La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/02/2024 | MONACO | N°30390

Monaco | Tribunal de première instance, 8 février 2024, La SCI A., la SCI D. et Monsieur s. C., c/ La SAM E. F. G. H. MONACO


Abstract

Banques - Prêt d'argent - Indemnité contractuelle de retard - Responsabilité du banquier (non)

Résumé

La banque, en demandant le paiement de l'indemnité due en cas de retard dans le remboursement des prêts, n'a fait qu'appliquer les stipulations contractuelles. Ayant prévenu les sociétés emprunteuses qu'elle ne prorogerait pas les prêts arrivés à échéance et qu'elle allait appliquer les pénalités en l'absence de paiement, aucun manquement à l'obligation de loyauté et d'information ne peut lui être reproché.

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANC

E

N° 2023/000232 (assignation du 25 janvier 2023)

JUGEMENT DU 8 FÉVRIER 2024

En la cause d...

Abstract

Banques - Prêt d'argent - Indemnité contractuelle de retard - Responsabilité du banquier (non)

Résumé

La banque, en demandant le paiement de l'indemnité due en cas de retard dans le remboursement des prêts, n'a fait qu'appliquer les stipulations contractuelles. Ayant prévenu les sociétés emprunteuses qu'elle ne prorogerait pas les prêts arrivés à échéance et qu'elle allait appliquer les pénalités en l'absence de paiement, aucun manquement à l'obligation de loyauté et d'information ne peut lui être reproché.

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2023/000232 (assignation du 25 janvier 2023)

JUGEMENT DU 8 FÉVRIER 2024

En la cause de :

* 1- La société civile immobilière de droit français dénommée SCI A., dont le siège social se trouve x1 c/o B. à Nice (06300), prise en la personne de son gérant en exercice, Monsieur s. C., domicilié en cette qualité audit siège;

* 2- La société civile immobilière de droit français dénommée SCI D., dont le siège social se trouve x1 c/o B. à Nice (06300), prise en la personne de son gérant en exercice, Monsieur s. C., domicilié en cette qualité audit siège;

* 3- Monsieur s. C., né le jma à Dushanbe (Tadjikistan), de nationalité russe, demeurant x2 à l'Ile Maurice (République de Maurice);

DEMANDEURS, ayant tous trois élu domicile en l'étude de Maître Bernard BENSA, avocatdéfenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître f. R., avocat au barreau de Nice;

d'une part; Contre:

* ꞏ La société anonyme monégasque dénommée E. F. G. H. MONACO, dont le siège social se trouve x3 à Monaco, prise en la personne de son Président délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège;

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Olivier MARQUET, avocatdéfenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocatdéfenseur;

d'autre part;

Visa

LE TRIBUNAL,

* Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 25 janvier 2023, enregistré (n° 2023/000232) ;

* Vu les conclusions récapitulatives de Maître Bernard BENSA, avocatdéfenseur, au nom de la SCI A., la SCI D. et de Monsieur s. C., en date du 10 novembre 2023 ;

* Vu les conclusions récapitulatives de Maître Olivier MARQUET, avocatdéfenseur, au nom de la société anonyme monégasque dénommée E. F. G. H. I., en date du 22 novembre 2023 ;

* Vu l'ordonnance de clôture en date du 23 novembre 2023 ;

* À l'audience publique du 30 novembre 2023, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 8 février 2024, par mise à disposition au Greffe;

Motifs

FAITS ET PROCÉDURE :

Par acte sous seing privé du 29 juin 2012 réitéré par acte authentique reçu par Maître p. J., notaire à Cannes, le 5 juillet 2012, la société E. F. K. L. I. devenue E. F. G. H. I. a consenti à la SCI A. dont le gérant est s. C., un prêt in fine d'un montant de 1.800.000 € destiné au financement de l'acquisition de la Villa W. sise à Mougins, x3 ainsi qu'un second prêt d'un montant de 1.800.000 € destiné au financement de travaux à effectuer au sein de ladite propriété. Ces prêts ont été consentis pour une durée de 3 années, soit jusqu'au 3 juillet 2015 avec une mise à disposition des fonds le 3 juillet 2012.

Aux termes de cinq avenants successifs, la durée d'échéance des deux prêts a été reportée au 10 janvier 2022.

