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16/11/2000 | MONACO | N°6842

Monaco | Tribunal du travail, 16 novembre 2000, B. c/ SAM Éditions du Rocher


Abstract

Contrat de travail - Licenciement

- Motif invoqué : restructuration économique

- preuve de la réalité et de la validité du motif non rapporté

- droit du salarié à une indemnité de licenciement

Résumé

Il résulte, à la fois des termes de la lettre de notification de la rupture et des conclusions échangées par les parties devant ce tribunal, que le licenciement de C. B. a été mis en œuvre dans le cadre d'une restructuration économique poursuivie par les Éditions du Rocher destinée à « une meilleure répartition des emplois

en fonction de l'activité de la société », laquelle aurait nécessité la suppression du poste d'employé qual...

Abstract

Contrat de travail - Licenciement

- Motif invoqué : restructuration économique

- preuve de la réalité et de la validité du motif non rapporté

- droit du salarié à une indemnité de licenciement

Résumé

Il résulte, à la fois des termes de la lettre de notification de la rupture et des conclusions échangées par les parties devant ce tribunal, que le licenciement de C. B. a été mis en œuvre dans le cadre d'une restructuration économique poursuivie par les Éditions du Rocher destinée à « une meilleure répartition des emplois en fonction de l'activité de la société », laquelle aurait nécessité la suppression du poste d'employé qualifié traitant des tâches administratives, occupé par la demanderesse et la création corrélative d'un emploi de comptable.

Si l'employeur est certes libre d'organiser et de structurer son entreprise comme il l'entend, dans le but notamment de la rendre plus conforme à ses besoins, sous réserve qu'il n'y ait ni abus, ni intention dolosive dans ses choix, il appartient toutefois au Tribunal du travail, lorsque des licenciements interviennent à la suite d'une telle restructuration, de déterminer d'une part si elle correspond à une situation effective et d'autre part, si la suppression de poste est réelle.

Force est de constater en l'espèce que l'employeur, bien qu'il ait seul la charge de la preuve de la réalité et de la validité du motif, n'a versé aux débats aucune pièce, de quelque nature que ce soit, établissant l'effectivité de la restructuration à laquelle il aurait procédé au sein de ses services.

Il ne démontre pas davantage la nécessité dans laquelle il se serait trouvé de supprimer le poste occupé par C. B. et d'engager un comptable, alors que celle-ci n'a point été utilement contredite dans ses justifications ou affirmations selon lesquelles : elle effectuait non seulement des travaux administratifs mais aussi des tâches comptables, la tenue des comptes continuait à être assurée par un cabinet comptable spécialisé, elle n'avait point bénéficié d'une véritable formation de la part de son employeur qui lui aurait permis de s'adapter à de nouvelles tâches.

Ainsi, le motif économique avancé par l'employeur n'étant pas avéré, C. B. est en droit d'obtenir paiement d'une indemnité de licenciement prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968 sur les indemnités de congédiement et de licenciement en faveur des salariés.

Motifs

Le Tribunal du travail,

Embauchée le 13 décembre 1995 par la SAM Éditions du Rocher en qualité d'employée qualifiée 3e échelon, C. B. a été licenciée par lettre recommandée en date du 26 janvier 1999, pour le motif suivant :

« Suppression du poste que vous occupez » ;

Soutenant d'une part avoir accompli, de septembre 1997 jusqu'à la notification de la rupture de son contrat de travail, de nombreuses heures supplémentaires qui ne lui ont pas été payées, d'autre part que son congédiement a été mis en œuvre pour un motif non valable et enfin que cette mesure revêt un caractère abusif, C. B., ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 8 novembre 1999, a attrait son ancien employeur devant le Bureau du jugement du Tribunal du travail, afin d'obtenir l'allocation à son profit des sommes suivantes :

• 37 875,00 Francs représentant les heures supplémentaires effectuées de septembre 1997 à mars 1999,

• 3 400,00 Francs à titre d'indemnité de congédiement,

• 204 000,00 Francs à titre de dommages et intérêts ;

À la date fixée par les convocations les parties ont comparu par leurs conseils respectifs puis, après cinq renvois contradictoires intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été débattue lors de l'audience du 19 octobre 2000 et le jugement mis en délibéré pour être rendu ce jour 16 novembre 2000 ;

