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24/09/2020 | MONACO | N°19329

Monaco | Tribunal de première instance, 24 septembre 2020, o. M. et la SCI A c/ j.-p. DE. et autres


Abstract

Vente - Vente de la nue-propriété d'un appartement - Validité de la vente (oui) - Préservation des droits de l'épouse sur le logement familial (oui) - Accord sur la chose et sur le prix (oui)

Agent immobilier - Responsabilité (non) - Manquement au devoir de conseil (non) - Rémunération due (oui)

Résumé

La vente par le mari, seul propriétaire du bien, de la nue-propriété de l'appartement constituant le logement familial n'est pas contraire à l'article 187 du Code civil puisque les droits de l'épouse sont préservés par la conservation de l'us

ufruit. Les parties s'étant accordées sur la chose et le prix, la promesse doit produire...

Abstract

Vente - Vente de la nue-propriété d'un appartement - Validité de la vente (oui) - Préservation des droits de l'épouse sur le logement familial (oui) - Accord sur la chose et sur le prix (oui)

Agent immobilier - Responsabilité (non) - Manquement au devoir de conseil (non) - Rémunération due (oui)

Résumé

La vente par le mari, seul propriétaire du bien, de la nue-propriété de l'appartement constituant le logement familial n'est pas contraire à l'article 187 du Code civil puisque les droits de l'épouse sont préservés par la conservation de l'usufruit. Les parties s'étant accordées sur la chose et le prix, la promesse doit produire tous ses effets et il convient d'ordonner l'exécution forcée de la vente.

L'agent immobilier, mandaté pour la vente de la nue-propriété de l'appartement, n'a pas manqué à son obligation de conseil. L'offre d'achat, inférieure à l'estimation fournie par le mandataire, a été acceptée en connaissance de cause par le vendeur. La rémunération convenue est donc due à l'agent immobilier.

Motifs

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2018/000287 (assignation du 27 décembre 2017)

N° 2019/000401 (assignation du 13 février 2019)

JUGEMENT DU 24 SEPTEMBRE 2020

En la cause de :

* 1- o. M. née le 8 avril 1960 à Turin (Italie), de nationalité italienne, demeurant X1 à Monaco ;

* 2- La société de droit monégasque dénommée A, dont le siège social se trouve c/o SAM B X2 à Monaco, agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice, i. o. F. né le 27 juillet 1971 à Locarno (Suisse), de nationalité suisse, demeurant c/o SAM B, X3 à Monaco ;

DEMANDERESSES, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Gaston CARRASCO, avocat au barreau de Nice ;

d'une part ;

Contre :

* 1- j.-p. DE., né le 25 août 1936 à Ottignies (Belgique),

* 2- h. NG. épouse DE., née le 9 décembre 1939 à Dalat (Vietnam),

demeurant tous deux immeuble Y, X5 à Monaco ;

DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

La SARL C, dont le siège social se trouve X4 à Monaco, prise en la personne de sa gérante en exercice, j. N. M., demeurant en cette qualité audit siège ;

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

En présence de :

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 27 décembre 2017, enregistré (n° 2018/000287) ;

Vu le jugement avant-dire-droit rendu par ce Tribunal en date du 24 janvier 2019 ayant notamment autorisé j.-p. DE. et h. NG. épouse DE. à appeler en garantie la SARL de droit monégasque C et renvoyé la cause et les parties à l'audience du jeudi 28 février 2019 ;

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 13 février 2019, enregistré (n° 2019/000401) ;

Vu les conclusions de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur au nom d o. M. et la SCI A, en date du 5 juin 2019 puis celles de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom de ces mêmes parties en date du 27 septembre 2019 ;

Vu les conclusions de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, au nom de la SARL C, en date des 5 juin 2019 et 13 décembre 2019 ;

Vu les conclusions de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, au nom de j.-p. DE. et Nhuy NGUYEN HUU épouse DE., en date des 26 juillet 2019 et 5 mai 2020 ;

