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LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 8 mars 2024, enregistré (n° 2024/000385) ;
Vu les conclusions récapitulatives de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur, au nom de la société A, en date du 10 octobre 2024 ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 28 février 2025 ;
À l'audience publique du 6 mars 2025, les conseils des parties ont déposé leurs dossiers et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 8 mai 2025, par mise à disposition au Greffe.
Motifs
FAITS ET PROCÉDURE :
d B, résident monégasque de nationalité russe, s'est vu notifier la clôture de son compte bancaire ouvert dans les livres de la banque ZA par courrier en date du 19 juillet 2021, à la suite de quoi il s'est vu refuser l'ouverture d'un compte bancaire par deux autres établissements bancaires exerçant en Principauté de Monaco (ZB et ZC).
C'est dans ces conditions qu'il a saisi la Direction du Budget et du Trésor aux fins de désignation d'office d'un établissement de crédit monégasque pour procéder à l'ouverture d'un compte de dépôt dans un délai de 15 jours ouvrés, en application des dispositions de la loi n°1.492 du 8 juillet 2020 relative à l'instauration d'un droit au compte.
Par courrier en date du 18 octobre 2022, d B a été avisé de la désignation de la société A par la Direction du Budget et du Trésor.
Toutefois, par courriel en date du 19 octobre 2022, la société A l'a informé qu'elle ne souhaitait pas entrer en relation avec lui et s'est ensuite abstenue de donner suite à la mise ne demeure qu'il lui a fait parvenir le 26 mai 2023.
Saisi par d B d'une demande visant à contraindre la société A à procéder à l'ouverture d'un compte, le juge des référés, par ordonnance du 31 janvier 2024, s'est déclaré incompétent.
C'est dans ce contexte que par acte signifié le 8 mars 2024, d B a fait assigner la société A et présente, aux termes de son assignation les demandes suivantes :
* - Condamner la société A à procéder à l'ouverture d'un compte bancaire à son profit ainsi qu'à la fourniture de tous les services énumérés à l'article 5 de la loi du 8 juillet 2020 dans un délai de huit jours à compter de la signification du Jugement à intervenir sous astreinte d'une somme de 1.500 € par jour de retard ;
* - Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;
* - Condamner la société A à lui verser la somme de 6.000 € sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
* - Condamner la société A aux entiers dépens distraits au profit de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
Aux termes de ses dernières conclusions, la société A demande au Tribunal de :
* - Débouter d B de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
* - Condamner d B à payer à la société A la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
* - Condamner d B aux entiers dépens distraits au profit de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 février 2025. A l'audience du 6 mars 2025, les conseils des parties ont déposé leurs dossiers et l'affaire a été mise en délibéré au 8 mai 2025.
SUR CE,
* - Sur la demande de condamnation sous astreinte de la société A
d B fait valoir qu'il remplit les conditions pour bénéficier des dispositions de l'article 2 de la loi n°1.492 du 8 juillet 2020 et que la banque ne peut lui opposer un refus alors qu'il n'a jamais fait l'objet d'une quelconque condamnation. En réplique à la société A, il soutient qu'il n'appartient pas à la Direction du Budget et du Trésor de motiver la décision de refus d'ouverture d'un compte bancaire et que la défenderesse ne peut utilement lui reprocher une opération financière illégale alors qu'il a obtenu le renouvellement de sa carte de séjour et qu'il a été entendu dans l'affaire pénale visée par la banque, comme simple témoin. Il termine en exposant qu'il a été client de la société A entre le 19 février 2013 et le 29 novembre 2018 laquelle, sans qu'elle ne lui signale la moindre anomalie, a procédé à la clôture de son compte de façon totalement arbitraire.
La société A qui rappelle qu'elle a effectivement clôturé un compte dont d B était titulaire dans ses livres jusqu'en décembre 2018, considère que du fait de cette relation commerciale antérieure, elle est libre d'accepter ou de refuser une nouvelle entrée en relation avec celui-ci. Elle expose qu'elle a souhaité s'en séparer après qu'il ait tenté de justifier une somme créditée sur son compte par un contrat de prêt qui ne correspondait pas à la réalité. Elle soutient qu'elle n'avait pas à motiver son refus d'ouverture d'un nouveau compte et que d B devait se rapprocher de la Direction du Budget et du Trésor pour obtenir la désignation d'un autre établissement bancaire.
