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28/09/2000 | MONACO | N°611661

Monaco | Tribunal du travail, 28 septembre 2000, a IN c/ la Société anonyme monégasque Comptoir Monégasque de Peinture, Décoration et Bricolage


Abstract

Licenciement économique - Conditions - Volonté de diminuer le coût salarial - Licenciement abusif

Résumé

Le fait qu'un salarié coûte trop cher ou le seul désir de remettre en cause une situation acquise jugée trop favorable pour lui n'autorise pas, dans une entreprise financièrement saine, même si sa rentabilité a été auparavant quelque peu éprouvée, l'employeur à rompre son contrat.

Un salarié ayant 25 ans d'ancienneté est licencié pour « restructuration axée sur le développement commercial, la réduction des coûts administratifs e

t la nécessité de s'adjoindre les services d'un comptable… ». Soutenant que la rupture était fond...

Abstract

Licenciement économique - Conditions - Volonté de diminuer le coût salarial - Licenciement abusif

Résumé

Le fait qu'un salarié coûte trop cher ou le seul désir de remettre en cause une situation acquise jugée trop favorable pour lui n'autorise pas, dans une entreprise financièrement saine, même si sa rentabilité a été auparavant quelque peu éprouvée, l'employeur à rompre son contrat.

Un salarié ayant 25 ans d'ancienneté est licencié pour « restructuration axée sur le développement commercial, la réduction des coûts administratifs et la nécessité de s'adjoindre les services d'un comptable… ». Soutenant que la rupture était fondée sur un faux motif, le poste qu'il occupait n'ayant pas été supprimé, la nouvelle employée recrutée accomplissant les mêmes tâches pour un salaire moindre, il avait attrait son employeur devant le tribunal du travail en paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice par lui subi en l'état de son âge et de l'emploi à temps seulement partiel retrouvé. L'employeur, de son côté, estimait notamment que l'importance des frais de personnel était la cause de l'absence de résultats et que l'employée recrutée n'effectuait pas les mêmes tâches.

Le tribunal du travail rappelle tout d'abord qu'il appartient au salarié qui sollicite l'allocation de dommages et intérêts prévus par l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, de prouver, contre son employeur, outre le préjudice subi, la faute commise par celui-ci dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut notamment consister dans l'allégation d'un faux motif. En l'espèce, il apparait qu'aucune modification notable n'a eu lieu au sein de l'entreprise et, de toute façon, le salarié licencié, grâce à sa longue expérience professionnelle et la formation reçue, (pour peu qu'elle ait été complétée dans le cadre de l'exécution, par l'employeur, du devoir d'adaptation du salarié à l'évolution de son emploi) aurait été capable de tenir la comptabilité informatique.

Le fait qu'un salarié coûte trop cher n'autorise pas, dans une entreprise financièrement saine, à rompre le contrat de travail .Le licenciement prononcé est abusif et il est alloué au salarié, en sus du trop-perçu d'indemnité, la somme de 70.000 F à titre de dommages et intérêts.

Motifs

La Cour,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 24 septembre 1998 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception, en date du 10 novembre 1998 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur, au nom de Monsieur a IN, en date des 14 janvier 1999, 17 juin 1999 et 3 février 2000 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Christiane PALMERO, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE Comptoir Monégasque de Peinture, Décoration et Bricolage, en abrégé CMPDB, en date des 20 mai 1999 et 7 octobre 1999 ;

Ouï Maître Alexis MARQUET, avocat-stagiaire à la Cour d'Appel de Monaco substituant Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Monsieur a IN, et Maître Christiane PALMERO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE Comptoir Monégasque de Peinture, Décoration et Bricolage, en abrégé CMPDB, en leurs plaidoiries et conclusions ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauché le 17 octobre 1972 à la SAM Comptoir Monégasque de Peinture, Décoration et Bricolage, en abrégé CMPDB, en qualité de comptable, a IN a été licencié par lettre recommandée avec avis de réception en date du 2 décembre 1997, pour le motif suivant :

