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16/12/1999 | MONACO | N°6378

Monaco | Tribunal du travail, 16 décembre 1999, m CA c/ la société anonyme monégasque Monaco KAFE en abrégé MO KA


Abstract

Licenciement économique - Modification d'un élément essentiel du contrat non acceptée dans sa quotité par le salariée - Justification de la nécessité de cette modification par la démonstration des difficultés économiques alléguées - Réduction de salaires résultant du seul désir de l'employeur de remettre en cause une situation acquise jugée trop favorable à la salariée - Motif de licenciement non valable

Résumé

Une salariée, engagée en qualité de directrice administrative, en 1993, avait vu son contrat transféré un peu plus d'un an plus t

ard et avait été licenciée pour raison économique le 25 février 1997, en raison, selon son ...

Abstract

Licenciement économique - Modification d'un élément essentiel du contrat non acceptée dans sa quotité par le salariée - Justification de la nécessité de cette modification par la démonstration des difficultés économiques alléguées - Réduction de salaires résultant du seul désir de l'employeur de remettre en cause une situation acquise jugée trop favorable à la salariée - Motif de licenciement non valable

Résumé

Une salariée, engagée en qualité de directrice administrative, en 1993, avait vu son contrat transféré un peu plus d'un an plus tard et avait été licenciée pour raison économique le 25 février 1997, en raison, selon son employeur, de sa non acceptation d'une modification d'un élément essentiel de son contrat de travail.

Soutenant que ce congédiement n'était pas justifié par des raisons économiques, le chiffre d'affaires de la société étant en progression et cette mesure n'étant pas nécessaire pour maintenir la compétitivité de l'entreprise, la salariée demandait des indemnités pour licenciement sans motif valable et abusif.

L'employeur, de son côté, arguait de son pouvoir d'organisation et de l'économie réalisée après licenciement, pour légitimer cette mesure qui ne présentait aucun caractère abusif, la salariée connaissant les conséquences de son refus de voir son salaire ramené à un niveau plus conforme au marché pour des postes comparables.

Le tribunal du travail après avoir rappelé qu'un refus d'acceptation, par un salarié, d'une modification de son contrat de travail peut, si les circonstances justifient ladite modification, constituer une cause de licenciement, estime, en l'espèce, que la réduction de salaire demandée n'est pas dictée par les circonstances. Elle relève, au contraire « du seul désir de l'employeur de remettre en cause une situation acquise qu'il jugeait trop favorable à sa salariée ». Le licenciement n'est donc pas fondé sur un motif valable et, reposant sur la volonté de réaliser une économie qui aurait de toute façon été obtenue si la contreproposition de réduction de salaire faite par la salariée avait été acceptée, il présente un caractère abusif.

Motifs

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu la requête introductive d'instance en date du 12 janvier 1998 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le bureau de jugement du tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception, en date du 3 février 1998 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Etienne LEANDRI, avocat-défenseur, au nom de Madame M CA, en date des 2 avril 1998, 18 juin 1998, 7 janvier 1999 et 25 avril 1999 ;

Vu les conclusions déposées par Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE MONACO KAFE, en date des 7 mai 1998, 8 octobre 1998, 25 février 1999 et 20 mai 1999 ;

Ouï Maître Etienne LEANDRI, avocat-défenseur près la cour d'appel de Monaco, au nom de Madame M CA, et Maître Alexis MARQUET, avocat-stagiaire, substituant Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur près la cour d'appel de Monaco, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE MONACO KAFE, en leurs plaidoiries et conclusions ;

Lesdits avocats-défenseurs ayant repris et maintenu ce jour leurs conclusions en l'état de la composition différente du Tribunal ;

Vu les pièces du dossier ;

Embauchée à l'origine le 27 septembre 1993 par la Société MAISON DOC en qualité de Directrice Administrative, Madame M CA a vu son contrat de travail transféré à compter du 19 décembre 1994 au profit de la SAM SOCODA, ultérieurement dénommée MONACO KAFE (MOKA) ;