C. B. expose en premier lieu à l'appui de ses prétentions que l'existence et le nombre des heures supplémentaires qu'elle prétend avoir effectuées pour le compte de son employeur sont établies à la fois par le récapitulatif qui lui a été délivré par le service « comptabilité » des Éditions du Rocher et par les attestations concordantes qu'elle verse aux débats ;

Elle précise par ailleurs que si elle a certes sollicité verbalement de son employeur à plusieurs reprises le paiement de ces heures, il lui était bien évidemment impossible, dans le cadre du lien de subordination l'unissant à la SAM Éditions du Rocher, d'engager préalablement à son licenciement la moindre procédure pour obtenir satisfaction ;

Contestant la validité du motif économique invoqué par la SAM Éditions du Rocher, elle fait valoir, en second lieu :

• que l'effectivité de la restructuration alléguée n'est pas démontrée, dès lors qu'elle exerçait pour sa part des attributions de nature comptable et que la tenue de la comptabilité de l'entreprise demeure encore à ce jour confiée au cabinet d'expertise comptable D. ;

• que le poste qu'elle occupait n'a pas été supprimé, la SAM Éditions du Rocher ayant au contraire pourvu à son remplacement dès le 1er juillet 1999 par un salarié qui, bien qu'exerçant les mêmes fonctions que celles qui lui étaient dévolues antérieurement, bénéficie d'un salaire sensiblement plus élevé ;

• qu'en tout état de cause, en ne lui faisant dispenser au cours de l'exercice 97 que quelques heures de formation professionnelle en comptabilité, la SAM Éditions du Rocher n'a « fait aucun effort » pour assurer sa formation et son adaptation aux « nouvelles techniques professionnelles » ;

Estimant enfin qu'en l'état de l'allégation d'un faux motif son congédiement revêt un caractère manifestement abusif, C. B. demande au Tribunal du travail de faire droit à l'intégralité de ses prétentions, telles qu'elles ont été exposées ci-dessus ;

La SAM Éditions du Rocher conclut pour sa part à l'entier débouté des demandes formées à son encontre ;

Elle invoque à cette fin les moyens suivants :

• l'accord écrit de Monsieur B., Administrateur de la Société, exigé par la correspondance du 11 août 1997, n'ayant pas en l'espèce été donné, C. B. ne peut obtenir le paiement des heures supplémentaires qu'elle sollicite, dont l'existence n'est au demeurant, en l'absence de toute réclamation écrite préalable, aucunement établie ;

• le licenciement de C. B. est intervenu par suite de la nécessité dans laquelle se trouvait la SAM Éditions du Rocher de supprimer le poste d'employée qualifiée occupé par cette salariée et de créer à la place un poste de comptable, la demanderesse s'étant avérée incapable, nonobstant la formation qui lui a été dispensée à cette fin, d'acquérir les connaissances qui lui auraient permis d'occuper cet emploi ;

Soutenant enfin avoir réglé à C. B., lors de son départ de l'entreprise, une somme supérieure au montant des indemnités auxquelles celle-ci était en droit de prétendre, elle demande reconventionnellement sa condamnation au remboursement de la somme de 10 302,00 Francs, correspondant au montant de ce trop perçu ;

Elle réclame également l'allocation d'une somme de 5 000,00 francs à titre de dommages et intérêts, afin de sanctionner le caractère abusif et injustifié de la procédure diligentée à son encontre ;

C. B. réplique à cette argumentation :

* qu'en l'état des pièces produites et de la pratique antérieure des parties, la SAM Editions du Rocher ne démontre pas avoir conditionné le paiement des heures supplémentaires effectuées par ses soins à l'existence d'un accord écrit préalable donné par le Président délégué ;

* qu'en l'absence de justificatif et de décompte, la demande reconventionnelle en remboursement de la somme de 10 302,00 Francs ne pourra qu'être rejetée ;

Sur quoi :

1°) Sur la demande en paiement d'heures supplémentaires :

L'acceptation, sans protestation ni réserve, du salaire n'impliquant pas renonciation du salarié à ses droits, il importe peu en l'espèce que C. B. n'ait officiellement réclamé pour la première fois paiement des heures supplémentaires qu'elle soutient avoir effectuées que le 11 mai 1999, dans la lettre par laquelle elle a simultanément contesté la validité de son licenciement.