Par acte sous seing privé du 10 mai 2013 qui aurait été réitéré par acte authentique du même jour, la société E. F. K. L. I. devenue E. F. G. H. I. a consenti à la SCI D. dont le gérant est s. C., un prêt in fine d'un montant de 907.500 € destiné au financement de l'acquisition d'un appartement à Cannes, Résidence Saint Michel à hauteur de 727.500 € et à des travaux à hauteur de 180 000 €. Ce prêt a été consenti pour une durée de 3 années, soit jusqu'au 15 mai 2016 avec une mise à disposition des fonds le 15 mai 2013.

Aux termes de deux avenants successifs, la durée d'échéance du prêt a été reportée au 16 mai 2022. Par courriers recommandés avec accusé de réception du 19 avril 2022, la société E. F. G. H. I.:

* informait la SCI D. que son prêt ne serait pas renouvelé à l'échéance du 16 mai 2022 et que celleci devait « prendre les dispositions nécessaires en vue de constituer la provision suffisante pour le règlement des sommes dues, soit le montant de 909.355,33 euros en principal et intérêts»;

* demandait à la SCI A. de rembourser les sommes dues au titre des deux contrats de prêt (1.700.000 € + 800.000 €) arrivés à échéance le 10 janvier 2022, sous 15 jours, soit, en principal et intérêts, les sommes de 1.801.520 € pour le prêt n°1 et 700.591,12 euros pour le prêt n°2.

Suivant courriel du 18 mai 2022, la banque accordait néanmoins un nouveau délai à la SCI A. jusqu'au 31 mai 2022.

Le 7 juin 2022 la société E. F. G. H. I. mettait en demeure les sociétés A. et D. de rembourser leurs prêts sous 8 jours, rappelant que les sommes impayées seraient soumises au taux d'intérêts du prêt majoré de 3 % l'an et à une pénalité de 7 % en application des dispositions de l'article 10 des contrats de prêt.

Par courriers recommandés avec accusé de réception du 4 juillet 2022, la société E. F. G. H. I. actualisait au 30 juin 2022 le décompte des sommes dues au titre des prêts impayés soit:

* Pour la SCI A.:

* pour le prêt de 1.800.000 € : un montant dû de 1.933.600 € comprenant la somme de 126.000 € au titre des indemnités de retard (7 % sur le capital), la majoration de 3 % du taux d'intérêts n'étant pas appliquée;

* pour le prêt de 700.000 € : un montant dû de 751.955,56 € comprenant la somme de 49.000 € au titre des indemnités de retard (7 % sur le capital), la majoration de 3 % du taux d'intérêts n'étant pas appliquée;

* Pour la SCI D., concernant le prêt de 907.500 € : un montant de 974.856,66 € comprenant la somme de 63.525 € au titre des indemnités de retard (7 % sur le capital), la majoration de 3 % du taux d'intérêts n'étant pas appliquée;

Le 14 juillet 2022, la société M. N., O. P. Q., conseil juridique des SCI A. et D. mandatée par s. C., mettait en demeure la société E. F. G. H. I. de procéder à l'organisation immédiate du remboursement des prêts ainsi qu'à l'annulation des pénalités de retard.

Le 5 août 2022 la SCI D. remboursait le capital et les intérêts du prêt à l'exception des indemnités de retard de 7 %.

Le 12 août 2022 la SCI A. remboursait le capital et les intérêts du prêt n° 1 ainsi que la somme de 126.000 € au titre de l'indemnité contractuelle de 7 % et le capital et les intérêts du prêt n° 2 ainsi que la somme de 49.000 € au titre de l'indemnité contractuelle de 7 %.

Le même jour, Maître f. R., conseil des deux SCI, mettait en demeure la banque d'annuler la réclamation au titre des indemnités contractuelles et de n'opérer aucune retenue sur les fonds de ses clients.

Le 16 août 2022 la Société E. F. G. H. I. adressait à s. C. une mise en demeure préalable à la réalisation du gage de monnaie en vertu d'un acte de cautionnement réel avec gage consenti sur ses avoirs en garantie du prêt de la SCI D. suivant contrat du 29 juillet 2019, ledit gage ayant été réalisé pour un montant de 63.525 € au titre de l'indemnité contractuelle de 7 %.