Son salaire mensuel, qui s'élevait à cette date à la somme de 32.780,16 F brut, a été porté, à compter du 1er janvier 1995, à la somme de 40.992,00 F brut, outre une indemnité de logement s'élevant à 7.200,00 F par mois, soit au total une somme nette de 41.200,56 F ;

Par lettre remise en main propre et contre récépissé le 25 février 1997, la SAM MOKA, se prévalant des difficultés économiques rencontrées et notamment de l'absence de rentabilité principalement due à un chiffre d'affaires n'ayant jamais atteint les objectifs fixés, a proposé à Madame M CA de ramener à compter du 1er avril 1997 le montant net mensuel de sa rémunération à la somme de 30.000,00 F, en ce compris une allocation logement soumise à cotisation de 5.000 F par mois ;

Arguant de la non acceptation par Madame M CA de cette modification d'un élément essentiel de son contrat de travail, la SAM MOKA lui a notifié, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 28 juillet 1997, son licenciement pour raisons économiques ;

Soutenant d'une part que ce congédiement ne reposait pas sur un motif valable et d'autre part qu'il présentait un caractère manifestement abusif, Madame M CA, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 2 février 1998, a attrait son ancien employeur devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail afin d'obtenir la condamnation de ce dernier, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, au paiement des sommes suivantes :

• 74.880,66 F, représentant, après déduction de l'indemnité de congédiement perçue, l'indemnité de licenciement à laquelle elle est en droit de prétendre,

• 1.156.608,00 F, à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice matériel et moral qu'elle a subi, outre intérêts au taux légal à compter de la date d'effet de la rupture, matérialisée par la signature du reçu pour solde de tout compte le 30 novembre 1997.

À la date fixée par la convocation, les parties ont comparu par leurs conseils respectifs puis, après onze renvois contradictoires intervenus à la demande des avocats, l'affaire a été plaidée à l'audience du 11 novembre 1999 et mise en délibéré pour être le jugement rendu ce jour, 16 décembre 1999 ;

Madame M CA soutient en substance, à l'appui de ses prétentions, telles qu'elles ont été détaillées ci-dessus, que son licenciement est intervenu pour un faux motif ;

Elle fait valoir à cet effet :

* que dès lors d'une part que le chiffre d'affaires de la Société était en progression, d'autre part que la SAM MOKA KAFE a engagé deux employés dont le montant cumulé des salaires est à peine inférieur à celui qui lui était versé, et enfin qu'elle avait pour sa part accepté le principe d'une réduction de sa rémunération à la somme de 35.000 F net, son licenciement n'est pas justifié par des difficultés économiques ;

* que cette mesure, qui ne pouvait donc être considérée comme nécessaire à la compétitivité de l'entreprise, a été prononcée en réalité par la SAM MOKA dans le seul but d'augmenter ses profits et de remettre en cause une situation acquise qu'elle estimait trop favorable au salarié ;

* qu'en sa qualité d'ancienne directrice de l'établissement elle est à même d'affirmer, la Société MOKA s'étant volontairement abstenue de renseigner le Tribunal sur la réalité de sa situation économique, que les pertes invoquées sont allées en régressant depuis 1995 jusqu'au 30 novembre 1997 ; que par ailleurs cette situation déficitaire n'était que la conséquence des opérations menées au profit du groupe dont la défenderesse fait partie, à l'occasion desquelles il a été mis à sa charge un important passif qui ne pouvait que dégrader ses résultats financiers ;

La S.A. MOKA conclut pour sa part à l'entier débouté des demandes formées par Madame M CA ;

Elle invoque, à cette fin, les arguments suivants :

1) le licenciement de Madame M CA repose sur un motif valable dès lors que :

