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23/03/2000 | MONACO | N°611908

Monaco | Tribunal du travail, 23 mars 2000, f ME c/ la SAM Crédit immobilier de Monaco


Abstract

Non renouvellement de contrats à durée déterminée conclus pendant 7 ans - Contrat devenu à durée indéterminée - Licenciement - Convention -Collective des Banques applicable - Reçu pour solde de tout compte assorti de réserves

Résumé

La mention « sous réserves de mes droits »sur le reçu pour solde de tout compte, exclusive de tout accord, confère un caractère exclusivement libératoire des sommes qui y figurent. La permanence d'une relation contractuelle, renouvelée quatre fois pendant plus de sept ans, modifie la nature des rapports des partie

s liées par un contrat à durée indéterminée. Le refus persistant et délibéré de l'emplo...

Abstract

Non renouvellement de contrats à durée déterminée conclus pendant 7 ans - Contrat devenu à durée indéterminée - Licenciement - Convention -Collective des Banques applicable - Reçu pour solde de tout compte assorti de réserves

Résumé

La mention « sous réserves de mes droits »sur le reçu pour solde de tout compte, exclusive de tout accord, confère un caractère exclusivement libératoire des sommes qui y figurent. La permanence d'une relation contractuelle, renouvelée quatre fois pendant plus de sept ans, modifie la nature des rapports des parties liées par un contrat à durée indéterminée. Le refus persistant et délibéré de l'employeur d'appliquer une convention collective régissant les relations des parties cause un préjudice qui doit être réparé.

Une employée de banque a été unie à son employeur, par différents contrats à durée déterminée, pendant sept ans avant qu'un terme soit mis par non renouvellement du dernier contrat. La salariée qui, peu avant, avait saisi tant la Direction du Travail et des Affaires Sociales que la commission paritaire de l'Association Monégasque des Banques, afin de voir appliquer la Convention Collective de banques, soutient devant le Tribunal du Travail où elle a attrait son employeur, que la rupture s'analyse en un licenciement, de surcroit abusif, avec toutes conséquences de droit. La banque soutient, quant à elle, le reçu pour solde de tout compte n'étant pas valablement dénoncé, que la dame F.M. est forclose en sa réclamation. Par ailleurs, dans l'esprit des parties, l'engagement a bien été conclu à durée déterminée et la salariée doit être déboutée de ses demandes.

Le Tribunal du Travail relève tout d'abord que la signature du reçu par la salariée est précédée de la mention « sous réserves de mes droits », ce qui exclut tout accord, dénature le document et lui donne seulement la valeur d'un simple reçu libératoire des sommes qui y figurent. La banque est par ailleurs tenue par la Convention Collective des Banques car elle exerce, par définition de ses statuts, une activité bancaire. La permanence de la situation de la dame F.M. qui a accompli pendant plus de 7 ans, le même travail au service du même employeur, a eu pour effet de rendre le contrat à durée indéterminée. La rupture de celui-ci, à l'initiative de la banque, s'analyse en un licenciement. En application des dispositions de la Convention Collective applicable, la salariée est en droit de prétendre au paiement des indemnités de préavis et de licenciement, à différentes primes et avantages prévus par l'accord collectif dont s'agit , outre des dommages et intérêts réparant le préjudice causé par la non application délibérée de la Convention (150.000 F)et le caractère abusif du licenciement (150.000 F).

Motifs

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 2 avril 1998 ;

Vu les convocations à Comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception, en date du 6 mai 1998 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, au nom de Madame f ME, en date des 2 juillet 1998, 27 octobre 1998, 21 janvier 1999 et 2 septembre 1999 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Etienne LEANDRI, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE CRÉDIT MOBILIER DE MONACO, en date des 26 novembre 1998, 10 juin 1999 et 11 novembre 1999 ;

Ouï Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de Madame f ME, et Maître Etienne LEANDRI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE CRÉDIT MOBILIER DE MONACO, en leurs plaidoiries et conclusions ;

Vu les pièces du dossier ;

f ME a été embauchée par la SAM CRÉDIT MOBILIER DE MONACO, aux termes de contrats à durée successifs de façon ininterrompue du 19 septembre 1990 jusqu'au 31 décembre 1997 ;

