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09/01/2025 | MONACO | N°30825

Monaco | Tribunal de première instance, 9 janvier 2025, l A c/ m L


Abstract

Action civile - Action en paiement - Recevabilité (non) - Prescription quinquennale - Point de départ du délai - Interruption du délai (non)

Résumé

Le présent litige concerne le remboursement de la somme de 2 millions d'euros par le demandeur, versée par celui-ci à une société par chèque le 4 mars 2015. Il est établi que ce prêt devait être remboursé par la société dans un délai de 12 mois, ce qui n'a pas été fait. Le demandeur a délivré une mise en demeure au défendeur, figurant en qualité de garant sur l'acte de prêt, en date du 11 janv

ier 2023. Le défendeur soulève la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action ...

Abstract

Action civile - Action en paiement - Recevabilité (non) - Prescription quinquennale - Point de départ du délai - Interruption du délai (non)

Résumé

Le présent litige concerne le remboursement de la somme de 2 millions d'euros par le demandeur, versée par celui-ci à une société par chèque le 4 mars 2015. Il est établi que ce prêt devait être remboursé par la société dans un délai de 12 mois, ce qui n'a pas été fait. Le demandeur a délivré une mise en demeure au défendeur, figurant en qualité de garant sur l'acte de prêt, en date du 11 janvier 2023. Le défendeur soulève la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en paiement dans la mesure où il estime que la dette était exigible au 4 mars 2016 puisque le délai de remboursement était d'un an, l'assignation ayant été délivrée le 17 mars 2023, le délai quinquennal octroyé au créancier pour agir est dépassé. Le demandeur conteste ce raisonnement en expliquant que s'il n'a fait sa mise en demeure qu'en janvier 2023, c'est parce qu'il a octroyé à son débiteur un délai supplémentaire qui a pour effet de différer le point de départ de la prescription.

La prescription vise à garantir tant les droits du créancier que du débiteur et le point de départ de la prescription ne peut bien évidemment pas dépendre de l'attitude du créancier qui, unilatéralement, différerait sa mise en demeure, avec l'effet de différer le point de départ de la prescription et du même coup, son terme. Ce mécanisme exposé par le demandeur est totalement contraire non seulement aux dispositions légales rappelées supra mais aussi à toute la jurisprudence monégasque et française sur ces questions de point de départ. Le point de départ de la prescription d'une action est de manière constante fixé au jour où le titulaire du droit, en l'espèce le demandeur, a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de les exercer. Le report du point de départ de la prescription doit résulter d'un accord entre les parties notamment par la fixation d'un nouvel échéancier, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ou par un acte interruptif de prescription.

En l'espèce, la prescription de 5 ans qui a commencé à courir le 4 mars 2016 n'a pas été interrompue par un fait ou acte prévus aux articles 2060 à 2067 du Code civil. En application de l'article 2044 précité, le demandeur a donc connu ou était en mesure de connaître le fait de non remboursement à l'échéance le 4 mars 2016. La prescription quinquennale, non interrompue légalement, a expiré le 4 mars 2021. L'action judiciaire engagée par assignation délivrée le 17 mars 2023 est donc largement prescrite. Le Tribunal déclare donc le demandeur irrecevable en son action pour cause de prescription.

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2023/000318 (assignation du 17 mars 2023)

JUGEMENT DU 9 JANVIER 2025

En la cause de :

* l A, né le jma à Consecio (Italie), de nationalité italienne, demeurant x1 x1 à Monaco ;

DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Clyde BILLAUD, avocat près la même Cour ;

d'une part ;

Contre :

* m L, né le jma à Saint Louis (États-Unis), de nationalité monégasque, demeurant X2, x2 à Monaco ;

DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Jean-Marie TOMASI, avocat au barreau de Paris ;

d'autre part ;

Visa

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 17 mars 2023, enregistré (n° 2023/000318) ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de l A, en date du 7 février 2024 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur, au nom de m L, en date du 8 avril 2024 ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 25 octobre 2024 ;

À l'audience publique du 31 octobre 2024, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 9 janvier 2025, par mise à disposition au Greffe.

Motifs

FAITS ET PROCÉDURE :

Au terme d'un acte en date du 19 janvier 2015, l A s'est engagé à financer au travers d'un prêt de 2 millions d'euros, l'activité d'achat et de vente d'oeuvres d'art de la société AA. Le prêt est sans intérêt et devait être remboursé dans un délai maximum de 12 mois à compter de l'émission du virement.

