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LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Frédéric LEFEVRE, huissier, en date du 30 janvier 2023, enregistré (n° 2023/000323) ;
Vu les conclusions récapitulatives de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur, au nom d'e.E en date du 12 mars 2024 ;
Vu les conclusions récapitulatives de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, au nom de p.M, en date du 14 mai 2024 ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 29 novembre 2024 ;
À l'audience publique du 5 décembre 2024, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 6 mars 2025 et prorogé au 13 mars 2025, les parties en ayant été avisées, par mise à disposition au Greffe.
Motifs
FAITS ET PROCÉDURE :
p.M est propriétaire d'un immeuble d'habitation de quatre étages sis, xxx x1 à Monaco, comprenant une cour intérieure, confrontant, selon acte notarié de vente enregistré à Monaco le 15 septembre 1960, « au sud, l'immeuble ayant façade et entrée sur la Emile-de-Loth ».
e.E est quant à elle propriétaire d'un immeuble sis xxx x2, composé d'un rez-de-chaussée et d'un étage, confrontant, selon acte notarié de vente enregistré à Monaco le 24 mai 2017, « à l'ouest, le n° xxx x1 [propriété de p.M], d'une part, et le numéro xxx x2, d'autre part ».
Par Arrêté ministériel n° 2020-451 en date du 29 juin 2020, e.E a été autorisée à « démolir l'immeuble sis xxx x2 et [à] réaliser la construction sur cette parcelle d'un bâtiment à usage d'habitation » de quatre étages.
Par courrier recommandé avec demande d'avis de réception postal en date du 7 janvier 2021, p.M, par l'intermédiaire de son conseil, a sollicité d'e.E des précisions sur les caractéristiques des travaux, s'inquiétant des conséquences qu'ils pourraient avoir sur le mur mitoyen séparant leurs propriétés ainsi que sur la perte d'ensoleillement pouvant résulter de la surélévation du bâtiment de trois étages supplémentaires par rapport à l'édifice existant.
Par courrier officiel en date du 3 mars 2021, e.E a répondu, par l'intermédiaire de son conseil, que « les travaux prévus n'affecteront en rien le mur mitoyen de p.M puisque celui-ci est en fait mitoyen du xxx x1 et que le projet se tiendra de toute façon en retrait des existants. (…) ». Quant à la perte d'ensoleillement, il était indiqué que « le seul immeuble situé entre le xxx x1 et la rue x2 susceptible en cas de surélévation de gêner la vue de [p.M] sur la rue ou la mer, ou encore [de] lui causer une importante perte d'ensoleillement est le n° xxx x2. ». Il était ajouté que « le lot de Madame E étant quant à lui situé à l'angle sud-est du n° xxx x1, la surélévation projetée de son immeuble ne sera pas de nature à causer un trouble anormal du voisinage (…) ». Le courrier informait, enfin, du commencement imminent des travaux.
Par courrier officiel en date du 19 mars 2021, p.M faisait savoir, par l'intermédiaire de son conseil, qu'il ne partageait pas les analyses d'e.E estimant, d'une part, que les deux immeubles étaient bien mitoyens au niveau du pignon sud et du mur intérieur de la cour de l'immeuble sis xxx x1, d'autre part, que la façade de son immeuble qui donne sur la cour intérieure du n°14 de la même rue comporte au deuxième étage une terrasse et une fenêtre dont l'ensoleillement allait nécessairement être affecté par la surélévation envisagée, perte d'ensoleillement qui concernerait également ses appartements donnant sur la cour intérieure du n°12 de ladite rue, situés au rez-de-chaussée et aux trois étages supérieurs.
C'est dans ce contexte et n'ayant par ailleurs pas répondu à ce dernier courrier et initié les travaux de démolition et de construction de son immeuble, qu'e.E, par exploit en date du 30 janvier 2023, a été assignée devant le Tribunal de première instance par p.M, lequel sollicite de la juridiction, aux termes de ses conclusions récapitulatives en date du 14 mai 2024, de :
* • tenir ici pour intégralement répétés les termes de l'exploit d'assignation du 30 janvier 2023 ;
Sur la violation du droit de propriété :
* • dire et juger que les travaux menés par e.E s'appuient sur le mur mitoyen sans aucune autorisation préalable de p.M en violation des dispositions de l'article 549 du Code civil ;
En conséquence,
* • ordonner la démolition de l'ouvrage litigieux avec toutes conséquences de droit ;
À titre subsidiaire, pour le cas où par impossible la Juridiction de céans estimait que les preuves du concluant sont insuffisantes à la renseigner utilement pour apporter sa solution au présent litige,
* • désigner tel expert judiciaire qu'il appartiendra, avec la mission habituelle et de droit en pareille matière, pour faire constater l'atteinte au mur mitoyen et chiffrer le préjudice en résultant pour le requérant, et notamment :
* de se rendre sur les lieux sis xxx x1 à Monaco, en présence des parties après les avoir convoquées,
* de prendre connaissance des pièces versées aux débats et plus particulièrement du procès-verbal de constat dressé le 6 juillet 2022,
* de rechercher et d'établir tous éléments susceptibles de caractériser une atteinte à la mitoyenneté,
* de fournir au Tribunal tous les éléments techniques et de fait permettant de statuer et d'évaluer le préjudice du requérant,
* plus généralement, de faire toutes constatations et de formuler toutes observations utiles en vue de permettre utilement la solution du litige ;
Sur le trouble de voisinage :
