Abstract
Droit international privé - Succession - Compétence partielle des juridictions monégasques - Exception de litispendance (non) - Sursis à statuer (non)
Résumé
Il n'y a pas lieu d'écarter la présomption simple de fixation du domicile de la majeure protégée chez son tuteur dès lors que le médecin expert italien notait que l'infirmité mentale dont elle souffrait la rendait « totalement incapable de comprendre et par conséquent de vouloir » et que la cour d'appel de Gènes précise que son changement de domicile est intervenu « alors que celle-ci était déjà frappée d'une incapacité générale » et a été effectué de manière arbitraire. Le transfert de son domicile d'Alassio à Monaco a donc été réalisé sans son consentement éclairé. Son dernier domicile avant son décès se trouvait bien en Italie, chez son administrateur judiciaire. Les juridictions monégasques ne sont donc pas compétentes pour connaître de sa succession. Toutefois, la défunte possédait un immeuble sur le territoire monégasque, de sorte que le Tribunal détient une compétence partielle au titre de ce dernier.
S'il y a une instance pendante devant la juridiction italienne au titre de cette succession, il n'est pas démontré qu'elle aurait été saisie en premier lieu. Par ailleurs, le prononcé d'un sursis à statuer dans l'attente de la décision étrangère n'est pas clairement conforme à une bonne administration de la justice dès lors que la présente juridiction n'est compétente qu'au titre de l'immeuble situé sur le territoire monégasque. En outre, le seul risque de contrariété de décisions concernant la validité du testament et de son codicille apparaît limité dès lors que les lois italienne ou monégasque susceptibles d'être appliquées par les juridictions italiennes et monégasques relèvent d'une même conception de l'ordre public. La demande de sursis à statuer est donc rejetée.
Motifs
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
JUGEMENT DU 18 JUIN 2020
N° 2019/000044 (assignation du 12 juillet 2018)
En la cause de :
* · n. G., né le 28 mars 1969 à San Remo (Italie), de nationalité italienne, demeurant X1 à Monaco (98000) ;
DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Raphaëlle SVARA, avocat près cette même Cour ;
d'une part ;
Contre :
* 1- b. G., née le 9 avril 1949 à Alassio (Italie), de nationalité italienne, demeurant X2 (10054) Italie ;
* 2- f. G. épouse P., née le 15 mars 1952 à Alassio (Italie), demeurant X3 (17033) Italie ;
DÉFENDERESSES, DÉFAILLANTES ;
* 3- s. G. épouse GA., née le 12 mars 1954 à Alassio (Italie), demeurant X4 (Italie) ;
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
* 4 - l. G., né le 25 mars 1963 à Albenga (Italie), de nationalité italienne, demeurant X5 (18025) Italie ;
DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ; EN PRESENCE DE :
* · Madame LE PROCUREUR GÉNÉRAL demeurant Palais de Justice de Monaco 5 rue colonel Bellando de Castro à Monaco (98000) ;
COMPARAISSANT EN PERSONNE.
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 12 juillet 2018, enregistré (n° 2019/000044) ;
Vu le jugement avant-dire-droit de ce Tribunal en date du 11 juillet 2019 ayant notamment renvoyé la cause et les parties à l'audience du mercredi 16 octobre 2019 ;
Vu les conclusions de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de n. G. en date des 16 octobre 2019 et 31 janvier 2020 ;Vu les conclusions de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de s. G. en date des 20 décembre 2019 et 21 février 2020 ;
Vu les conclusions du Ministère Public en date du 31 janvier 2020 ;
À l'audience publique du 9 mai 2019, les conseils des parties ont déposé leurs dossiers, nul n'ayant comparu pour b. et f. G. et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 7 mai 2020 et prorogé au 18 juin 2020, les parties en ayant été avisées ;
EXPOSÉ DU LITIGE :
t. B. veuve G. née le 21 octobre 1926 à BUCAREST (Roumanie), est décédée à Monaco le 21 novembre 2016, laissant ses cinq enfants pour lui succéder :
* - b. G. née le 9 avril 1949 à Alassio (Italie), demeurant en Italie,- f. G. épouse P. née le 15 mars 1952 à Alassio (Italie),
* - s. G. née le 12 mars 1954 à Alassio (Italie), demeurant en Italie,
* - l. G. né le 25 mars 1963 à Albenga (Italie), demeurant en Italie,
* - n. G. né le 28 mars 1969 à San Remo (Italie), se disant domicilié à Monaco.
