La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/05/2000 | MONACO | N°631150

Monaco | Tribunal du travail, 25 mai 2000, r.-m. BU. c/ la SCS SCAVETTA ET CIE, NET SERVICE


Abstract

Licenciement pour faute grave d'une salariée en retard de congés payés - Cas fortuit inhérent à l'impossibilité de prendre un vol charter réservé et payé mais complet - Justification de l'information donnée à l'employeur - Droit aux indemnités de rupture et à des dommages intérêts

Résumé

Embauchée en qualité d'agent de nettoyage, le 9 juillet 1993, une salariée qui avait vu, à Montréal, son vol annulé, avait été licenciée pour abandon de poste sans préavis ni indemnités de rupture. Elle demandait au tribunal un réajustement de ses sala

ires sur la base d'une qualification de chef de secteur, coefficient 250 de la Convention Coll...

Abstract

Licenciement pour faute grave d'une salariée en retard de congés payés - Cas fortuit inhérent à l'impossibilité de prendre un vol charter réservé et payé mais complet - Justification de l'information donnée à l'employeur - Droit aux indemnités de rupture et à des dommages intérêts

Résumé

Embauchée en qualité d'agent de nettoyage, le 9 juillet 1993, une salariée qui avait vu, à Montréal, son vol annulé, avait été licenciée pour abandon de poste sans préavis ni indemnités de rupture. Elle demandait au tribunal un réajustement de ses salaires sur la base d'une qualification de chef de secteur, coefficient 250 de la Convention Collective des entreprises de Propreté, ainsi que des indemnités de congédiement et rupture abusive.

Sur la requalification, le tribunal déboute la salariée qui ne justifie pas remplir deux des critères essentiels distinguant le chef de site du chef d'équipe, la pratique de métrés et l'animation de plusieurs équipes.

Sur le licenciement intervenu pour faute grave, le tribunal, après avoir analysé le comportement diligent de la salariée qui n'a pu prendre place sur le vol qui s'est avéré complet, qu'elle avait réservé et payé, et a démontré avoir informé son employeur de cette situation, a jugé que le non-respect de ses dates de congés payés a bien été provoqué par un cas fortuit . Si le trouble généré dans l'entreprise, par son absence de sept jours consécutive à l'absence de vols charters plus tôt, constitue un motif valable de rupture, il ne constitue pas une faute grave.

La salariée est en droit d'obtenir des indemnités de préavis, de congés payés sur préavis, de congédiement et des dommages intérêts pour rupture abusive, l'employeur qui apparait de mauvaise foi en niant l'information reçue de sa salariée, ayant agi avec une précipitation blâmable.

Motifs

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 13 juin 1997 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception, en date du 9 juillet 1997 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Joëlle PASTOR, avocat-défenseur, au nom de Mademoiselle r. m. BU., en date des 9 octobre 1997, 22 janvier 1998, 14 mai 1998, 28 janvier 1999 et 29 avril 1999 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, au nom de la SCS SCAVETTA ET CIE - NET SERVICE, en date des 4 décembre 1997, 19 février 1998, 2 juillet 1998 et 15 avril 1999 ;

Ouï Maître Danièle RIEU, avocat au barreau de Nice, assistée de Maître Joëlle PASTOR, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Mademoiselle r. m. BU., et Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco au nom de la SCS SCAVETTA ET CIE - NET SERVICE, en leurs plaidoiries et conclusions ;

Lesdits avocats-défenseurs ayant repris et maintenu ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauchée le 9 juillet 1993 par la SCS SCAVETTA ET COMPAGNIE en qualité d'agent de nettoyage, r. m. BU. a été licenciée le 10 janvier 1997 pour abandon de poste, sans préavis ni indemnités de rupture ;

Soutenant d'une part qu'elle exerçait en réalité les fonctions de responsable de secteur et qu'elle aurait dû percevoir en conséquence la rémunération afférente au coefficient 250 et d'autre part que son licenciement est non seulement dépourvu de motif valable, mais en outre abusif, r. m. BU., ensuite d'une procès-verbal de non-conciliation en date du 7 juillet 1997 a attrait la SCS SCAVETTA ET CIE devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail afin d'obtenir l'allocation des sommes suivantes :