* • dire et juger que la construction en cours d'e.E a pour conséquence une modification substantielle des lieux qui cause au concluant un préjudice résultant de la perte inévitable d'ensoleillement et de luminosité constitutive d'un trouble anormal de voisinage ;
En conséquence,
* • désigner tel expert judiciaire qu'il appartiendra, avec la mission habituelle et de droit en pareille matière, à l'effet d'évaluer le préjudice résultant de la perte d'ensoleillement et de luminosité subi du fait de l'édification de quatre étages au lieu d'un seul étage, et notamment :
* de se rendre sur les lieux sis xxx x1 à Monaco, en présence des parties après les avoir convoquées,
* de prendre connaissance des pièces versées aux débats et plus particulièrement du procès-verbal de constat dressé le 3 octobre 2019,
* de rechercher et d'établir tous éléments susceptibles de caractériser la perte d'ensoleillement et de lumière, après les avoir quantifiées en pourcentage dans toutes les zones de la propriété de p.M,
* donner au Tribunal tous les éléments d'appréciation pour lui permettre de statuer sur l'évaluation du préjudice du requérant,
* plus généralement, faire toutes constatations et formuler toutes observations utiles en vue de permettre utilement la solution du litige ;
* • lui donner acte de ce qu'il se réserve de chiffrer son entier préjudice ;
En tout état de cause,
* • débouter e.E de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions contraires ;
* • condamner e.E au paiement de la somme de 15.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
* • condamner enfin e.E aux entiers dépens en ce compris tous frais et accessoires, tels que frais d'huissier, procès-verbaux de constat, sommations, frais d'expertise et de traduction éventuels, dont distraction au profit de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
Au soutien de sa demande en démolition de l'ouvrage de la défenderesse, p.M argue, liminairement, que le mur séparant sa propriété de celle d'e.E est mitoyen, non pas seulement au niveau du pignon est de sa propriété sur une longueur linéaire de 1,05 mètres, mais bien également, s'appuyant sur une jurisprudence de la Cour de cassation française, au niveau de la cour séparant la propriété du demandeur de celle de cette dernière, dès lors que ce mur s'inscrit dans le prolongement du mur mitoyen en tant que limite séparative des propriétés. Se fondant, ensuite, sur l'article 549 du Code civil, le demandeur indique qu'e.E s'est dispensée de solliciter son accord relativement aux travaux entrepris, alors que ceux-ci s'appuient sur le mur mitoyen. Il argue que la sollicitation de l'accord préalable est le principe et que l'interprétation que fait la défenderesse des dispositions de l'article 544 du Code civil est erronée, celles-ci n'ayant pas un caractère général qui impliquerait le libre droit des copropriétaires à construire contre le mur mitoyen sans autorisation s'ils n'affectent pas la solidité dudit mur. En tout état de cause, le demandeur estime qu'il ressort des constatations faites par huissier que les poutres ont été ancrées dans le mur mitoyen par la défenderesse jusqu'à 15 centimètres, ce qui est supérieur à la limite de 5,4 centimètres fixée par les dispositions de l'article 544 du Code civil. Le demandeur estime qu'il est avéré que la construction entreprise par la défenderesse s'appuie sur le mur mitoyen ainsi qu'il en résulte tant du constat établi par l'huissier mandaté par ses soins que de la note technique en date du 19 juin 2023 de l'architecte d'e.E, aux termes de laquelle « les cadres tubulaires métalliques posés transversalement […] sont en contact avec les murs mitoyens », « les éléments tubulaires métalliques sont plaqués sur le mur mitoyen », le fait que cet appui n'engendre aucune altération des parois étant, selon le demandeur, un autre sujet. p.M argue que ladite note confirme que les éléments de construction prendront appui sur le mur mitoyen afin de maintenir la solidité structurelle des bâtiments, puisqu'il y est indiqué d'abord que cette technique d'appui des éléments tubulaires métalliques s'est avérée nécessaire pour préserver la solidité structurelle des ouvrages existants en remplacement des poutrelles en bois préexistantes, avant d'être précisé que ces éléments métalliques seront déposés au fur et à mesure de l'avancement de la construction auxquels les éléments périphériques du futur bâtiment se substitueront. Le demandeur soutient que l'appui sur le mur mitoyen est par ailleurs confirmé par la défenderesse au regard des informations qu'elle communique sur la préexistence de l'ancrage de son bâtiment dans le mur mitoyen, ancrage qu'elle confirme reproduire, d'après lui, pour son nouveau bâtiment surélevé. Il est donc avéré, selon le demandeur, que la nouvelle construction sera ancrée et s'appuiera sur le mur mitoyen, cet appui étant de nature à stabiliser l'ouvrage dans son ensemble, si bien qu'e.E ne pouvait se dispenser de solliciter son accord. Dans ces conditions, et se prévalant d'une part, d'un procès-verbal de constat dressé le 6 juillet 2022 ayant constaté que le mur avait été endommagé par les travaux à plusieurs endroits, d'autre part que le mur est ancien et que l'ancrage et l'appui des travaux de construction d'e.E affectent nécessairement l'ouvrage, le demandeur sollicite la démolition de la construction de cette dernière, citant des jurisprudences françaises en ce sens rendues sur le fondement de dispositions identiques à celles monégasques.
