Abstract
Compétence judiciaire internationale - Validation de saisie-arrêt - Contrat de société - Compétence du juge monégasque (oui)
Procédure civile - Sursis à statuer (non) - Règle « le criminel tient le civil en l'état » - Conditions
Résumé
En ce qui concerne la compétence relative à la validation de la saisie-arrêt il y a lieu de se référer aux dispositions de l'article 6 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 portant création du Code de droit international privé et plus précisément à son point 7. En l'espèce, la saisie-arrêt, qui est une mesure conservatoire, a été formée dans la Principauté de Monaco s'agissant d'une saisie-arrêt de parts sociales détenues par une société civile particulière de droit monégasque. En conséquence, le Tribunal est compétent pour statuer sur la validité de cette mesure conservatoire.
Pour ce qui concerne la compétence pour connaître du fond du litige, ce Tribunal est également compétent pour en connaître en application des dispositions de l'article 6 point 2 et 6 et point 5 du Code de droit international privé. Dans le présent litige, la créance alléguée est la conséquence du contrat de société conclu entre les consorts AA et AB et de la souscription par la société d'un découvert bancaire auprès d'une banque monégasque à savoir la banque AC assorti d'un cautionnement donné en Principauté par m AA pour la bonne exécution de ce concours bancaire par la SCP AD.
La compétence de ce Tribunal a également été prévue par les statuts de la SCP. De plus le concours de ligne de découvert multi devises émis par la banque le 25 juillet 2017 mentionne que « Le présent acte sera régi par le droit monégasque. Toute contestation relative à la validité, l'interprétation ou l'exécution des présentes sera de la compétence des tribunaux monégasques. ». Ce document a été signé par AA tant en sa qualité de représentante légale de la SCP que de caution et est par conséquent opposable à la SCP et à ses associés qui ont approuvé sa signature par assemblée générale extraordinaire du 21 juillet 2017 visant expressément ce concours et ce cautionnement et lors de laquelle AB était présente et a signé le procès-verbal. En acceptant que la SCP souscrive ledit concours, AB en a accepté les termes et conditions qui lui sont dès lors opposables en application de l'article 8 du Code de droit international privé. Dès lors, AB sera déboutée de son exception d'incompétence.
AB fonde sa demande de sursis à statuer sur la plainte avec constitution de partie civile déposée par AA notamment à son encontre du chef d'abus de faiblesse tandis que la demanderesse s'oppose à cette demande en estimant que si la plainte a pour cause le contrat de société liant les parties à la présente instance, son cours et son issue ne sont pas susceptibles d'avoir une influence sur la présente procédure. Cette demande de sursis à statuer est fondée sur le principe selon lequel le criminel tient le civil en l'état et sur l'article 3 du Code de procédure pénale. En l'espèce, il n'est pas démontré à ce stade que l'issue de la plainte pénale serait déterminant pour apprécier la demande en paiement à défaut d'incidence directe sur cette obligation soit d'un non-lieu ou d'une relaxe soit au contraire d'une condamnation définitive. Seuls des effets de nature civile très indirects apparaissant susceptibles d'intervenir à l'issue de la procédure pénale. Il n'y a donc pas lieu de surseoir à statuer à ce stade de la procédure, étant précisé que le Tribunal pourra ordonner une telle mesure si elle devait s'avérer ultérieurement nécessaire compte tenu des développements de la procédure pénale et des échanges d'écritures et de pièces dans la présente instance civile.
