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11/04/2024 | MONACO | N°30485

Monaco | Tribunal de première instance, 11 avril 2024, v. A. c/ a. B. et la SARL C.


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LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 30 mars 2022, enregistré (n° 2022/000403) ;

Vu le jugement avant-dire-droit de ce Tribunal en date du 29 juin 2023 ayant notamment renvoyé la cause et les parties à l'audience du jeudi 13 juillet 2023 pour éventuelle jonction avec l'instance enrôlée sous le n°2017/000083, et conclusions de v. A. sur ses demandes recevables ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de v. A., en date du 30 novembre 2023 ;r>
Vu les conclusions récapitulatives de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, au nom...

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LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 30 mars 2022, enregistré (n° 2022/000403) ;

Vu le jugement avant-dire-droit de ce Tribunal en date du 29 juin 2023 ayant notamment renvoyé la cause et les parties à l'audience du jeudi 13 juillet 2023 pour éventuelle jonction avec l'instance enrôlée sous le n°2017/000083, et conclusions de v. A. sur ses demandes recevables ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de v. A., en date du 30 novembre 2023 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, au nom d'a. B. et de la SARL C., en date du 24 janvier 2024 ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 2 février 2024 ;

À l'audience publique du 8 février 2024, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 11 avril 2024, par mise à disposition au Greffe ;

Motifs

FAITS ET PROCÉDURE :

Par l'exploit susvisé du 30 mars 2022, v. A. a fait assigner devant ce Tribunal a. B. et la SARL C. aux fins de voir :

À titre liminaire,

* Ordonner la jonction de la présente instance avec celle enregistrée sous le n°2017/000083,

Au fond,

* Prendre connaissance du dossier pénal JI n°CAB2-2016/000024,

En conséquence,

* Condamner solidairement a. B. et la SARL C. à lui payer la somme de 123.155,41 euros au titre de son préjudice matériel,

* Condamner solidairement a. B. et la SARL C. à lui payer la somme de 550.000 euros au titre de son préjudice moral,

En tout état de cause,

* Condamner solidairement a. B. et la SARL C. aux entiers dépens au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Par jugement avant-dire-droit du 29 juin 2023, ce Tribunal a :

* Déclaré irrecevables comme prescrites les demandes formées contre la SARL C. fondées sur la responsabilité contractuelle de celle-ci ;

* Déclaré en revanche recevables puisque non prescrites les demandes formées contre a. B. sur la base de sa responsabilité délictuelle et celles formées contre la SARL C. en sa qualité de commettant d'a. B. ;

* Réservé le surplus des demandes des parties ;

* Renvoyé la cause et les parties à l'audience du jeudi 13 juillet 2023 à 9 heures pour éventuelle jonction avec l'instance enrôlée sous le n°2017/000083, et conclusions de v. A. sur ses demandes recevables ;

* Réservé les dépens en fin de cause.

Dans ses conclusions récapitulatives en date du 30 novembre 2023, v. A. sollicite de voir :

À titre liminaire,

* Ordonner la jonction de la présente instance avec celle enregistrée sous le n° 2017/000083 et partant ;

* Rejeter la demande formée par a. B. et la SARL C. de débouté de sa demande de jonction ;

Au fond,

À titre principal,

* Condamner a. B. à lui payer la somme de 150.000 euros au titre de son préjudice matériel à parfaire, avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir ;

* Condamner a. B. à lui payer la somme de 550.000 euros au titre de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir ;

À titre subsidiaire,

* Condamner la SARL C. à lui payer la somme de 150.000 euros au titre de son préjudice matériel à parfaire, avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir ;

* Condamner la SARL C. à lui payer la somme de 550.000 euros au titre de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir ;

Sur la demande d'indemnisation d'a. B. :

* Débouter a. B. de sa demande d'indemnisation pour la prétendue faute qu'il aurait commise concernant la mention dans ses précédentes conclusions de la condamnation amnistiée de celle-ci ;

En tout état de cause,

* Débouter a. B. et la SARL C. de l'ensemble de leurs demandes, y compris celle fondée sur l'article 238-1 du Code de procédure civile ;

* Condamner solidairement a. B. et la SARL C. aux entiers dépens au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation

* Ordonner l'exécution provisoire.