Soutenant d'une part que ces divers contrats à durée déterminée constituaient en réalité un contrat à durée indéterminée, d'autre part que les dispositions de la Convention Collective Monégasque du Personnel des Banques n'avaient pas été respectées en l'espèce par son employeur et qu'enfin le non renouvellement de son contrat de travail, qui lui avait été notifié le 22 décembre 1997 s'analysait en réalité en un licenciement abusif, f ME, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 4 mai 1998, a attrait la SAM CRÉDIT MOBILIER DE MONACO devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail afin d'obtenir sa condamnation sous le bénéfice de l'exécution provisoire au paiement des sommes suivantes :

• 59.661,71 F, au titre de l'indemnité de congédiement prévue par la Convention Collective des Banques,

• 15.009,24 F, à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

• 4.272,33 F, à titre d'indemnité de sous-sol,

• 500.000,00 F, à titre de dommages et intérêts pour non respect de la Convention Collective,

• 750.000,00 F, à titre de dommages et intérêts pour « licenciement abusif et en réparation du préjudice matériel »,

• 300.000,00 F, à titre de dommages et intérêts pour « réparation du préjudice moral suite au licenciement abusif » ;

Elle sollicitait en outre pour mémoire :

• un rappel sur cinq années d'indemnité dite des « quarts de mois »,

• les congés payés dus sur le 14e mois et l'indemnité prévue par l'arbitrage de 1962,

le tout avec intérêts de droit à compter de la fin du contrat jusqu'à parfait paiement sur toutes les sommes ;

À la date fixée par les convocations les parties ont comparu par leurs conseils respectifs puis après douze renvois contradictoires, intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été plaidée à l'audience du 10 février 2000 et mise en délibéré pour être le jugement rendu ce jour, 23 mars 2000 ;

f ME fait valoir, à l'appui de ses prétentions, qu'elle a été engagée le 19 mars 1990 par la SAM CRÉDIT MOBILIER DE MONACO en qualité de secrétaire selon un premier contrat à durée déterminée d'un an, renouvelé par la suite sans interruption jusqu'au 31 décembre 1997 ; qu'au cours de l'année 1996, afin d'obtenir la stabilisation de sa situation professionnelle, elle a d'une part pris attache avec la Direction du Travail et des Affaires Sociales et d'autre part saisi la Commission Paritaire de l'Association Monégasque des Banques, qui lui ont toutes deux indiqué que la Convention Collective des Banques devait recevoir application en l'espèce ; que quelques jours plus tard, en réaction à ces démarches la SAM CRÉDIT MOBILIER DE MONACO lui a notifié le non renouvellement de son contrat de travail ;

Se prévalant d'une part de l'avis donné à l'unanimité par la Commission Paritaire de l'Association Monégasque des Banques, tel qu'il est contenu dans le procès-verbal du 12 décembre 1997 et d'autre part du jugement rendu par ce Tribunal le 26 juin 1997 dans le cadre du litige opposant le CRÉDIT MOBILIER DE MONACO à un autre de ses salariés, f ME souhaite en premier lieu qu'il soit dit et jugé que la Convention Collective Monégasque de Travail du Personnel des Banques s'applique bien au CRÉDIT MOBILIER DE MONACO et à l'ensemble de son personnel ;

Elle réclame en conséquence, dans le dernier état de ses écritures sur le fondement de ladite Convention, l'allocation à son profit des sommes suivantes :

• 4.272,33 F, à titre d'indemnité de sous-sol,

• 21.859,35 F, à titre de rappel de quarts de mois,

• 5.931,11 F, représentant le montant de l'indemnité qui lui est due en application de l'article 41 de ladite Convention ;

Elle soutient par ailleurs que dès lors qu'elle a accompli sans discontinuité pendant plus de sept années son travail au service du même employeur, la volonté réelle du CRÉDIT MOBILIER DE MONACO, contrairement aux apparences qu'il s'est efforcé de créer, était bien de s'attacher durablement ses services ; qu'il convient dès lors de considérer que les parties ont été liées en l'espèce par un contrat à durée indéterminée avec toutes ses conséquences de droit ;

Elle prétend enfin que son licenciement, intervenu en violation des dispositions de la Convention Collective susvisée au mépris, de l'avis donné par la Commission Paritaire et de la Jurisprudence dégagée par le Tribunal du Travail, présente un caractère manifestement abusif ;

Elle fait observer à cet effet que la SAM CRÉDIT MOBILIER DE MONACO a utilisé à son égard des moyens de pressions intolérables afin d'obtenir d'elle, alors qu'elle était éprouvée physiquement et psychiquement, une transaction ;