À l'audience publique du 25 juin 2020, les conseils des parties ont déposé leurs dossiers et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 24 septembre 2020 ;

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par exploit d'huissier délivré le 27 décembre 2017, o. M. et la société de droit monégasque dénommée A ont fait assigner j.-p. DE. et son épouse h. NG, en présence de la SARL de droit monégasque C, aux fins de voir ordonner, sur le fondement de l'article 1426 du code civil, la vente forcée de la nue-propriété du bien immobilier sis à Monaco, X5, au prix de 900.000 euros et la condamnation accessoire des requis au paiement d'une somme de 50.000 euros à chacune à titre de dommages-intérêts.

Si entre temps, la propriété de l'immeuble a été transférée par un acte de vente authentique régulièrement transcrit, les demanderesses sollicitent la condamnation solidaire des époux DE. à leur verser la somme de 300.000 euros à chacune au visa de l'article 1426 du Code civil.

À l'appui de leur action, o. M. et la SCI A exposent que :

* - j.-p. DE., marié sous le régime légal français de la communauté réduite aux acquêts, est propriétaire en propre d'un bien immobilier à usage d'habitation qu'il a souhaité mettre en vente au mois de décembre 2015 ;

* - il a alors contacté l'agence immobilière monégasque C qui a procédé à une estimation du bien et lui a soumis un mandat de vente ;

* - le 19 janvier 2016, il a ainsi conclu avec l'agence un mandat de vente exclusif de la nue-propriété de l'appartement, au prix d'1.125.000 euros ;

* - le 21 septembre 2016, o. M. a formalisé par écrit auprès de la SARL C une offre d'achat au prix de 900.000 euros, valable jusqu'au 23 septembre 2016 à midi, avec faculté de substitution de l'acquéreur ;

* - son état de santé ne lui ayant pas permis de le faire dans les délais, j.-p. DE. a finalement accepté et contresigné l'offre à la date du 16 décembre 2016 ;

* - les parties convenaient de fixer au 27 février 2017 à 14 heures, la réalisation de l'acte authentique de vente devant maître C. A, notaire ;

* - le projet d'acte de vente établi par le notaire prévoyait la substitution d o. M. par la SCI A et stipulait une clause de réserve d'usufruit au profit du conjoint survivant ;

* - au jour prévu pour la signature de l'acte, h. NG. épouse DE. a fait savoir à l'agent immobilier que son époux ne souhaitait plus vendre son appartement ;

* - par télécopie du 2 mars 2017, le conseil des époux DE. a fait savoir au notaire que ses clients ne souhaitaient plus poursuivre la vente aux motifs que l'offre d'achat était caduque au moment où elle a été acceptée, que le vendeur se trouvait dans un état de faiblesse et que son épouse n'avait pas consenti à la vente ;

* - en réponse, le conseil d o. M. a, par lettre RAR du 8 mai 2017, contesté les arguments avancés par la partie venderesse et l'a mise en demeure de passer l'acte de vente devant notaire dans les meilleurs délais ;

* - celle-ci n'y ayant pas déféré, la présente assignation a été délivrée.

Avant toute défense au fond, j.-p. DE. et h. NG. épouse DE. ont sollicité in limine litis, l'autorisation d'appeler en garantie la SARL C, aux motifs que :

* - en sa qualité de professionnel, l'agent immobilier est tenu vis-à-vis de son mandant d'une obligation de renseignement et de conseil qui lui impose de fournir des informations loyales ;

* - en l'espèce, la SARL C a manqué à cette obligation quant à la valeur du bien mis en vente ;

* - le 15 janvier 2016, elle a en effet estimé la valeur de la nue-propriété de l'appartement litigieux entre 1.050.000 et 1.200.000 euros ;

* - dans le mandat exclusif qui lui a été consenti, le prix de vente a été fixé à 1.125.000 euros ;