Dans leurs conclusions récapitulatives du 24 janvier 2024, a. B. et la SARL C. sollicitent :

Avant-dire-droit,

* Débouter Monsieur A. de sa demande de jonction d'instances ;

* Leur donner acte qu'elles se réservent le droit de conclure sur le fond pour faire valoir le reste de leurs arguments ;

À titre principal,

* Débouter Monsieur A. de sa demande de condamnation de la SARL C. sur le fondement de la responsabilité délictuelle en sa qualité de commettant, eu égard au principe de non-cumul des responsabilités contractuelles et délictuelles ;

* Débouter Monsieur A. de sa demande de condamnation de Madame B. sur le fondement de la responsabilité délictuelle eu égard à l'absence de démonstration d'une cause de déchéance de son immunité ;

À titre subsidiaire,

* Débouter Monsieur A. de sa demande de dommage et intérêts à l'encontre de la SARL C. ;

* Débouter Monsieur A. de sa demande de dommage et intérêts à l'encontre de Madame B. ;

* Condamner Monsieur A. à payer à Madame B. la somme de 5.000 € au titre de la faute commise en faisant mention dans ses conclusions de la condamnation amnistiée de Madame B. ;

En tout état de cause,

* Condamner Monsieur A. aux entiers dépens ;

* Condamner Monsieur A. à verser à la SARL C. la somme de 10.000 euros au titre de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;

* Condamner Monsieur A. à verser à Madame B. la somme de 10.000 euros au titre de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;

* Ecarter l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 février 2024, fixant l'affaire à plaider au 8 février 2024. Suite aux plaidoiries des conseils des parties, l'affaire a été mise en délibéré au 11 avril 2024.

SUR CE

* Sur la demande aux fins de jonction des procédures 2017/000083 et 2022/000403

Il est de principe constant que la jonction de deux instances peut être ordonnée dans le cadre d'une bonne administration de la justice.

v. A. explique que l'offre établie et signée par a. B. en violation de ses droits est à l'origine de la procédure enrôlée sous le numéro 2017/000083, de la procédure pénale subséquente et de la présente action en responsabilité.

Il estime ainsi que les deux actions sont connexes et que leur jonction participera à une bonne administration de la justice, l'enchainement d'évènements indissociables ayant abouti aux mêmes dommages matériel et moral, l'absence de jonction des deux instances risquant d'aboutir à une contrariété de décisions et au défaut de sa pleine indemnisation.

Il précise que chaque défenderesse a commis une faute distincte dont il a eu connaissance de manière décalée dans le temps, justifiant que soient initiées deux instances à des moments distincts sans que la jonction ne soit susceptible de retarder l'une ou l'autre instance.

Les défenderesses, s'opposant à la demande de jonction, font valoir que les deux instances n'ont pas la même cause, Monsieur A. ne reprochant ni les mêmes fautes ni les mêmes dommages aux trois défendeurs.

Elles ajoutent que l'assignation délivrée le 30 mars 2022 en la présente instance a pour vocation de contourner les dispositions des articles 383 et suivants du Code de procédure civile monégasque relatifs aux demandes d'intervention en ce qu'une telle demande présentée en 2023 alors que l'instance avait débuté en 2016 serait apparue tardive et irrecevable.

La procédure diligentée par v. A. en la présente instance vise, à titre principal, à la condamnation d'a. B. pour des fautes engageant sa responsabilité civile délictuelle, en falsifiant sa signature sur une offre d'achat et, à titre subsidiaire, à la condamnation de la SARL C. du chef de la responsabilité civile du commettant du fait de son préposé.

L'action de v. A. dans la procédure enregistrée sous le numéro 2017/000083 tend à la condamnation d'e. D. pour les préjudices matériel et moral qu'il estime avoir subis du fait de la procédure abusivement engagée à son encontre par e. D., estimant que les frais et tracas causés par les procédures civiles et pénales auxquelles il a dû participer représentent un dommage directement causé par la faute commise par ce dernier.