La succession a été ouverte le 21 novembre 2016 auprès de l'étude de Maître Henri REY, notaire à Monaco, en considérant que la défunte était domiciliée en Principauté.
Préalablement à son décès, f. A. B. avocat au barreau de SAVONE, avait été désigné, vu l'urgence, en qualité d'administrateur judiciaire provisoire de t. G. pour une durée de 12 mois, par décision du Juge tutélaire de SAVONE du 21 août 2012, suite à une expertise judiciaire psychiatrique ordonnée par la même juridiction le 29 juin 2012 afin d'évaluer l'état de santé de l'intéressée.
Par décision prononcée le 26 juin 2013, le Juge tutélaire de SAVONE avait ordonné la transmission des actes à l'ambassade d'Italie en Principauté de Monaco afin que soit désigné un nouvel administrateur judiciaire pour t. B. aux motifs que « celle-ci figure aux registres d'état civil des Italiens résidents à l'étranger et compte tenu de l'existence d'éléments probants confirmant l'hypothèse selon laquelle celle-ci réside de manière assidue sur le territoire de ladite Principauté ». Sur recours introduit par s. G. contre ladite décision, la Cour d'appel de GENES a rendu le 28 février 2014 un arrêt révoquant ladite ordonnance et renvoyant l'affaire devant le Juge tutélaire du Tribunal de SAVONE « pour toute décision relative à la suite de la procédure ». La Cour d'appel motive sa décision en affirmant qu' « à la lumière du caractère arbitraire du transfert de la majeure protégée, la juridiction italienne reste compétente en l'espèce, en vertu de l'article 5CPC italien, faute de preuve satisfaisante permettant d'établir qu'à la date de l'ouverture de la procédure de mise sous administration judiciaire, la majeure protégée résidait de manière stable en Principauté de Monaco ».
Par décision du 13 mars 2014, l'Ambassadeur d'Italie a confirmé Maître A. B. dans ses fonctions d'administrateur judiciaire. Le Tribunal de SAVONE l'a à nouveau désigné en qualité de tuteur provisoire de t. B. veuve G. par décision du 7 mai 2014.
Suivant jugement du 2 juillet 2013, le Tribunal de première instance statuant en Chambre du Conseil :
* - s'est déclaré compétent pour statuer sur la requête présentée par n. et l. G. tendant à voir instaurer une mesure de protection en faveur de leur mère, t. B.
* - a prononcé l'ouverture de la tutelle à l'égard de cette dernière, dit n'y avoir lieu de l'organiser et désigné f. A. B. demeurant X7 à FINALE LIGURE, en qualité d'administrateur judiciaire des biens de la majeure protégée.
Pour statuer ainsi malgré l'opposition des requérants, qui contestaient la désignation de f. A. B. la Chambre du conseil a retenu qu'il ressortait du rapport d'enquête sociale que les principaux biens composant le patrimoine, au demeurant important, de t. B. veuve G. se trouvaient en Italie et que dans ces conditions, il apparaissait opportun de désigner le susnommé, celui-ci connaissant déjà parfaitement la consistance dudit patrimoine, dont il assurait l'administration provisoire des biens depuis le 21 août 2012, et serait donc en mesure, « dans l'attente de l'aboutissement des procédures italiennes, de prendre rapidement des décisions tant en Italie qu'en Principauté de Monaco, conforme aux intérêts de la personne protégée ».