Suivant exploit d'huissier en date du 25 janvier 2023, la SCI A., la SCI D. et Monsieur s. C. ont fait citer la société E. F. G. H. I. devant le tribunal de première instance de Monaco et demandent à la juridiction de :

« I - Sur l'application abusive des pénalités de retard au titre du remboursement des prêts

* DIRE ET JUGER que la société E. F. G. H. I. a violé son obligation d'information, de conseil et de loyauté à l'égard des sociétés requérantes;

* DIRE ET JUGER qu'en tout état de cause l'exécution de l'article 10 des contrats de prêta été réalisée de mauvaise foi;

* DIRE ET JUGER ABUSIVE la retenue des pénalités opérée par la société E. F. G. H. I. ;

EN CONSÉQUENCE,

* Voir CONDAMNER la société E. F. G. H. I. à verser à :

* La SCIA., la somme de 175.000€ au titre des pénalités indument prélevées;

* La SCI D., la somme de 68.325€ au titre des pénalités indument prélevées;

* Voir CONDAMNER la société E. F. G. H. I. à verser la somme de :

* 20.000€ à la SCIA.;

* 10.000€ à la SCI D. ;

* 20.000€ à Monsieur C. à titre personnel;

À titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis;

II - Sur le caractère abusif de la rupture des relations contractuelles par la banque E. F.

* DIRE ET JUGER abusive la clôture des prêts consentis aux requérants et la demande de remboursement immédiatefaite dans les circonstances de l'espèce;

* Voir CONDAMNER la société E. F. G. H. I. à verser la somme de 5.000€ à chacun des requérants en réparation des préjudices causés;

III - Sur les frais irrépétibles et l'exécution provisoire

* Voir CONDAMNER la société E. F. G. H. I. à verser aux sociétés requérantes la somme de 15.000€ au titre des frais non compris dans les dépens prévus par l'article 238-1 du Code de procédure civile;

* ORDONNER l'exécution provisoire de la décision à intervenir en application de l'article 202 du Code de procédure civile;

* Voir CONDAMNER la société E. F. G. H. I. aux entiers dépens distraits au profit de Maître Bernard BENSA, AvocatDéfenseur, sous sa due affirmation ».

Par conclusions récapitulatives n°3 du 22 novembre 2023, la société anonyme monégasque E. F. G. H. I. demande au tribunal de :

« In limine litis,

* JUGER nulle l'assignation du 25 janvier 2023 pour défaut des modalités de comparution au titre des articles 156 et 170 du Code de procédure civile.

À titre principal,

* JUGER irrecevables les demandes de Monsieur C. pour défaut d'intérêt et de qualité à agir en application de l'article 278-1 du Code de procédure civile.

En tout état de cause,

* JUGER que la Banque n'a commis aucune faute à l'égard des Demandeurs qui ont mobilisé 1a Banque à dessein pour gagner du temps dans le remboursement des Prêts.

EN CONSÉQUENCE, DÉBOUTER la S. C. I A., la S. C. I D. et Monsieur s. C. de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions.

* JUGER que les Demandeurs ont manifestement abusé de leur droit d'agir en justice.

EN CONSÉQUENCE,

* CONDAMNER in solidum les Demandeurs au paiement de la somme de 10.000 euros (à parfaire) au profit de la Banque en réparation du préjudice matériel subi.

* CONDAMNER in solidum les Demandeurs au paiement de la somme de 47.631 euros (montant au 31 août 2023 à parfaire) au profit de la Banque tant pour procédure abusive qu'au titre de l'article 238-1 du Code de procédure civile

* CONDAMNER les Demandeurs aux entiers dépens distraits au profit de Maître Olivier MARQUET, AvocatDéfenseur, sous sa due affirmation. »

Par conclusions récapitulatives en date du 10 novembre 2023, la SCI A., la SCI D. et Monsieur s. C. ont sollicité le débouté de la société E. F. de l'ensemble de ses demandes et ont confirmé leurs demandes en portant à 25.000 € le montant formulé au titre des frais prévus à l'article 238-1 du Code de procédure civile.

Les débats ont été clos par ordonnance du 23 novembre 2023.

À l'audience du 30 novembre 2023, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et l'affaire a été mise en délibéré au 8 février 2023.

SUR CE

* Sur la demande de nullité de l'assignation soulevée in limine litis par le défendeur

La société E. F. G. H. I. soutient que l'assignation introductive d'instance du 25 janvier 2023 est nulle en l'absence des formalités prévues par l'article 156-6° du Code de procédure civile qui exigerait la reproduction des mentions de l'article 170 dudit code.

