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25/01/2001 | MONACO | N°6532

Monaco | Tribunal du travail, 25 janvier 2001, P. c/ L.


Abstract

Contrat de travail - Licenciement - Éthylisme invoqué - Faute grave, non rapporté

Résumé

S'agissant d'un licenciement prononcé pour faute grave, il appartient exclusivement à l'employeur de rapporter la preuve des éléments propres à la justifier.

Si le fait pour un salarié de se présenter régulièrement en état d'ébriété sur son lieu de travail peut certes constituer une faute grave, lorsque cette intempérance a une répercussion sur la qualité du travail ou lorsqu'elle fait courir des risques au salarié lui-même ou à d'autres personne

s, encore faut-il toutefois que l'éthylisme lui-même soit, au préalable suffisamment caractéris...

Abstract

Contrat de travail - Licenciement - Éthylisme invoqué - Faute grave, non rapporté

Résumé

S'agissant d'un licenciement prononcé pour faute grave, il appartient exclusivement à l'employeur de rapporter la preuve des éléments propres à la justifier.

Si le fait pour un salarié de se présenter régulièrement en état d'ébriété sur son lieu de travail peut certes constituer une faute grave, lorsque cette intempérance a une répercussion sur la qualité du travail ou lorsqu'elle fait courir des risques au salarié lui-même ou à d'autres personnes, encore faut-il toutefois que l'éthylisme lui-même soit, au préalable suffisamment caractérisé.

Force est de constater, en l'espèce que les trois attestations produites par C. L. émanant soit d'une ancienne directrice salariée de l'établissement, qui ne se trouvait sur les lieux, au vu des mentions figurant sur ses fiches de paie, que 50 heures par mois, soit du mari de celle-ci, lequel n'a été que très partiellement le témoin des faits qu'il relate, soit enfin d'une cliente occasionnelle ne suffisent pas à établir l'intempérance habituelle et ancienne de M. P. Elles sont en outre contredites, d'une part par les témoignages versés au débat par la salariée faisant état de sa sobriété habituelle, d'autre part par les résultats de l'examen sanguin pratiqué le 29 janvier 2000, qui ne révèlent pas d'habitudes éthyliques anciennes, et enfin et surtout, s'agissant selon l'employeur de faits commis depuis « fort longtemps », par la continuation, en plusieurs contrats successifs, de la relation salariale pendant sept années, sans qu'aucune observation ou sanction n'ait jamais été notifiée à M. P.

Celle-ci est donc fondée à réclamer une indemnité de préavis et de licenciement, mais non point une indemnité de congédiement, ces deux dernières ne pouvant se cumuler.

Motifs

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Embauchée par C. L., exerçant sous l'enseigne « Monte-Carlo Star Système », en qualité de vendeuse, M. P. a été licenciée de son emploi par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 19 juillet 1999, pour fautes graves ;

Soutenant d'une part qu'elle n'avait commis aucune faute et qu'en conséquence son licenciement revêtait un caractère manifestement abusif et d'autre part qu'elle n'avait pas été intégralement remplie de ses droits au cours de l'exécution de son contrat de travail, M. P., en suite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 7 février 2000, a attrait son ancien employeur devant le Bureau de jugement du Tribunal du travail afin d'obtenir sa condamnation, avec intérêts légaux et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, au paiement des sommes suivantes :

* 125 096,13 Francs à titre d'heures supplémentaires,

* 12 509,61 Francs au titre des congés payés sur les heures supplémentaires,

* 15 900,00 Francs à titre d'indemnité de préavis,

* 1 590,00 Francs représentant les congés payés sur le préavis,

* 8 179,58 Francs à titre d'indemnité de congédiement,

* 31 082,27 Francs à titre d'indemnité de licenciement,

* 300 000,00 Francs à titre de dommages et intérêts.