* Sur ce,
Il résulte des articles 1 et 2 de la loi n°1.492 du 8 juillet 2020 relative à l'instauration d'un droit au compte qu'ont droit à l'ouverture d'un compte de dépôt dans un établissement de crédit de leur choix, dans le respect de la législation en vigueur, et notamment celle relative à la lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment de capitaux et la corruption, toute personne physique ou morale domiciliée à Monaco lorsqu'elle est dépourvue d'un compte de dépôt.
L'article 4 de la même loi dispose que : « En cas de refus de la part de l'établissement de crédit choisi d'ouvrir un compte de dépôt à l'une des personnes mentionnées à l'article 2, celle-ci peut saisir la Direction du Budget et du Trésor afin qu'elle lui désigne un établissement de crédit assurant des services de comptes de dépôt et de paiement, dans un délai de quinze jours ouvrés à compter de la réception des pièces requises, dont la liste est fixée par arrêté ministériel.
L'établissement de crédit qui a refusé l'ouverture d'un compte, fournit au demandeur sans frais et dans le délai (de quinze jours ouvrés), sur support papier, ou sur tout autre support durable lorsque celui-ci en fait la demande expresse, une attestation de refus d'ouverture de compte et l'informe qu'il peut demander à la Direction du Budget et du Trésor de lui désigner un établissement de crédit pour lui ouvrir un compte. ».
L'article 8 de cette même loi précise que : « L'établissement de crédit désigné par la Direction du Budget et du Trésor en application de l'article 4 ne peut rejeter la demande d'ouverture de compte que sur le fondement d'un ou de plusieurs des motifs suivants :
* 1°) en cas de condamnation prononcée sur le fondement des article 218 à 219, 391-1 à 391-12 du Code pénal ;
* 2°) en cas de condamnation prononcée pour l'une des infractions prévues par la loi n°890 du 1er juillet 1970 ;
* 3°) en cas de condamnation sur le fondement des article 2 à 12 de l'Ordonnance Souveraine n° 15,320 du 8 avril 2002 ;
* 4°) si la personne cesse de remplir les conditions figurant aux articles 2 et 6 de la présente loi ;
* 5°) lorsque l'établissement est dans l'une des situations visées à l'article 7 de la loi n°1.360 du 3 août 2009, modifiée.
Le rejet, par l'établissement de crédit désigné, de la demande d'ouverture de compte est susceptible de recours devant les juridictions compétentes. ».
Ces dispositions visent à concilier le droit effectif de disposer d'un compte avec le respect des obligations des établissements bancaires en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et la corruption, sur lesquelles il ne peut être transigé, y compris pour assurer le droit au compte.
En l'espèce, d B, après la fermeture de son compte par la banque ZA le 19 juillet 2021, s'est retrouvé, par suite des refus opposés par les banques ZB et ZC, dans la situation décrite à l'article 1er précité de la loi n°1.492 du 8 juillet 2020 de sorte qu'il a dû se rapprocher de la Direction du Budget et du Trésor aux fins de voir désigner un établissement bancaire. La société A désignée dans ce cadre lui a alors opposé un refus non motivé par email du 19 octobre 2022.
Cette dernière fait cependant valoir, dans le cadre de la présente instance, que son refus était fondé sur les conditions dans lesquelles elle avait été amenée, le 30 novembre 2018, à clôturer le compte dont d B était titulaire dans ses livres depuis le 12 septembre 2016. Elle se prévaut à son encontre de la violation des dispositions contractuelles auxquelles il était soumis qui devaient l'amener à faire preuve de loyauté à son égard et lui permettre d'exercer son devoir de vigilance, ce qu'elle n'a pas été en mesure de faire en raison du comportement déloyal de son client.
Le refus d'ouverture de compte par la société A est donc basé sur les dispositions de l'article 7 de la loi n° 1.362 du 3 août 2009 qui dispose notamment que « lorsque les organismes et les personnes visés aux articles premier et 2 n'ont pas été en mesure de remplir les obligations de vigilance prescrites aux articles 4-1 et 4-3, ils ne peuvent ni établir, ni maintenir une relation d'affaires, ni exécuter aucune opération, y compris occasionnelle », la loi n°1.492 du 8 juillet 2020 susvisée permettant à l'établissement bancaire de rejeter la demande d'ouverture de compte notamment lorsque l'établissement est dans la situation visée à cet article 7.