* 8.448,43 F, à titre de rappel de salaires,

* 1.690,42 F, au titre du préavis,

* 1.690,42 F, au titre des congés payés sur le préavis,

* 2.535,63 F, au titre de l'indemnité de congédiement,

* 10.311,57 F, au titre de l'indemnité de licenciement, déduction faite de l'indemnité de congédiement non cumulable,

* 942,55 F, au titre des congés payés afférents à l'exercice 96/97,

* 202.850,40 F, à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif et injustifié ;

À la date fixée par les convocations, les parties ont comparu par leurs conseils respectifs, puis après dix neuf renvois intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été plaidée à l'audience du 13 avril 2000 et mise en délibéré pour être le jugement rendu ce jour 25 mai 2000 ;

r. m. BU. expose en premier lieu à l'appui de ses prétentions qu'à partir de la mi-juillet 1996 elle a été promue au poste de responsable de secteur et doit donc bénéficier du coefficient 250, correspondant à la qualification de chef de secteur prévue par la Convention Collective des Entreprises de Propreté ;

Elle soutient à cet effet que les critères essentiels, distinguant le chef de secteur du chef d'équipe sont bien réunis en l'espèce, puisque d'une part elle ne participait pas personnellement aux travaux de nettoyage et d'autre part elle supervisait effectivement plusieurs équipes sur différents sites ;

Elle réclame en conséquence, dans le dernier état de ses écritures devant cette juridiction, la somme nette de 9.021,73 F ;

r. m. BU. fait valoir par ailleurs qu'elle a bénéficié pour les fêtes de fin d'année 1996 de quelques jours de congés payés pendant lesquels elle s'est rendue au Canada ; qu'elle s'est toutefois retrouvée bloquée à l'aéroport de Mirabel le 4 janvier 1997, le vol sur lequel sa place était pourtant réservée s'étant avéré complet jusqu'au 12 janvier 1997, date à laquelle la Cie KLM est finalement parvenue à l'acheminer à Nice, Via Amsterdam aux mêmes conditions tarifaires ;

Soulignant d'une part qu'elle n'avait pu emprunter les vols réguliers qui lui auraient certes permis de regagner plus rapidement MONACO, dès lors que les conditions financières proposées étaient hors de proportion avec ses revenus, et d'autre part qu'elle a informé dès l'ouverture des Bureaux le lundi 6 janvier 1997 son employeur de sa situation particulière dans laquelle elle se trouvait, elle soutient que son absence qui résultait d'un fait exceptionnel, totalement indépendant de sa propre volonté, ne constitue ni une faute grave ni un motif valable de licenciement ;

Estimant par ailleurs qu'au regard de ces circonstances particulières la SCS SCAVETTA a fait un usage abusif de son droit de licencier, elle sollicite, dans le dernier état de ses conclusions, après rectification des erreurs de calcul contenues dans sa requête introductive d'instance, la condamnation de cette dernière au paiement des sommes suivantes :

* 18.302,13 F, au titre du préavis,

* 1.830,21 F, au titre des congés payés sur le préavis,

* 3.202,87 F, au titre de l'indemnité de congédiement,

* 8.510,48 F, à titre d'indemnité de licenciement,

* 50.000,00 F, à titre de dommages et intérêts,

La SCS SCAVETTA, après avoir soulevé l'irrecevabilité de la demande de rappel de salaire ainsi que des demandes présentées postérieurement à l'audience de conciliation, conclut pour sa part à l'entier débouté des prétentions formées à son encontre par r. m. BU. ;

Elle fait valoir en substance à cet effet :

En ce qui concerne le rappel de salaires,

* que cette demande relève de la compétence exclusive de la commission de classement,

* qu'en toute hypothèse r. m. BU., qui n'assurait pas les liaisons fonctionnelles et hiérarchiques et n'était au surplus pas à même d'établir de métrés, n'exerçait pas les fonctions de chef de site et encore moins celles de responsable de secteur ;

En ce qui concerne la contestation du licenciement,

* que r. m. BU., qui n'établit pas avoir eu à subir un événement de force majeure, imprévisible extérieur et insurmontable doit assumer ses responsabilités, les considérations d'ordre financier qu'elle invoque ne pouvant l'exonérer de ses obligations contractuelles,