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
N° 2023/000381 (assignation du 30 mars 2023)
JUGEMENT DU 9 JANVIER 2025
En la cause de :
* m, a, j AA, née le jma à Beausoleil, de nationalité canadienne, retraitée, demeurant x1 à Monaco ;
DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
* jj AB, née le jma à Nice, de nationalité française, Cadre supérieur, demeurant x1 (75009 - France) ;
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Nathalie ALBO, avocat au Barreau de Marseille ;
d'autre part ;
En présence du :
* PROCUREUR GÉNÉRAL, près la Cour d'Appel, séant en son Parquet, Palais de Justice, 5 rue Colonel Bellando de Castro à Monaco ;
COMPARAISSANT EN PERSONNE,
Visa
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit de saisie-arrêt de titres nominatifs, d'assignation et d'injonction au tiers saisi du ministère de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 30 mars 2023, enregistré (n° 2023/000381) ;
Vu la déclaration originaire et le certificat d'identification des titres saisis de la société civile AD, tiers saisi, contenus dans ledit exploit ;
Vu les conclusions récapitulatives de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, au nom de m AA, en date du 7 novembre 2023 ;
Vu les conclusions du Ministère public en date du 15 avril 2024 ;
Vu les conclusions récapitulatives de Maître Christophe BALLERIO avocat-défenseur, au nom de jj AB en date du 17 mai 2024 ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 25 octobre 2024 ;
À l'audience publique du 31 octobre 2024, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 9 janvier 2025, par mise à disposition au Greffe.
Motifs
FAITS ET PROCÉDURE :
Par requête en date du 1er mars 2023, m AA a sollicité l'autorisation de saisir-arrêter de la totalité des parts sociales détenues par jj AB dans la SCP AD aux fins d'avoir sûreté, garantie et paiement de la somme de 500.000 euros, montant auquel elle a provisoirement évalué sa créance.
Au soutien de sa demande, elle a exposé pour l'essentiel que :
* par acte du 18 avril 2017, elle a constitué avec jj AB ladite société civile particulière dont le capital de 2.000 euros est constitué de 100 parts sociales ;
* elle en détient une part sociale et a été nommée gérante statutaire tandis que jj AB est propriétaire de 99 parts ;
* cette société a acquis un appartement de deux pièces et une cave situés x1 (9ème) ; cet appartement est occupé par jj AB ;
* pour procéder à cette acquisition la société a sollicité auprès de la banque AC un découvert bancaire à hauteur de 500.000 euros établi le 25 juillet 2017 ;
* m AA s'est, par acte du 25 juillet 2017, portée caution solidaire et indivisible du remboursement de la créance de la banque par la SCP AD ;
* par courrier en date du 7 juillet 2022, la banque a rappelé à m AA en sa qualité de gérante de la société que le concours présentait un solde débiteur de 500.876,02 euros soit un dépassement du solde de découvert autorisé et a mis en demeure la société de régulariser la situation sous huitaine ;
* par courrier recommandé avec accusé de réception du 11 juillet 2022, elle a indiqué à la banque sa volonté de dénoncer son obligation de caution à compter du 31 juillet 2022 ; elle a indiqué informer parallèlement jj AB afin de lui permettre de régulariser une garantie équivalente ou d'opérer le règlement des sommes dues par la société afin de lui permettre d'être dégagée de son engagement ;
* par courrier du 12 juillet 2022, elle a, en sa qualité de gérante de la société, notifié à jj AB, associée majoritaire, l'urgence de régulariser la situation en lui rappelant le courrier recommandé avec accusé de réception adressé le 9 novembre 2021, date à laquelle le compte de la société présentait déjà un solde critique ; elle a également adressé à jj AB le courrier qu'elle avait adressé à la banque pour dénoncer sa caution ;
* jj AB n'a pas répondu à cette mise en demeure malgré l'urgence de régulariser la situation de la société ;
* la banque a rendu immédiatement exigible le découvert et procédé à la réalisation de la garantie sur le gage des avoirs de m AA pour un montant de 501.063,99 euros tel que cela résulte d'un relevé bancaire du 29 juillet 2022 ;
* par courrier recommandé avec accusé de réception, m AA a mis en demeure la SCP AD d'avoir à lui rembourser cette somme sous huitaine ;
* aucun paiement n'a été effectué ;
* elle a alors convoqué les associés en assemblée générale extraordinaire afin d'envisager les modalités de règlement de cette dette ;
* l'assemblée générale s'est tenue le 2 décembre 2022 et jj AB a voté contre toutes les propositions ;
* étant subrogée dans les droits de la société, elle dispose d'une créance certaine, liquide et exigible ;
* jj AB est, en sa qualité d'associée à hauteur de 99 parts sociales, débitrice de la somme de 496.053,35 euros envers la caution ;
* l'actif social a été acquis pour la somme de 495.000 euros et elle est en conséquence fondée à saisir la totalité des parts sociales de jj AB dans la société.