Concernant sa prétention subsidiaire à sa demande en démolition, visant à voir désigner un expert judiciaire, p.M estime qu'une telle désignation s'imposerait afin de faire constater l'atteinte à la mitoyenneté mais aussi de dire si celle-ci affecte la solidité dudit mur et de chiffrer le préjudice en résultant.
Au soutien de sa seconde demande visant à voir désigner un expert judiciaire à l'effet d'évaluer le préjudice résultant de la perte d'ensoleillement et de luminosité subies du fait de l'édification de quatre étages au lieu d'un seul étage, le demandeur considère que la surélévation entraînera, pour sa propriété, une perte d'ensoleillement. Il argue que l'immeuble actuel d'e.E qui n'est élevé que d'un étage laisse très largement la façade sud de son immeuble et ses ouvertures baigner d'ensoleillement et produit en ce sens deux procès-verbaux de constat d'huissier. Le demandeur estime ainsi la perte d'ensoleillement établie et à l'origine d'un trouble anormal du voisinage dans la mesure où, bien que le bâtiment de quatre étages n'est pas achevé, le risque de perte d'ensoleillement est certain. Il ajoute que, selon une jurisprudence constante, la perte d'ensoleillement entre dans la catégorie des troubles du voisinage ouvrant droit à indemnisation en réparation du préjudice subi. Le demandeur argue que le projet de surélévation engendrera inévitablement une perte d'ensoleillement et de luminosité considérable sur sa propriété, outre une dépréciation de la valeur de cette dernière.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 12 mars 2024, e.E sollicite du Tribunal de première instance de :
À titre principal,
* • dire et juger que les travaux entrepris par elle autorisés suivant Arrêté ministériel n° 2020-451 délivré le 29 juin 2020 ne nécessitaient aucune autorisation préalable de p.M en ce qu'ils ne relèvent pas des dispositions de l'article 549 du Code civil ;
Par conséquent,
* • débouter p.M de toutes ses demandes, fins et conclusions à son égard fondées sur son défaut de consentement préalable ;
À titre subsidiaire, et si par extraordinaire le Tribunal de céans venait à estimer que l'obtention du consentement de p.M était requise préalablement à la réalisation des travaux autorisés,
* • dire et juger que p.M n'apporte pas la preuve d'une quelconque nuisance causée par les travaux entrepris, ni par la nouvelle construction en cours d'édification, pas plus que d'un empiètement sur son fonds ou encore l'existence d'un quelconque préjudice ;
Par conséquent,
* • débouter p.M de sa demande de démolition du nouvel ouvrage en cours d'édification sur la parcelle d'e.E ;
Par ailleurs,
* • dire et juger que p.M ne justifie ni de l'existence d'un trouble actuel du voisinage, et encore moins du caractère anormal de la nuisance alléguée excédant les inconvénients normaux du voisinage ;
* • débouter p.M, défaillant dans l'administration de la preuve, de ses demandes de mesures d'expertises non fondées ;
En tout état de cause,
* • débouter p.M de toutes ses demandes, fins et conclusions à son égard ;
* • condamner p.M à lui payer la somme de 20.000 euros au titre des frais non compris dans les dépens en application de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
* • condamner p.M aux entiers dépens distraits au profit de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
Au soutien du débouté des demandes de p.M fondées sur l'absence de son consentement préalable aux travaux entrepris par la défenderesse, cette dernière estime, liminairement, que les fonds appartenant aux parties sont séparés par un mur mitoyen unique d'une épaisseur de 50 centimètres environ à l'angle sud-est du lot du demandeur sur une longueur linéaire de 1,05 mètres environ, supportant depuis l'origine les deux constructions contiguës. Concernant le mur longeant la cour intérieure, située entre son fonds et le xxx x2, elle argue que la mitoyenneté ne s'applique pas, dès lors que ce mur sépare son bâtiment originaire d'une cour, se fondant en ce sens sur des jurisprudences françaises. Elle prétend, ensuite, que le consentement préalable du demandeur pour procéder aux travaux n'était pas nécessaire, dès lors que, conformément à l'article 544 du Code civil, le copropriétaire peut bâtir contre le mur mitoyen, percer le mur afin d'y placer des poutres et des solives sans recueillir le consentement de l'autre copropriétaire dont il doit néanmoins respecter des droits symétriques. Selon elle, les dispositions de l'article 549 dudit Code, dont se prévaut le demandeur, n'impliquent pas un principe général d'accord préalable de l'autre copropriétaire pour tous travaux impliquant un mur mitoyen, l'arrêt de la Cour de cassation française du 4 janvier 1973 rendu sur la base de dispositions françaises identiques à celles monégasques, ayant donné lieu à des interprétations doctrinales fondamentalement opposées. Si certains ont pu déduire de cette décision que la Cour semblait s'être prononcée en faveur d'une généralisation de l'accord préalable à toute construction d'un nouvel ouvrage impliquant un mur mitoyen, d'autres ont considéré, selon la défenderesse, que la Cour avait estimé que le consentement ne devait être sollicité qu'au cas où la construction pouvait s'avérer nuisible aux droits de l'autre copropriétaire. La défenderesse considère ainsi que la jurisprudence