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LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Frédéric LEFEVRE, huissier, en date du 18 décembre 2023, enregistré (n° 2024/000235) ;
Vu les conclusions récapitulatives de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la SCP F, en date du 17 septembre 2024 ;
Vu les conclusions du Ministère public en date du 27 novembre 2024 ;
Vu les conclusions récapitulatives de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, au nom de l'ÉTAT DE MONACO, en date du 25 février 2025 ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 7 mars 2025 ;
À l'audience publique du 13 mars 2025, les conseils des parties ont déposé leurs dossiers et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 15 mai 2025, par mise à disposition au Greffe.
Motifs
FAITS ET PROCÉDURE :
Par l'exploit susvisé en date du 18 décembre 2023, la SCP F, société civile immobilière, a fait assigner devant le Tribunal de première instance l'ÉTAT DE MONACO, Direction du ZA aux fins de voir :
« Vu l'article 16 de la Loi n° 797 du 18 février 1966 relative aux sociétés civiles, modifiée par la Loi n° 1.550 du 10 août 2023,
Vu l'article 852 du Code de procédure civile,
Vu l'article 1704 du Code civil,
Vu l'article 238-1 du Code de procédure civile,
Il est demandé à Monsieur le Président du Tribunal de Première Instance de bien vouloir :
À TITRE PRINCIPAL,
JUGER nulle la requête déposée le 14 juin 2023 par le Directeur du ZA pour défaut d'habilitation spéciale délivrée par Monsieur le Ministre d'État.
En conséquence,
RÉTRACTER l'ordonnance de radiation d'office rendue le 13 octobre 2023 contre la SCP F.
À TITRE SUBSIDIAIRE,
JUGER que la SCP F s'est retrouvée dans une situation d'impossibilité d'agir à la suite du décès de Madame i.C, veuve B associée minoritaire.
En conséquence,
RÉTRACTER l'ordonnance de radiation d'office rendue le 13 octobre 2023 contre la SCP F en lui octroyant un délai afin de procéder aux opérations de liquidation et notamment d'envisager l'absorption du patrimoine de son patrimoine par une autre société.
En tout état de cause,
CONDAMNER l'État de Monaco aux entiers dépens distraits au profit de Maître Olivier MARQUET, Avocat Défenseur, sous sa due affirmation. ».
Au soutien de ses demandes, elle a fait valoir, pour l'essentiel, que :
* - la SCP F est une société civile immobilière constituée le 29 juin 1972 pour une durée de 50 ans ;
* - elle est propriétaire d'un bien immobilier à Monaco d'une valeur de plusieurs millions d'euros ;
* - elle a été constituée par a.A à hauteur de 95 parts sociales et g B à hauteur de 5 parts sociales ;
* - au décès de g B, ses parts ont été transmises à son épouse i.C veuve B ; cette dernière est décédée le jma et à la suite d'une longue et complexe succession, ses parts ont été transmises à ses héritiers ;
* - elle est gérée depuis le 2 mars 2017 par m B ;
* - le 3 janvier 2023, la Direction du ZA lui aurait adressé un courrier demandant aux associés de procéder aux formalités de radiation auprès du Répertoire Spécial des Sociétés Civiles ; elle n'a jamais reçu ce courrier ;
* - en l'absence de réponse, le Directeur du ZA a sollicité par requête au Président du Tribunal de première instance sa radiation d'office au motif de l'expiration du terme de la société le 8 décembre 2020 (en réalité le 29 juin 2022) ;
* - le 26 juin 2023 suite à une communication du Tribunal lui enjoignant de procéder à sa radiation, m B en sa qualité de gérant a écrit au Conseiller de Gouvernement – Ministre de l'Économie et des Finances afin de solliciter la prorogation exceptionnelle de la durée de la société ; il y a notamment fait état du récent décès de sa mère et des difficultés de la succession ; aucune réponse n'a été apportée à ce courrier ;
* - le 13 octobre 2023, le Juge en charge du Registre du Commerce a ordonné la radiation d'office de la société du Répertoire Spécial des Sociétés Civiles ;
* - le 26 octobre 2023, la Direction du ZA a procédé à la radiation de la SCP F.