Elle sollicitait, en outre, sous astreinte de 500,00 Francs par jour de retard, la remise des bulletins de salaires rectifiés, pour les 55 mois précédant le licenciement ainsi que pour le préavis, ainsi que d'une attestation Assedic conforme ;

À la date fixée par les convocations les parties ont comparu par leurs conseils respectifs puis, après cinq renvois contradictoires intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été débattue lors de l'audience du 7 décembre 2000 et le jugement mis en délibéré pour être prononcé ce jour 25 janvier 2001 ;

M. P. expose en premier lieu à l'appui de ses prétentions qu'elle a accompli pendant chacun des 55 mois précédant son licenciement 41 heures supplémentaires qui ne lui ont pas été réglées par son employeur ;

Elle sollicite en conséquence à ce titre la condamnation de C. L. au paiement de la somme de 125 096,13 Francs, outre 12 509,61 Francs représentant les congés payés correspondant ;

Contestant par ailleurs formellement s'être présentée à son travail en état d'ébriété, elle prétend que la preuve de ce grief n'est pas rapportée par son employeur ; qu'il en est de même en ce qui concerne l'attitude agressive qu'elle aurait adoptée à l'égard de la clientèle ; que les diverses pièces qu'elle verse aux débats démontrent au contraire qu'elle n'est pas accoutumée à l'alcool et adoptait dans son travail un comportement normal, propre à son emploi ;

Soutenant enfin avoir travaillé toute la journée du 15 juillet 1999, en présence de ses collègues de travail, alors que C. L. se trouvait quant à lui absent du magasin, elle estime que l'abandon de poste qui lui est reproché n'est pas constitué ;

Après avoir en dernier lieu souligné l'ampleur du préjudice, tant matériel que moral, qu'elle a subi compte tenu non seulement de la conscience professionnelle dont elle a toujours fait preuve mais aussi du caractère humiliant des accusations portées à son encontre, elle demande au Tribunal du travail de faire droit à l'intégralité de ses prétentions, telles qu'elles ont été précisées et détaillées ci-dessus ;

C. L. conclut quant à lui à l'entier débouté des demandes formées à son encontre ;

Il fait valoir en substance à cet effet :

• que la preuve des heures supplémentaires revendiquées par M. P. n'est nullement rapportée, cette dernière ayant au contraire, compte tenu de ses temps de pause, de ses congés payés et des périodes de fermeture de la boutique, été intégralement remplie de ses droits ;

• que l'état d'ébriété de M. P. visé à la lettre de licenciement et l'agressivité dont celle-ci faisait alors preuve, notamment à l'égard de la clientèle, sont démontrés par les attestations établies par sa collègue de travail, Madame G., ainsi que par des personnes qui la côtoyaient régulièrement ;

• que si la lettre de notification de la rupture mentionne certes une date erronée (15 juillet au lieu du 17 juillet), l'attitude adoptée le 17 juillet 1999 au matin par M. P., en présence de son employeur, est suffisamment révélatrice de son intention (au demeurant préméditée) d'abandonner définitivement son poste de travail ;

• que ces faits, constitutifs d'une faute grave, justifiant la rupture immédiate des relations de travail, M. P. ne peut prétendre à aucune indemnité et encore moins au bénéfice de dommages et intérêts ;

Soutenant avoir subi d'une part un préjudice moral certain en se voyant accusé en justice d'avoir violé et contourné la loi et d'autre part un préjudice financier en se trouvant contraint d'exposer des frais pour faire valoir ses droits, il demande reconventionnellement que le comportement de M. P. à son égard soit sanctionné par l'allocation d'une somme de 20 000,00 Francs, à titre de dommages et intérêts ;

Sur quoi :

1) Sur la demande au titre des heures supplémentaires :

Les fiches de paie produites aux débats démontrant que M. P. a bien été rémunérée par son employeur sur la base de l'horaire hebdomadaire (39 heures) mentionné sur la demande de modification du contrat de travail en date du 12 novembre 1997, il appartient à cette dernière d'établir l'existence des heures supplémentaires qu'elle soutient avoir effectuées ;