Par arrêt en date du 26 juin 2014, la Cour d'appel de Monaco a confirmé le jugement du 2 juillet 2013 en toutes ses dispositions, indiquant que « Maître A. B. répond aux critères nécessaires pour être maintenu en qualité d'administrateur et poursuivre la mission qui lui a été confiée, dans l'intérêt bien compris de la majeure protégée ».
t. G. avait rédigé, en la forme olographe, un testament en langue française, accompagné d'un codicille rédigé en langue italienne et traduit en langue française, datés du 6 janvier 2010 et déposés en l'étude de Maître Henri REY.
Aux termes de ce testament, la défunte stipulait que : « Pour ce qui concerne l'ensemble des biens qui composent la succession et dont la dévolution sera soumise à la loi italienne :
* Je lègue à mes enfants b. f. s. et l. à raison de deux quinzième chacun, la part de mon patrimoine (part à eux réservée par la loi),
* Je lègue à mon fils n. la part résiduelle de sept quinzième de mon patrimoine (part de réserve et entièrement disponible).
Pour ce qui concerne les biens qui dépendront de ma succession et dont la dévolution sera soumise à la loi monégasque : Je lègue à mon fils n. par préciput et hors part, l'appartement situé dans l'immeuble X6 à Monte-Carlo ainsi que le double box à la société Z, et tous les meubles, tableaux et tous les objets qui sont dans l'appartement. Je tiens à rappeler que j'ai déjà consenti à mes autres enfants des donations en avancement d'hoirie, dont la liste figure dans le document joint au présent testament ».
Le 27 mars 2017, l. et n. GA. déclaraient devant Maître p. L., notaire à GENES, accepter purement et simplement la succession de leur mère.
Par acte du 29 mai 2017 adressé à Maître l. B., notaire à ALBENGA, s. G. acceptait la succession de sa mère sous bénéfice d'inventaire, s'opposant à l'exécution du testament olographe précité de 2010.
Sur requête déposée par s. G. devant le Tribunal de SAVONE (Italie), cette juridiction a ordonné par décision du 6 octobre 2017 la saisie conservatoire de tous les biens constituant la succession de t. G. « qu'il s'agisse de biens meubles, immeubles, de parts sociales et de toute autre chose se trouvant dans la Principauté de Monaco », et désigné en qualité d'administrateur judiciaire, s. A., lui confiant le soin d'empêcher toute dispersion des biens saisis et d'assurer leur gestion ordinaire.
Par exploit du 5 juillet 2018, s. G. a assigné l'ensemble de la fratrie, outre s. AX., ès-qualités de séquestre judiciaire, ainsi que les sociétés à responsabilité limitée de droit italien SRL A et SRL B devant le Tribunal de SAVONE, en nullité du testament olographe et du codicille rédigés par sa défunte mère le 6 janvier 2010 et en partage de ladite succession.
Par exploit en date du 12 juillet 2018, n. G. a fait assigner ses frère et sœurs devant la présente juridiction, aux fins de :
* - délivrance du legs particulier fait par sa mère,
* - voir ordonner la liquidation et le partage de l'indivision successorale de feue t. G. conformément aux dispositions du testament daté du 6 janvier 2010.
Par conclusions du 5 décembre 2018, l. G. a déclaré sen rapporter. f. et b. G. sont défaillantes à la présente procédure. Par conclusions du 9 janvier 2019 réitérées le 1er avril 2019, s. G. a soulevé trois exceptions procédurales :
* *la nullité de l'exploit introductif d'instance compte tenu dune mention erronée concernant ladresse du requérant, en réalité domicilié en Italie, au visa des articles 136 et 155 du Code de procédure civile,
* *une exception de litispendance internationale fondée sur l'article 12 du Code de droit international privé monégasque, eu égard à la saisine préalable de la juridiction italienne concernant les mêmes parties pour le même objet,
* *l'incompétence territoriale de la présente juridiction au profit de la juridiction italienne préalablement saisie, soit le Tribunal de SAVONE, compte tenu des nombreux éléments d'extranéité afférents à la succession justifiant la compétence des juridictions italiennes.