* tout employeur a le droit d'organiser son entreprise comme il l'entend, en modifiant le cas échéant sa structure interne ou son organisation, sans avoir à priori à justifier sa décision par des difficultés économiques préexistantes voire même à posteriori par des économies effectives,

* en l'espèce la copie du compte de pertes et profits de l'exercice clos au 30 novembre 1997 démontre en toute hypothèse l'existence de pertes importantes représentant près de 24 % du chiffre d'affaires, l'ayant conduit, alors qu'il n'était plus possible d'intervenir sur les biens et leurs amortissements ni sur les prix des approvisionnements, à proposer à Madame M CA une réduction de son salaire,

* l'économie réalisée après le licenciement de cette dernière lui a permis de s'assurer les services de deux personnes qualifiées au lieu d'une seule, permettant ainsi, pour un moindre coût, une plus grande efficacité ;

2) Elle n'a commis aucun abus dans l'exercice de son droit de licencier, Madame M CA sachant pertinemment que son refus de voir son salaire ramené à un niveau plus conforme au marché pour des postes comparables entraînerait inéluctablement la rupture du contrat ;

SUR QUOI,

1) Sur l'existence d'un motif valable de licenciement

Si le refus d'un salarié d'accepter une modification de son contrat de travail peut certes constituer un motif valable de licenciement, encore faut-il que les circonstances justifiant selon l'employeur la proposition de modification substantielle soient avérées ;

En l'espèce, il résulte des termes de la notification adressée le 25 février 1997 à Madame M CA par la SAM MOKA que cette Société a proposé à sa directrice commerciale de voir ramener le montant de son salaire mensuel net de la somme de 41.200,56 F à celle de 31.000,00 F en raison des difficultés économiques rencontrées et notamment de l'absence de rentabilité principalement due à un chiffre d'affaires n'ayant jamais atteint les objectifs fixés ;

La véracité de ce motif économique étant contestée par la salariée, il appartient à l'employeur de démontrer la réalité des difficultés économiques alléguées ;

Force est de constater en l'espèce que cette preuve n'est nullement rapportée ; qu'en effet, nonobstant les demandes expresses et réitérées de Madame M CA, la SAM MOKA s'est délibérément refusée, tout au long de cette procédure, à verser aux débats les bilans d'exploitation qui auraient permis au Tribunal du Travail d'analyser précisément sa situation financière ; qu'au contraire la seule pièce produite par la Société défenderesse, à savoir le compte de pertes et profits extrait du bilan 1997 (et plus précisément les pages 3 et 4) révèle que la Société MOKA a réalisé au cours de cet exercice un bénéfice net de 2.352.710,58 F ; qu'au surplus l'employeur a laissé sans réponse les affirmations de Madame M CA selon lesquelles le chiffre d'affaires de la Société MOKA aurait sensiblement progressé, puisqu'il serait passé de 6 millions au 30 novembre 1996 à 9.318.258,81 F au 30 novembre 1997 ;

Qu'enfin et surtout la Société défenderesse admet elle-même dans ses dernières écritures qu'il « n'y a pas lieu d'épiloguer sur les résultats, satisfaisants au demeurant, de sa gestion et de ses développements postérieurs au départ de Madame M CA » ;

La réduction de son salaire demandée à Madame M CA n'étant ainsi pas justifiée par des difficultés économiques, mais relevant au contraire du seul désir de l'employeur de remettre en cause une situation acquise qu'il jugeait trop favorable à sa salariée, le licenciement n'est pas fondé sur un motif valable ;

Madame M CA est donc en droit de prétendre, en application de l'article 2 de la loi 845 du 27 juin 1968, compte tenu de son ancienneté de services d'une part et du montant de sa rémunération mensuelle brute d'autre part, à une indemnité de licenciement calculée comme suit :

1. 192 x 50 (nombre mois) / 25 = 96.384,00 F dont à déduire l'indemnité de congédiement effectivement perçue, non cumulable ; soit 21.503,34 F, soit un solde de 74.880,66 F.