La banque considère que le comportement passé de d B à son égard a rompu le lien de confiance nécessaire à la mise en oeuvre de son devoir de vigilance. C'est donc vainement que celui-ci se prévaut de l'absence de condamnation à son encontre. Il n'en demeure pas moins qu'il appartient à la société A de démontrer qu'elle n'a pas été en mesure de remplir les obligations de vigilance prescrites aux articles 4-1 et 4-3 de la loi n°1.362 précitée c'est-à-dire, d'identifier le client (4-1) et/ou de recueillir des informations proportionnées relatives à l'objet et à la nature envisagés de la relation d'affaires, afin d'évaluer l'importance du risque de blanchiment de capitaux, de financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive et de corruption.
La société A indique dans ses écritures « Monsieur B a tenté, alors qu'il était en relation d'affaires avec la Concluante, de tromper celle-ci en faisant état de ce qu'il ne peut être qualifié que d'un faux document, à savoir un contrat de prêt fictif. Monsieur B l'a lui-même reconnu puisqu'après avoir été sollicité par la banque qui souhaitait avoir plus d'explications au regard de ce contrat de prêt, il a indiqué avoir préparé celui-ci pour justifier une entrée de fonds, et qu'en réalité c'était lui qui avait prêté la somme de 1.200.000 euros en espèces à Monsieur t.F, pour que celui-ci effectuât des investissements pour son compte ! ».
À l'appui de ses dires, la banque se contente de verser une copie du prêt accompagnée de sa traduction dont le Tribunal n'est pas en mesure de remettre en cause l'authenticité. Toutefois, il résulte d'un échange de mails entre les conseillers respectifs des parties, produit par d B lui-même, que certes, au départ, la conseillère bancaire ne s'inquiète pas, a priori, de la légalité des virements opérés sur le compte de son client mais que le contrat de prêt qu'il a produit pour justifier de l'origine des fonds ne correspond à aucune réalité et qu'il a été formalisé pour les besoins de la cause.
Si l'article 7 de la loi n°1.362 vise le cas où la banque, faute d'avoir obtenu les informations nécessaires, n'a pas été en mesure de remplir ses obligations de vigilance à l'égard d'un client, il convient d'appréhender cette disposition de façon plus large et de considérer que si la banque justifie de circonstances objectives l'amenant au même constat, elle doit refuser d'établir une relation d'affaires avec ledit client.
Or, au cas d'espèce, la société A a pu légitimement se convaincre à la lumière de son expérience passée avec d B qu'elle ne sera pas en mesure d'assurer le devoir de vigilance qui lui incombe.
Il sera par ailleurs observé que d B pouvait, en toute transparence, aviser la Direction du Budget et du Trésor que la société A avait précédemment clôturé son compte, ce qu'il s'est abstenu de faire et a conduit à la désignation inappropriée de cette dernière.
La défenderesse apparaît donc fondée à se prévaloir des dispositions de l'article 8 de la loi n°1.492 du 8 juillet 2020 afin de refuser l'ouverture d'un compte à d B.
Ce dernier sera par conséquent débouté de l'ensemble de ses demandes tirées du refus d'ouverture de compte opposé par la société A.
* - Sur l'exécution provisoire
Selon les dispositions de l'article 202 du Code de procédure civile, l'exécution provisoire peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi.
En l'espèce, l'issue du litige ne justifie aucunement l'exécution provisoire, qui sera dès lors rejetée.
* - Sur les frais irrépétibles et les dépens
Selon l'article 238-1 du Code de procédure civile, « le juge condamnera la partie tenue aux dépens ou qui perdra son procès à payer :
* 1° à l'autre partie la somme qu'il déterminera, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
* 2° et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'assistance judiciaire une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'assistance aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide.
Dans tous les cas, le juge tiendra compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il pourra, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. ».
En l'espèce, l'équité commande de condamner d B à payer sur ce fondement la somme de 3.000 euros à la société A.
Par ailleurs, aux termes de l'article 231 du Code de procédure civile, la partie qui succombe est condamnée aux dépens.
En l'espèce, d B, qui succombe, sera condamné aux dépens dont distraction au profit de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire, et en premier ressort,
Déboute d B de sa demande d'ouverture d'un compte de dépôt et de l'intégralité de ses demandes formées de ce chef ;
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement ;
Condamne d B à payer la somme de 3.000 euros à la société A au titre des dispositions de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
Condamne d B aux dépens du présent jugement, dont distraction au profit de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;
Ordonne que les dépens distraits seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;
Composition
Après débats en audience du Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement,
Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 8 MAI 2025, par Madame Evelyne HUSSON, Vice-Président, Madame Aline BROUSSE, Premier Juge, Madame Catherine OSTENGO, Juge, assistées de Madame Clémence COTTA, Greffier, en présence du Ministère public.
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