* - elle sollicite du Président du Tribunal de première instance la rétractation de l'ordonnance querellée ;
* - il convient de rappeler que l'esprit derrière la radiation d'office des sociétés civiles est notamment de sanctionner les « coquilles vides » ;
* - elle est une société active, propriétaire d'un bien immobilier à Monaco et ne s'est retrouvée dans cette situation qu'en raison d'un évènement exceptionnel lié au décès de l'une de ses associés ;
* - elle est soucieuse de régulariser la situation et la radiation d'office n'est pas souhaitable ;
* - aux termes de l'article 16 de la loi n° 797 du 18 février 1966, modifiée par la loi n° 1.550 du 10 août 2023 visé par l'ordonnance querellée, qu'il est prévu que « Le Président du Tribunal de première instance ou le magistrat délégué à cet effet est saisi par voie de requête dans les formes prévues aux articles 851 et 851-2 du Code de procédure civile, présentée, selon le cas, par la personne intéressée ou par le Directeur du ZA spécialement habilité par Ministre d'ÉTAT. » ; aucune habilitation spéciale n'a été portée à sa connaissance ; la requête a donc été présentée par une personne qui n'en avait pas le pouvoir ; cette requête et l'ordonnance en découlant doivent être annulées ; elle est en conséquence fondée à solliciter du Président du Tribunal de première instance qu'il constate la nullité de la requête et de l'ordonnance sur ce fondement ;
* - à titre subsidiaire, l'article 1704 du Code civil dispose qu'en l'absence de stipulation contraire dans les statuts, le vote de la prorogation de la durée de vie d'une société doit faire l'objet d'un vote à l'unanimité ; en l'espèce, suite au décès d'i B, associée minoritaire à hauteur de 10 % (sic), l'unanimité n'a pu être obtenue ; sa succession a duré plus de 3 ans ; durant cette période, les statuts de la société prévoient la désignation obligatoire d'un représentant de l'indivision successorale mais aucun accord n'a pu être trouvé ; la société a donc été dans l'impossibilité d'agir au moment où elle devait voter l'extension de sa durée de vie qui advenait le 8 décembre 2020 (en réalité 29 juin 2022) ; le gérant a donc écrit au Conseiller-Ministre de l'Économie et des Finances ; aujourd'hui la succession est liquidée et les associés sont en mesure de se réunir à l'unanimité en assemblée générale ; pour ces raisons, elle sollicite du Président du Tribunal de première instance la rétractation de l'ordonnance querellée ;
* - alors qu'elle est propriétaire d'un bien immobilier évalué à plusieurs millions d'euros, sa disparition serait source d'une grande insécurité et instabilité juridique quant aux droits des tiers sur le bien notamment la Direction des Services Fiscaux ; si par extraordinaire, la rétractation de l'ordonnance était refusée, il est sollicité à titre subsidiaire, la suspension de cette ordonnance pour permettre de procéder aux opérations de liquidation et notamment d'envisager l'absorption de son patrimoine par une autre société.
Par conclusions en date du 27 novembre 2024, le Procureur Général a conclu à l'irrecevabilité de l'action introduite par la SCP F à l'encontre de l'ÉTAT DE MONACO au motif que la loi n° 1.550 du 10 août 2023, modifiant la loi n° 797 du 18 février 1966, qui a créé l'article 16 de cette loi est applicable en la cause puisque en vigueur depuis le 25 septembre 2023 alors que la présente instance a été introduite par assignation du 18 décembre 2023 et que l'ordonnance querellée est également postérieure à cette modification législative. Il a estimé que l'action avait été erronément introduite devant le Tribunal de première instance, peu important le motif d'une éventuelle rétractation, celle-ci ne pouvant être sollicitée que devant le Président du Tribunal de première instance.
Par ses dernières conclusions responsives et récapitulatives en date du 25 février 2025, l'ÉTAT DE MONACO entend voir la juridiction :
« Vu les motifs ci-avant exposés,
Vu notamment les articles 2, 1703 et 1704 du Code civil,
Vu notamment les articles 278-1, 278-2, 417, 419, 851, 853 du Code de procédure civile,
Vu la loi n° 797 du 18 février 1966 relative aux sociétés civiles, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 1.550 du 10 août 2023,
Vu la loi n° 797 du 18 février 1966 relative aux sociétés civiles, telle que modifiée par la loi n° 1.550 du 10 août 2023,
Vu le droit positif applicable,
Vu les pièces régulièrement produites aux débats,
- À TITRE PRINCIPAL,
DIRE ET JUGER que la présente demande en rétractation de l'Ordonnance rendue sur requête le 13 octobre 2023 relève du pouvoir juridictionnel du juge des requêtes et non du juge du fond.