Dès lors que les affirmations contenues dans ses écritures, selon lesquelles elle aurait accompli chaque jour, pendant les 55 mois précédant son licenciement, au moins 9 heures de travail effectif, ne sont étayées par aucun élément objectif précis susceptible de vérification par le tribunal (aucun document de quelque nature que ce soit n'a été versé aux débats), la demande en paiement de la somme de 125 096,13 Francs présentée à ce titre ne pourra qu'être rejetée ;

2) Sur le licenciement :

Il résulte des termes de la lettre de notification de la rupture en date du 19 juillet 1999, ainsi que des conclusions échangées entre les parties, que le licenciement de M. P. a été mis en œuvre pour les motifs suivants :

« Vous avez, depuis fort longtemps, tendance à vous présenter à votre travail dans un état d'ébriété, plus ou moins prononcé. Votre comportement se trouve de ce fait agressif, tant à mon égard qu'à l'égard de la clientèle.

Lorsque le 15 juillet dernier à votre arrivée au travail je vous ai demandé une explication sur votre attitude, vous m'avez fait savoir que vous n'aviez pas l'intention de supporter une remontrance et êtes retournée purement et simplement chez vous sans même avoir franchi la porte du magasin. »

S'agissant d'un licenciement prononcé pour faute grave, il appartient exclusivement à l'employeur de rapporter la preuve des éléments propres à le justifier ;

Si le fait pour un salarié de se présenter régulièrement en état d'ébriété sur son lieu de travail peut certes constituer une faute grave, lorsque cette intempérance a une répercussion sur la qualité du travail ou lorsqu'elle fait courir des risques au salarié lui-même ou à d'autres personnes, encore faut-il toutefois que l'éthylisme lui-même soit, au préalable, suffisamment caractérisé ;

Force est de constater, en l'espèce, que les trois attestations produites par C. L. émanant soit d'une ancienne directrice salariée de l'établissement, qui ne se trouvait sur les lieux au vu des mentions figurant sur ses fiches de paie que 50 heures par mois, soit du mari de celle-ci, lequel n'a été que très partiellement le témoin des faits qu'il relate, soit enfin d'une cliente occasionnelle ne suffisent pas à établir l'intempérance habituelle et ancienne de M. P. ;

Elles sont en outre contredites, d'une part par les témoignages versés au débat par la salariée faisant état de sa sobriété habituelle et de son comportement normal propre à son emploi, d'autre part par les résultats de l'examen sanguin pratiqué le 29 janvier 2000, qui ne révèlent pas d'habitudes éthyliques anciennes, et enfin et surtout, s'agissant selon l'employeur de faits commis depuis « fort longtemps », par la continuation, en plusieurs contrats successifs, de la relation salariale pendant sept années, sans qu'aucune observation ou sanction n'ait jamais été notifiée à M. P. ;

L'abandon de poste invoqué en second lieu par C. L. n'est pas davantage caractérisé, dans la mesure où :

* L'affirmation selon laquelle M. P. aurait volontairement abandonné son poste de travail le 17 juillet 1999 n'est, en l'absence de témoin visuel direct, étayée par aucun élément objectif précis (les époux G. se contentent dans leurs attestations de rapporter ce qui leur a été dit par C. L.) ;

* Elle est en tout état de cause formellement contestée par la salariée, laquelle a au contraire soutenu dès le 4 août 1999 dans une correspondance adressée à son employeur, à laquelle il n'a été apporté sur ce point précis aucune réponse, qu'elle n'avait quitté l'établissement et remis les clés de celui-ci le samedi 17 juillet 1999 qu'à la demande expresse de C. L., après que celui-ci lui ait signifié verbalement son renvoi immédiat ;