Par ordonnance en date du 8 mars 2023, le Président du Tribunal de première instance a autorisé la saisie-arrêt des titres nominatifs de la SCP AD appartenant à jj AB pour avoir sûreté, garantie et paiement de la somme de 500.000 euros, sauf à parfaire ou diminuer.
Par l'exploit susvisé en date du 30 mars 2023, m AA a fait pratiquer la saisie-arrêt ainsi autorisée, le tiers-saisi a fait la déclaration prévue par la loi et indiqué que les parts sociales appartenant à jj AB étaient numérotées de 1 à 99. Cet exploit contenait également assignation à comparaître de jj AB à l'audience du 11 mai 2023 aux fins de :
« • s'entendre condamner Madame jj AB au paiement des causes de ladite saisie, à savoir la somme de CINQ CENT MILLE EUROS (500.000 euros), montant auquel est évalué provisoirement la créance en principal, intérêts, dommages et intérêts, frais et accessoires, sauf à parfaire ou diminuer ;
• s'entendre déclarer bonne, régulière et valable la présente saisie-arrêt de titres nominatifs pratiquée à l'encontre de Madame jj AB .
• s'entendre ordonner au débiteur d'effectuer, dans la huitaine de la signification du jugement à venir, la remise des titres ou certificats en tenant lieu entre les mains du Notaire qui sera désigné pour procéder ou faire procéder à la vente ;
• s'entendre autoriser cet Officier Public, pour le cas où le débiteur n'effectuerait pas la remise, à se faire remettre les titres ou certificats par le tiers-saisi, s'il en est détenteur, ou s'en faire délivrer des duplicata par les représentants des sociétés ou établissements ;
• s'entendre dire que la créance n'est pas contestable, et ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;
• s'entendre condamner Madame jj AB aux entiers dépens distraits au profit de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, sous son affirmation de droit. ».
Par conclusions en réponse en date du 7 novembre 2023, m AA demande au Tribunal de :
* • tenir pour intégralement répétés les termes de son exploit d'assignation du 30 mars 2023 ;
* • débouter jj AB de son exception d'incompétence ;
* • voir le Tribunal de céans se déclarer compétent pour connaître de la présente instance ;
* • débouter jj AB de sa demande de sursis à statuer ;
* • renvoyer la défenderesse à conclure au fond ;
* • condamner jj AB au paiement de la somme principale de 496.053,35 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 mars 2023 ;
* • la condamner au paiement d'une somme de 10.000 euros au titre des frais engagés et non compris dans les dépens, sur le fondement des dispositions de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
* • ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;
* • condamner jj AB aux dépens distraits au profit de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
À l'appui de ses prétentions, après avoir repris les termes de sa requête aux fins de saisie-arrêt, elle a argué pour l'essentiel que :
* • la présente juridiction est compétente pour connaître de la validité de la mesure conservatoire pratiquée sur les parts sociales par application des dispositions de l'article 6-7° du Code de droit international privé malgré le domicile en France de jj AB ;
* • sur la compétence au fond, elle l'est en application des dispositions des articles 6-2°, 6-5° et 8 dudit Code puisque le litige a pour origine le contrat de société la liant à jj AB, que le contrat de société contient une clause attributive de compétence aux juridictions monégasques en son article 18 et que de surcroît la réclamation a pour origine un prêt consenti à la société par une banque monégasque, ce concours bancaire contenant lui aussi une clause attributive de compétence en faveur des tribunaux monégasques, l'acte de caution adossé au concours bancaire étant soumis aux mêmes règles de compétence ;
* • jj AB fait état d'une plainte avec constitution de partie civile déposée par m AA dirigée notamment contre la défenderesse pour abus de faiblesse et la SCP AD pour falsification de chèques, or, la demande en paiement dirigée contre son associée est indépendante de cette plainte et de l'instruction en cours ; la créance est née après l'ouverture de l'instruction ; la plainte n'a pas le même objet ; elle est subrogée dans les droits de la banque ainsi que l'énonce l'article 1968 du Code civil ; en vertu de l'article 1701 de ce Code, elle dispose d'un recours contre les associés de la SCP AD ; jj AB doit répondre personnellement de la dette en proportion de sa part du capital social ; quant à la plainte pour falsification de chèques elle vise une personne morale non partie à l'instance et porte sur des circonstances insusceptibles d'avoir des conséquences sur la présente instance ;
* • la défenderesse doit être condamnée au paiement de la somme de 10.000 euros au titre des frais non compris dans les dépens ;
• l'exécution provisoire est nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire.