Aux termes de l'article 156 du Code de procédure civile:

« Indépendamment des formalités prescrites à la section précédente, tout exploit d'assignation contiendra, à peine de nullité [...]

6° l'indication des modalités de comparution devant le tribunal de première instance et l'indication que, faute pour le défendeur de comparaître, il s'expose à ce qu'un jugement soit rendu contre lui, sur les seuls éléments versés à la procédure par le demandeur ».

Selon l'article 170 du même Code:

« Les parties comparaîtront, soit en personne, soit par un avocatdéfenseur inscrit au tableau.

La présence des parties ou la déclaration de leur avocatdéfenseur qu'il se présente en leur nom sera mentionnée à la feuille d'audience ».

En l'espèce, on peut lire en page 2 de l'assignation au paragraphe intitulé « IMPORTANT» : « vous êtes tenu(es) obligatoire¬ment de constituer un Avocat Défenseur près la Cour d'Appel de Monaco pour être représenté(es) devant ce tribunal (Article 169¬1 du Code de procédure civile)

À DÉFAUT, vous vous exposez à ce qu'une décision soit rendue à votre encontre sur les seuls éléments versés à la procédure par le demandeur (articles 156–6° du Code de procédure civile) ».

Ainsi, d'une part, l'article 156-6°, régulièrement mentionné, n'impose pas la reproduction de l'article 170 du Code de procédure civile; d'autre part l'article 169-1 mentionne bien l'obligation de constituer un avocatdéfenseur. Enfin la société E. F. G. H. I., à l'évidence rodée à la procédure civile en sa qualité d'établissement bancaire, n'invoque aucun grief qui pourrait résulter de la nullité de forme soulevée.

Il convient de rejeter l'exception de nullité de l'assignation soulevée.

* Sur la fin de nonrecevoir tirée du défaut d'intérêt et de qualité à agir de Monsieur C. ès qualités de gérant et d'associé des SCI soulevée par le défendeur

La société E. F. G. H. I. soutient que s. C. « ès qualités de gérant et d'associé des SCI » n'a ni qualité ni intérêt à agir.

Elle argumente que la recevabilité de l'action en responsabilité engagée par un associé à l'encontre d'un cocontractant de la société est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel et distinct de celui qui pourrait être subi par la société ellemême.

s. C. considère de son côté qu'il fait justement valoir des préjudices distincts de ceux des deux sociétés dont il est gérant. Aux termes de l'article 278-1 du Code de procédure civile :

« Constitue une fin de nonrecevoir tout moyen qui tend à faire déclarer la demande irrecevable, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, une déchéance, une forclusion, la prescription ou la chose jugée ».

En l'espèce, s. C. a bien évidemment qualité à agir contre l'établissement bancaire èsqualités de gérant des SCI A. et D. et en leur nom.

En outre, selon les propres conclusions du demandeur, s. C. s'est engagé personnellement par un acte de cautionnement réel consenti avec gage les 16 mai 2016 et 29 juillet 2019 envers la banque en garantie notamment du prêt de la SCI D.. Dès lors, et dans la mesure où des sommes lui appartenant ont fait l'objet d'un gage de monnaie, celuici est, indépendamment de sa qualité de gérant des deux sociétés, intéressé à la présente procédure et son action ne peut être déclarée irrecevable.

L'action de s. C. dirigée à l'encontre de la société E. F. G. H. I. est donc parfaitement recevable.

* Sur l'application des pénalités de retard

La SCI A., la SCI D. et s. C. contestent l'application des pénalités contractuelles à l'occasion du remboursement des trois prêts. Ils considèrent que la banque est responsable de la situation au motif:

* qu'elle a mis plusieurs mois à répondre aux demandes de renouvellement des prêts sollicités par s. C. ;

* qu'elle ne l'a jamais mis en garde sur une possibilité de refus des prêts;

* qu'elle a laissé volontairement s'exécuter le prêt consenti à la SCI A. audelà de sa durée initiale trompant s. C. sur les intentions de la banque;

* qu'elle a décidé brutalement de solliciter le remboursement des sommes prêtées à hauteur de 2.500.000 € sous 15 jours ;

* qu'alors même que s. C. avait obtenu l'accord de principe de la banque S. pour refinancer les crédits, la société E. F. a persisté dans ses menaces et a décidé l'application de pénalités de retard.