Compte tenu de la différence quant à la nature des actions ainsi engagées, quand bien même elles trouveraient leur origine dans des faits communs, et quant aux parties en cause, la jonction n'apparaît pas conforme à une bonne administration de la justice.

v. A. sera en conséquence débouté de sa demande de jonction.

* Sur la demande principale de v. A. aux fins de condamnation d'a. B.

v. A. recherche la responsabilité civile d'a. B. sur le fondement de l'article 1229 du Code civil, au motif que celle-ci, telle que cela a été retenue par la juridiction répressive, a falsifié sa signature sur une offre d'achat d'un appartement d'un montant de 5 millions d'euros, l'intéressée ne démontrant pas avoir reçu pour instruction de signer l'offre à sa place.

Il considère qu'elle a ainsi commis une faute caractérisée ou, a minima une négligence grave, en dehors du cadre contractuel et de ses missions, ses agissements étant détachables du mandat donné par Monsieur A. et ne s'inscrivant pas dans le cadre de l'exécution de celui-ci.

Il précise qu'il ne peut être considéré que la seule existence d'un contrat entre Monsieur A. et la SARL C. suffirait à empêcher d'invoquer la responsabilité délictuelle d'un de ses salariés ou, à titre subsidiaire, la responsabilité du commettant, une telle interprétation revenant à dénier l'accès effectif à un juge, en contravention avec l'article 6§1 de la CEDH.

Il estime son préjudice matériel à la somme de 150.000 euros compte tenu des honoraires d'expert graphologue et des frais exposés pour sa défense suite aux agissements d'a. B., dans le cadre de la présente instance ainsi que des suites de l'instance engagée par la SARL E., depuis six ans.

Il expose avoir également subi un préjudice moral considérable du fait de l'ensemble desdites procédures, alors que sa santé est fortement amoindrie par la maladie.

Le demandeur ajoute enfin qu'a. B. ne peut invoquer aucune immunité en qualité de préposée, en ce qu'elle s'est rendue coupable d'une faute personnelle susceptible d'être pénalement sanctionnée et, à tout le moins, a commis ces faits alors qu'elle bénéficiait dans l'exercice de sa profession d'une forte autonomie, s'agissant d'une initiative purement personnelle de celle-ci, en dehors de toute instruction de son employeur, utilisant la forte autonomie dont elle disposait.

Les défenderesses font valoir quant à elles en premier lieu qu'il est impossible pour le demandeur de rechercher la responsabilité civile personnelle d'un préposé sans déchéance de son immunité alors qu'a. B. n'a pas excédé les limites de la mission qui lui était impartie puisque c'est dans le cadre de ses fonctions qu'elle a trouvé les moyens de commettre la faute reprochée et que le Tribunal correctionnel a prononcé sa relaxe des chefs de faux et usage de faux, aucune faute civile intentionnelle ne pouvant être retenue à son encontre. Elles précisent que Madame B. ne bénéficiait pas d'une très forte autonomie dans l'exercice de ses fonctions au jour de la signature de l'offre d'achat litigieuse, ayant au contraire subi le manque de contrôle et d'effectif au sein de la SARL C..

Elles ajoutent en second lieu qu'a. B. a signé l'offre d'achat sur ordre de Monsieur A., qu'elle n'avait aucun intérêt financier personnel à ce qu'une vente intervienne entre Monsieur A. et la SARL E., n'a aucunement cherché à imiter la signature de son client et n'a jamais caché qu'elle était la « scriptrice » de l'offre d'achat.

Elles soutiennent en dernier lieu qu'il n'y a pas de lien de causalité entre la faute et les dommages allégués par le demandeur, lesquels ne sont pas démontrés.

L'article 1229 du Code civil dispose que « tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ».

Selon les dispositions de l'article 1230 « chacun est responsable du dommage qu'il a causé, non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ».

Enfin, aux termes de l'article 1231 du même Code, « on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde. (…)

Les maîtres et les commettants sont responsables du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ».