Par conclusions n° 2 en date du 17 mai 2024, jj AB sollicite du Tribunal de :
« IN LIMINE LITIS, À TITRE PRINCIPAL ET AVANT DIRE DROIT
SE DÉCLARER INCOMPÉTENT au profit des juridictions françaises.
IN LIMINE LITIS, À TITRE SUBSIDIAIRE ET AVANT DIRE DROIT
ORDONNER un sursis à statuer dans l'attente d'une décision de justice définitive dans le cadre de l'instruction en cours par le Juge d'instruction Monsieur Franck VOUAUX sous le numéro JI n° CAB2 – 2021/000028
À TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE,
AUTORISER jj AB à conclure au fond si par extraordinaire le tribunal se déclarait compétent et/ou refusait d'ordonner le sursis à statuer
EN TOUT ETAT DE CAUSE
CONDAMNER m AA à verser la somme de 10.000 euros à jj AB au titre de l'article 238-1 du Code de procédure civile.
CONDAMNER m AA aux entiers distraits au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation. ».
Au soutien de ces demandes, elle a, pour l'essentiel fait valoir que :
* • les parties ont entretenu des relations amicales très fortes dans le cadre des liens unissant m AA à la famille AB depuis 2011 ; elle a rencontré m AA en 2013 ;
* • après avoir consulté différents conseils, m AA lui a exposé un projet d'acquisition d'un appartement par le biais d'une société civile particulière monégasque ;
* • le 18 avril 2017, elle a constitué avec m AA, la SCP AD au capital social de 2.000 euros divisé en 100 parts sociales et détenu à hauteur de 99 parts par jj AB et 1 part par m AA qui a été nommée gérante statutaire ;
* • l'assemblée générale de la société du 21 juillet 2017 a autorisé la gérante à souscrire un concours auprès de la banque AC consistant en une autorisation de découvert de 500.000 euros sur le compte de la société ;
* • le 25 juillet 2017, la banque a accordé ce concours garanti par un acte de caution solidaire et indivisible de m AA ;
* • la société a acquis un appartement à Paris au prix de 495.000 euros ;
* • le 7 juillet 2022, la banque a informé la société et m AA par courriel et courrier recommandé avec accusé de réception que le concours était utilisé à hauteur de 500.876,02 euros soit un dépassement du découvert autorisé ; la banque a mis en demeure la société de régulariser la situation sous huitaine ;
* • à compter du mois de janvier 2021, m AA en charge de la gestion de la société et destinataire des courriers de la banque en qualité de gérante ne lui a plus transmis ni relevés de compte ni les renseignements à ce sujet ;
* • le 11 juillet 2022, m AA a dénoncé de manière précipitée son engagement de caution auprès de la banque sans l'en informer ;
* • ce n'est que par courrier recommandé avec accusé de réception du 12 juillet 2022 posté le 13 juillet 2022 que m AA agissant en qualité de gérante l'a informée de la situation financière de la SCP AD ; elle ne l'a reçu que le 19 juillet 2022 ;
* • m AA a volontairement tardé à l'informer de ce dépassement de découvert pour un montant dérisoire de 876,02 euros sur 500.000 euros ; m AA, outre le fait de dénoncer sa caution, l'a mise dans l'impossibilité de régulariser la situation dans les temps ; dès qu'elle a eu connaissance de la situation, elle a opéré un virement de 2.000 euros sur le compte de la société ;
* • à défaut de régularisation, la banque a dénoncé le concours et réalisé la garantie de m AA ;