Elle considère que ces éléments caractérisent une violation du devoir de conseil, de loyauté et d'information de la banque outre l'absence de respect du principe de la bonne foi en matière contractuelle.

De son côté, la banque considère n'avoir commis aucune faute à l'égard des deux SCI et conteste avoir manqué à son obligation de conseil et de loyauté.

En application de l'article 989 du Code civil, « les conventions légalementformées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ».

En l'espèce, la SCI A. a bénéficié en 2012 de deux prêts in fine de 1.800.000 € pour l'acquisition d'une villa et de 700.000 € pour la réalisation de travaux dans ladite villa consentis par la société E. F. G. H. I., remboursables initialement en juillet 2015 mais prorogés aux termes de 5 avenants et d'un commun accord entre les parties jusqu'au 10 janvier 2022.

De même, la SCI D. a bénéficié en mai 2013 d'un prêt infine d'un montant de 907.500 € destiné à l'acquisition d'un appartement et à des travaux dans ledit appartement, consenti par la société E. F. G. H. I., remboursable initialement en mai 2016 mais prorogé aux termes de deux avenants et d'un commun accord entre les parties jusqu'au 16 mai 2022.

Dans les contrats de prêt signé par acte sousseing privé le 29 juin 2012 pour les deux prêts consentis à la SCI A. et le 10 mai 2013 pour le prêt consenti à la SCI D. – étant observé qu'aucune des parties n'a jugé utile de produire les contrats de prêts notariés – figure la clause suivante :

« ARTICLE 10 — INTÉRÊTS DE RETARD – INDEMNITÉS

1 - En cas de défaillance de l'Emprunteur, et lorsque le Prêteur n'exigera pas le remboursement immédiat des sommes restant dues, cellesci porteront intérêts, de plein droit et sans mise en demeure, au taux sus indiqué majoré de 3 points et ce, jusqu'au parfait paiement.

Tous les versements partiels s'imputeront d'abord sur les intérêts, indemnités et accessoires et ensuite sur le capital restant dû.

Tous intérêts non payés à leur échéance, à partir du moment où ils seront dus pour une année au moins, se capitaliseront sans qu'il soit besoin de mise en demeure, de plein droit, et, sans cesser d'être exigibles, produiront de nouveaux intérêts au même aux que celui portant sur le principal, conformément à l'article 1009 du Code civil Monégasque.

2 - Lorsque le Prêteur, si bon lui semble, invoque l'exigibilité anticipée du prêt, il peut exiger le remboursement immédiat des sommes restant dues ainsi que le paiement des intérêts échus. Jusqu'à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produiront des intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt, majoré de 3 points.

En outre, le Prêteur peut demander à l'Emprunteur défaillant une indemnité qui, sans préjudice de l'application, de l'article 1007 du Code civil Monégasque, sera d'un montant de 7% de l'intégralité des sommes dues au titre du prêt.

Le Prêteur pourra en outre réclamer à l'Emprunteur, le remboursement, surjustification, des frais qui lui auront été occasion¬nés par cette défaillance, notamment à raison des charges en intérêts supportés par le Prêteur sur tout refinancement qu'il devra ainsi dénoncer ».

Au regard de cette clause et considérant que les prêts consentis tant à la SCI A. qu'à la SCI D. n'ont pas été remboursés dans les délais puisque les prêts n° 1 et n° 2 de la SCI A. étaient exigibles à la date du 10 janvier 2022 et qu'ils n'ont été remboursés que le 12 août 2022 tandis que le prêt de la SCI D. qui était exigible le 16 mai 2022 n'a été remboursé que le 5 août 2022, les conditions juridiques pour que l'indemnité de retard d'un montant de 7 % trouve à s'appliquer sont réunies.

Le calcul du montant de l'indemnité de 7 % n'apparaît pas ici discuté par les demandeurs. La question posée à la présente juridiction est de savoir si la banque qui, considérant la défaillance des SCI dans le remboursement de leurs prêts à échéance a appliqué le montant des pénalités de 7 %, a commis une faute en violant son devoir de conseil, de loyauté et d'information et si elle a agi de bonne foi dans sa relation contractuelle avec les deux sociétés.