Ce dernier texte pose ainsi un principe de responsabilité du fait d'autrui du commettant pour son préposé à partir du moment où il y a un lien de préposition et que le dommage a été causé dans les fonctions, c'est-à-dire que l'employé ne doit pas avoir agi « hors de ses fonctions ».

Ainsi, il doit être retenu que le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui est impartie par son commettant n'engage pas sa responsabilité à l'égard des tiers, hors le cas où le préjudice de la victime résulte d'une infraction pénale ou d'une faute intentionnelle.

Lorsque le juge pénal saisi d'une infraction intentionnelle acquitte l'inculpé en constatant le défaut d'intention, le juge civil ne peut plus affirmer que la personne acquittée a commis délibérément le fait reproché. Toutefois, le juge chargé de statuer sur les intérêts civils peut, sans contredire l'autorité de la chose jugée au pénal, décider que la personne acquittée a commis une faute intentionnelle, dès lors que les faits retenus sont différents de ceux pour lesquels cette même personne a été acquittée ou estimer que le même fait, s'il ne constitue pas une faute intentionnelle, n'en demeure pas moins une faute d'imprudence entraînant des conséquences civiles pour son auteur.

En l'espèce, il est constant qu'a. B. était employée à l'époque des faits par la SARL C. en qualité de négociatrice immobilière, le lien de préposition entre ces deux défenderesses n'étant pas contesté.

En outre, a. B. a été définitivement relaxée par la juridiction pénale des chefs de faux et usage de faux pour lesquels elle était renvoyée, faute d'élément intentionnel.

Ce Tribunal ne peut donc, sans contredire l'autorité de la chose jugée au pénal, retenir qu'en signant l'offre d'achat litigieuse en lieu et place de v. A., a. B. aurait commis une faute intentionnelle, les faits reprochés en l'espèce étant identiques à ceux pour lesquels elle a bénéficié d'une relaxe par le Tribunal correctionnel.

Il ne peut en conséquence être retenu que le préjudice de la victime résulterait d'une infraction pénale ou d'une faute intentionnelle.

Il convient donc d'établir, pour retenir la responsabilité recherchée d'a. B., qu'elle aurait agi hors des limites de la mission qui lui était impartie par son commettant.

S'il peut être retenu qu'a. B. a commis une faute d'imprudence en signant cette offre en lieu et place de v. A. sans obtenir d'écrit de sa part l'autorisant à le faire et sans indiquer qu'elle signait pour son compte tel qu'elle le soutient, il s'agit de déterminer si celle-ci a agi dans les fonctions dans lesquelles elle était employée ou si elle a commis un abus de fonctions.

L'abus de fonctions est constitué lorsque trois conditions sont réunies : le préposé doit avoir agi hors de ses fonctions, à des fins étrangères à ses attributions et sans autorisation du commettant, ces trois conditions étant cumulatives.

S'agissant en premier lieu de la condition tenant à l'autorisation du commettant, il n'est ni établi ni même allégué qu'a. B. aurait agi, dans le cadre des faits reprochés, avec l'autorisation de la SARL C. en sa qualité de commettant. Cette première condition est donc établie.

Concernant, en second lieu, la condition relative au caractère étranger aux attributions de l'acte litigieux, le préposé doit avoir poursuivi la satisfaction de son intérêt personnel (ou en tout cas d'un intérêt autre que celui de son commettant). Or, ce n'est pas le cas en l'espèce, l'absence d'intérêt personnel d'a. B. constituant l'un des motifs de sa relaxe. Cette seconde condition n'est ainsi pas établie.

Enfin, en dernier lieu, le préposé doit s'être placé hors de ses fonctions. Ainsi, un préposé, qui trouve dans l'exercice de sa profession, sur son lieu de travail et pendant son temps de travail, les moyens de sa faute et l'occasion de la commettre, n'agit pas en dehors de ses fonctions. En l'espèce, il ne peut être retenu qu'a. B. ait agi en dehors de ses fonctions, les faits litigieux ayant été commis dans le cadre de l'exercice de sa profession d'agent immobilier, sur son lieu de travail et pendant son temps de travail.