* - l'offre d'achat formulée par o. M. en septembre 2016 et soumis aux époux DE. par la SARL C s'élevait à la somme de 900.000 euros ;

* - or, le 26 mai 2017, la société G, mandatée par les propriétaires, a estimé à 1.500.000 euros la valeur vénale de la nue-propriété de leur appartement ;

* - la différence entre cette estimation et le montant de l'offre soumise par l'agent immobilier est donc de 600.000 euros, ce qui représente 40 % de la valeur du bien proposé à la vente ;

* - en ne donnant pas à son mandant une information loyale sur la valeur de son bien et en ne le conseillant pas efficacement sur l'offre qui lui était soumise, la SARL C a engagé sa responsabilité ;

* - elle s'est par ailleurs abstenue de s'assurer du consentement de l'épouse alors qu'il s'agit d'une condition essentielle à la validité de l'acte, engageant également sa responsabilité de ce chef ;

* - dans la mesure où l'opposition des époux DE. à régulariser l'acte de vente résulte de l'inexécution de ses obligations par l'agent immobilier, il est de leur intérêt d'être autorisés à l'appeler en garantie.

Par jugement en date du 24 janvier 2019, ce Tribunal a autorisé les époux DE. à appeler en garantie la SARL de droit monégasque C.

Par acte aux fins d'appel en cause et garantie en date du 13 février 2019, les époux DE. ont donné assignation à la SARL C en vue d'obtenir :

* que soit ordonnée la jonction des deux procédures,

* qu'il soit dit que la SARL C devra les relever et garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à leur encontre.

Cette affaire a été enrôlée sous le n°2019/000401.

Les époux DE. reprochent à l'agence immobilière la mauvaise exécution de son devoir de conseil à double titre :

* d'une part, un défaut d'information loyale sur la valeur réelle du bien, la SARL C ayant selon eux forcé la vente à un prix inférieur à la valeur réelle du bien immobilier pour ne pas perdre l'affaire et ainsi encaisser sa commission,

* d'autre part, avoir omis de vérifier que le consentement de l'épouse du vendeur était requis compte tenu de la nature du bien mis à la vente, s'agissant du domicile conjugal des époux.

Ils demandent à voir la SARL C tenue de payer la différence entre le prix de la vente intervenue et la valeur vénale réelle du bien, soit 600.000 euros, mais aussi de les garantir de toute condamnation prononcée à leur encontre au profit des demanderesses principales.

****

Par conclusions déposées le 16 décembre 2019, la SARL C demande :

Que soit ordonnée la jonction des deux procédures,

À titre principal :

* * qu'il soit dit que le mandat de vente exclusif consenti par j.-p. DE. à l'agence immobilière est valable si la vente elle-même est déclarée valable et condamner en conséquence ce dernier à lui verser la somme de 54.000 euros correspondant à la rémunération du prix de vente,

* *le débouté des fins de l'appel en garantie formé par les époux DE. en l'absence de faute commise par le mandataire à la vente immobilière,

À titre subsidiaire, si sa responsabilité est retenue, constater l'absence de préjudice pour les défendeurs et les débouter de leur demande,

À titre très subsidiaire, si sa responsabilité à l'encontre de son mandant et de son épouse est retenue, ordonner la compensation entre l'éventuelle créance des époux DE. à son encontre et leur dette au titre de la rémunération prévue dans le mandat de vente exclusif signé le 19 janvier 2016.

Elle fait valoir qu'elle n'a commis aucune faute en lien avec son mandat de vente exclusif et que les demandeurs ne justifient d'aucun préjudice.

Elle rappelle que l'appel en garantie ne peut porter que sur une éventuelle condamnation à des dommages et intérêts en réparation de leur résistance abusive à passer la vente, puisque l'agence immobilière mandataire ne peut garantir la passation d'un acte authentique de la vente d'un bien dont elle n'est pas propriétaire.

Elle souligne que la sous-estimation du bien alléguée par les vendeurs serait contre-productive pour elle, sa rémunération étant basée sur un pourcentage du prix de la vente.