* Sur la rupture des relations contractuelles

La SCI A., la SCI D. et s. C. reprochent à la société E. F. G. H. I. d'avoir « brutalement et injustement mis fin à une relation contractuelle vieille de 10 ans sans aucune information préalable ».

Or, il ressort des éléments en procédure que:

* la banque, qui n'était tenue à aucune sorte de préavis, les contrats de prêts étant arrivés à échéance, a néanmoins prévenu les deux sociétés par LRAR dès le 19 avril 2022 de ce qu'elle ne prorogerait pas une nouvelle fois les trois prêts in fine; que le 7 juin 2022, elle a mis en demeure les emprunteurs de rembourser leurs prêts sous huit jours; que faute de paiement, elle a actualisé son décompte le 4 juillet 2022 en y incluant cette fois les pénalités de 7 % ;

* rien ne démontre que les SCI aient sollicité une nouvelle prorogation de leurs prêts ni que la banque ait accepté de le faire; que celleci affirme au contraire que les fonds issus de la cession de la société de s. C., soit environ 10.000.000 €, devaient notamment servir au remboursement des crédits in fine ; que bien que s. C. affirme que le prix de vente de sa société en Russie n'a jamais été destiné à rembourser les prêts des deux SCI, cette version est contredite par deux courriers en procédure; que le cabinet M. N. indique en effet dans un courrier du 14 juillet 2022 que Monsieur C. a envoyé en octobre 2021 un contrat relatif à la vente de sa société commerciale afin que la banque puisse procéder à la vérification de l'acceptation des fonds « dans le but de procéder au remboursement des prêts bancaires»; qu'en outre, dans un courrier du 25 juillet 2022, s. C. en qualité de gérant des deux SCI indique également à la banque avoir envoyé en octobre 2021 un contrat relatif à la vente de sa société commerciale; que la banque devait procéder à la vérification et à l'éventuelle acceptation des fonds « servant au remboursement des prêts bancaires », mais qu'aucun collaborateur n'aurait fait suite à sa demande;

* le dernier avenant du 13 septembre 2021 renouvelant les prêts n° 1 et n° 2 de la SCI A., uniquement pour une durée de 6 mois jusqu'au 10 janvier 2022, ne prévoyait pas de possibilité de renouvellement supplémentaire contrairement aux précédents ; que s'agissant de la SCI T. qui prévoyait encore cette possibilité, celleci était conditionnée à l'accord préalable de la banque, l'emprunteur n'ayant aucunement un droit acquis à ce sujet.

Ainsi, en mettant en demeure les SCI A. et D. de procéder au remboursement de leur prêt arrivé à échéance, la banque n'a fait qu'user d'un droit attaché à sa condition de créancier d'une somme d'argent. s. C. connaissait parfaitement le terme des deux prêts et son obligation de les rembourser à échéance. Il est mal venu d'imputer à la banque une rupture brutale des relations contractuelles alors qu'il a placé les fonds issus de la vente de sa société à la S. dès le mois de décembre 2021. S'il invoque comme raison les lenteurs de la E. F. G. H. I. à s'organiser pour les recevoir, cette dernière évoque les difficultés qu'elle a rencontrées pour tracer l'origine des fonds tel que la loi le lui impose.

En tout état de cause, l'arrivée du terme des trois crédits ne peut être qualifiée de « rupture brutale et injustifiée des relations contractuelles ».

* Sur l'obligation d'information et de conseil

Force est de constater que la société E. F. G. H. I. n'a fait qu'appliquer les dispositions contractuelles en appliquant les pénalités de retard après avoir sollicité à plusieurs reprise le remboursement de ses crédits tandis que s. C. ne saurait soutenir ignorer qu'il en avait l'obligation, n'étant pas détenteur d'un droit d'option au renouvellement. Il convient en outre de rappeler qu'il est entouré d'un P. Q., SAM M. N. U. ; que c'est un homme d'affaires aguerri, maître de ses affaires et parfaitement au fait de ses intérêts.

Il ne peut reprocher à la banque de ne pas avoir accordé un nouveau délai de remboursement alors qu'il a choisi en toute connaissance de cause de ne pas rembourser ses crédits à l'échéance alors qu'il avait les liquidités pour le faire. s. C. a choisi de placer son argent dans une autre banque monégasque et de faire refinancer les prêts in fine par la compagnie monégasque de banque (S.).