En conséquence,
DÉCLARER IRRECEVABLE la demande de la SCP F
- À TITRE SUBSIDIAIRE
DÉBOUTER la SCP F de toutes ses fins, demandes et conclusions,
En conséquence,
CONFIRMER en toutes ses dispositions l'Ordonnance de radiation d'office de l'inscription prise auprès du Répertoire Spécial des Sociétés Civiles par la SCP F sous le numéro xxx du 13 octobre 2023,
- EN TOUT ÉTAT DE CAUSE,
CONDAMNER la SCP F au paiement de la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER la SCP F aux entiers dépens distraits au profit de Maître Alexis MARQUET, Avocat-Défenseur, sous sa due affirmation. ».
À l'appui de ses prétentions, il a argué pour l'essentiel que :
* - la SCP F ayant pour dénomination « SOCIÉTÉ CIVILE IMMOBILIÈRE F » était immatriculée depuis le 29 juin 1972 au Répertoire Spécial des Sociétés Civiles ;
* - le 3 janvier 2023, le Directeur du ZA a notifié par lettre simple à m B, en sa qualité de gérant, que la durée de la société constituée le 29 juin 1972 pour une durée de 50 ans était venue à échéance le 29 juin 2022 et l'invitait à régulariser sa dissolution ; cette lettre est restée sans réponse ;
* - par requête en date du 14 juin 2023, le Directeur du ZA a saisi le Président du Tribunal de première instance d'une demande de radiation d'office de cette société en application de l'article 1703 du Code civil ;
* - le 13 octobre 2023, le Vice-Président du Tribunal de première instance a ordonné la radiation d'office de la SCP F ;
* - le 14 décembre 2023, le Directeur du ZA dressait le certificat de radiation de la SCP F radiée du Répertoire Spécial des Sociétés Civiles le 26 octobre 2023 ;
* - la demande de rétractation doit être déclarée irrecevable pour défaut de pouvoir juridictionnel du Tribunal de première instance ; elle doit être adressée au Président du Tribunal de première instance en sa qualité de Juge des requêtes ; il s'agit d'une fin de non-recevoir prévue par les articles 278-1 et 278-2 du Code de procédure civile ;
* - la loi n° 797 du 18 février 1966 contenait dans sa version en vigueur au 28 février 2021 notamment les articles 8-1 et 8-2 permettant au Président du Tribunal de première instance de connaître des demandes formées en vue « soit de faire injonction au représentant statutaire de la société de procéder à son inscription, d'effectuer des demandes complémentaires ou rectificatives nécessaires ou de corriger des mentions incomplètes ou inexactes, soit de faire radier d'office la société du registre » ; cette loi modifiée dans sa version en vigueur au 25 septembre 2023 prévoit en son article 15 que les attributions relatives à la surveillance du registre spécial tenu par le Service du Répertoire du Commerce et de l'Industrie sont exercées par le Président du Tribunal de première instance ou le magistrat délégué à cet effet ;
* - que son article 16 précise que :
« Le Président du Tribunal de première instance ou le magistrat délégué à cet effet est saisi par voie de requête dans les formes prévues aux articles 851 à 851-2 du Code de procédure civile, présentée, selon le cas, par la personne intéressée ou par le Directeur du ZA spécialement habilité par le Ministre d'État. L'ordonnance rendue sur requête peut réformer la décision de ce dernier ou faire obligation à la société, au besoin sous astreinte, d'accomplir les formalités qu'elle détermine dans le délai qu'elle impartit.
À cet effet, le Président du Tribunal de première instance ou le magistrat délégué à cet effet peut entendre la personne habilitée à agir pour le compte de la société.
Expédition de l'ordonnance est notifiée à la diligence du Greffe général, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, à la personne habilitée à agir pour le compte de la société et au Directeur du ZA.
L'ordonnance est susceptible de rétractation par décision du Président du Tribunal de première instance saisi, dans les deux mois de sa notification, par voie d'assignation et selon les règles de procédure civile.
Lorsque la juridiction ordonne la radiation du registre, elle notifie la décision au Directeur du ZA qui procède sans délai à la transcription de la décision sur le registre.