Elle soutient s'être livrée à une analyse sérieuse de la valeur du bien, en tenant compte de ce que le vendeur souhaitait en conserver l'usufruit et affirme que l'estimation établie par la société G est purement fantaisiste.

Elle ajoute qu'il n'appartient pas à l'agent immobilier de contrôler les éléments juridiques de l'opération et ainsi de vérifier la capacité de contracter du vendeur.

***

Par des écritures en date du 27 septembre 2019, o. M. et la SCI A maintiennent leurs demandes principales et subsidiaires et s'opposent à celles formées par les époux DE. à titre reconventionnel.

Pour l'essentiel, les requérantes soutiennent que :

* l'épouse a bien donné son consentement à la vente par son époux de la nue-propriété de l'appartement qu'ils occupent au sens de l'article 187 du Code civil, sans que la forme verbale dudit consentement ne soit rédhibitoire,

* les actes qui n'emportent pas aliénation du bien servant au logement de la famille ne sont pas concernés par les dispositions de l'article 187 du Code civil, dès lors que l'appartement objet de la vente appartient en propre à l'époux et que l'acte authentique prévoyait que l'usufruit en était réservé à l'épouse jusqu'à son décès,

* Monsieur DE. refuse donc de passer l'acte authentique de vente en méconnaissance des engagements souscrits par lui-même lorsqu'il a accepté l'offre d'achat du 21 septembre 2016 présentée par o. M.

***

Par conclusions récapitulatives déposées le 6 mai 2020, les époux DE. répliquent en ces termes :

À titre principal, ils sollicitent le débouté des demandes des requérantes, soutenant que Madame DE. n'a pas consenti à la vente du logement familial et que l'offre acceptée sur laquelle la SCI A et o. M. fondent leurs demandes ne peut revêtir le caractère de vente parfaite faute d'acte authentique au sens des articles 1426 et 1432 du Code civil ;

À titre subsidiaire, qu'il soit dit que la SARL C a manqué à ses obligations envers son mandant et la condamner à les relever et garantir de toute condamnation prononcée à leur encontre, outre la condamnation de celle-ci à leur verser la somme de 600.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice en résultant ;

En tout état de cause, la condamnation des demanderesses au paiement de la somme de 10.000€ à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par leur action.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

* Sur la jonction des procédures :

Aucune des parties ne s'oppose à la demande de jonction formulée par la SARL C.

En application de l'article 271 du Code de procédure civile, compte tenu du lien existant entre ces deux instances, il convient de faire droit à cette demande, d'ordonner la jonction des deux procédures et de dire que la procédure enregistrée sous le n° 2018/000287 et la procédure enregistrée sous le n° 2019/000401 seront désormais appelées sous le numéro unique 2018/000287.

* Sur la demande principale :

En vertu des dispositions de l'article 35 du Code de droit international privé, les droits et devoirs respectifs des époux sont régis en premier lieu par le droit de l'Etat sur le territoire duquel les époux ont l'un et l'autre leur domicile, commun ou séparé.

En l'occurrence, il est acquis aux débats que les époux DE. ont leur domicile conjugal dans la principauté de Monaco.

Ce sont donc bien les dispositions du Code civil monégasque qui trouvent application, et non celles du Code civil français.

En l'espèce, l'article 187 du Code civil énonce dans son troisième alinéa que les époux ne peuvent l'un sans l'autre disposer des biens par lesquels est assuré le logement de la famille. Celui des deux qui n'a pas donné son consentement à l'acte peut en demander l'annulation.

L'objectif de ce texte est clairement de préserver le logement de la famille en assurant aux deux conjoints de pouvoir y demeurer le temps du mariage.