Elle sollicite en conséquence, aux termes de ses dernières conclusions, l'allocation de ce chef des sommes suivantes :

• 72.022,00 F, à titre d'indemnité de congédiement, calculée conformément aux dispositions de l'article 38 de la Convention Collective des Banques,

• 18.005,50 F, à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

• 500.000,00 F, de dommages et intérêts pour non-respect de la Convention Collective,

• 750.000,00 F, de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel qu'elle a subi consécutivement à son licenciement,

• 300.000,00 F, à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

le tout avec intérêts de retard au taux légal à compter du 1er janvier 1998 et sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

La SAM CRÉDIT MOBILIER DE MONACO soutient en premier lieu que la demande formée à son encontre est irrecevable, en application des dispositions de l'article 7 de la loi 638 du 11 janvier 1958 ;

Elle fait valoir à cet effet que la lettre en date du 5 mars 1998, par laquelle f ME a dénoncé le solde pour tout compte établi le 4 février 1998, est rédigée en des termes généraux, manifestement insuffisants pour être retenue comme une contestation valable dudit reçu ; qu'en outre, à la date du 4 février 1998, les réclamations faites par f ME auprès de l'inspecteur du travail avaient été satisfaites, puisque celle-ci avait d'une part perçu l'indemnité de précarité et d'autre part reçu l'imprimé destiné aux ASSEDIC ;

Qu'enfin le préliminaire de conciliation, qui comporte le détail de la réclamation de la salariée, est intervenu le 14 avril 1998, soit postérieurement à l'expiration du délai de deux mois qui lui était imparti à peine de forclusion pour dénoncer le reçu pour solde de tout compte ;

Elle demande donc au Tribunal du Travail, à titre principal, de déclarer f ME forclose en sa réclamation ;

Soutenant que dans l'esprit des parties, dont celui de f ME, l'engagement n'a été conclu qu'à durée déterminée et qu'en conséquence cette dernière n'a pas fait l'objet d'un licenciement, les parties ayant au contraire convenu de la cessation de leurs relations contractuelles au 31 décembre 1997, elle conclut subsidiairement au débouté de l'intégralité des demandes formées à son encontre ;

Elle souligne ainsi :

– que l'accord de l'employeur et du salarié sur le recours aux contrats à durée déterminée résulte indiscutablement des demandes successivement présentées à cette fin au Service de l'Emploi,

– que le terme fixé à ces engagements a été consacré par f ME elle-même dans ses divers écrits ; qu'en outre, en réclamant en des termes non équivoques le bénéfice de l'indemnité de précarité et en ne se représentant plus sur les lieux de son travail postérieurement au 31 décembre 1997, cette dernière a reconnu implicitement mais nécessairement qu'elle était arrivée au terme de son engagement et par là même que le contrat était à durée déterminée ;

f ME réplique pour sa part à cette argumentation :

– que la mention « sous réserve de mes droits », qu'elle a apposée sur le reçu pour solde de tout compte en date du 4 février 1998 étant exclusive de tout accord de sa part, le délai de forclusion prévu par l'article 7 de la loi 638 du 11 janvier 1958 ne peut lui être opposé ;

Qu'en outre et en toutes hypothèses, la délivrance au salarié d'un reçu pour solde de tout compte ne met pas l'employeur à l'abri de réclamations ultérieures qui ne pouvaient figurer sur ledit reçu ; qu'enfin, dès lors que la présente instance concerne essentiellement des demandes d'indemnités et de dommages et intérêts qui relèvent de la compétence du Tribunal du Travail, le reçu ne pouvait les énoncer et encore moins faire courir un délai ;

– qu'elle n'a accepté les renouvellements de contrats à durée déterminée qui lui ont été successivement proposés par la SAM CRÉDIT MOBILIER DE MONACO que pour sauvegarder son emploi,

– qu'il a été unilatéralement mis fin au contrat de travail par le CRÉDIT MOBILIER DE MONACO, par une lettre recommandée avec accusé de réception qui lui a été adressée le 22 décembre 1997 ;

SUR QUOI,

1) Sur la fin de non-recevoir tirée du non-respect des dispositions de l'article 7 de la loi 638 du 11 janvier 1958

Il est constant en l'espèce que le reçu pour solde de tout compte, daté du 4 février 1998, produit aux débats satisfait aux exigences de l'article 7 de la loi n° 638, dans la mesure notamment où il comporte la mention, dans des caractères aussi apparents que le reste du texte, du délai de deux mois imparti à peine de forclusion au salarié pour le dénoncer ;