« Comme déjà exposé verbalement, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour restructuration du CMPDB, axée sur le développement commercial, la réduction des coûts administratifs et la nécessité de s'adjoindre les services d'un comptable et non plus d'un comptable à temps complet et d'un aide comptable à temps partiel, maîtrisant parfaitement l'informatique. » ;

Soutenant que ce licenciement était basé sur un faux motif et qu'il présentait en conséquence un caractère abusif, a IN, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 9 novembre 1998, a attrait son ancien employeur devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, à l'effet d'obtenir sa condamnation, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, au paiement de la somme de 480.000,00 F à titre de dommages et intérêts ;

À l'audience fixée par les convocations les parties ont comparu par leurs conseils respectifs puis, après neuf renvois contradictoires intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été plaidée le 15 juin 2000 et le jugement mis en délibéré pour être rendu le 28 septembre 2000 ;

a IN fait valoir en substance, à l'appui de ses prétentions, que le véritable motif de son licenciement réside dans la volonté manifestée par son employeur, suite au changement d'administrateurs intervenus au sein de la société, d'augmenter sa marge de profit en réduisant les frais de personnel ;

Il fait observer à cet effet :

•que le poste qu'il occupait n'a aucunement été supprimé le procès-verbal de constat dressé à sa requête établissant au contraire que la nouvelle employée recrutée par la SAM CMPDB accomplit strictement et exactement les mêmes taches que lui sur le même matériel informatique et à l'aide du même logiciel (aucune application nouvelle n'a été mise en œuvre), à savoir la saisie informatique de la facturation et les saisies comptables, à l'exclusion de l'établissement du bilan et des comptes sociaux qui demeurent confiés, comme auparavant, à un cabinet comptable ;

• que l'argument tiré de la maîtrise de l'outil informatique est fallacieux, dès lors qu'il justifie avoir suivi durant l'année 1996 une formation de 30 heures dispensée par la Société MONACO-SOFT, payée par la SAM CMPDB, laquelle lui a permis de mettre en place, au cours de l'année 1997, dans un premier temps l'informatisation de la comptabilité en attendant les autres applications prévues ultérieurement ;

• qu'alors que son propre salaire s'élevait environ à 20.000,00 F bruts par mois, l'employée recrutée par la SAM CMPDB sous la fausse qualification d'employé informatique perçoit une rémunération mensuelle de l'ordre de 8.400,00 F ;

Estimant avoir subi, du fait de son licenciement, un préjudice non seulement matériel (âgé de 51 ans il n'a à ce jour retrouvé qu'un emploi à temps partiel et perçoit au total, allocations ASSEDIC comprises, un revenu mensuel de 11.000,00 F alors qu'il doit rembourser un prêt immobilier dont les échéances mensuelles s'élèvent à 7.000,00 F), mais également moral, compte tenu des allégations d'incompétence formulées à son encontre par la SAM CMPDB, il demande au Tribunal du Travail de faire droit à l'intégralité de ses prétentions, telles qu'elles ont été exposées ci-dessus ;

La SAM CMPDB conclut pour sa part à l'entier débouté des demandes formées à son encontre par a IN ;

Elle prétend à cet effet en premier lieu que le licenciement d'a IN n'est pas fondé sur un faux motif mais sur une réelle restructuration de l'entreprise, mise en œuvre sur la base des conclusions d'un audit financier et d'un rapport de l'administrateur délégué, lesquels ont révélé :

• que l'importance du ratio de frais de personnel était la cause essentielle de l'absence de résultats ;

• qu'en l'état de l'incompétence informatique totale de l'aide comptable et de celle quasi totale du comptable ainsi que du coût aberrant de la facturation mensuelle, il fallait procéder à la suppression de ces deux emplois et créer en remplacement un poste d'employé informatique maîtrisant l'informatique de gestion et connaissant le commerce la comptabilité et l'anglais ;

• qu'il était nécessaire, pour remédier aux dysfonctionnements relevés «empêcher la chute et assurer la croissance de la société », de moderniser et fiabiliser tous les éléments d'information commerciaux et comptables par une utilisation active de l'informatique et notamment la création et le développement de fichiers articles, fournisseurs gestion des commandes, etc… ;