Il est constant que Monsieur DE. a signé un mandat de vente exclusif avec la SARL C pour la vente de la nue-propriété de l'appartement constituant le domicile conjugal, sis X5 à Monaco, puis en acceptant une offre d'achat selon les mêmes conditions, sans que son épouse ne matérialise à ce stade son consentement à l'acte en le contresignant afin de donner son autorisation et en l'absence d'une réserve d'usufruit au profit de celle-ci indiquée sur le mandat de vente exclusif.

En concluant ce contrat, Monsieur DE. n'a cependant pas porté atteinte au logement de la famille. En effet, en ne se départissant que de la nue-propriété de l'immeuble tout en en conservant l'usufruit, Monsieur DE. permet à son conjoint de pouvoir demeurer dans le domicile familial jusqu'à son décès, soit pendant le temps du mariage.

Les droits de Madame DE. dans cette opération immobilière sont donc préservés puisque l'acte de disposition entrepris par son époux seul ne la privera nullement de la jouissance du logement familial au cours du mariage.

De plus, le fait que la réserve d'usufruit à son profit envisagée par son mari n'ait pas été mentionnée sur le mandat de vente ne pose pas non plus difficulté. En effet, la vente de la nue-propriété seule laisse à Monsieur DE. l'usufruit du bien, ce qui préserve ainsi la résidence la famille pendant le mariage.

Cette vente de la nue-propriété du bien immobilier objet de l'offre d'achat n'altérant donc pas les droits de Madame DE. sur le logement de la famille, le consentement de celle-ci à la vente n'était pas nécessaire et son absence ne rend pas nul l'acte de disposition accompli par son mari en acceptant l'offre d'achat déposée par Madame M.

Le dernier argument avancé par les époux DE. consiste à dire qu'aucun engagement n'a été constaté par acte notarié et que les prétentions des demanderesses ne reposent que sur une offre d'achat sous seing privé contresignée par Monsieur DE. qui ne peut produire ses effets à défaut d'avoir été constatée par acte authentique, alors de surcroît que les délais étaient expirés.

En réponse, les demanderesses exposent que la vente était parfaite entre les parties puisque ceux-ci sont convenus de la chose et du prix, la propriété du bien était par conséquent acquise de droit à l'acheteur et les vendeurs étaient tenus de passer l'acte de vente authentique par devant un notaire monégasque.

L'article 1426 du Code civil énonce que la vente est parfaite entre les parties et la propriété acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ou le prix payé.

L'alinéa 2 précise qu'une convention ou une promesse synallagmatique de vente ayant pour objet un immeuble situé dans la Principauté ne produit ses effets et ne vaut vente qu'à partir du moment où elle est constatée par acte authentique passé devant un notaire monégasque.

En cas de refus d'une des parties contractantes de passer ledit acte, l'autre peut, à son choix, soit faire ordonner par justice qu'elle sera tenue de la passer et que, faute de ce faire, le jugement en tiendra lieu, soit réclamer des dommages et intérêts.

Enfin, la jurisprudence énonce que dans le cas d'une promesse affectée de la condition suspensive de la rédaction d'un acte authentique dans un délai déterminé, la non-réitération de l'acte ne constitue pas une cause de nullité de la promesse lorsque la condition n'a été stipulée que dans le seul intérêt de l'acquéreur, qui peut y renoncer unilatéralement. (CA, 18 octobre 1977).

Ainsi, le fait que le vendeur n'ait accepté l'offre que le 16 décembre 2016, soit après l'expiration du délai fixé au 23 septembre 2016 à midi, est sans incidence sur sa validité, la clause relative à la durée de validité de l'offre d'achat n'étant prévue qu'au bénéfice de l'acquéreur, qui n'a pas demandé à voir relever la caducité de l'acte.

Dès lors, les conditions de l'offre d'achat étant remplies puisque les parties se sont accordées sur la chose et le prix, il y a lieu de dire que la promesse doit produire tous ses effets et ordonner la vente judiciaire de l'immeuble objet du litige entre les parties, selon les modalités détaillées au dispositif de la présente décision, en l'absence de tout élément permettant de penser que la propriété de l'immeuble appartenant à Monsieur DE. a été transférée à un tiers.