Le licenciement de M. P. ne reposant ainsi en définitive sur aucune faute grave, ni même sur un motif valable, cette dernière est fondée à obtenir, compte tenu d'une part d'une ancienneté de services de deux ans huit mois et dix-neuf jours (seule la période d'exécution du CDI peut être prise en considération) et d'autre part d'un salaire mensuel brut s'élevant le mois précédant son licenciement à la somme brute de 7.950,00 Francs, prime d'ancienneté comprise, le bénéfice des indemnités suivantes :

* indemnité de préavis (2 mois de salaires)

soit une somme de.......................... 15 900,00 F brut

* Indemnité compensatrice de congés

payés sur le préavis........................ 1 590,00 F brut

* Indemnité de congédiement

7 950,00 x 2

* -----------=............................. 1 590,00 F

10

* Indemnité de licenciement

7 950,00 x 32

* -----------=............................ 10 176,00 F

25

dont à déduire l'indemnité de congédiement,

les deux indemnités ne pouvant se cumuler,

soit un solde de............................ 8 586,00 F

étant observé et rappelé qu'en application des dispositions de l'article 4 de la loi n° 845 du 27 juin 1968, les indemnités de congédiement et de licenciement ne donnent pas lieu aux versements ou aux retenues prévus au titre de la législation sociale et de la législation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ;

Au regard des circonstances qui l'ont entouré et notamment de la brutalité avec laquelle il est intervenu ainsi que du caractère infamant d'un des deux motifs invoqués par l'employeur, le licenciement immédiat de M. P. revêt, en l'espèce, un caractère manifestement abusif ;

La salariée justifie par les pièces versées aux débats qu'elle a subi, consécutivement à la rupture de son contrat de travail, un préjudice non seulement matériel (après être demeurée un an au chômage, elle a retrouvé un emploi le 1er juin 2000 avec une perte de salaire mensuelle de l'ordre de 1 800,00 francs brut), mais également moral (cf. certificats médicaux lui prescrivant antidépresseurs et anxiolytiques) ;

Ce double préjudice sera dans ces conditions, nonobstant la durée limitée des services de M. P. (deux ans et huit mois sous CDI), justement réparé par l'allocation d'une somme de 50 000,00 Francs à titre de dommages et intérêts, représentant l'équivalent de six mois de salaire brut ;

Dès lors qu'elle n'est étayée par aucune justification particulière la demande tendant à voir ordonner l'exécution provisoire du présent jugement ne pourra qu'être rejetée ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal du travail, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré,

Dit que le licenciement de M. P. a été mis en œuvre pour un motif non valable et qu'il revêt en outre un caractère abusif ;

* Condamne en conséquence C. L. à verser à M. P. les sommes suivantes :

• 15 900,00 Francs brut (quinze mille neuf cents francs brut) à titre d'indemnité de préavis,

• 1 590,00 Francs brut (mille cinq cent quatre-vingt-dix francs brut) au titre des congés payés sur le préavis,

• 1 590,00 Francs (mille cinq cent quatre-vingt-dix francs) à titre d'indemnité de congédiement,

• 8 856,00 Francs (huit mille huit cent cinquante-six francs) représentant, après déduction de l'indemnité de congédiement non cumulable, le montant de l'indemnité de licenciement,

• 50 000,00 Francs (cinquante mille francs) à titre de dommages et intérêts,

* Déboute M. P. de sa demande en paiement d'heures supplémentaires ;

* Ordonne à l'employeur de remettre à M. P. un certificat de travail et une attestation ASSEDIC conformes au dispositif du présent jugement ;

* Dit n'y avoir lieu à assortir la présente décision du bénéfice de l'exécution provisoire.

Composition

Me Coulet Castoldi, juge de paix, prés. ; MM. Wolzok, Griffin, Nigione, Brunetto membres employeurs et salariés ; Mes Pastor, Palmero av. déf. ; Dormier av. bar. de Nice.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : 6532
Date de la décision : 25/01/2001

Analyses

Rupture du contrat de travail ; Conditions de travail


Parties
Demandeurs : P.
Défendeurs : L.

Références :

article 4 de la loi n° 845 du 27 juin 1968


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2001-01-25;6532 ?

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