2) Sur le caractère abusif du licenciement

Pour déterminer si Madame M CA est en droit de prétendre au bénéfice des dommages et intérêts prévus par l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, il convient de rechercher si celle-ci rapporte la preuve, outre du préjudice subi, de l'existence d'une faute commise par son employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister notamment dans l'allégation d'un faux motif ou dans la légèreté blâmable avec laquelle le congédiement a été donné ;

Cette dernière démontre par les pièces qu'elle verse aux débats (lettre du 23 juillet 1997 adressée à Monsieur ZA, procès-verbal de constat en date du 12 novembre 1998) :

1° qu'elle avait accepté, dans le cadre des pourparlers amiables entre les parties, une réduction de son salaire de la somme de 41.200 F, y compris une indemnité de logement de 7.200 F, à celle de 35.000 F, y compris une indemnité de logement de 5.000 F ; qu'en outre dix salariés de l'entreprise auraient indiqué à Monsieur PI, responsable commercial sur l'Italie, qu'ils étaient prêts à accepter une réduction de leur propre salaire pour couvrir la différence,

2° que postérieurement à son départ de l'entreprise, la SAM MOKA a engagé deux nouveaux salariés, le premier en qualité de responsable administratif et le second en qualité de contrôleur de gestion, lesquels perçoivent une rémunération mensuelle de 24.023, F + 18.058 F soit 42.081 F, à laquelle il convient d'ajouter l'augmentation accordée à l'aide comptable soit un total de 43.000 F ;

Il apparaît en définitive au vu de ces éléments que le licenciement de Madame M CA a été en réalité mis en œuvre pour réaliser une économie mensuelle de 5.000 F que la SAM MOKA aurait en toutes hypothèses obtenu, si elle avait accepté la contre-proposition de sa salariée ;

Il présente donc ainsi un caractère manifestement abusif ;

Si Madame M CA indique certes avoir été très « fortement éprouvée » par son licenciement, elle ne fournit en revanche aucun élément relatif à sa situation professionnelle et financière actuelle ;

Elle n'indique pas notamment si elle est restée longtemps au chômage, ou si elle est parvenue à retrouver un emploi ;

Elle ne communique pas davantage, dans cette dernière hypothèse, la date de son embauche ni le montant de la rémunération qu'elle perçoit désormais ;

Il y a lieu en conséquence de considérer que le préjudice matériel allégué n'est pas justifié ;

Au regard de son âge (37 ans à la date du licenciement) de son ancienneté de services (un peu plus de 4 ans) et du montant de sa rémunération mensuelle, le préjudice moral subi par Madame M CA consécutivement au licenciement abusif dont elle a été l'objet sera justement réparé par l'allocation à son profit d'une somme de 150.000,00 F ;

3) Sur l'exécution provisoire

La demande formée à ce titre n'étant justifiée par aucune considération particulière, il n'y a pas lieu d'y faire droit ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire, et en premier ressort ;

Dit que le licenciement de Madame M CA par la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE MONACO KAFE a été prononcé pour un motif non valable ;

Dit en outre que ce licenciement présente un caractère abusif ;

Condamne en conséquence la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE MONACO KAFE à payer à Madame M CA les sommes suivantes :

• 74.880,66 Francs (soixante-quatorze mille huit cent quatre-vingt francs et soixante six centimes), à titre d'indemnité de licenciement,

• 150.000,00 Francs (cent cinquante mille francs) à titre de dommages et intérêts,

Déboute Madame M CA du surplus de ses prétentions ;

Condamne la SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE MONACO KAFE aux dépens.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6378
Date de la décision : 16/12/1999

Analyses

Contrats de travail ; Rupture du contrat de travail ; Procédures collectives et opérations de restructuration


Parties
Demandeurs : m CA
Défendeurs : la société anonyme monégasque Monaco KAFE en abrégé MO KA

Références :

article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;1999-12-16;6378 ?

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