Il ressort au demeurant de la procédure que s. C. fait un amalgame avec les griefs qu'il nourrit à l'égard de la banque au sujet de l'ouverture d'un compte pour y déposer les fonds issus de sa société russe qui, de son propre point de vue, n'a aucun rapport avec les crédits litigieux.

* S'agissant de l'obligation de loyauté

Outre qu'il ne démontre pas en quoi la banque se serait montrée déloyale à l'encontre de ses deux sociétés, il ressort des éléments en procédure que dès la fin de l'année 2021 s. C. – qui ne justifie pas avoir envoyé le contrat de vente de sa société en octobre 2021 comme il le prétend – avait transféré un montant important de ses fonds à la banque S. tout en continuant à négocier avec la E. F. G. H. I. qui pensait en être destinataire.

La mauvaise foi de la banque n'est pas davantage établie par les demandeurs qui, au demeurant, invoquent des pièces 7, 8, 9, 21, 22, 23, 25, 29, 30, 31, 32 qui n'ont pas été traduites en langue française étant entendu que la relation partielle en français de ces pièces dans les conclusions ne saurait suffire à renseigner utilement le tribunal sur leur contenu.

Ainsi, au final aucune faute de la banque n'est caractérisée.

Les demandeurs ne rapportent pas la preuve de la responsabilité de la E. dans le retard qu'ils ont apporté dans le remboursement de leurs crédits, dont il importe peu que ce soit au moyen de leurs fonds propres ou au moyen d'un autre crédit in fine consenti par un autre établissement bancaire.

Dès lors en retenant des pénalités à hauteur de 7 % la banque dont la mauvaise foi n'est pas établie, n'a fait qu'appliquer les clauses du contrat des trois prêts régularisés par les demandeurs qui seront déboutés de leur demande de remboursement des pénalités prélevées.

Déboutés au principal, la SCI A., la SCI D. et s. C. le seront de leurs demandes de dommages-intérêts pour rupture abusive des relations contractuelles puisque celleci n'a pas été établie et de l'ensemble de leurs demandes de dommages-intérêts.

* Sur la demande de dommages-intérêts de la société E. F. G. H. I. pour préjudice matériel

La société E. F. G. H. I. sollicite la condamnation in solidum des demandeurs au paiement de la somme de 10.000 euros en réparation d'un préjudice matériel, faisant valoir que Monsieur C. et ses SCI se sont joués de la Banque à promettre la vente d'une villa, puis une arrivée de 10 millions d'euros liée à la vente de la société V., événements qui ne se sont jamais réalisés. Elle explique que bien que des fonds aient été transférés à la S. dès décembre 2021, Monsieur C. a continué à entretenir et à mobiliser la E. jusqu'en avril 2022 afin qu'elle étudie la faisabilité de cette arrivée de fonds, la possibilité de mettre en place diverses solutions telles que des mandats de gestion. Elle argue s'être investie à mobiliser, par téléphone/par email/lors de réunions, notamment ses conseillers, son équipe compliance/conformité, le service de la banque dédié à la gestion sous mandat, soit des investissements à fonds perdus.

Cependant, outre le fait qu'il relève des attributions classiques d'un établissement bancaire, et dans le but de satisfaire sa clientèle dans la conduite de divers projets, d'investir des moyens matériels et humains parfois conséquents alors que l'issue desdits projets reste incertaine, la demande de dommage et intérêts n'est étayée par aucune pièce justifiant du préjudice matériel subi, étant rappelé que la plupart des pièces visées qui sont issues des pièces adverses n'ont pas été traduites en langue française et sont donc inexploitables par la juridiction.

La E. F. G. H. I. sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice matériel. Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive

La société E. F. G. H. I. sollicite la condamnation in solidum des demandeurs au paiement de la somme de 47.631 euros tant pour procédure abusive qu'au titre de l'article 238-1 du Code de procédure civile.

Elle soutient avoir été contrainte d'engager des frais importants pour assurer sa défense en justice et avoir subi une procé-dure dans laquelle les demandes, irrecevables et malfondées, émanent de sociétés qui n'ont pas respecté leurs obligations contractuelles.

Toutefois, le tribunal ne dispose d'éléments suffisants pour retenir que le droit de la SCI A., la SCI D. et s. C. d'ester en justice aurait dégénéré en abus et la société E. F. G. H. I. sera déboutée de sa demande de ce chef.