* que celle-ci ne démontre pas davantage avoir averti la Direction de la Société qui l'employait de son absence prolongée,

* que cette absence a gravement perturbé le fonctionnement de l'entreprise, qui avait absolument besoin de la présence de r. m. BU.,

* qu'en tout état de cause, la demanderesse ne justifie pas de l'ampleur du préjudice qu'elle prétend avoir subi ;

SUR QUOI,

1) Sur la demande de rappel de salaires

Si les contestations sur le classement des salariés dans les diverses catégories professionnelles doivent certes être soumis, en application des dispositions de la loi n° 739 du 16 mars 1963 à la commission paritairement composée d'employeurs et de salariés, prévue par l'article 11-1 de la loi susvisée, il n'en demeure pas moins qu'en l'espèce la demande formée directement devant le Tribunal du Travail par r. m. BU. est recevable dans la mesure où :

* elle est assortie d'une demande de rappel des salaires et de sept autres prétentions liées à la rupture du contrat de travail, dont ne peut connaître la commission de classement,

* l'article 59 de la loi n° 446 portant création du Tribunal du Travail oblige en outre à ce que toutes les demandes dérivant d'un même contrat de louage de services entre les mêmes parties fassent l'objet d'une seule instance, à peine d'être déclarées non recevables ;

Dès lors toutefois que r. m. BU., au vu des pièces qu'elle a versé aux débats, ne justifie pas remplir deux des critères essentiels distinguant le chef de site (coefficient 250) du chef d'équipe (coefficient 180), à savoir :

* la pratique des métrés, laquelle permet seule l'établissement de devis,

* l'animation de plusieurs équipes de travail travaillant sur des sites différents,

sa demande tendant à se voir reconnaître la qualification de chef de site et à obtenir le bénéfice du rappel de salaires en découlant ne pourra qu'être rejetée ;

2) Sur le licenciement

Il résulte à la fois du bulletin d'enregistrement de bagages et de l'attestation délivrée par Monsieur FO. que r. m. BU. s'est bien présentée en temps et en heure à l'aéroport de Mirabel (Montréal) le 4 janvier 1997, afin de prendre sa place sur l'avion affrété par KLM à destination de Nice, qu'elle avait réservée et payée le 17 décembre 1996 ; que toutefois, le vol s'étant avéré complet elle n'a pas pu embarquer et n'a donc pu être à son poste le 6 janvier 1997 à l'issue de ses congés ;

Il est constant par ailleurs qu'aucune place à des conditions tarifaires comparables, seules compatibles avec les possibilités financières de r. m. BU., ne s'étant avérée disponible plus tôt, cette dernière n'est effectivement parvenue à quitter le Canada que le 12 janvier suivant ; qu'ainsi son absence s'est prolongée au total durant une semaine ;

Il ressort enfin de la correspondance adressée le 4 juin 1996 à r. m. BU. par la Société BELL que la demanderesse a bien appelé, au moyen d'une carte téléphonique prépayée le lundi 6 janvier 1997 à 03 h 17 minutes (heure locale) soit 09 h 17 minutes (heure française) le numéro 377.[…], attribué à la SCS SCAVETTA, afin d'informer son employeur de l'impossibilité dans laquelle elle se trouvait de reprendre ses fonctions ;

L'employeur ne peut en l'espèce sérieusement soutenir que cet appel téléphonique n'aurait pas abouti ou que la communication n'aurait pas été passée au Directeur de l'entreprise, alors que les deux témoignages fournis par Madame DA., qui pour avoir quitté l'entreprise ne se trouve plus aujourd'hui placée sous la subordination de la SCS SCAVETTA, établissent sans contestation possible que l'appel reçu par elle le 6 janvier 1997 au matin a été transféré à Monsieur KA., « qui se trouvait dans son bureau et qui a poursuivi la conversation avec r. m. BU. » ;

