au cours de l'exécution de son contrat de travail, j-c DH, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 14 décembre 1998, a attrait la SAM D.P.S., devenue depuis R + TECHNOLOGY MONACO, devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, afin d'obtenir l'allocation à son profit, avec intérêts de droit et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, des sommes suivantes :

* 45.001,42 F, au titre du préavis,

* 4.500,13 F, au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur le préavis,

* 3.000,09 F, à titre d'indemnité de congédiement,

* 16.200,48 F, à titre d'indemnité de licenciement (déduction faite de l'indemnité de congédiement non cumulable),

* 540.015,84 F, à titre de dommages et intérêts,

* 10.350,42 F, au titre du 13e mois de l'année 1996,

* 15.000,44 F, au titre du 13e mois de l'année 1997,

* 15.000,44 F, au titre du 13e mois de l'année 1998.

À la date fixée par les convocations les parties ont comparu par leurs conseils puis, après dix-sept renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été contradictoirement débattue lors de l'audience du 1er mars 2001 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 5 avril 2001 ;

j-c DH soutient en premier lieu à l'appui de ses prétentions qu'en l'absence de toute précision dans la correspondance du 2 septembre 1998, la mise à pied qui lui a été notifiée le 2 septembre 1998 ne peut être considérée comme un préalable de vérification et de réflexion et ne constitue pas dès lors une mesure conservatoire ; qu'il s'agit au contraire d'une sanction disciplinaire ;

Qu'en conséquence un même fait ne pouvant être sanctionné deux fois, le licenciement a été de ce seul fait prononcé sur un motif non valable ;

Il prétend par ailleurs à titre subsidiaire que les faits qui lui sont reprochés ne peuvent constituer un motif valable de licenciement dès lors d'une part qu'il n'a jamais abusé de son ordinateur à des fins personnelles et d'autre part qu'il n'était pas l'expéditeur mais le destinataire des messages litigieux ;

Il estime en outre qu'au regard de la brutalité avec laquelle il a été mis en œuvre et du caractère attentatoire à l'honneur du motif invoqué, le licenciement revêt un caractère manifestement abusif justifiant » l'allocation de sévères dommages et intérêts vis à vis d'un salarié qui donnait pleinement satisfaction, qui s'est totalement investi dans la société et qui n'a jamais fait l'objet du moindre reproche avant la mise à pied du 2 septembre 1998 « ;

Il souligne en dernier lieu que nonobstant les stipulations expresses de son contrat de travail, il n'a jamais reçu paiement par son employeur du 13e mois qui lui avait été promis ;

Il demande en conséquence au Tribunal du Travail de faire droit à l'intégralité des prétentions contenues dans sa requête introductive d'instance, telles qu'elles ont été exposées et détaillées ci-dessus ;

La SAM R + TECHNOLOGY MONACO, anciennement D.P.S., conclut pour sa part au débouté de l'intégralité des demandes formées à son encontre ;

Elle fait valoir en substance, à cet effet :

* que si la lettre du 2 septembre 1998 mentionne certes par erreur que la mise à pied notifiée à j-c DH constitue une sanction disciplinaire, l'analyse du contenu de cette correspondance démontre qu'il s'agissait, en réalité, d'une mesure à caractère conservatoire,

* qu'à la suite d'une » mesure collective « due à la conjoncture, largement communiquée à l'ensemble des salariés dans les différentes périodes incriminées et toujours en vigueur à ce jour, aucun d'entre eux n'a pu bénéficier d'un 13e mois,

* que l'utilisation par j-c DH à des fins personnelles et pendant ses heures de travail de l'ordinateur mis à sa disposition par son employeur et la réception par ce dernier de messages à caractère pornographique, heurtant la morale » en ce qu'ils peuvent directement circuler au sein de l'entreprise «, provenant non pas de tiers non identifiés mais d'amis de l'intéressé constituent bien une faute grave justifiant son licenciement immédiat ;

SUR CE,

1) Sur la qualification de la mise à pied

Si l'employeur a certes lui-même qualifié, dans sa correspondance du 2 septembre 1998, la mise à pied de trois jours infligée à j-c DH de » SANCTION DISCIPLINAIRE «, il résulte toutefois du contenu même de cette correspondance et du contexte de l'espèce que cette qualification procédait d'une erreur et qu'il s'agissait en réalité d'une mesure à caractère conservatoire ;

En effet, en demandant expressément à j-c DH dans le corps de la lettre de se rendre, à l'issue des trois jours de mise à pied, au Bureau de la Direction pour être informé » de la suite donnée à cet événement ", la SAM R + TECHNOLOGY MONACO a clairement manifesté son intention de mettre à profit la période durant laquelle le salarié se trouvait temporairement évincé de l'entreprise pour procéder aux investigations nécessaires et choisir, à l'issue de celles-ci et en fonction des éléments recueillis, la sanction la plus appropriée aux fautes par elle constatées ;

La mise à pied de trois jours notifiée à j-c DH revêtant ainsi un caractère conservatoire, c'est à tort que ce dernier soutient qu'en prononçant ultérieurement le 7 septembre 1998 son licenciement pour faute grave, son employeur aurait sanctionné deux fois un même fait ;

2) Sur le licenciement

Il résulte à la fois de la lettre de notification de la rupture et des conclusions de la société défenderesse que le licenciement pour faute grave de j-c DH a été prononcé pour le double motif suivant :

* l'utilisation, à des fins personnelles, de l'adresse Internet mise à sa disposition par la société,

* la réception de messages ou de dessins à caractère sexuel, voire même pornographique.