Les conditions relatives à l'abus de fonctions permettant de retenir la responsabilité personnelle du préposé ne sont donc pas réunies en l'espèce de sorte que les demandes de v. A. à l'encontre d'a. B. seront rejetées.

* Sur la demande subsidiaire de v. A. aux fins de condamnation de la SARL C.

Le demandeur recherche à titre subsidiaire la responsabilité de la SARL C. en qualité de commettant, du fait de sa préposée a. B., sur le fondement de l'article 1231 du Code civil.

Il fait valoir qu'en l'état du lien de préposition entre les défenderesses, la responsabilité de l'agence immobilière est engagée indépendamment de toute faute personnelle de sa part.

Il ajoute qu'a. B. a trouvé dans l'exercice de ses fonctions l'occasion et les moyens de ses fautes, lesdites fonctions ayant donné l'illusion à la SARL E. de la légitimité de cette offre, l'ayant conduit à initier à son encontre la procédure civile l'ayant préjudicié.

Il en conclut que les dommages qu'il a subis sont directement liés aux fonctions d'a. B. et aux fautes commises par cette dernière lors de l'exercice de celles-ci, ce qui n'a été possible que grâce aux moyens donnés par son employeur.

v. A. fait enfin valoir que le principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle ne peut s'opposer à la mise en jeu d'un régime de responsabilité distinct dès lors que les conditions de mise en oeuvre en sont réunies, la responsabilité objective du commettant du fait de son employé pouvant être mise en jeu même en présence d'un contrat et alors que les conditions de la responsabilité contractuelle ne sont pas réunies.

Les défenderesses soutiennent quant à elles l'impossibilité pour le demandeur de rechercher la responsabilité délictuelle de la SARL C. en présence d'une relation de nature contractuelle entre les parties en l'état du principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle.

Elles font valoir que v. A. et la SARL C. avaient des relations d'ordre contractuel dans le cadre de l'activité de transaction immobilière de cette société, v. A. s'étant prévalu de cette relation contractuelle, ayant initialement sollicité la condamnation de la société sur le fondement de la responsabilité contractuelle avant que cette demande soit déclarée irrecevable car prescrite par le jugement du 29 juin 2023.

Elles précisent qu'a. B. a signé l'offre litigieuse exclusivement dans le cadre de l'exécution du mandat qui avait été confié par Monsieur A., aucun fait distinct à l'exécution du mandat n'étant invoqué par Monsieur A. pour permettre d'engager la responsabilité délictuelle de la SARL C..

Toutefois, en premier lieu, il n'est aucunement établi qu'un mandat ait été conclu entre la SARL C. et v. A. relativement à l'achat de l'appartement litigieux.

En second lieu et en tout état de cause, même si le demandeur était effectivement le créancier d'une obligation contractuelle, il peut se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle pour demander la réparation du préjudice résultant d'un fait distinct, commis par un salarié de ce dernier lorsque le préjudice n'est pas imputable à l'inexécution ou la mauvaise exécution du contrat, mais exclusivement aux agissements délictueux distincts du salarié commis dans le cadre de ses fonctions, tel que c'est le cas en l'espèce.

Ainsi, la règle de non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle ne s'oppose donc pas à ce que v. A. recherche en l'espèce la responsabilité délictuelle de la SARL C. sur le fondement de l'article 1231 du Code civil.

La responsabilité du commettant du fait du préposé est prévue par l'article 1231 du Code civil précité et repose sur trois conditions, s'agissant de l'existence d'un lien de préposition, d'un fait dommageable du préposé et du rattachement du fait dommageable au rapport de préposition.

En l'espèce, le lien de préposition ne pose pas question en ce qu'il est établi et non contesté.

Le fait dommageable est la signature apposée par a. B., en sa qualité de préposée de la SARL C., en lieu et place de v. A., sur une offre d'achat d'un bien immobilier d'un montant de 5 millions d'euros.