récente française dispense de solliciter l'accord préalable du voisin si la nouvelle construction touche ou est accolée, par un isolant séparatif ou par une construction autoportante, dès lors que cela ne constitue pas un appui, ou encore lorsque les travaux entrepris ne sont pas de nature à affecter la solidité du mur. En l'espèce, et produisant des photos prises par ses soins, elle argue que depuis leurs constructions, son ancienne maison et celle du demandeur s'appuient l'une sur l'autre dès lors que le plancher en bois, sur une ossature en poutrelles métalliques, était originairement ancré dans le mur séparant sa propriété de celle du demandeur. Elle explique que dans le cadre des travaux de destruction de l'ancienne maison, les poutres initialement insérées dans le mur mitoyen ont été retirées et, à leur place, ont été insérées des poutres métalliques sur lesquelles s'appuient des cadres tubulaires métalliques posés transversalement, visibles dans le constat d'huissier établi par le demandeur, constituant l'ossature première de la structure de confortement servant de maintien et de stabilisation des bâtiments. Elle ajoute que la dépose de ces ouvrages métalliques se fera selon l'avancement des travaux et en particulier lors de la réalisation des murs périphériques qui s'y substitueront, si bien que la construction sera autoportante. Elle produit en ce sens deux notes techniques établies par son architecte. Aussi, la nouvelle construction, contrairement à son ancienne maison, n'étant ni ancrée, ni appuyée contre ledit mur, les dispositions de l'article 549 du Code civil n'ont selon elle pas vocation à s'appliquer. Elle estime, également, que les travaux n'affectent aucunement la solidité du mur mitoyen, la structure métallique provisoire ayant servi à maintenir et à stabiliser les bâtiments attenants, dont le mur mitoyen. Elle précise que ces ouvrages métalliques ont été retirés à ce jour, puisque les murs périphériques de la nouvelle construction ont été érigés au niveau du rez-de-chaussée.
La défenderesse estime, subsidiairement, qu'à supposer que le consentement du demandeur était un préalable nécessaire à la réalisation des travaux, selon la jurisprudence du pays voisin, la seule méconnaissance de cette obligation ne saurait justifier, à elle seule, la démolition du nouvel ouvrage en cours d'édification, dès lors notamment qu'aucune atteinte à la jouissance du mur mitoyen ou à sa solidité n'est alléguée ou constatée, les juges appréciant souverainement s'il y a lieu d'ordonner celle-ci en fonction du préjudice. La défenderesse explique, ainsi, que toute forme de réparation peut être rejetée à défaut de caractère nuisible de l'ouvrage pour les voisins, ou que la sanction peut se limiter à la réparation du préjudice moral. En l'espèce, la défenderesse estime que le demandeur ne démontre aucunement le caractère nuisible des travaux entrepris, ni de la construction en cours d'édification. De même, aucun empiètement sur son fonds n'est démontré, pas plus qu'une atteinte à ses droits de propriété, ni aucun préjudice.
Concernant le trouble anormal du voisinage tiré d'une perte d'ensoleillement, la défenderesse indique que p.M doit démontrer un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage, des dommages matériels ou immatériels subis et un lien de causalité entre le chantier et ledit trouble. Elle cite une jurisprudence du Tribunal du 12 octobre 1995 ayant rejeté une demande formée sur ce fondement dès lors que la construction litigieuse ne dépassait que de deux étages l'ancienne construction (laquelle constituait déjà un obstacle total de vue et partiel d'ensoleillement) et se trouvait de surcroît en léger retrait par rapport à la construction antérieure. En l'espèce, elle estime la perte d'ensoleillement alléguée par le demandeur hypothétique et incertaine, dès lors que le nouvel immeuble est en cours d'édification. En présence d'un risque futur, la défenderesse estime que le trouble n'est pas constitué. Elle ajoute que compte tenu de la configuration des lieux, son futur immeuble ne sera pas susceptible de causer une perte d'ensoleillement à l'immeuble du défendeur. Elle estime, en ce sens, que le procès-verbal de constat d'huissier en date du 3 octobre 2019 produit par le demandeur contient des inexactitudes, l'immeuble de p.M n'étant pas situé directement à l'arrière de l'immeuble de la défenderesse, lequel est situé en retrait à l'angle sud-est de la propriété du demandeur. Aussi, soutient-elle que les ouvertures de l'immeuble du défendeur donnent sur la cour intérieure située à l'arrière de l'immeuble constituant le n° xxx x2 et non du bâtiment de la défenderesse, correspondant au xxx de ladite rue. Il est ainsi argué que les ouvertures des 1er et 2ème étage de l'immeuble du demandeur étaient à l'ombre au mois d'octobre à 9h30, heure à laquelle l'huissier a pris les clichés et que la cour intérieure est totalement enclavée et ne bénéficiait d'aucun ensoleillement, ni aucune vue ou lumière directe. La défenderesse estime que le second constat d'huissier versé aux débats par le demandeur confirme que la cour intérieure de l'immeuble de ce dernier est enclavée et révèle qu'en plein mois de juillet, ledit immeuble ne bénéficie d'un ensoleillement direct qu'à partir du 2ème étage et ce, pour une courte durée, uniquement en matinée.