* Sur l'appel en garantie :

Les époux DE. demandent à se voir relever et garantir par la SARL C de toutes condamnations prononcées à leur encontre et à les indemniser pour les préjudices subis, compte tenu des manquements de cette dernière, ayant selon eux failli à son obligation d'information, de conseil et de loyauté à double titre :

Quant au prix de vente proposé :

Les époux DE. affirment que l'agence immobilière a manqué à son obligation de loyauté en ne leur fournissant pas une information correcte sur la valeur du bien, mis en vente à un prix manifestement sous-évalué.

Ils exposent que le 15 janvier 2016, la SARL C a établi une estimation du prix de vente de la nue-propriété de la résidence familiale des époux DE. entre 1.050.000 et 1.200.000 euros et que le prix a été fixé à la somme de 1.125.000 euros dans le cadre du mandat de vente exclusif.

Or, l'offre d'achat formulée par o. M. le 21 septembre 2016 n'était que de 900.000 euros, alors que la société G a estimé la valeur vénale de la nue-propriété en mai 2017 à la somme de 1.500.000 euros, ce qui représente une différence de 600.000 euros.

En réplique, la SARL C soutient qu'il n'était pas dans son intérêt de vendre à un vil prix, sa rémunération étant basée sur un pourcentage du montant de la vente et remet en outre en cause l'évaluation effectuée par la société G, insuffisamment probante selon elle.

S'il est constant que la valeur de la nue-propriété retenue par la société G est bien plus importante que celle estimée par la SARL C, il convient de souligner que :

* l'évaluation a été établie plusieurs mois après que le mandat de vente exclusif a été signé, dans le contexte d'un marché immobilier monégasque très volatile,

* le fils de Monsieur DE. a écrit à l'agence immobilière le 1er juin 2016, suite à une offre d'achat au prix de 800.000€ refusée par ceux-ci, en indiquant que ses parents souhaitaient tirer 1.000.000 d'euros de la vente de l'appartement, mais « qu'une possible négociation pourrait être envisageable en cas d'offre raisonnable de l'acheteur », ce qui pourrait « booster la vente », étant prêts à descendre à un prix de 900.000 euros. Le vendeur avait donc tout à fait conscience de ce que le prix de 900.000 euros correspondait bien au cours du marché de l'immobilier à cette période,

* une seule estimation différant de celle établie par l'agence mandatée ne peut à elle seule démontrer la vileté du prix,

Dès lors, les arguments par les époux DE. ne seront pas retenus, ceux-ci ne faisant pas la démonstration d'un défaut de loyauté et de conseil de l'agence immobilière à leur égard.

Quant aux conditions essentielles de la vente :

Il résulte de ce qui précède que l'agence mandatée n'avait aucunement l'obligation d'informer son mandant de la nécessité du consentement de son épouse pour la vente, puisque cette condition n'est pas nécessaire à la vente de la nue-propriété seule, quand bien même l'usufruit était de ce fait conservé par Monsieur DE. uniquement, sans réserve d'usufruit au profit de son conjoint.

Aucun manquement de la SARL C à son obligation d'information et de conseil envers son client ne peut donc être retenu à ce titre.

En conséquence, ce moyen avancé par les défendeurs sera rejeté.

* Sur la demande formée par la SARL C :

Ainsi que l'expose la SARL C dans ses écritures, le mandat de vente conclu avec Monsieur DE. prévoit que la réalisation de la vente générera le paiement d'une rémunération de 5% du prix de la vente, hors TVA, suivant le tarif officiel de la CHAMBRE IMMOBILIERE MONEGASQUE.

L'intervention de l'agence immobilière dans la transaction n'est pas contestable, puisqu'elle a recueilli l'offre d'achat qui a ensuite été acceptée par le vendeur.