Il s'agit à tout le moins d'une faute d'imprudence de la part de l'intéressée, laquelle a reconnu dans le cadre de la procédure pénale qu'elle n'aurait pas dû commettre cet acte en ce qu'elle ne disposait d'aucun mandat écrit de son client pour le faire.

Le dommage en étant résulté pour v. A. est le fait d'avoir été attrait en justice par la société venderesse du bien immobilier objet de l'offre litigieuse afin d'obtenir paiement du montant d'acompte de 500.000 euros en exécution de l'offre d'achat litigieuse.

Tel que cela a été précédemment développé, le commettant ne s'exonère de sa responsabilité que s'il prouve, de manière cumulative, que son préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation, et à des fins étrangères à ses fonctions.

Or, il a été préalablement démontré et retenu qu'a. B. avait agi dans le cadre de ses fonctions et que l'abus de fonction n'était pas établi.

Dès lors la SARL C. doit être déclarée civilement responsable des agissements dommageables de sa préposée et condamnée à indemniser le préjudice de la victime dont il convient de fixer le quantum.

v. A. fait état d'un préjudice matériel, qu'il estime à la somme de 150.000 euros du fait des honoraires réglés dans le cadre des trois procédures judiciaires liées à cette affaire. Il évoque également un préjudice moral d'un montant de 550.000 euros, du fait de ces tracas judiciaires, invoquant des problèmes de santé graves.

Il produit notamment une attestation du cabinet F. qui le représente, en date du 28 novembre 2023, indiquant avoir « facturé des honoraires à v. A. pour les diligences rendues nécessaires en suite de l'offre d'achat émise par Madame B. pour un montant excédant 150.000 euros dont frais et débours pour la période courant du 1er juillet 2016 au 31 octobre 2023 ».

Les défenderesses contestent quant à elle le lien de causalité entre les dommages et la faute alléguée.

Il est établi que, du fait de la faute commise par a. B., en qualité de préposée de la SARL C., s'étant engagée pour l'achat d'un appartement en lieu et place de v. A. sans preuve d'instruction de sa part, ce dernier a dû intervenir en justice pour faire valoir ses droits dans le cadre de la procédure diligentée à son encontre par la SARL E. aux fins d'exécution de l'offre d'achat litigieuse.

Cette action en justice à l'encontre de v. A., ayant duré six années, et le préjudice en découlant, sont la conséquence directe des agissements litigieux d'a. B. en qualité de préposée de la SARL C..

v. A. a subi un préjudice matériel du fait d'avoir dû intervenir en justice pour se défendre dans le cadre de cette procédure intentée par la SARL E. ainsi qu'un préjudice moral du fait des tracas inhérents à cette procédure judiciaire ayant perduré durant six années, illégitimement engagée à son encontre.

Il lui sera alloué à ce titre la somme forfaitaire de 40.000 euros, toutes causes de préjudices confondus.

En revanche, aucune somme ne lui sera accordée au titre du préjudice allégué du fait d'avoir dû faire valoir et reconnaître ses droits dans la procédure pénale en ce que celle-ci a abouti à une relaxe et au rejet de ses demandes.

S'agissant enfin de la présente procédure, le Tribunal relève qu'elle a été engagée par v. A., sans qu'une résistance abusive de la part des défenderesses ne soit alléguée ni démontrée. En outre, les frais irrépétibles pourront donner lieu à l'attribution d'une somme sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile.

La SARL C. sera donc condamnée, en sa qualité de commettant d'a. B., à payer à v. A. la somme totale de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts. Il n'y a pas lieu d'assortir cette condamnation des intérêts au taux légal tel que sollicité par le demandeur.

* Sur la demande d'a. B. aux fins de condamnation de v. A. à des dommages et intérêts

a. B. reproche au demandeur d'avoir fait état dans son assignation puis dans ses conclusions récapitulatives n°1 et 2 d'une condamnation amnistiée, en violation des dispositions de l'article 626 du Code de procédure pénale, considérant que cela est diffamatoire au sens de l'article 27 de la loi 1.299 sur la liberté d'expression. Elle considère ainsi qu'en se prévalant d'une condamnation amnistiée aux seules fins d'attenter à sa dignité et sa crédibilité, v. A. a engagé sa responsabilité civile délictuelle, justifiant qu'il soit condamné à lui payer la somme de 5.000 euros à titre d'indemnisation.