Elle transmet, en outre, la décision au Procureur Général » ;
* - il s'ensuit que la loi n° 797 susvisée donne, tant dans sa version en vigueur avant le 25 septembre 2023 qu'après, compétence au Président du Tribunal de première instance pour prononcer par ordonnance la radiation d'office d'une société civile en cas de manquement à ses diverses obligations déclaratives ;
* - il résulte des articles 1703 et 1704 du Code civil qu'en cas de dissolution de plein droit de la SCP F à raison de l'échéance de son terme le 29 juin 2022, le Président du Tribunal de première instance peut être saisi aux fins de radiation d'office de l'inscription prise par cette société au Répertoire Spécial des Sociétés Civiles ;
* - il s'agit d'une procédure d'ordonnance sur requête, non contradictoire, provisoire et exécutoire sur présentation de la minute ;
* - en raison de ce caractère non contradictoire, le législateur a prévu la possibilité d'agir en référé-rétractation afin que le Président du Tribunal de première instance, en sa qualité de juge des requêtes et donc investi des pouvoirs du juge du provisoire, puisse la rétracter ;
* - la SCP F opère manifestement une confusion sur le fonctionnement du référé-rétractation en assignant au fond le Président du Tribunal de première instance afin qu'il rétracte l'ordonnance sur requête rendue le 13 octobre 2023 ;
* - il y a lieu de relever que la SCP F l'a, dans son assignation au fond, fait citer « par-devant le Tribunal de Première Instance » bien que mentionnant dans son dispositif « Il est demandé à Monsieur le Président du Tribunal de Première Instance » ;
* - la demande initiale devant le Tribunal de première instance étant formée par requête dans les formes prescrites aux articles 851 et suivants du Code de procédure civile, la demande en rétractation doit suivre le régime de ces articles ;
* - le référé-rétractation ne se confond pas avec la procédure de référé classique, les pouvoirs du juge sont ceux du juge des requêtes et il est formé par assignation devant le Président du Tribunal de première instance en sa qualité de juge des requêtes, juge du provisoire ;
* - en conséquence, la SCP F n'est pas recevable à former un référé-rétractation en saisissant le Président du Tribunal de première instance au fond ;
* - le défaut de pouvoir juridictionnel du juge saisi constitue une fin de non-recevoir ;
* - la SCP F soutient que sous couvert d'une prétendue fin de non-recevoir, c'est en réalité une exception d'incompétence qui est visée par l'ÉTAT de Monaco ; elle fait fi de la jurisprudence constante et procède par voie d'affirmation ; cette demande n'ayant pas été formée in limine litis, elle serait irrecevable selon la demanderesse ;
* - il convient de se référer à la doctrine du pays voisin ; il en résulte que la notion de compétence a trait à celle d'une répartition au regard des règles de compétence matérielle et territoriale, il y a incompétence lorsqu'une autre juridiction serait compétente pour trancher le litige ; il y a concurrence entre plusieurs juridictions ; à l'inverse, l'appréciation du pouvoir juridictionnel se fait sans avoir recours à une comparaison, celui qui soulève ce défaut de pouvoir ne revendique pas la compétence d'une autre juridiction, il considère seulement que l'appréciation de la demande excède les pouvoirs du juge considéré en lui-même ; en l'espèce, la contestation de la saisine au fond du Tribunal de première instance ne se fonde pas sur l'argumentation de l'existence d'une autre juridiction compétente au regard des règles de compétence matérielle ou territoriale ; il est soutenu que dans le cadre d'un référé-rétractation, le juge saisi doit avoir les mêmes pouvoirs que celui qui a rendu la requête, ce qui a deux incidences : le juge ne peut pas être saisi, en qualité de juge des référés, car les pouvoirs de cet office sont plus étendus que celui du juge des requêtes qui n'est habilité qu'à se prononcer sur la requête qui lui est soumise et l'ordonnance sur requête étant provisoire, le référé-rétractation ne peut être formé au fond,
* - le défaut de pouvoir juridictionnel constitue non une exception d'incompétence devant être soulevée in limine litis mais une fin de non-recevoir invocable en tout état de cause ;
* - il est indifférent qu'au sein d'une juridiction, le juge des requêtes soit physiquement la même personne que le juge des référés ou le juge du fond ; il doit être saisi sous la bonne qualité à peine d'irrecevabilité ;
* - l'assignation en référé-rétraction doit être introduite par-devant le même juge que celui qui a rendu l'ordonnance sur requête compris non pas au sens de la personne physique mais de même autorité juridictionnelle investie de pouvoirs identiques ; la doctrine du pays voisin est constante et la jurisprudence monégasque a rappelé cette notion dans un arrêt du 29 septembre 2022 ;