* • le 5 août 2022, m AA a mis en demeure la société de lui régler la somme de 501.063,99 euros sous huitaine ; lors de l'assemblée générale de la société du 2 décembre 2022, aucun accord n'a pu être trouvé ;
* • la juridiction n'est pas compétente eu égard aux dispositions de l'article 4 du Code de droit international privé du fait de son domicile en France ; elle n'a aucun domicile à Monaco ; seules les juridictions françaises, lieu de sa domiciliation sont compétentes ;
* • à titre subsidiaire, il devra être ordonné un sursis à statuer ; la présente procédure fait partie d'un contentieux plus global opposant m AA à jj AB, k AB, l J-AB et g AB qui a engendré de nombreuses procédures devant les juridictions françaises et monégasques tant civiles que pénales ;
* • le 8 novembre 2021 une plainte avec constitution de partie-civile a été déposée à Monaco notamment contre elle des chefs d'abus de faiblesse et falsification de chèques ; une procédure d'instruction est en cours ; elle est convoquée le 13 juin 2024 devant le Juge d'instruction, son frère et ses parents le sont aussi ;
* • selon les propres termes de m AA la plainte pour abus de faiblesse trouve sa cause dans le contrat de société ; or, la présente instance porte précisément sur les modalités d'exécution du contrat de société ; cette instruction et son issue sont susceptibles d'influencer la solution du présent litige puisqu'elle permettra de faire la lumière sur les éléments de contexte de l'acquisition de l'appartement et les relations particulières qu'entretenaient les parties ; il est significatif que la demanderesse n'ait pas mentionné cette plainte dans la présente instance et n'ait pas produit l'accusé de réception de son courrier qu'elle a prétendu avoir adressé le 12 juillet 2022 ;
* • devant le Tribunal judiciaire de Nice, m AA a fait état de cette plainte et de son caractère essentiel pour comprendre le contexte du litige ;
* • le sursis à statuer doit être ordonné en application du principe selon lequel le criminel tient le civil en l'état ; l'instruction pénale est susceptible d'avoir une incidence directe sur l'appréciation et la qualification des faits de l'espèce, l'acquisition de l'appartement et la gestion de la société par sa gérante m AA.
Par conclusions en date du 15 avril 2024, le Procureur Général a conclu à la compétence des juridictions monégasques pour statuer sur la validité de la saisie-arrêt et sur la demande de condamnation au paiement et ce, en application des dispositions de l'article 6 points 7 et 2 du Code de droit international privé.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 octobre 2024 et l'affaire fixée à plaider à l'audience du 31 octobre 2024 lors de laquelle les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries puis ont déposé leurs dossiers et l'affaire a été mise en délibéré au 9 janvier 2025.
SUR CE,
* Sur la compétence de la juridiction
Pour apprécier cette compétence eu égard au domicile à l'étranger de jj AB, défenderesse, il convient de vérifier si ce Tribunal est compétent à la fois pour connaître de la demande de validation de la mesure conservatoire de saisie-arrêt des parts sociales de la SCP AD autorisée par ordonnance du Président de ce Tribunal en date du 8 mars 2023 puis s'il l'est également pour statuer sur le fond du litige et par conséquent sur la créance alléguée par m AA.