S'agissant des demandes de désignation d'experts, la défenderesse, s'appuyant sur des jurisprudences notamment de la Cour de révision, estime que le demandeur ne produit aucune pièce au soutien de son action, de sorte que la réalité des faits par lui invoqués n'est nullement établie si bien qu'il ne saurait y avoir lieu d'ordonner une mesure d'instruction en vue de suppléer sa carence dans l'administration de la preuve dont il a la charge. Elle argue en ce sens que le demandeur est totalement défaillant dans l'administration de la preuve d'une quelconque violation de mitoyenneté ainsi que de l'existence d'un quelconque trouble actuel du voisinage et qu'il ressort des chefs de mission qu'il souhaite voir confier à l'expert, qu'à défaut d'avoir pu établir lui-même la réalité des faits allégués, le demandeur souhaite que l'expert désigné le fasse en ses lieu et place.
Les débats ont été clos le 29 novembre 2024 par ordonnance du même jour du Président du Tribunal de première instance.
À l'audience du 5 décembre 2024, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et l'affaire a été mise en délibéré au 6 mars 2025 puis prorogée au 13 mars 2025.
SUR CE,
Le Tribunal indique, liminairement, que la mission du juge consiste à trancher le litige conformément à la règle de droit, l'objet du litige étant déterminé par les prétentions des parties, c'est-à-dire le résultat qu'elles recherchent. Aussi, les prétentions se distinguent-elles des moyens, éléments de fait et de droit allégués au soutien de celles-ci.
Il s'en déduit que les « demandes », figurant au dispositif des écritures des parties, de « dire et juger », ne constituent pas des prétentions mais des moyens auxquels il sera répondu dans le corps du jugement.
* Sur la demande en démolition de la construction entreprise par e.E
S'agissant, tout d'abord, de la nature du mur séparant les propriétés des parties, aux termes de l'article 540 du Code civil, « Dans la Principauté tout mur servant de séparation entre bâtiments jusqu'à l'héberge, ou entre cours et jardins, et même entre enclos dans les champs, est présumé mitoyen, s'il n'y a titre ou marque du contraire. ».
Il résulte de ces dispositions qu'est présumé mitoyen le mur qui sépare deux bâtiments contigus.
Il est également admis que sont exclus du champ d'application des présomptions de l'article 540 précité les murs séparant un bâtiment d'une cour.
En l'espèce, il est constant que les titres de propriété produits par chacune des parties ne contiennent aucun élément sur la nature du mur litigieux.
Il résulte en revanche de l'extrait du plan cadastral reproduit par le demandeur dans ses écritures en page 6, des photos n° 4, 5 et 10 figurant dans le procès-verbal de constat d'huissier établi à la demande de ce dernier le 3 octobre 2019, des photos n° 1 à 7 figurant dans le procès-verbal de constat d'huissier établi le 6 juillet 2022 toujours à la requête du demandeur, ainsi que des notes établies par f.F, architecte, à la demande de la défenderesse les 29 juin 2023 et 8 mars 2024 et de leurs annexes comportant un plan de situation et des photographies, que le mur constituant la limite séparative entre l'immeuble du demandeur et celui de la défenderesse ne peut être qualifié de mitoyen qu'au niveau de l'angle sud-est de la propriété du demandeur (ce, jusqu'au niveau R+1, ce qui correspond effectivement « au plancher du niveau 2 », ainsi que le sollicite le demandeur), et nord-ouest de l'ancien immeuble de la défenderesse, sur un linéaire d'environ 1,05 mètres, puisque ce n'était que sur cette portion que le mur séparait deux bâtiments contigus.
Quant au prolongement du mur, vers le sud, le long de la cour intérieure de la propriété du demandeur, et contrairement à ce que soutient ce dernier, un mur ne saurait être qualifié de mitoyen par la seule circonstance qu'il se situe dans le prolongement d'un mur mitoyen, la jurisprudence de la Cour de cassation qu'il cite, au demeurant partiellement, ne disant pas l'inverse.
Or, en l'espèce, il n'est ni contestable ni contesté qu'il n'existait un bâtiment, avant la démolition de l'immeuble de la défenderesse, que du côté du mur de cette dernière, ledit mur faisant partie intégrante de l'immeuble de la défenderesse ainsi que le révèle la photographie n° 10 du constat d'huissier établi à la demande de p.M le 3 octobre 2019 ou encore la première photographie annexée à la note établie le 29 juin 2023 par f.F, architecte, à la demande de la défenderesse. En cet état, le prolongement du mur, vers le sud, le long de la cour intérieure de la propriété du demandeur ne saurait être qualifié de mitoyen.
Concernant, ensuite, le bien-fondé de la demande en démolition de l'immeuble en cours de construction sur la parcelle d'e.E, aux termes de l'article 544 du Code civil, « Tout copropriétaire peut faire bâtir contre un mur mitoyen et y faire placer des poutres ou solives dans toute l'épaisseur du mur, à cinquante-quatre millimètres près, sans préjudice du droit qu'a le voisin de faire réduire à l'ébauchoir la poutre jusqu'à la moitié du mur, dans le cas où il voudrait lui-même asseoir des poutres dans les mêmes lieux ou y adosser une cheminée. ».