Le demandeur répond que cette demande est devenue sans objet en l'état de la suppression du passage litigieux dans ses conclusions récapitulatives dont le Tribunal doit seules tenir compte. Il précise en outre avoir uniquement cité un passage de la décision du Tribunal correctionnel du 14 décembre 2021, laquelle est produite aux débats par les défenderesses.

Le Tribunal constate en effet que la citation litigieuse n'apparaît pas dans les conclusions récapitulatives du demandeur. En outre et en tout état de cause, a. B. n'explique, ni n'établit en quoi le fait qu'il soit fait référence, dans les précédents jeux de conclusions échangés entre les seules parties en cause, dont le Tribunal ne tient pas compte, d'une condamnation amnistiée, lui causerait un préjudice.

Sa demande de ce chef sera donc rejetée.

* Sur l'exécution provisoire

Aux termes de l'article 202 du Code de procédure civile, « hors les cas dans lesquels la décision en bénéficie de plein droit, l'exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d'office, par la décision qu'elle est destinée à rendre exécutoire, sous réserve des dispositions de l'article 203.

Sont notamment exécutoires de droit à titre provisoire les ordonnances de référé, les décisions qui prescrivent des mesures provisoires pour le cours de l'instance, et celles qui ordonnent des mesures conservatoires.

L'exécution provisoire peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi. Elle peut aussi être accordée pour le paiement de l'amende civile, de l'indemnité de l'article 238 et des dépens et des frais non compris dans les dépens ».

En l'espèce, l'exécution provisoire apparaît nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, s'agissant d'une condamnation au paiement de sommes d'argent.

* Sur les frais irrépétibles et les dépens

Aux termes de l'article 231 du Code de procédure civile, la partie qui succombe est condamnée aux dépens.

Il y a donc lieu de condamner la SARL C. aux dépens dont distraction au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Selon l'article 238-1 du Code de procédure civile :

« Le juge condamnera la partie tenue aux dépens ou qui perdra son procès à payer :

* 1° à l'autre partie la somme qu'il déterminera, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

* 2° et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'assistance judiciaire une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'assistance aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide.

Dans tous les cas, le juge tiendra compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il pourra, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations ».

En l'espèce, l'équité commande de condamner la SARL C. à payer à ce titre à v. A. la somme de 5.000 euros.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire, et en premier ressort,

Déboute v. A. de sa demande de jonction des procédures enrôlées sous les numéros 2017/000083 et 2022/000403 ;

Dit n'y avoir lieu d'ordonner la jonction de la présente procédure avec la procédure enrôlée sous le numéro 2017/000083 ;

Déboute v. A. de sa demande de condamnation d'a. B. ;

Condamne la SARL C., en qualité de commettant d'a. B., à payer à v. A. la somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts, toutes causes de préjudices confondus ;

Déboute a. B. de sa demande de condamnation à l'encontre de v. A. ;

Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision ;

Condamne la SARL C. à payer à v. A. la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;

Condamne la SARL C. aux dépens, dont distraction au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que les dépens distraits seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Après débats en audience du Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement,

Composition

Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 11 AVRIL 2024, par Madame Evelyne HUSSON, Vice-Président, Madame Alexia BRIANTI, Premier Juge, Madame Catherine OSTENGO, Juge, assistées, de Madame Clémence COTTA, Greffier stagiaire, en présence du Ministère public.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : 30485
Date de la décision : 11/04/2024

Parties
Demandeurs : v. A.
Défendeurs : a. B. et la SARL C.

Références :

Code de procédure civile
article 202 du Code de procédure civile
article 238-1 du Code de procédure civile
article 1231 du Code civil
article 626 du Code de procédure pénale
article 231 du Code de procédure civile
article 27 de la loi 1.299
article 1229 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 19/06/2024
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;2024-04-11;30485 ?

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