Il n'en demeure pas moins cependant que la salariée a ajouté de sa main au-dessus de sa signature la mention « sous réserves de mes droits » ;

Cette indication, exclusive de tout accord de sa part, dénaturant le reçu pour solde de tout compte, celui-ci n'a dès lors que la valeur d'un simple reçu uniquement libératoire des sommes qui y figurent ;

Il doit être observé au surplus que si la lettre recommandée avec accusé de réception en date du 5 mars 1998 par laquelle f ME a dénoncé ce reçu ne respecte certes pas les dispositions de l'article 7 susvisé qui imposent qu'elle soit « dûment motivée », la sanction de l'inobservation de cette obligation n'est toutefois pas prévue par la loi, la forclusion ne s'appliquant, par définition, que dans le cas ou le délai de dénonciation n'est pas observé à l'exclusion de la forme que doit revêtir cette dénonciation (Tribunal de Première Instance 4 juillet 1996, DU c/ LABORATOIRES ASEPTA) ;

Aucune irrecevabilité ne peut dans ces conditions être opposée en toute hypothèse à la dénonciation par f ME du reçu pour solde de tout compte ;

2) Sur l'application de la Convention Collective Monégasque de Travail du Personnel des Banques conclue le 1er juillet 1975 entre le Groupement Syndical des Banques de MONACO et le Syndicat des Employés Gradés et Cadres de Banque

Aux termes de son article premier, la Convention Collective susvisée a pour objet de régir les rapports entre les établissements bancaires de la Principauté de MONACO et leur personnel ;

Il résulte de l'article 3 des statuts de la Société de Prêts et d'Avances, devenue depuis 1996 le CRÉDIT MOBILIER DE MONACO, tels qu'ils ont été publiés le 23 septembre 1977 au Journal Officiel de MONACO, que cette Société qui consent notamment des prêts aux fonctionnaires titulaires ou auxiliaires de l'Etat ou de la Commune et accorde également des prêts hypothécaires garantis sur des immeubles sis en Principauté exerce bien une activité bancaire ; dès lors, ainsi que l'a déjà jugé par une décision définitive (AN c/ CRÉDIT MOBILIER DE MONACO) ce Tribunal le 26 juin 1997, elle est considérée comme tenue par la Convention Collective de Travail susvisée ;

3) Sur la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée

Alors que la Convention Collective susvisée prévoit en son article 18 que l'employeur peut conclure des contrats à durée déterminée pour remplacer provisoirement par des agents temporaires des membres du personnel nominativement désignés appelés à s'absenter de façon prolongée, il résulte en l'espèce des pièces versées aux débats (récapitulatif des contrats et copies des demandes d'autorisation d'embauchage) que le Crédit Municipal, dans le cadre de cinq contrats à durée déterminée successifs, a conservé f ME à son service du 19 mars 1990 jusqu'au 31 décembre 1997, toujours en qualité de secrétaire ;

Il s'évince dès lors de ces circonstances que la volonté réelle de l'employeur, contrairement à l'apparence qu'il s'est efforcé de créer, était bien de continuer à s'attacher les services de f ME, même s'il ignorait manifestement lors des premiers engagements la durée pendant laquelle il emploierait cette salariée ;

f ME, dont le contrat a été renouvelé à quatre reprises, à chaque période d'expiration, a ainsi accompli pendant plus de sept ans le même travail au service du même employeur ;

La permanence de cette situation a donc eu pour effet de modifier la nature des rapports unissant les parties, en sorte que, conformément à la jurisprudence dégagée par la Cour de Révision le 23 avril 1985 (GU c/ SBM) celles-ci doivent être considérées comme ayant été liées par un contrat à durée indéterminée, avec toutes ses conséquences de droit ;

4) Sur la rupture des relations contractuelles

C'est à tort que le CRÉDIT MOBILIER DE MONACO soutient que les relations contractuelles auraient pris fin en l'espèce le 31 décembre 1997, à l'arrivée du terme prévu dans le dernier contrat de travail, sans autre manifestation de la part de l'employeur et avec en corollaire l'acception tacite mais évidente de f ME, qui ne s'est plus présentée sur son lieu de travail ;