Le 19 janvier 2015, m L signait un document rédigé en ces termes « m L, trésorier de la société AA, répondra solidairement aux responsabilités de la société qu'il représente, si celle-ci n'est pas en mesure de rembourser le prêt ».

L'administration américaine a établi le 7 juillet 2023, un document indiquant que la société AA n'est plus active. Elle a été radiée pour non-paiement des cotisations annuelles le 29 juillet 2016.

Un virement de 2 millions d'euros a été effectué par l A au profit de la société le 20 février 2015. Le 2 mars 2015, les fonds étaient retournés à l A.

Le 4 mars 2015, l A a émis un chèque bancaire d'un montant de 2.000.060 euros au profit de la société AA.

Par acte d'huissier en date du 17 mars 2023, l A a assigné devant le Tribunal de première instance de Monaco m L et demande à la juridiction de :

1. • Condamner m L à lui payer la somme de 2.000.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 11 janvier 2023, date de la mise en demeure ;

2. • Condamner m L à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

3. • Condamner m L à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;

4. • Condamner m L aux entiers dépens, comprenant les frais et accessoires, frais d'huissiers, d'expertise et traductions éventuels, distraits au profit de Maître Patricia REY, Avocat-Défenseur, sous sa due affirmation.

Par conclusions récapitulatives en date du 7 février 2024, l A a maintenu ses demandes initiales, sauf à porter sa demande en paiement de ses frais de procédure à la somme de 10.000 euros.

Par conclusions récapitulatives en date du 8 avril 2024, m L demande à la juridiction de :

À titre principal,

* • Constater que les demandes de l A sont prescrites ;

* • Déclarer en conséquence l A irrecevable ;

À titre subsidiaire,

* • Juger que le prétendu engagement de m L en qualité de garant de la société AA au profit de l A n'est pas conforme aux conditions légales et jurisprudentielles applicables en matière de cautionnement ;

* • Déclarer nul le prétendu cautionnement de m L en garantie du remboursement du prêt par la société AA au profit de l A ;

En tout état de cause,

* • Condamner l A à lui payer une somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile, et aux entiers dépens distraits au profit de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur sous sa due affirmation ;

* • Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Les débats ont été clos par ordonnance du 25 octobre 2024.

À l'audience du 31 octobre 2024, les conseils des parties ont plaidé l'affaire qui a été mise en délibéré au 9 janvier 2025.

SUR CE,

* Sur la prescription de l'action soulevée par m L

En application de l'article 278-1 du Code de procédure civile, « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer la demande irrecevable, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, une déchéance, une forclusion, la prescription ou la chose jugée ».

L'article 2038 du Code civil définit la prescription extinctive comme « un moyen d'éteindre un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps dans les conditions déterminées par la loi ».

L'article 2044 du Code civil précise que « sauf disposition légale contraire, les actions réelles mobilières et les actions personnelles se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de les exercer ».

Le présent litige concerne le remboursement de la somme de 2.000.060 euros, ramené à 2 millions d'euros par le demandeur, versée par l A à la société AA par chèque le 4 mars 2015.

Il est établi que ce prêt devait être remboursé par la société AA dans un délai de 12 mois, ce qui n'a pas été fait.

l A a délivré une mise en demeure à m L, figurant en qualité de garant sur l'acte de prêt, en date du 11 janvier 2023.

m L soulève la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en paiement de l A dans la mesure où il estime que la dette était exigible au 4 mars 2016 puisque le délai de remboursement était d'un an, l'assignation ayant été délivrée le 17 mars 2023, le délai quinquennal octroyé au créancier pour agir est dépassé.

l A conteste ce raisonnement en expliquant que s'il n'a fait sa mise en demeure qu'en janvier 2023, c'est parce qu'il a octroyé à son débiteur un délai supplémentaire qui a pour effet de différer le point de départ de la prescription.

La prescription vise à garantir tant les droits du créancier que du débiteur et le point de départ de la prescription ne peut bien évidemment pas dépendre de l'attitude du créancier qui, unilatéralement, différerait sa mise en demeure, avec l'effet de différer le point de départ de la prescription et du même coup, son terme.

Ce mécanisme exposé par le demandeur est totalement contraire non seulement aux dispositions légales rappelées supra mais aussi à toute la jurisprudence monégasque et française sur ces questions de point de départ.

Le point de départ de la prescription d'une action est de manière constante fixé au jour où le titulaire du droit, en l'espèce l A, a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de les exercer.