Sur les frais au titre de l'article 238-1 du Code de procédure civile

Aux termes de l'article 238-1 du Code de procédure civile:

« Le juge condamnera la partie tenue aux dépens ou qui perdra son procès à payer:

* 1° à l'autre partie la somme qu'il déterminera, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens;

* 2° et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'assistancejudiciaire une somme au titre des honoraires etfrais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'assistance aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide.

Dans tous les cas, le juge tiendra compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il pourra, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. Néanmoins, s'il alloue une somme au titre du 2° du présent article, celleci ne pourra être inférieure à la part contributive de l'État.

L'avocat du bénéficiaire de l'assistance judiciaire ne pourra cumuler la somme prévue au titre du 2° du présent article avec la part contributive de l'État ».

En l'espèce, il apparaît équitable de condamner à ce titre in solidum, la SCI A., la SCI D. et s. C., succombant au principal, à payer la somme de 6.000 euros à la société E. F. G. H. I..

* Sur les dépens

L'article 231 du Code de procédure civile dispose que:

« Tous jugements, autres que les jugements d'instruction, condamneront même d'Q. aux dépens la partie qui aura succombé ».

En l'espèce, la SCI A., la SCI D. et s. C. succombant au principal, seront condamnés aux dépens, dont distraction au profit de Maître Olivier MARQUET, avocatdéfenseur, sous sa due affirmation.

* Sur l'exécution provisoire

L'article 202 du Code de procédure civile dispose que:

« Hors les cas dans lesquels la décision en bénéficie de plein droit, l'exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d'office, par la décision qu'elle est destinée à rendre exécutoire, sous réserve des dispositions de l'article 203.

Sont notamment exécutoires de droit à titre provisoire les ordonnances de référé, les décisions qui prescrivent des mesures provisoires pour le cours de l'instance, et celles qui ordonnent des mesures conservatoires.

L'exécution provisoire peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi. Elle peut aussi être accordée pour le paiement de l'amende civile, de l'indemnité de l'article 238 et des dépens et des frais non compris dans les dépens ».

En l'espèce, le caractère nécessaire de l'exécution provisoire du jugement à intervenir n'est ni explicité par les parties ni établi par les éléments de la cause de sorte qu'il n'y a pas lieu de l'ordonner.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Rejette l'exception de nullité soulevée par la société E. F. G. H. I. ;

Déclare s. C. recevable en ses demandes à l'encontre de la société E. F. G. H. I. ;

Déboute la SCI A., la SCI D. et s. C. de leur demande de remboursement des pénalités prélevées ;

Déboute la SCI A., la SCI D. et s. C. de leurs demandes de dommages-intérêts ;

Déboute la société E. F. G. H. I. de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice matériel ;

Déboute la société E. F. G. H. I. de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Condamne la SCI A., la SCI D. et s. C., in solidum, à payer à la société E. F. G. H. I. la somme de 6.000 euros (SIX MILLE EUROS) au titre de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;

Condamne la SCI A., la SCI D. et s. C. aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Olivier MARQUET, avocatdéfenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que les dépens distraits seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable; Dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement ;

Composition

Après débats en audience du Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement,

Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 8 FÉVRIER 2024, par Madame Evelyne HUSSON, Vice-Président, Monsieur Florestan BELLINZONA, Vice-Président, Madame Anne-Sophie HOUBART, Juge, assistés de Monsieur Julien SPOSITO, Greffier, en présence du Ministère public.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 30390
Date de la décision : 08/02/2024

Analyses

Crédits ; Contrats bancaires


Parties
Demandeurs : La SCI A., la SCI D. et Monsieur s. C.,
Défendeurs : La SAM E. F. G. H. MONACO

Références :

article 1007 du Code civil
articles 156 et 170 du Code de procédure civile
article 202 du Code de procédure civile
article 169-1
article 170 du Code de procédure civile
article 156 du Code de procédure civile
article 238-1 du Code de procédure civile
article 156-6° du Code de procédure civile
Article 169¬1 du Code de procédure civile
article 278-1 du Code de procédure civile
article 156-6° du Code de procédure civile
article 231 du Code de procédure civile
Code de procédure civile
article 1009 du Code civil
article 989 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 07/05/2024
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;2024-02-08;30390 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award