Selon les dispositions de l'article 549 du même Code, « L'un des voisins ne peut pratiquer dans le corps d'un mur mitoyen aucun enfoncement, ni y appliquer ou appuyer aucun ouvrage sans le consentement de l'autre, ou sans avoir, à son refus, fait régler par experts les moyens nécessaires pour que le nouvel ouvrage ne soit pas nuisible aux droits de l'autre. ».
Il est admis qu'il résulte de ces dispositions que le fait de placer des poutres dans un mur, nécessitant « un enfoncement », ou une construction légère, relève de l'article 544 précité. Le consentement de l'autre copropriétaire n'est donc pas requis pour de « petits ouvrages tout à fait inoffensifs qui n'entament pas le mur, et qui ne peuvent par leur poids, leur poussée ou autrement, nuire ni à ce mur, ni au voisin » (C. DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon, t. XI : Paris, 1855, n° 416, in fine). En revanche, le fait de bâtir contre le mur, ce qui nécessite soit d'y « appuyer », soit d'y « appliquer » un ouvrage, relève de l'article 549 précité et exige alors le concours de deux volontés, cette précaution devant être prise, en effet, contrairement à ce que soutient le demandeur, uniquement pour les travaux d'une certaine importance qui sont susceptibles de compromettre la solidité du mur, d'en augmenter la charge ou encore de provoquer des dommages au mur et/ou au voisin.
Il est tout aussi constant qu'une construction autoportante accolée à un mur mitoyen ne constitue pas un appui.
Si le demandeur affirme que la construction entreprise par la défenderesse s'appuie sur le mur mitoyen et aurait ainsi nécessité son consentement préalable, le Tribunal observe qu'il ne produit au soutien de ses allégations, en définitive, que le procès-verbal de constat d'huissier établi à sa demande le 6 juillet 2022, duquel il ressort uniquement qu'un « cadre constitué de poutrelles métalliques a été installé, pour solidifier la structure existante, reposant sur 3 IPN, un qui est fixé parallèlement au mur nord et vient s'enfoncer dans le mur mitoyen ouest avec un cerclage béton autour du trou d'entrée (photos n°17-18-19-20-21-22-23) avec le même système de maintien du côté droit (photo n° 24), un 2ème au centre du chantier, s'enfonçant également dans le mur mitoyen avec un cerclage béton (photos n°25-26) qui semble reposer sur les extrémités des poutres bois dépassant du mur, au niveau 1, celui-ci semble « autoportant » ».
S'agissant ainsi, tout d'abord, du cadre constitué de poutrelles métalliques prenant appui sur des poutres IPN insérées dans le mur, le Tribunal relève, en premier lieu, que lesdites poutres ont été insérées en lieu et place de celles préexistantes, ainsi qu'il en résulte des photographies 3 à 8 prises avant la démolition du bâtiment puis à la suite de celle-ci, annexées à la note explicative du 8 mars 2024 établie par f.F, architecte, à la demande de la défenderesse, révélant la préexistence de poutrelles métalliques nichées dans le mur, qui formaient l'ossature du plancher en voutain des combles de l'ancienne propriété de la défenderesse.
Ceci est par ailleurs confirmé par r.N représentant la société en charge des travaux dont l'huissier mandaté par le demandeur a relaté les déclarations selon lesquelles : « les IPN vont être enlevés et remplacés par des poteaux/poutres en béton ; (…) ; une paroi ferraillée va être montée au droit du mur gauche existant et les IPN seront enlevés, ceux-ci rentrent de 15 cm dans les murs en lieu et place des 25/30 cm des poutres existantes ; ».
Quant à la circonstance que ce cadre constitué de poutrelles métalliques s'appuie sur les poutres IPN insérées en lieu et place des poutrelles préexistantes, il apparaît effectivement de la note établie le 29 juin 2023 par f.F, architecte mandaté par la défenderesse, que lesdites poutres métalliques IPN « constituent l'ossature première de la structure de confortement servant de maintien et de stabilisation des bâtiments. C'est sur elles que s'appuient les cadres tubulaires métalliques posés transversalement. Ces derniers sont en contact avec les murs mitoyens sans altération aucune sur ces parois et sans rogner à leur épaisseur. Les photos n°17 et n° 37 du procès-verbal du constat d'huissier du 22 juillet 2022 attestent bien de cette disposition ».
Le Tribunal relève, sur ce dernier point, qu'il ressort en effet des photographies du constat d'huissier précité, que les cadres tubulaires métalliques évoqués par f.F sont en contact avec le mur, ou plaqués contre celui-ci, sans altération aucune sur la paroi et sans rogner à son épaisseur, ce qui ne saurait donc s'assimiler à l'appui d'un ouvrage au sens de l'article 549 précité nécessitant le consentement du demandeur.
f.F précise, ensuite, que « les ouvrages métalliques en place [donc les cadres tubulaires] assurent la stabilité et la pérennité des bâtiments attenants. Ils contribuent à éviter tout désordre sur les bâtiments mitoyens existants pendant la durée des travaux de démolition et de terrassement ».