* - le Tribunal de céans ne pourra que déclarer irrecevable la demande la SCP F,
* - si le Tribunal devait considérer la demande recevable, à titre subsidiaire, la SCP F devra être déboutée de toutes ses demandes ;
* - la requête du Directeur du ZA déposée le 14 juin 2023 n'est pas entachée de nullité ; avant que la loi n° 1.550 du 10 août 2023 ne modifie la loi n° 797 du 18 février 1966, cette loi ne comportait aucun article relatif à une quelconque habilitation ; aucune habilitation du Ministre d'ÉTAT n'était requise ; or la requête a été déposée avant l'entrée en vigueur de la loi n° 1.550 août 2023 ; le nouvel article 16 de la loi n° 797 modifiée n'était pas en vigueur ; seules les dispositions de l'article 8-2 de ladite loi n° 797 trouvaient à s'appliquer ; l'article 2 du Code civil prévoit le principe de non-rétroactivité de la loi ; le même principe existe en droit français ; le Directeur du ZA était compétent pour présenter requête aux fins de radiation d'office ;
* - la demande de prorogation de la vie de la SCP F n'a été présentée une année après la date d'échéance ; il résulte de l'article 1704 du Code civil qu'à la suite du décès d'i B, tout associé pouvait demander au Président du Tribunal de première instance, statuant sur requête, la désignation d'un mandataire de justice chargé de convoquer l'assemblée générale ; cela n'a pas été fait ;
* - la radiation est la sanction d'un défaut de diligence d'une partie ; en l'espèce, la SCP F devait accomplir les formalités de prorogation de durée de la société ; à l'expiration du terme, elle a été dissoute de plein droit ; admettre une rétractation afin de permettre l'accomplissement ultérieur de formalités en vue de régulariser la situation reviendrait à priver l'ÉTAT DE MONACO de prononcer une mesure de radiation effective ; reconnaître une possibilité de régularisation après une sanction conduirait à la vider de sa substance ; la régularisation doit avoir lieu dans les délais impartis avant que la radiation ne soit demandée ; cela a été admis dans une ordonnance de référé du 15 janvier 2025 ;
* - en l'état des nombreux manquements de la SCP F à ses obligations et en l'absence de régularisation intervenue au plus tard au jour du dépôt de la requête aux fins de radiation, l'ordonnance sur requête prononçant la radiation doit être maintenue ; il n'y a pas lieu de la rétracter ;
* - le Président du Tribunal de première instance ne pourra que débouter la SCP F de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
* - la SCP F devra être condamnée à lui verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions n° 2 en date du 17 septembre 2024, la SCP F a maintenu ses demandes précédentes et y ajoutant sollicite de débouter l'ÉTAT DE MONACO de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Elle a réitéré ses moyens tels que développés dans l'assignation et en réponse à l'argumentation adverse, fait valoir en outre, pour l'essentiel, que :
* - dans ses conclusions du 11 juin 2024, l'ÉTAT DE MONACO argue d'une prétendue irrecevabilité de sa demande en soutenant qu'elle aurait dû être adressée au Président du Tribunal de première instance en sa qualité de juge des requêtes et en déduit un défaut de pouvoir juridictionnel du Tribunal de première instance ;
* - sous couvert d'une prétendue fin de non-recevoir c'est en réalité une exception d'incompétence qui est visée par l'ÉTAT DE MONACO ;
* - conformément à l'article 262 du Code de procédure civile, les exceptions d'incompétence doivent être soulevées in limine litis ; puisque l'ÉTAT DE MONACO ne s'est prévalu de cette exception que dans ses conclusions responsives et récapitulatives, sa demande est donc irrecevable ;
* - si l'acte d'assignation mentionne également le Tribunal de première instance, cela est simplement dû au fait que le Président du Tribunal de première instance siège tout naturellement au Tribunal de première instance ; le défendeur ne peut se prévaloir de cette formulation pour en conclure qu'elle adresse ses demandes au Tribunal de première instance alors même qu'en titre de l'assignation la procédure de contestation devant le Tribunal de première instance prévue par l'article 16 de la loi n° 797 du 18 février 1966 relative aux sociétés civiles est expressément visé, dans le corps de son assignation elle sollicite à de nombreuses reprises une décision du Président du Tribunal de première instance et le « Par ces motifs » de l'assignation vise expressément Monsieur le Président du Tribunal de première instance ;
* - la demande de l'ÉTAT DE MONACO de voir déclarer irrecevable sa demande est irrecevable car elle n'a pas été présentée avant toute défense au fond.