En ce qui concerne la compétence relative à la validation de la saisie-arrêt il y a lieu de se référer aux dispositions de l'article 6 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 portant création du Code de droit international privé et plus précisément à son point 7 qui dispose que :
« Les tribunaux de la Principauté sont également compétents, quel que soit le domicile du défendeur : (…)
7. en matière d'exécution, de validité ou de mainlevée de saisies-arrêts formées dans la Principauté, et généralement de toutes demandes ayant pour objet des mesures provisoires ou conservatoires, même si les juridictions monégasques ne sont pas compétentes pour connaître des actions ayant pour objet le fond ; (…) ».
En l'espèce, il est constant que ladite saisie-arrêt, qui est une mesure conservatoire, a été formée dans la Principauté de Monaco s'agissant d'une saisie-arrêt de parts sociales détenues par une société civile particulière de droit monégasque à savoir la SCP AD dont le siège social est sis x2 à Monaco pratiquée suivant exploit de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 30 mars 2023.
En conséquence, ce Tribunal est bien compétent pour statuer sur la validité de cette mesure conservatoire.
Pour ce qui concerne la compétence pour connaître du fond du litige, ce Tribunal est également compétent pour en connaître en application des dispositions de l'article 6 point 2 et 6 et point 5 du Code de droit international privé susvisé puisque ces points prévoient la compétence des tribunaux de la Principauté quel que soit le domicile du défendeur :
« (…) 2. en matière contractuelle, lorsque la chose a été ou doit être livrée ou la prestation de services exécutée dans la Principauté. (…)
5. en matière de société, jusqu'à la liquidation définitive, si la société a son siège social dans la Principauté ; ».
Dans le présent litige, il est constant que la créance alléguée est la conséquence du contrat de société conclu entre m AA et jj AB et de la souscription par la société d'un découvert bancaire auprès d'une banque monégasque à savoir la banque AC assorti d'un cautionnement donné en Principauté par m AA pour la bonne exécution de ce concours bancaire par la SCP AD.
La compétence de ce Tribunal a également été prévue dans l'article 18 des statuts de la SCP AD qui prévoit que « Toutes les contestations qui peuvent s'élever entre associés au sujet des affaires sociales, pendant le cours de la Société ou de sa liquidation, sont jugées conformément à la loi et soumis à la juridiction du Tribunal Civil de Monaco (…) ».
De plus le concours de ligne de découvert multi devises émis par la banque le 25 juillet 2017 mentionne que « Le présent acte sera régi par le droit monégasque. Toute contestation relative à la validité, l'interprétation ou l'exécution des présentes sera de la compétence des tribunaux monégasques. ».
Ce document a été signé par m AA tant en sa qualité de représentante légale de la SCP AD que de caution et est par conséquent opposable à la SCP AD et à ses associés qui ont approuvé sa signature par assemblée générale extraordinaire du 21 juillet 2017 visant expressément ce concours et ce cautionnement et lors de laquelle jj AB était présente et a signé le procès-verbal.
L'article 8 du Code de droit international privé édicte que :
« Lorsque les parties, dans une matière où elles peuvent disposer librement de leurs droits en vertu du droit monégasque, sont convenues de la compétence des tribunaux de la Principauté pour connaître des litiges nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit, ces juridictions sont seules compétentes, sous réserve que le litige présente un lien suffisant avec la Principauté.
L'élection de for est formulée par écrit ou par tout autre moyen de communication permettant d'en établir la preuve par un texte.
Elle n'est opposable qu'à la partie qui en a eu connaissance et qui l'a acceptée au moment de la formation du contrat. ».
En acceptant que la SCP AD souscrive ledit concours, jj AB en a accepté les termes et conditions qui lui sont dès lors opposables.
Dès lors, jj AB sera déboutée de son exception d'incompétence.
* Sur la demande de sursis à statuer
jj AB fonde sa demande de sursis à statuer sur la plainte avec constitution de partie-civile déposée par m AA notamment à son encontre du chef d'abus de faiblesse tandis que la demanderesse s'oppose à cette demande en estimant que si la plainte a pour cause le contrat de société liant les parties à la présente instance, son cours et son issue ne sont pas susceptibles d'avoir une influence sur la présente procédure.