Il est donc légitime qu'elle se voit octroyer la rémunération contractuellement prévue et que Monsieur DE. soit condamné à lui verser la somme de 54.000 euros à ce titre, taxe sur la valeur ajoutée incluse ( soit 900.000€ x 5% = 45.000€ +20% de TVA = 54.000€).

* Sur les demandes de dommages et intérêts :

* Sur la demande principale :

L'appréciation erronée qu'une partie fait de ses droits n'est pas en soi constitutive d'un abus, sauf démonstration d'une faute, d'une intention de nuire ou d'une mauvaise foi.

En l'occurrence, la mauvaise foi des époux DE. n'est pas démontrée, ceux-ci ayant fait valoir leurs arguments sans que l'on ne puisse qualifier leur résistance d'abusive.

La demande dommages et intérêts à titre principal sera rejetée.

* Sur la demande reconventionnelle :

Au regard de ce qui précède, la demande de dommages et intérêts formée par les défendeurs est sans objet.

* Sur la demande formée par la SARL C :

La SARL C ne démontre le caractère abusif de l'appel en garantie formé par les époux DE., qui n'ont fait qu'une appréciation erronée de leurs droits sans volonté délibérée de lui nuire.

Sa demande de dommages et intérêts sera donc rejetée.

* Sur les demandes annexes :

Compte tenu de la solution du litige, il convient de condamner les époux DE. aux entiers dépens de l'instance.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Ordonne la jonction des procédures enregistrées sous les numéros 2018/000287 et 2019/000401 et dit qu'elles seront désormais appelées sous le numéro unique 2018/000287 ;

Constate la validité de l'offre d'achat présentée le 21 septembre 2016 par o. M. et acceptée par j.-p. DE. le 16 décembre 2016 ;

Déclare par conséquent j.-p. DE. tenu de passer devant Maître Nathalie C. A., Notaire à Monaco, l'acte authentique de vente de la nue-propriété du bien immobilier constitué par un appartement portant le X5 de l'immeuble dénommé « Y » à Monaco, au prix de 900.000 euros, avec s'il le souhaite une réserve d'usufruit au profit de son conjoint Madame h. NG. épouse DE., à o. MI. avec faculté de substitution par la SCI A, dans le mois de la signification du présent jugement et au besoin l'y condamne ;

Dit qu'à défaut de ce faire, le présent jugement tiendra lieu d'acte de vente et sera transcrit à la Conservation des Hypothèques ;

Déboute les époux DE. des fins de leur appel en garantie ;

Condamne j.-p. DE. à verser à la SARL C la somme de 54.000 euros ;

Déboute chacune des parties de sa demande de dommages et intérêts ;

Condamne j.-p. DE. et son épouse h. NG. aux entiers dépens de l'instance, distraits au profit de Maître Christophe SOSSO et de Maître Sarah FILIPPI, avocats-défenseurs, sous leur affirmation de droit, chacun pour ce qui le concerne ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en Chef, au vu du tarif applicable ;

Composition

Ainsi jugé par Monsieur Sébastien BIANCHERI, Vice-Président, Madame Séverine LASCH, Juge, Madame Virginie HOFLACK, Juge qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Monsieur Damien TOURNEUX, Greffier ;

Lecture étant considérée comme donnée à l'audience du 24 SEPTEMBRE 2020, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Monsieur Sébastien BIANCHERI, Vice-Président, assisté de Florence TAILLEPIED, Greffier, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, Premier Substitut du Procureur Général, le dispositif de la décision étant affiché en salle des pas perdus du Palais de Justice.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : 19329
Date de la décision : 24/09/2020

Analyses

Vente d'immeuble ; Contrat de vente ; Autres professions réglementées


Parties
Demandeurs : o. M. et la SCI A
Défendeurs : j.-p. DE. et autres

Références :

article 35 du Code de droit international privé
article 1426 du code civil
Code civil
article 271 du Code de procédure civile
article 187 du Code civil
articles 1426 et 1432 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2025
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;2020-09-24;19329 ?

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