* - la Direction du ZA soutient que la loi n° 1.550 du 10 août 2023 n'était pas applicable à la procédure de radiation la concernant ; il est toutefois manifeste que l'ajout de l'obligation d'une habilitation spéciale délivrée par le Ministre d'État modifié ne constitue que la précision d'une obligation implicite ; il est naturel que le directeur du ZA tire sa compétence en matière de radiation du Ministre d'État détenteur d'un pouvoir de police général ; à cet égard la loi n° 1.550 n'est pas une loi nouvelle mais une loi interprétative ; elle ne crée pas une nouvelle procédure distincte de celle préalablement en vigueur mais vient simplement la préciser ; s'agissant d'une loi interprétative, elle doit trouver application immédiate ; c'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Juge chargé du Registre du Commerce a rendu sa décision sur le fondement « des articles 15 et 16 de la loi n° 797 du 18 février 1966, modifiée par la loi n° 1.550 du 10 août 2023 » ; ladite loi n° 1.550 est donc applicable à la procédure de radiation la concernant ; elle est donc fondée à solliciter de Monsieur le Président du Tribunal de première instance qu'il constate la nullité de la requête du 14 juin 2023 et de l'ordonnance querellée sur ce fondement.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mars 2025 fixant l'affaire à plaider à l'audience du 13 mars 2025 lors de laquelle les conseils des parties ont déposé leurs dossiers, en présence du Ministère Public et l'affaire a été mise en délibéré au 15 mai 2025.
SUR CE,
* - Sur la compétence du Tribunal de première instance
L'ÉTAT DE MONACO soulève l'irrecevabilité de la demande sur le fondement des dispositions des articles 278-1 et 278-2 du Code de procédure civile relatifs aux fins de non-recevoir pour défaut de pouvoir juridictionnel. Il argue qu'en vertu des dispositions de l'article 16 de la loi n° 797 le recours ouvert contre les ordonnances de radiation d'office du Répertoire Spécial des Sociétés Civiles ressort de la compétence du Président du Tribunal de première instance statuant en référé rétractation et non du Tribunal de première instance statuant au fond.
Ces articles disposent que :
Article 16 de la loi n° 797 dans sa rédaction issue de la loi n° 1.550 du 10 août 2023, étant précisé que s'agissant d'une disposition de procédure, elle est d'application immédiate et s'applique en conséquence au recours formé à l'encontre de l'ordonnance rendue par le Président du Tribunal de première instance le 13 octobre 2023.
« Le Président du Tribunal de première instance ou le magistrat délégué à cet effet est saisi par voie de requête dans les formes prévues aux articles 851 à 851-2 du Code de procédure civile, présentée, selon le cas, par la personne intéressée ou par le Directeur du ZA spécialement habilité par le Ministre d'État. L'ordonnance rendue sur requête peut réformer la décision de ce dernier ou faire obligation à la société, au besoin sous astreinte, d'accomplir les formalités qu'elle détermine dans le délai qu'elle impartit.
À cet effet, le Président du Tribunal de première instance ou le magistrat délégué à cet effet peut entendre la personne habilitée à agir pour le compte de la société.
Expédition de l'ordonnance est notifiée à la diligence du Greffe général, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, à la personne habilitée à agir pour le compte de la société et au Directeur du ZA.
L'ordonnance est susceptible de rétractation par décision du Président du Tribunal de première instance saisi, dans les deux mois de sa notification, par voie d'assignation et selon les règles de procédure civile.
Lorsque la juridiction ordonne la radiation du registre, elle notifie la décision au Directeur du ZA qui procède sans délai à la transcription de la décision sur le registre.
Elle transmet, en outre, la décision au Procureur Général ».
L'article 278-1 du Code de procédure civile :
« Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer la demande irrecevable, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, une déchéance, une forclusion, la prescription ou la chose jugée. ».
L'article 278-2 de ce code :
« Les fins de non-recevoir pourront être proposées en tout état de cause et même relevées d'office par le tribunal lorsqu'elles auront un caractère d'ordre public ou lorsqu'elles seront tirées du défaut d'intérêt ou du défaut de qualité. ».