Elle soutient, en second lieu, que l'employée recrutée postérieurement au licenciement d'a IN n'effectue pas les mêmes tâches que lui, puisqu'au lieu de se contenter de mémoriser des écritures comptables sur informatique, celle-ci à d'ores et déjà créé divers fichiers exhaustifs et opérationnels (fournisseurs et articles), ayant permis notamment l'informatisation de l'inventaire, élaboré un planning des horaires de travail et mis en place un suivi des créances clients ;

Elle souligne en outre qu'à partir du moment où il n'appartient pas à la même catégorie professionnelle que Mademoiselle BA, a IN ne bénéficiait pas de la priorité de réembauchage prévue par l'alinéa 1er de l'article 7 de la loi n° 629 du 17 juillet 1957 ;

Elle estime, en tout état de cause, qu'a IN, qui a retrouvé un emploi en Principauté et n'a pas eu à supporter la charge matérielle ou morale de son épouse, ne justifie d'aucun préjudice ;

Rappelant qu'elle a versé à a IN l'indemnité de licenciement prévue par la Convention Collective du Bricolage, alors que ce dernier n'avait droit qu'à l'indemnité de congédiement prévue par la loi n° 845 du 27 juin 1968 et l'article 6 de l'avenant n° 18 du 13 mai 1981 à la Convention Collective Monégasque du Travail, elle sollicite reconventionnellement sa condamnation au remboursement de la somme de 54.839,81 F, indûment perçue ;

Soutenant enfin que la procédure intentée à son encontre par a IN lui a causé un préjudice à la fois matériel et moral, elle réclame l'allocation d'une somme de 10.000,00 F, à titre de dommages et intérêts ;

SUR CE,

Il appartient au salarié qui sollicite l'allocation des dommages et intérêts prévus par l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 de prouver, contre son employeur, outre le préjudice subi, l'existence d'une faute commise par celui-ci dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut notamment consister dans l'allégation d'un faux motif ;

En l'espèce, au vu des pièces versées aux débats c'est à juste titre qu'a IN soutient que la « restructuration » invoquée par la CMPDB ne constituerait pas la véritable raison de son licenciement et qu'il aurait été en réalité évincé de l'entreprise pour l'unique motif qu'il coûtait trop cher ;

Il résulte du constat dressé à la requête d'a IN par Maître ESCAUT-MARQUET le 27 juillet 1998 qu'à l'exception de la suppression du poste d'aide comptable, aucune modification notable n'a eu lieu au sein des services administratifs et comptables de la société, qu'il s'agisse de structure, de matériel ou d'organisation ;

Des dires recueillis par l'Huissier il ressort ainsi que :

– le système informatique en vigueur au sein de la société, qu'il s'agisse du matériel ou du logiciel utilisé est toujours celui qui avait été installé en 1996 par la société MONACO-SOFT à la demande des précédents actionnaires de la société ;

– l'élaboration des comptes sociaux et du bilan sont toujours confiés à un cabinet extérieur et plus précisément à la société d'expertise comptable G 3 C à Villeneuve Loubet ;

– seules les saisies comptables et la facturation sont réalisées sur informatique par le salarié nouvellement recruté suite au licenciement d'a IN, la gestion des stocks demeurant effectuée par les vendeurs.

Par ailleurs, si la SAM CMPDB soutient certes que depuis l'embauche d'une « employée informatique », en la personne de Mademoiselle BALDONI, aux lieu et place d'a IN des travaux « indispensables à la restructuration de la société » auraient été réalisés et plus précisément :

– la création d'un fichier fournisseur exhaustif et opérationnel pour l'amélioration du suivi et la maîtrise du crédit fournisseur ;

– la création du fichier articles, première étape du processus d'informatisation de la gestion commerciale ;

– la création d'un planning des horaires de travail ;

– le suivi des créances clients ;

force est de constater qu'elle n'en justifie par aucune pièce ;