Si le matériel mis à la disposition des salariés par l'entreprise est certes en principe réservé à un usage professionnel, il est constant toutefois que seule l'utilisation abusive de ces moyens, à des fins privées, et donc étrangères au contrat de travail qu'il s'agisse du minitel, du téléphone, d'un véhicule automobile ou d'un ordinateur, peut constituer un motif valable de rupture du contrat de travail ;

En l'espèce force est de constater que l'employeur ne verse aux débats strictement aucune pièce permettant d'établir que j-c DH ait fait un usage abusif, à des fins personnelles, de l'adresse INTERNET mise à sa disposition par son employeur ;

Par ailleurs, il est également constant qu'une faute ne peut constituer un motif valable de rupture du contrat de travail que si elle est imputable au salarié concerné ;

Tel n'est pas le cas en l'espèce, puisqu'il est reproché à j-c DH non pas d'avoir adressé à des amis à partir de son adresse professionnelle Internet, des messages à caractère pornographique ou sexuel mais d'en avoir été le destinataire ;

Force est de constater en outre que la SAM R + TECHNOLOGY n'établit nullement le rôle actif qu'aurait joué j-c DH dans la réception de ces messages ; qu'il n'est ainsi démontré ni qu'il les ait sollicités, ni qu'il en ait à son tour assuré la diffusion auprès d'autres personnes ;

Rien ne permettant enfin d'affirmer que la réception ponctuelle de ces deux messages constitue le reflet d'une activité organisée ou permanente, la SAM R + TECHNOLOGY MONACO n'avait en définitive aucun motif valable de mettre fin au contrat de travail de j-c DH ;

Ce dernier est donc en droit d'obtenir compte tenu de son statut de cadre, de son ancienneté de services et du montant de sa rémunération mensuelle, le paiement des sommes suivantes :

* 45.001,42 F, au titre du préavis (soit 15.000,44 x 3),

* 4.500,14 F, au titre des congés payés sur le préavis,

* 3.000,09 F, au titre de l'indemnité de congédiement,

* 15.000,44 x 32 = 19.200,56 F dont à déduire l'indemnité de 25 congédiement non cumulable, soit un solde de 19.200,56 F - 3.000,09 F = 16.200,47 F, à titre d'indemnité de licenciement ;

Compte tenu d'une part de la brutalité avec laquelle il a été notifié, l'intéressé n'ayant au préalable jamais fait l'objet de la moindre sanction et d'autre part du caractère attentatoire à l'honneur du motif invoqué dans la lettre de notification de la rupture, ce licenciement revêt en outre un caractère manifestement abusif ;

Le préjudice essentiellement d'ordre moral subi par j-c DH sera en conséquence, nonobstant sa faible ancienneté de services (deux ans et demi), justement réparé par l'allocation d'une somme de 150.000,00 F, à titre de dommages et intérêts ;

3) Sur les demandes au titre du 13e mois

Il apparaît à la lecture du contrat de travail conclu entre la SCS D.P.S. et j-c DH que le montant de la rémunération allouée à ce dernier devait notamment comprendre un 13e mois versé le 31 décembre de chaque année égal au salaire afférent au mois de décembre ; qu'en outre le premier de ces 13e mois serait proratisé en fonction de la date d'entrée au service de la société ;

Les instructions internes alléguées par l'employeur, dont l'existence n'est au demeurant nullement démontrée, ne pouvant modifier unilatéralement un élément essentiel d'un contrat synallagmatique, la demande en paiement des 13e mois des années 1996, 1997 et 1998 formulée par j-c DH est bien fondée et il convient d'y faire droit dans son intégralité ;

4) Sur l'exécution provisoire

Aucune circonstance particulière propre à la justifier n'étant invoquée par j-c DH, il n'y a pas lieu d'assortir la présente décision du bénéfice de l'exécution provisoire ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré,

Dit que le licenciement de j-c DH a été mis en œuvre pour un motif non valable et que cette mesure revêt en outre un caractère manifestement abusif ;

Condamne en conséquence la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE R + TECHNOLOGY MONACO, anciennement dénommée SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE D.P.S., à payer à j-c DH les sommes suivantes :

* 40.351,30 Francs (quarante mille trois cent cinquante et un francs et trente centimes), au titre des 13e mois sur les années 1996, 1997 et 1998 ;

* 45.001,42 Francs (quarante-cinq mille un francs et quarante-deux centimes), au titre du préavis ;

* 4.500,14 Francs, (quatre mille cinq cent francs et quatorze centimes), au titre des congés payés sur le préavis ;

* 3.000,09 Francs, (trois mille francs et zéro neuf centimes), au titre de l'indemnité de congédiement ; lesdites sommes portant intérêts à compter de la convocation en conciliation ;

* 16.200,47 Francs, (seize mille deux cent francs et quarante sept centimes), au titre de l'indemnité de licenciement ;

* 150.000,00 Francs, (cent cinquante mille francs), à titre de dommages et intérêts ; ces deux sommes produisant pour leur part intérêts à compter du jugement ;

Déboute j-c DH du surplus de ses prétentions ;

Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du présent jugement ;

Condamne la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE R + TECHNOLOGY MONACO, anciennement dénommée SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE D.P.S., aux entiers dépens.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6492
Date de la décision : 05/04/2001

Analyses

Rupture du contrat de travail ; Pouvoir disciplinaire


Parties
Demandeurs : j-c DH
Défendeurs : la Société anonyme monégasque R + TECHNOLOGY MONACO, anciennement D.P.S.

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2001-04-05;6492 ?

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