Il est constant qu'en l'espèce c'est la compétence matérielle de la juridiction saisie à savoir le Tribunal de première instance qui est contestée.
Il ne s'agit donc pas en réalité d'une fin de non-recevoir faute de correspondre à un des cas de figure prévu par l'article 278-1 susvisé ou à un cas assimilable à une fin de non-recevoir mais d'une exception d'incompétence matérielle régie par l'article 263 du Code de procédure civile qui prévoit que :
« Toutefois, dans les cas où le tribunal est incompétent à raison de la matière, cette incompétence pourra être opposée en tout état de cause le tribunal sera même tenu de la déclarer d'office ».
Compte tenu de ces dispositions, cette exception pouvait être soulevée en tout état de la cause et l'irrecevabilité tirée du fait qu'elle n'aurait pas été soulevée avant toute défense au fond invoquée par la SCP F ne peut qu'être rejetée.
En effet, la question en cause dans la présente instance est une concurrence entre deux juridictions dès lors qu'il doit être considéré que le Président du Tribunal de première instance et le Tribunal de première instance statuant au fond sont deux juridictions distinctes dont la compétence est répartie en elles, en sorte que c'est bien une question de compétence qui est en jeu et non de pouvoir juridictionnel. D'ailleurs, p.E, cité par l'ÉTAT DE MONACO au soutien de sa qualification de fin de non-recevoir, précise dans son fascicule « Compétence : Règlement des incidents de compétence » au Répertoire de Procédure Civile Dalloz que : « le pouvoir juridictionnel est l'aptitude d'une juridiction, considérée en elle-même, à trancher un litige par application des règles de droit. (….) La notion de pouvoir, à l'inverse de celle de compétence, ne répond à aucune idée de répartition. En résumé, l'incompétence implique l'idée d'une concurrence entre juridictions, l'auteur du déclinatoire de compétence soutenant que la demande aurait dû être portée devant une autre juridiction, tandis que le défaut de pouvoir a pour objet de contester dans son principe même l'intervention du juge, sans que cette contestation s'accompagne d'une revendication quelconque de la compétence d'une autre juridiction. Cette distinction n'est pas sans conséquence pratique. Alors que l'incompétence est sanctionnée par une exception de procédure, le défaut de pouvoir juridictionnel est sanctionné par l'irrecevabilité dès lors qu'est contesté le principe de l'intervention d'un juge, quel que soit ce juge. ». Cette analyse rejoint en définitive celle du Tribunal dans le cas présent.
Cependant, même si le fondement juridique avancé par l'ÉTAT DE MONACO apparaît erroné, les parties ont pu faire valoir leurs moyens et arguments sur la problématique de la compétence litigieuse. En conséquence, le principe du contradictoire a été respecté et il n'est pas nécessaire de procéder à une réouverture des débats sur ce point.
La SCP F prétend avoir saisi le Président du Tribunal de première instance au motif qu'elle le mentionne à plusieurs reprises dans son assignation et dans le dispositif de cet acte et alors que le Président du Tribunal de première instance siège au Tribunal de première instance.
Elle ne conteste pas le fait que le Tribunal de première instance est incompétent pour en connaître tout en concluant à la recevabilité de sa demande.
Toutefois, si certes, il est mentionné que dans l'exploit d'assignation que l'objet de la demande « est d'obtenir de Monsieur le Président du Tribunal de Première Instance la rétractation de l'ordonnance de radiation d'office (…) » puis dans le dispositif de cet acte « Il est demandé à Monsieur le Président du Tribunal de première Instance de bien vouloir (…) », force est de constater que l'assignation a été délivrée :
« À comparaître JEUDI ONZE JANVIER DEUX MILLE VINGT QUATRE à NEUF heures du matin, à l'audience et par-devant le Tribunal de Première Instance de Monaco, au Palais de Justice (…) ».
La juridiction indiquée n'est pas le Président du Tribunal de première instance mais le Tribunal de première instance, l'audience est fixée à un jeudi, jour habituel des audiences civiles de ce Tribunal dans sa formation collégiale.
L'affaire a été enrôlée à la demande de l'avocat-défenseur de la demanderesse par le greffe eu égard à ces éléments comme une affaire civile devant le Tribunal de première instance et non comme une instance en référé devant le Président du Tribunal de première instance dont les audiences habituelles se tiennent le mercredi.