En versant aux débats, d'une part un état récapitulatif des heures supplémentaires accomplies du 1er septembre 1997 au 31 mars 1999, visé le 31 mars 1999 par un responsable des Éditions du Rocher (la signature apposée sur ce document est identique à celle figurant sur la demande d'autorisation d'embauchage en date du 27 décembre 1995 ainsi que sur bon nombre des bulletins de paie) et d'autre part quatre témoignages émanant d'habitants de Monaco-Ville ou de commerçants exerçant leur activité professionnelle à proximité immédiate du siège des Éditions du Rocher, aux termes desquels ceux-ci attestent l'avoir vu à maintes reprises « sortir de son travail à des heures tardives » (entre 20 heures et 21 heures), C. B. rapporte incontestablement la preuve de l'existence des heures supplémentaires qu'elle soutient avoir effectuées au profit de son employeur ;

Il est constant toutefois en droit que seules les heures supplémentaires accomplies avec l'accord (fût-il seulement tacite), de l'employeur peuvent donner lieu à rémunération ;

Si la SAM Éditions du Rocher soutient certes avoir expressément subordonné à partir du 1er août 1997 le paiement des heures supplémentaires effectuées par C. B. à l'obtention préalable de l'accord écrit de Monsieur J.-P. B., force est de constater toutefois qu'elle n'en justifie nullement, la copie de la lettre qui aurait été adressée le 11 août 1997 à la Directrice comptable (cette date ne présentant aucun caractère certain) étant à cet égard dénuée de toute valeur probante ;

Au regard de la pratique antérieure des parties (l'examen des bulletins de paie délivrés à C. B. révèle que celle-ci a effectué tous les mois, à l'exception de celui de décembre 1996, de décembre 1995 à juillet 1997 inclus, entre 22 et 60 heures supplémentaires qui lui ont été ponctuellement réglées par l'employeur) et de l'importance du complément de rémunération versé à ce titre à la demanderesse (entre 1 375,00 Francs et 3 750,00 Francs par mois représentant jusqu'à 44 % de son salaire), la nouvelle procédure que prétend avoir instaurée l'employeur ne pouvait, en tout état de cause, entrer en vigueur avant d'avoir été préalablement notifiée à la principale intéressée ;

Il y a lieu dans ces conditions de faire intégralement droit à la demande présentée par C. B., en condamnant la SAM Éditions du Rocher à lui verser la somme totale de 37 875,00 Francs, laquelle produira intérêts au taux légal à compter du 20 octobre 1999, date de la convocation en conciliation ;

2°) Sur le licenciement :

A - Sur la validité du motif du licenciement,

Il résulte à la fois des termes de la lettre de notification de la rupture et des conclusions échangées par les parties devant ce tribunal que le licenciement de C. B. a été mis en œuvre dans le cadre d'une restructuration économique poursuivie par les Éditions du Rocher destinée à « une meilleure répartition des emplois en fonction de l'activité de la société », laquelle aurait nécessité la suppression du poste d'employé qualifié traitant des tâches administratives occupé par la demanderesse et la création corrélative d'un emploi de comptable ;

Si l'employeur est certes libre d'organiser et de structurer son entreprise comme il l'entend dans le but notamment de la rendre plus conforme à ses besoins, sous réserve qu'il n'y ait ni abus, ni intention dolosive dans ses choix, il appartient toutefois au Tribunal du travail, lorsque des licenciements interviennent à la suite d'une telle restructuration, de déterminer d'une part si elle correspond à une situation effective et d'autre part si la suppression de poste est réelle ;

Force est de constater en l'espèce que l'employeur, bien qu'il ait seul la charge de la preuve de la réalité et de la validité du motif, n'a versé aux débats aucune pièce de quelque nature que ce soit établissant l'effectivité de la restructuration à laquelle il aurait procédé au sein de ses services ;

Il ne démontre pas davantage la nécessité dans laquelle il se serait trouvé de supprimer le poste occupé par C. B. et d'engager un comptable alors que celle-ci justifie ou affirme, sans avoir été utilement contredite sur ces points :

• que si son contrat de travail porte certes l'intitulé « d'employée qualifiée », elle effectuait non seulement des travaux administratifs mais aussi des tâches comptables, ainsi qu'en font foi son permis de travail et la demande d'autorisation d'embauche correspondante qui lui confèrent le titre de « secrétaire comptable » ;