Il est constant en effet que dès le 16 juillet 1996 f ME a attiré l'attention de l'inspecteur du travail sur sa situation, demandant d'une part si la Convention Collective Monégasque du Personnel des Banques était applicable au Crédit Municipal et d'autre part dans quelles conditions son contrat de travail pourrait être requalifié en contrat à durée indéterminée ; que courant novembre 1997, voyant arriver le terme mentionné sur le dernier de ses contrats de travail, elle a saisi la Commission Paritaire de l'Association Monégasque des Banques, afin non seulement de voir consacrer l'existence du contrat à durée indéterminée dont elle était titulaire en application de la Convention Collective susvisée, mais aussi d'obtenir réparation du préjudice moral très important qu'elle estimait avoir subi eu égard notamment à la situation de précarité dans laquelle elle s'était trouvée pendant sept ans, en raison de l'attitude adoptée à son endroit par son employeur ;

Que lors de sa réunion du 12 décembre 1997 la Commission Paritaire, après avoir rappelé que la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques s'appliquait de plein droit au CRÉDIT MOBILIER DE MONACO et à l'ensemble du personnel et consacré ainsi implicitement le caractère à durée indéterminée du contrat de travail de f ME, a recommandé aux parties de se rencontrer afin de trouver une base de règlement amiable ;

Il est également constant que par lettre en date du 22 décembre 1997 remise en mains propres à f ME le CRÉDIT MOBILIER DE MONACO a informé cette dernière que son contrat à durée déterminée viendrait à échéance le 31 décembre 1997 et qu'en conséquence à cette date elle ne ferait plus partie du personnel ;

C'est donc bien le CRÉDIT MOBILIER DE MONACO qui a pris en l'espèce l'initiative de la rupture ;

En l'état de la requalification en contrat à durée indéterminée du contrat à durée déterminée, dont f ME était précédemment titulaire, cette rupture intervenue à l'initiative de l'employeur s'analyse donc en un licenciement ;

5) Sur les diverses demandes de f ME

En application des dispositions de la Convention Collective susvisée, f ME est en droit de prétendre ;

– à une indemnité de préavis égale à deux mois de salaires (article 29 de la Convention Collective)

Soit une somme de 8.993,76 F x 2 = 17.987,52 F,

– à une indemnité de licenciement (article 38 de la Convention Collective) s'élevant, selon le décompte effectué par la Banque elle-même dans la correspondance du 19 octobre 1999 adressée à son conseil qu'elle produit aux débats, à la somme de 73.046,78 F, (sur la base d'un demi mois de salaire par trimestre entier travaillé) ;

Dès lors toutefois que f ME, lors de l'audience de conciliation, a limité ses demandes de ces deux chefs aux sommes respectives de 15.009,24 F et 59.661,71 F, seules ces sommes pourront lui être allouées, l'augmentation sollicitée dans ses écritures devant le Bureau de Jugement ne pouvant valablement être reçue par application de l'article 42 de la loi n°446 du 16 mai 1946 dont les dispositions sont d'ordre public ;

– à une indemnité de sous-sol prévue par l'article 61 de la Convention soit pour trente et un mois une somme de 1.321,00 : 12 x 31 = 3.412,58 F,

– à un rappel d'indemnité dit de quarts de mois en application des dispositions de l'annexe de la Convention Collective (page 33) prévoyant au paragraphe « gratification indemnités » l'allocation au personnel des banques de deux allocations d'un quart de mois chacune, payable la première au 15 juin, la deuxième au 15 octobre, soit une somme, calculée sur cinq années, s'élevant selon le décompte effectué par la demanderesse à la somme de 21.859,35 F, ledit décompte n'ayant appelé aucune observation de la part de l'employeur,

– en application des dispositions de l'article 41 de la Convention Collective, qui met à la charge de l'employeur, en cas de licenciement, le paiement prorata temporis pour leur période de référence en cours des gratifications diverses prévues au bénéfice du salarié, soit en l'espèce une somme de 5.931,11 F, dont le montant n'a pas davantage appelé de remarque de la part du CRÉDIT MOBILIER DE MONACO ;

Il convient en outre de sanctionner le refus persistant et délibéré de l'employeur d'appliquer à f ME les dispositions de la Convention Collective Monégasque de Travail du Personnel des Banques par l'allocation au profit de cette dernière d'une somme de 150.000,00 F, à titre de dommages et intérêts ;