Si cette saisine s'avérait avoir été effectuée par erreur, il appartenait au conseil de la SCP F de le faire savoir dès le premier appel de la cause à la juridiction. Or, il n'en a rien été et le dossier a été instruit devant le Tribunal de première instance et non devant le Président du Tribunal de première instance statuant en référé.
Or, cette saisine apparaît avoir été effectuée devant une juridiction incompétente matériellement.
En effet, même si le Président du Tribunal de première instance - seul habilité par l'article 16 de la loi n° 797 susvisée à statuer sur les recours formés contre les ordonnances de radiation d'office rendues par ordonnance sur requête en application de cette loi -, siège au sein du Tribunal de première instance, il ne peut sérieusement être soutenu que le saisir ou saisir le Tribunal de première instance relèverait de la même voie procédurale et qu'il n'y aurait pas de problème de compétence matérielle.
En effet, la compétence du Président du Tribunal de première instance et celle du Tribunal de première instance sont différentes et régies par des lois de procédure d'ordre public. La compétence du Président de cette juridiction étant de surcroît limitée aux matières dans lesquelles une disposition législative lui confère cette compétence spéciale comme par exemple en matière de référé les articles 20, 414 et suivants et 851-1 et 852 du Code de procédure civile tandis qu'à défaut de toute autre juridiction compétente en vertu des règles de compétence, le Tribunal de première instance est la juridiction de droit commun tel qu'il résulte de l'article 21 du Code de procédure civile.
En outre, alors que le Président du Tribunal de première instance statue seul, le Tribunal de première instance statue en formation collégiale de trois membres aux termes de l'article 15 de la loi n° 1.398 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.
Il n'est donc pas possible d'admettre que l'on pourrait valablement saisir le Président du Tribunal de Première instance en saisissant le Tribunal de première instance et que l'affaire pendante devant cette dernière juridiction qui aurait procédé à son instruction et devant laquelle elle aurait été plaidée, elle pourrait être jugée ensuite par le Président du Tribunal de première instance sur le fondement de la même assignation car c'est à cela que reviendrait de suivre le raisonnement de la demanderesse.
En l'espèce, l'assignation a bien été délivrée afin de comparaître devant le Tribunal de première instance qui est incompétent en raison de la matière.
En conséquence, ce Tribunal doit se déclarer incompétent pour connaître de l'action intentée par la SCP F contre l'ÉTAT DE MONACO introduite par assignation du 18 décembre 2023.
* - Sur la demande de l'ÉTAT DE MONACO au titre des frais exposés non compris dans les dépens
Il réclame à ce titre l'octroi d'une somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 238-1 du Code de procédure civile qui dispose que :
« Le juge condamnera la partie tenue aux dépens ou qui perdra son procès à payer :
* 1° à l'autre partie la somme qu'il déterminera, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens,
* 2° et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'assistance judiciaire une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'assistance aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide.
Dans tous les cas, le juge tiendra compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il pourra, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. Néanmoins, s'il alloue une somme au titre du 2° du présent article, celle-ci ne pourra être inférieure à la part contributive de l'État.
L'avocat du bénéficiaire de l'assistance judiciaire ne pourra cumuler la somme prévue au titre du 2° du présent article avec la part contributive de l'État. ».
Compte tenu de l'équité et de la situation économique des parties, il y a lieu de condamner la SCP F à payer à l'ÉTAT DE MONACO une somme de 3.000 euros de ce chef.
* - Sur les dépens
La SCP F qui succombe sera condamnée aux dépens distraits au profit de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation, conformément aux dispositions de l'article 231 du Code de procédure civile.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire, et en premier ressort,
Se déclare incompétent en raison de la matière pour connaître de l'action intentée par la SCP F contre l'ÉTAT DE MONACO introduite par assignation du 18 décembre 2023 ;
Condamne la SCP F à payer à l'ÉTAT DE MONACO la somme de 3.000 euros au titre des frais non compris dans les dépens par application des dispositions de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
Condamne la SCP F aux dépens distraits au profit de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;
Ordonne que les dépens distraits seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;
Composition
Après débats en audience du Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement,
Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 15 MAI 2025, par Madame Evelyne HUSSON, Vice-Président, Madame Aline BROUSSE, Premier Juge, Madame Anne-Sophie HOUBART, Juge, assistées de Madame Sophie LIOTARD, Greffier, en présence du Ministère public.
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