Le Tribunal comprend de cette note, contrairement à l'interprétation qu'en fait le demandeur sans toutefois produire aux débats l'avis d'un homme de l'art confirmant celle-ci, que les ouvrages métalliques mis en place n'ont vocation qu'à assurer la stabilité et la pérennité des « bâtiments attenants », donc notamment du mur séparatif et mitoyen, et non du futur immeuble de la défenderesse.
Le Tribunal observe, également, qu'il ressort de ladite note et du constat d'huissier établi à la requête du demandeur le 6 juillet 2022, que si des poutrelles métalliques ont été insérées dans le mur mitoyen, elles ne l'ont toutefois été qu'en remplacement de celles qui préexistaient (et insérées au demeurant moins profondément) et, de surcroît, elles ne supportent plus l'immeuble de la défenderesse (en l'occurrence le plancher du premier étage de l'ancien immeuble), mais donc uniquement désormais lesdits cadres tubulaires métalliques, destinés, ainsi qu'il a été dit, à assurer « la stabilité et la pérennité » des bâtiments attenants dans le cadre des travaux démolition et de terrassement, et non du futur immeuble.
Le Tribunal considère, dans ces conditions, que l'installation par la défenderesse de ces cadres tubulaires métalliques, qualifiables de menus ouvrages, ne nécessitait pas, en toute rigueur, de recueillir le consentement préalable du demandeur en application des dispositions de l'article 549 précité.
Concernant, ensuite, le point de savoir si le futur immeuble prendra appui sur le mur litigieux, il ne ressort pas de ladite note de f.F, contrairement à ce qu'allègue le demandeur, qui ne produit pas plus sur ce point l'avis d'un homme de l'art au soutien de ses affirmations, que le futur immeuble prendra effectivement appui sur le mur litigieux par le biais, le cas échéant, des poutres métalliques qui y ont été insérées à la place de celles qui préexistaient, ou des cadres tubulaires métalliques qui reposent sur celles-ci.
Au contraire, f.F indique que « Leur dépose [donc le retrait des cadres tubulaires métalliques] se fera selon l'avancement de la construction projetée et en particulier lors de la réalisation des murs périphériques qui s'y substitueront progressivement. ». L'on comprend ainsi que les cadres tubulaires métalliques vont être progressivement retirés et remplacés par les murs du futur immeuble de la défenderesse. r.N, responsable de la société en charge des travaux, a quant à lui relaté à l'huissier sollicité par le demandeur que « les IPN seront enlevés », lorsque la paroi « au droit du mur existant », donc ne prenant pas appui dessus, aura été montée. Cette méthode ressort également du schéma technique produit en annexe de la seconde note établie par f.F, révélant que les poutres métalliques ne sont plus insérées dans le mur au fur et à mesure de l'avancement des travaux.
f.F ajoute que « la technique que nous employons pour l'édification de notre bâtiment est basée sur le principe de la boîte dans la boîte afin de ne pas toucher aux immeubles mitoyens et garantir la tenue de leurs structures. Ce procédé fait perdre malheureusement de l'espace dans le nouveau projet, cependant c'est un parti pris volontairement dans l'intérêt de tous. ».
Dans le cadre de la note établie le 8 mars 2024, f.F confirme qu' « il a été mis en place des structures métalliques de confortement pour assurer la stabilité et maintenir l'intégrité du bâti mitoyen tout en constituant un cadre rigide dans lequel sera édifiée la nouvelle construction. (…) Les structures de confortement ont été maintenues en place durant phase des travaux d'infrastructure et de superstructure jusqu'au niveau R+1. A la réalisation des voiles de façade, nous avons procédé au retrait de notre installation provisoire. ». L'architecte de la défenderesse conclut en indiquant que « la stabilité de la construction est assurée par la seule rigidité de sa forme et du fait que ses appuis lui sont propres. En d'autres termes, notre construction est autoportante ».
Le Tribunal ne fait donc pas la même analyse que le demandeur des notes établies par l'architecte de la défenderesse et de ses pièces jointes qui tendent à démontrer que la structure est autoportante et non qu'elle s'appuie sur le mur mitoyen. Le Tribunal ne peut ensuite que constater qu'en dehors du procès-verbal de constat d'huissier intéressant cette première thématique, p.M n'a pas produit l'avis d'un homme de l'art contredisant ou, du moins, interrogeant le contenu des notes établies par f.F et allant dans le sens, ainsi qu'il l'allègue, d'un véritable appui ou d'un appui inéluctable de la construction entreprise par la défenderesse sur le mur privatif et mitoyen.
Enfin, s'agissant du « trou d'environ 10 cm de diamètre, avec éclatement de maçonnerie (…) visible au centre du mur depuis la cour intérieure » du demandeur, dont fait état l'huissier requis par ce dernier dans son procès-verbal de constat du 6 juillet 2022 (photographies n° 6 et 7), le Tribunal ne peut qu'observer que cette marque était présente avant le début des travaux, ainsi qu'en atteste la photographie produite en annexe de la note établie par f.F, architecte, à la demande d'e.E, le 29 juin 2023. Quant à la circonstance que de la maçonnerie ait été refaite au sommet du mur, eu égard à une encoche d'environ 15 cm (photographie n° 5 dudit procès-verbal de constat d'huissier), le Tribunal observe que f.F explique dans ladite note que « la couverture en tuiles recouvrait également la partie supérieure du mur mitoyen. La dépose des éléments en tuiles est à l'origine de l'encoche qui est décrite ». Cependant, le constat de ce seul désordre, qui n'affecte en rien la solidité du mur, ne saurait amener le Tribunal à considérer que les travaux entrepris entraient dans le champ d'application de l'article 549 précité.