• que la tenue des comptes de la SAM Éditions du Rocher a continué postérieurement au licenciement à être assurée par un cabinet comptable spécialisé ;

• que rien ne permet d'établir en tout état de cause qu'elle n'aurait pu, si elle avait bénéficié de la véritable formation que son employeur, tenu d'assurer l'adaptation du salarié à l'évolution de son emploi, aurait dû lui fournir et non seulement des quelques rudiments qui lui ont été rapidement inculqués par un collaborateur du cabinet D., faire face aux tâches supplémentaires et s'adapter aux responsabilités nouvelles que la SAM Éditions du Rocher souhaitait faire exercer dans le domaine comptable ;

Le motif économique avancé par l'employeur n'étant en définitive pas avéré, C. B. est en droit d'obtenir paiement, au titre de l'indemnité de licenciement prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968, de la somme de 13.657,80 Francs se décomposant ainsi :

8 755 x 39

* ------ = 13 657,80 Francs

25

Dès lors toutefois d'une part qu'en application des dispositions de l'article 3 de la loi susvisée les indemnités de congédiement et de licenciement ne sont pas cumulables, et d'autre part que la SAM Éditions du Rocher justifie avoir versé à titre d'indemnité de licenciement laquelle doit en l'espèce être requalifiée en indemnité de congédiement (cf. bulletin de paie du 31 mars 1999) à C. B. la somme de 23 582,00 Francs, il convient de constater que cette dernière a d'ores et déjà été remplie de ses droits et ne peut donc prétendre à l'attribution d'autres sommes à ce titre ;

La SAM Éditions du Rocher, qui ne verse aux débats aucun décompte de l'indemnité de 23 582,00 Francs servie par ses soins, n'établissant pas toutefois en quoi le calcul de cette somme serait erroné, la demande en remboursement de la somme de 10 302,00 Francs ne pourra qu'être rejetée ;

B - Sur le caractère abusif du licenciement :

En alléguant un faux motif à l'appui du licenciement de C. B., la SAM Éditions du Rocher a fait un usage abusif du droit que la loi reconnaît à chacune des parties de mettre fin unilatéralement au contrat de travail ;

Faute toutefois par C. B. de rapporter la preuve, dont la charge lui incombe, de l'étendue du préjudice qu'elle prétend avoir subi, il lui sera alloué, au regard de son ancienneté de services (un peu plus de trois ans), de son âge (trente neuf ans) et du montant de sa rémunération mensuelle (8 500,00 Francs) une somme de 20 000,00 Francs à titre de dommages et intérêts.

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal du travail,

statuant publiquement, contradictoirement en premier ressort après en avoir délibéré,

* Dit que le licenciement de C. B. est intervenu pour un motif non valable ;

* Constate toutefois que cette dernière a été remplie de ses droits au titre de l'indemnité de licenciement ;

* La déboute en conséquence de sa demande de ce chef ;

* Déboute la SAM Éditions du Rocher de sa demande reconventionnelle en remboursement de la somme de 10 302,00 Francs (dix mille trois cent deux francs) ;

* Dit en outre que ce licenciement prononcé pour un faux motif revêt un caractère abusif ;

* Condamne en conséquence la SAM Éditions du Rocher à verser à C. B. la somme de 20 000,00 Francs (vingt mille francs) à titre de dommages et intérêts, ladite somme portant intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement ;

* Condamne la SAM Éditions du Rocher à verser à C. B., en paiement des heures supplémentaires accomplies par celle-ci, la somme de 37 875,00 Francs majorée des intérêts au taux légal à compter du 20 octobre 1999, date de la citation en conciliation.

Composition

Mme Coulet-Castoldi, juge de paix prés. ; Mrs Aoun, Giannoti, Rebaudo, Bonello membres employeurs et salariés ; Mes Pasquier Ciulla, Brugnetti av. déf., Morel av. bar. de Nice.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6842
Date de la décision : 16/11/2000

Analyses

Rupture du contrat de travail ; Procédures collectives et opérations de restructuration


Parties
Demandeurs : B.
Défendeurs : SAM Éditions du Rocher

Références :

article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2000-11-16;6842 ?

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