Cette demande de sursis à statuer est fondée sur le principe selon lequel le criminel tient le civil en l'état et sur l'article 3 du Code de procédure pénale qui dispose que :
« L'action civile peut être poursuivie en même temps et devant les mêmes juges que l'action publique.
Elle peut aussi être poursuivie séparément : dans ce cas, l'exercice en est suspendu tant qu'il n'a pas été statué définitivement sur l'action publique intentée avant ou pendant la poursuite de l'action civile. ».
En l'espèce, s'il est établi qu'une plainte a bien été déposée des chefs d'abus de faiblesse et falsification de chèques notamment contre jj AB et est en cours d'instruction, jj AB ayant été convoquée devant le Juge d'instruction le 13 juin 2024, elle n'est pas produite en sorte que le Tribunal en ignore le contenu exact.
Si l'instruction menée du chef du délit d'abus frauduleux de l'état de vulnérabilité ou de l'état de dépendance pourrait permettre de connaître les circonstances dans lesquelles m AA et jj AB ont été amenées à avoir des relations contractuelles au travers notamment de la création de la SCP AD, il n'est pas établi à ce stade et eu égard aux éléments dont le Tribunal dispose que le sort qui y sera réservé et ses suites sont susceptibles d'avoir une influence sur le présent litige.
En effet, au vu des échanges d'écritures entre les parties et des pièces produites à ce jour alors que l'affaire n'a été fixée à plaider que sur les exceptions, le litige à la base de la présente procédure concerne l'obligation à paiement de jj AB - en sa qualité d'associée à 99 % de la SCP AD - envers m AA qui a réglé - en sa qualité de caution solidaire des engagements de cette société - le montant du concours bancaire rendu exigible à la suite de son dépassement en lieu et place de la société en sorte qu'elle se trouverait subrogée dans les droits de la banque envers la SCP AD et partant envers ses associés tenus aux dettes de la personne morale s'agissant d'une société civile particulière.
En conséquence, il n'est pas démontré à ce stade que l'issue de la plainte pénale serait déterminant pour apprécier la demande en paiement à défaut d'incidence directe sur cette obligation soit d'un non-lieu ou d'une relaxe soit au contraire d'une condamnation définitive. Seuls des effets de nature civile très indirects apparaissant susceptibles d'intervenir à l'issue de la procédure pénale.
Il n'y a donc pas lieu de surseoir à statuer à ce stade de la procédure, étant précisé que le Tribunal pourra ordonner une telle mesure si elle devait s'avérer ultérieurement nécessaire compte tenu des développements de la procédure pénale et des échanges d'écritures et de pièces dans la présente instance civile.
jj AB sera déboutée de sa demande de ce chef.
* Sur les autres demandes
Le présent jugement ne statuant que sur les exceptions, les autres demandes des parties basées notamment sur les dispositions de l'article 238-1 du Code de procédure civile et d'exécution provisoire seront réservées en fin de cause, de même que les dépens.
Il convient de renvoyer la cause et les parties à l'audience du JEUDI 20 MARS 2025 à 9 heures pour les conclusions au fond de jj AB.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire, avant-dire-droit au fond et en premier ressort,
Déboute jj AB de son exception d'incompétence ;
Se déclare compétent pour statuer sur la validité de la mesure conservatoire de saisie-arrêt de titres nominatifs et sur le fond du litige ;
Déboute jj AB de sa demande de sursis à statuer ;
Dit n'y avoir lieu, en l'état, de surseoir à statuer et renvoie la cause et les parties à l'audience du JEUDI 20 MARS 2025 à 9 heures pour les conclusions au fond de jj AB ;
Réserve en fin de cause l'examen du surplus des demandes des parties ;
Réserve les dépens en fin de cause ;
Composition
Après débats en audience du Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement,
Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 9 JANVIER 2025, par Madame Evelyne HUSSON, Vice-Président, Madame Alexia BRIANTI, Premier Juge, Madame Aline BROUSSE, Premier Juge, assistées, de Madame Christèle SETTINIERI, Greffier, en présence du Ministère public.
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