En cet état, le demandeur sera débouté de sa demande principale en démolition et, dans la mesure où il n'appartient pas au Tribunal de suppléer à la carence de p.M dans la démonstration des faits qu'il allègue, il sera également débouté de sa demande subsidiaire en désignation d'un expert judiciaire.
* Sur la demande en désignation d'un expert judiciaire afin d'évaluer le préjudice résultant de la perte d'ensoleillement et de luminosité du fait de l'édification du nouvel immeuble d'e.E
Aux termes de l'article 438 du Code civil, « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. ». Ce droit est toutefois limité par l'obligation qu'a tout propriétaire de ne causer à la propriété d'autrui aucun dommage excédant les inconvénients normaux du voisinage. La responsabilité pour trouble anormal de voisinage est une responsabilité sans faute, et il appartient au juge saisi d'une demande en réparation sur ce fondement d'apprécier le caractère normal ou anormal du trouble invoqué.
Il est par ailleurs admis que dans une zone fortement urbanisée, l'ensoleillement et la luminosité dont bénéficie un bien est un avantage nécessairement précaire, si bien qu'une diminution de celui-ci n'est pas synonyme d'un trouble anormal de voisinage, l'environnement en milieu urbain ayant vocation à évoluer au gré des opérations de construction. Dans une telle zone, le succès d'une action en responsabilité sur le fondement du principe précité, nécessite, en effet, qu'il soit démontré que les troubles sont supérieurs à ceux qui peuvent affecter tout propriétaire d'un immeuble en zone urbaine normalement exposé au risque de voir un immeuble édifié sur la parcelle voisine de son fonds.
Il est constant, enfin, qu'un préjudice futur n'est réparable que s'il présente un caractère certain.
Aux termes de l'article 300 du Code de procédure civile, « Les mesures d'instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, à la demande des parties ou d'office. ».
En l'espèce, le Tribunal considère que la production par p.M des procès-verbaux de constat d'huissier en dates des 3 octobre 2019 et 13 juillet 2023, révélant que la façade de son immeuble peut effectivement être ensoleillée à partir du deuxième étage, la cour située au sud de son immeuble bénéficiant quant à elle d'une luminosité assez limitée, et la circonstance qu'un immeuble de trois étages supplémentaires à celui existant, ou qui existait, est en cours de construction sur la parcelle appartenant à e.E, située au niveau de l'angle sud-est de la propriété du demandeur, ne suffisent pas à considérer, en l'état, que l'immeuble du demandeur subira, avec certitude, une perte d'ensoleillement dont il souhaite pouvoir évaluer le préjudice par voie d'expertise, avant de chiffrer celui-ci.
Le Tribunal estime, également, que la jurisprudence française citée par le demandeur, concernant le risque certain de dommage susceptible de constituer, dès lors qu'il en présente les caractéristiques, un trouble anormal du voisinage n'est, en l'espèce, pas plus applicable et ne saurait permettre la désignation d'un expert dans le cadre d'une instance au fond, dans la mesure où, si le risque de perte d'ensoleillement n'est effectivement pas éventuel, p.M n'établit cependant pas que celle-ci serait telle qu'elle pourrait être constitutive, le cas échéant, d'un trouble anormal du voisinage.
Par conséquent, la demande de p.M en désignation d'un expert judiciaire sera rejetée.
* Sur les demandes accessoires
Aux termes de l'article 231 du Code de procédure civile, tous jugements, autres que les jugements d'instruction, condamneront même d'office aux dépens la partie qui aura succombé.
p.M, succombant à l'instance, sera condamné aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
Aux termes de l'article 238-1, 1° du Code de procédure civile, le juge condamnera la partie tenue aux dépens ou qui perdra son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il déterminera, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le deuxième alinéa de cet article précise que dans tous les cas, le juge tiendra compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il pourra, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.
En l'espèce, l'équité commande de condamner p.M à payer à ce titre à e.E la somme de 8.000 euros.
Succombant, la demande de p.M à l'encontre de la défenderesse sera rejetée.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL,
Statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire, et en premier ressort,
Déboute p.M de l'intégralité de ses demandes ;
Condamne p.M à payer à e.E la somme de 8.000 euros en application de l'article 238-1, 1° du Code de procédure civile ;
Déboute p.M de sa demande présentée sur le fondement de l'article 238-1, 1° du Code de procédure civile ;
Déboute e.E du surplus de ses demandes ;
Condamne p.M aux entiers dépens, avec distraction au profit de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur, sous son affirmation de droit ;
Ordonne que les dépens distraits seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;
Composition
Après débats en audience du Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement,
Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 13 MARS 2025, par Madame Magali GHENASSIA, Président, Madame Alexia BRIANTI, Premier Juge, Monsieur Maxime MAILLET, Juge, assistés de Madame Clémence COTTA, Greffier, en présence du Ministère public.
La présente décision a été signée par Madame Alexia BRIANTI, Premier Juge, en application de l'article 60 de la même Loi n° 1.398.
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