Dès lors qu'il est ainsi clairement démontré d'une part que le non respect par r. m. BU. de ses dates de congés payés a bien été provoqué par un cas fortuit et d'autre part que l'employeur en a été effectivement avisé aussitôt que possible (le jour même de la réouverture des bureaux), cette absence, si elle constitue certes, compte tenu de sa durée (sept jours le retour effectif s'étant produit le 13 janvier 1997 en l'absence de vols charters plus tôt) et du trouble qu'elle a généré dans le fonctionnement de l'entreprise un motif valable de rupture, ne constitue pas en revanche une faute grave ;

r. m. BU. peut donc prétendre au bénéfice des indemnités de préavis, de congés payés sur le préavis et enfin de congédiement qu'elle a sollicitées ;

Si cette dernière est certes irrecevable à augmenter le quantum de ses demandes après l'audience de conciliation, les dispositions de l'article 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946 ne font pas obstacle à ce qu'elle rectifie l'erreur matérielle contenue dans la requête introductive d'instance affectant le montant de l'indemnité de préavis sollicitée à hauteur de 1.690,42 F, au lieu de 16.904,20 F, alors qu'il était pourtant bien spécifié que le montant réclamé correspondait à deux mois de salaire ;

Il lui sera donc alloué, compte tenu de son ancienneté de service et du montant de son salaire les sommes suivantes :

* 14.888,04 F, au titre du préavis (deux mois),

* 1.488,04 F, au titre des congés payés sur le préavis,

* 2.735,67 F, au titre de l'indemnité de congédiement ;

Au regard des circonstances qui ont entouré la rupture, la SCS SCAVETTA a fait un usage abusif de son droit de mettre fin au contrat de travail de r. m. BU. ;

En effet, en notifiant à cette employée qui n'avait jamais fait l'objet en trois ans et demi d'activités d'avertissements ni même d'observations écrites et avait vu au contraire ses mérites professionnels consacrés par une promotion au poste de chef d'équipe, son licenciement immédiat, sans préavis ni indemnité de rupture, sans avoir eu au préalable la certitude que celle-ci avait bien reçu la mise en demeure en date du 6 janvier 1997, la SCS SCAVETTA a agi avec une précipitation blâmable ;

Elle a par ailleurs, en affirmant dans sa correspondance du 6 janvier 1997 n'avoir pas eu de nouvelles de r. m. BU., alors que l'appel téléphonique de celle-ci avait pourtant été reçu et dirigé sur le Directeur Monsieur KA., le matin même, fait preuve d'une légèreté certaine confinant à la mauvaise foi ;

Le préjudice matériel et moral éprouvé par r. m. BU. consécutivement à la rupture abusive de son contrat de travail, compte tenu de son ancienneté de services, (3 ans ½) et de la perte de rémunération subie (31.040,42 F, au vu des avis de paiement ASSEDIC versés aux débats) sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 40.000,00 F, à titre de dommages et intérêts ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,,

Statuant publiquement, contradictoirement en premier ressort après en avoir délibéré,

Dit que le licenciement de r. m. BU. ne repose pas sur une faute grave, mais sur un motif valable ;

Dit en outre qu'il revêt un caractère abusif ;

Condamne en conséquence la SCS SCAVETTA ET CIE - NET SERVICE à payer à r. m. BU. les sommes suivantes :

* 14.888,04 Francs, (quatorze mille huit cent quatre vingt huit francs et zéro quatre centimes), au titre du préavis,

* 1.488,04 Francs, (mille quatre cent quatre vingt huit francs et zéro quatre centimes), au titre des congés payés sur le préavis,

* 2.735,67 Francs, (deux mille sept cent trente cinq francs et soixante sept centimes), au titre de l'indemnité de congédiement,

* 40.000,00 Francs, (quarante mille francs), à titre de dommages et intérêts ;

Déboute r. m. BU. du surplus de ses prétentions ;

Condamne la SCS SCAVETTA ET CIE - NET SERVICE aux entiers dépens.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 631150
Date de la décision : 25/05/2000

Analyses

Social - Général ; Rupture du contrat de travail


Parties
Demandeurs : r.-m. BU.
Défendeurs : la SCS SCAVETTA ET CIE, NET SERVICE

Références :

article 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946
loi n° 739 du 16 mars 1963


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2000-05-25;631150 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award