Le défendeur sur qui pèse la charge de démontrer que l'action est prescrite, produit en pièce 5 un accord signé par les deux parties, l A et m L-AA, rédigé en ces termes « Le soussigné l A, dispose d'un financement de 2 millions d'euros en faveur de la société AA. Ce prêt sert à financer l'activité d'achat-vente d'oeuvres d'art que la société AA exerce. Le financement sera effectué par un seul virement bancaire ayant comme bénéficiaire « AA » et motif « prêt sans intérêts 19012015 ». Le prêt ne portera pas intérêt et sera remboursé dans les 12 mois suivant la date d'émission. M. m L, trésorier de la société AA, répondra solidairement aux responsabilités de la société qu'il représente, si celle-ci n'est pas en mesure de rembourser le prêt. Ce document est rédigé en italien et traduit verbalement en français en présence des deux parties ».

Il est justifié à la procédure que la société AA n'est plus en activité.

l A a communiqué à la procédure le justificatif du chèque d'un montant de deux millions d'euros au profit de la société AA, en date du 4 mars 2015.

m L ne conteste aucunement l'effectivité du virement de 2 millions d'euros au bénéfice de la société AA.

La date « d'émission » prévue à l'accord précité est donc le 4 mars 2015, soit une date d'échéance de remboursement au 4 mars 2016.

l A, le créancier qui doit être remboursé le 4 mars 2016 connaissait ce terme et l'absence de remboursement. Il disposait d'une action en remboursement de 5 ans à compter de cette date, ce que sait également le débiteur. Ce point de départ de 5 ans est donc connu des deux parties.

Le report du point de départ de la prescription doit résulter d'un accord entre les parties notamment par la fixation d'un nouvel échéancier, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ou par un acte interruptif de prescription.

En l'espèce, la prescription de 5 ans qui a commencé à courir le 4 mars 2016 n'a pas été interrompue par un fait ou acte prévus aux articles 2060 à 2067 du Code civil.

En application de l'article 2044 précité, l A a donc connu ou était en mesure de connaître le fait de non remboursement à l'échéance le 4 mars 2016. La prescription quinquennale, non interrompue légalement, a expiré le 4 mars 2021.

Il disposait donc du droit d'agir en recouvrement contre la société AA ou son garant jusqu'au 4 mars 2021.

L'action judiciaire engagée par l A par assignation délivrée le 17 mars 2023 est donc largement prescrite.

Le Tribunal déclare donc l A irrecevable en son action pour cause de prescription.

* Sur la demande au titre des frais de procédure

L'article 238-1 du Code de procédure civile prévoit que :

« Le juge condamnera la partie tenue aux dépens ou qui perdra son procès à payer :

* 1° à l'autre partie la somme qu'il déterminera au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

* 2° et le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'assistance judiciaire une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'assistance aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide ;

Dans tous les cas, le juge tiendra compte de l'équité, de la situation économique de la partie condamnée. Il pourra, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. Néanmoins, s'il alloue une somme au titre du 2° du présent article, celle-ci ne pourra être inférieure à la part contributive de l'État.

L'avocat bénéficiaire de l'assistance judiciaire ne pourra cumuler la somme prévue au titre du 2° du présent article avec la part contributive de l'État ».

l A, succombant, est condamné à payer à m L la somme de 3.000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.

S'agissant de la demande d'exécution provisoire de m L, eu égard au jugement rendu, est sans objet.

l A est condamné aux dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur sous sa due affirmation.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire, et en premier ressort,

Constate que l'action engagée par l A par assignation du 17 mars 2023 à l'encontre de m L est prescrite ;

Déclare l'action de l A à l'encontre de m L irrecevable ;

Condamne l A à payer à m L la somme de 3.000 euros au titre des frais non compris dans les dépens ;

Déboute m L du surplus de ses demandes ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement ;

Condamne l A aux dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que les dépens distraits seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition

Après débats en audience du Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement,

Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 9 JANVIER 2025, par Madame Evelyne HUSSON, Vice-Président, Madame Alexia BRIANTI, Premier Juge, Madame Aline BROUSSE, Premier Juge, assistées, de Madame Christèle SETTINIERI, Greffier, en présence du Ministère public.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 30825
Date de la décision : 09/01/2025

Analyses

Procédure civile


Parties
Demandeurs : l A
Défendeurs : m L

Références :

article 2038 du Code civil
article 2044 du Code civil
articles 2060 à 2067 du Code civil
article 278-1 du Code de procédure civile
article 238-1 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 28/02/2025
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;2025-01-09;30825 ?

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