Il ressort en effet suffisamment des pièces du dossier qu'en s'obstinant, en dépit du jugement rendu le 26 juin 1997 par ce Tribunal dont elle a pourtant accepté les termes, et de l'avis ultérieurement rendu à l'unanimité par les membres de la Commission Paritaire de l'Association Monégasque des Banques, a ne pas faire bénéficier son personnel et notamment f ME des dispositions de ladite Convention, le CRÉDIT MOBILIER DE MONACO a causé à cette dernière un important préjudice moral et matériel, dans la mesure où :

– l'instabilité de sa situation l'a empêchée de bénéficier d'une assurance chômage lorsqu'elle a contracté un prêt personnel,

– la précarité de son emploi, au regard au surplus de la très grave maladie dont elle est atteinte, l'a placée à chaque échéance de renouvellement de son contrat, dans une profonde angoisse ;

Au regard des circonstances largement décrites ci-dessus, qui ont entouré la rupture, le licenciement de f ME présente enfin un caractère manifestement abusif ;

Compte tenu de l'âge de f ME lors de la rupture (48 ans), de sa situation familiale (divorcée avec deux enfants) de son ancienneté de services (sept ans), le préjudice matériel et moral subi par celle-ci, qui n'est pas parvenue à ce jour à retrouver d'emploi stable et subit de ce chef une perte mensuelle de ressources de l'ordre de 3.000,00 F, sera justement réparé par l'allocation à son profit d'une somme de 150.000,00 F ;

À partir du moment où le contrat de travail de f ME a été requalifié par le présent jugement en un contrat de travail à durée indéterminée, celle-ci ne peut conserver le bénéfice de l'indemnité de précarité qu'elle a reçue de son employeur ;

La somme qui lui a été versée à ce titre, soit 52.130,90 F, devra en conséquence être déduite des condamnations prononcées ci-dessus ;

En l'absence d'argumentation spécifique sur ce point, il n'y a pas lieu d'assortir la présente décision du bénéfice de l'exécution provisoire ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort après en avoir délibéré ;

Rejette la fin de non-recevoir tirée du non-respect des dispositions de l'article 7 de la loi n° 638 du 11 janvier 1958 ;

Dit que la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE CRÉDIT MOBILIER DE MONACO est soumise à la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques conclue le 1er juillet 1975 ;

Requalifie en un contrat à durée indéterminée les contrats à durée déterminée successivement intervenus entre les parties ;

Dit que la rupture des relations contractuelles le 31 décembre 1997, dont le CRÉDIT MOBILIER DE MONACO a pris l'initiative, s'analyse en un licenciement ;

Dit que ce licenciement présente un caractère abusif ;

Condamne en conséquence la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE CRÉDIT MOBILIER DE MONACO à payer à Madame f ME :

• 59.661,71 Francs, (cinquante-neuf mille six cent soixante et un francs et soixante et onze centimes), à titre d'indemnité de congédiement,

• 15.009,24 Francs, (quinze mille neuf francs et vingt-quatre centimes), à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

• 3.412,58 Francs, (trois mille quatre cent douze francs et cinquante-huit centimes), à titre d'indemnité de sous-sol,

• 21.859,35 Francs, (vingt et un mille huit cent cinquante-neuf francs et trente-cinq centimes), à titre de rappel d'indemnité de quarts de mois,

• 5.931,11 Francs, (cinq mille neuf cent trente et un francs et onze centimes), au titre des gratifications diverses dues en application des dispositions de l'article 41 de la Convention Collective,

lesdites sommes portant intérêts au taux légal à compter du 14 avril 1998 ;

• 150.000,00 Francs, (cent cinquante mille francs), à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la Convention Collective,

• 150.000,00 Francs, (cent cinquante mille francs), à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel et moral consécutif au licenciement,

ces deux sommes portant intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement ;

Dit que de ces diverses indemnités devra être déduit le montant de l'indemnité de fin de contrat, soit 52.130,90 Francs, (cinquante-deux mille cent trente francs et quatre-vingt-dix centimes) versée par la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE CRÉDIT MOBILIER DE MONACO à Madame f ME ;

Dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire de la présente décision ;

Condamne la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE CRÉDIT MOBILIER DE MONACO aux entiers dépens.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 611908
Date de la décision : 23/03/2000

Analyses

Social - Général ; Rupture du contrat de travail


Parties
Demandeurs : f ME
Défendeurs : la SAM Crédit immobilier de Monaco

Références :

article 42 de la loi n°446 du 16 mai 1946
article 7 de la loi n° 638 du 11 janvier 1958


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2000-03-23;611908 ?

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