La note sur l'évolution de l'exploitation établie le 14 septembre 1998 par la société d'expertise comptable GCCC ne fait en effet référence parmi les « outils d'information et de gestion » mis en œuvre qu'au « tableau de bord mensuel » et à la mise en place d'un fichier articles dont, à cette date, 40 % restait encore à créer ;

À partir du moment où, en toute hypothèse, a IN grâce à sa longue expérience professionnelle et aux 30 heures de formation qui lui avaient été dispensées par la société MONACO-SOFT au cours du mois de mars 1996 était capable de tenir la comptabilité sur informatique, rien ne permet d'affirmer, alors que celui-ci avait tout au long de sa carrière donné toute satisfaction à son employeur, qu'il n'aurait pas été en mesure, s'il avait bénéficié du complément de formation initialement prévu, d'utiliser pleinement les ressources du système informatique installé en 1996 ;

L'employeur, qui est tenu d'exécuter de bonne foi le contrat de travail a, en effet, le devoir d'adapter le salarié à l'évolution de son emploi, au besoin en lui dispensant la formation nécessaire ;

Il apparaît ainsi en définitive que le licenciement d'a IN a été essentiellement décidé pour permettre « la mise aux normes du ratio de frais de personnel » en ramenant le coût salarial mensuel de l'employé en charge de la comptabilité de 20.000,00 F à 8.000,00 F ;

Le fait qu'un salarié coûte trop cher ou le seul désir de remettre en cause une situation acquise jugée trop favorable pour lui n'autorisant pas dans une entreprise financièrement saine, même si sa rentabilité avait été quelque peu éprouvée au cours des années 1995 à 1997, l'employeur à rompre son contrat de travail, le licenciement d'a IN revêt en l'espèce un caractère abusif ;

Si ce dernier a certes perçu de son employeur à la suite de son licenciement une somme de 54.839,81 F, à laquelle il ne pouvait prétendre en l'état de la jurisprudence de la Cour de Révision (affaire : IVALDI c/ EDIMO - 26 mars 1998), cette indemnité ne répare toutefois que partiellement l'important préjudice, tant matériel que moral qu'il a subi ;

Compte tenu de son ancienneté de services (25 ans), de son âge (51 ans) et de l'impossibilité dans laquelle celui-ci s'est trouvé jusqu'à ce jour de retrouver un emploi équivalent, (il perçoit pour son emploi à temps partiel un salaire de 11.000,00 F, allocation ASSEDIC comprises), il convient de lui allouer une somme complémentaire de 70.000,00 F à titre de dommages et intérêts ;

Aucune considération particulière ne le justifiant en l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir le présent jugement du bénéfice de l'exécution provisoire ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort après en avoir délibéré,

Dit que le licenciement de Monsieur a IN revêt un caractère abusif ;

Condamne en conséquence la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE Comptoir Monégasque de Peinture, Décoration et Bricolage, en abrégé CMPDB, à lui payer la somme de 70.000,00 francs (soixante-dix mille francs) à titre de dommages et intérêts ;

Déboute Monsieur a IN du surplus de ses prétentions ;

Déboute la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE Comptoir Monégasque de Peinture, Décoration et Bricolage, en abrégé CMPDB de ses demandes reconventionnelles en remboursement de la somme de 54.839,81 Francs (cinquante-quatre mille huit cent trente-neuf francs et quatre-vingt-un centimes) et en paiement d'une somme de 10.000,00 Francs (dix mille francs) à titre de dommages et intérêts ;

Condamne la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE Comptoir Monégasque de Peinture, Décoration et Bricolage, en abrégé CMPDB, aux dépens.

Composition

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 611661
Date de la décision : 28/09/2000

Analyses

Social - Général ; Rupture du contrat de travail


Parties
Demandeurs : a IN
Défendeurs : la Société anonyme monégasque Comptoir Monégasque de Peinture, Décoration et Bricolage

Références :

article 7 de la loi n° 629 du 17 juillet 1957
loi n° 845 du 27 juin 1968
article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2000-09-28;611661 ?

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