La défenderesse a en outre sollicité à titre reconventionnel la condamnation du demandeur au paiement de la somme de 15.000 euros de dommages et intérêts en réparation de la procédure abusive et de lui donner acte, si le présent Tribunal retenait sa compétence, de ce quelle entend assigner et appeler en la cause les sociétés de droit italien SRL A et SRL B, ainsi que l'administrateur judiciaire des biens de la succession, s. A., et conclure plus amplement.
s. G. soutient en substance que :
* * les pièces visées par le demandeur, qui en sollicite le rejet, ne doivent pas être écartées car elles sont en réalité connues de ce dernier,
* * le défaut de mention du domicile réel du demandeur cause aux défendeurs un grief indiscutable car en réalité, n. G. habite en Italie et tente par ce biais de rattacher artificiellement le litige à Monaco, en utilisant ce prétendu domicile monégasque pour se voir attribuer la pleine possession de l'appartement rapporté en valeur à l'actif successoral,
* * le Tribunal monégasque a été saisi en second lieu dune instance entre les mêmes parties et ayant le même objet, si bien qu'il est nécessaire qu'il sursoit à statuer jusqu'au prononcé de la décision de la juridiction italienne afin d'éviter une contradiction de décision, alors même que des mesures de protection sont déjà en place sur la totalité des actifs successoraux, y compris ceux de Monaco, et sous administration de Maître AX.,
* * jusqu'en novembre 2012, la de cujus, alors sous tutelle, était domiciliée à Alassio en Italie, et a été transférée de force à Monaco par son fils, qui la déplacée à l'insu du tuteur italien et du Conseil de famille à cette période, alors même que les facultés mentales de t. G. étaient déjà très altérées,
* * tous les héritiers, y compris n. G. sont aujourd'hui domiciliés en Italie,
* * les héritiers ont tous accepté la succession par actes notariés en Italie où ils font valoir leurs demandes,
* * la large majorité des actifs successoraux, y compris de nombreux immeubles, se situent en Italie,
* * l'ensemble de ces éléments d'extranéité justifie la compétence des juridictions italiennes pour régler la succession.
***
Par des conclusions récapitulatives en réponse déposées le 9 avril 2019, n. G. sollicite :
* -le rejet des pièces numérotées 3, 4, 5, 11, 12, 19, 20, 22 et 23 produites par s. G. en langue italienne et partiellement traduites,
* -le rejet des exceptions de procédure soulevées par la défenderesse,
* -le rejet de la demande de dommages et intérêts formée par s. G.
* -la condamnation de s. G. à lui verser la somme de 10.000 euros de dommages et intérêts du fait de la résistance abusive de cette dernière.
Le demandeur fait valoir pour l'essentiel que :
* -il est bien domicilié à Monaco et qu'en tout état de cause, s. G. ne justifie d'aucun grief au sens de l'article 264-2 du Code de procédure civile permettant de retenir l'exception de nullité de l'assignation,
* -la compétence des tribunaux italiens est exclue en vertu des règles du droit international privé applicables en la matière, alors même que la défunte était domiciliée à Monaco depuis plus dune dizaine d'années au moment de son décès, et que la succession s'est ouverte devant un notaire monégasque,
* -la procédure italienne et la procédure monégasque actuellement pendantes n'ont pas le même objet et la procédure monégasque est la première introduite, rendant l'exception de litispendance soulevée irrecevable,
* -il n'y a pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente dune décision italienne.
n. G. demande enfin à voir s. G. renvoyée à conclure sur le fond du litige, compte tenu du nécessaire rejet de l'ensemble de ses manoeuvres procédurales dilatoires.
Par des conclusions déposées le 26 avril 2019, le Ministère Public soutient que :
* - s. G. ne rapporte pas la preuve que le domicile du demandeur est fixé à X1 en Italie, alors que celui-ci est titulaire d'un titre de séjour et donc présumé avoir son domicile à Monaco en application de l'article 2 de la loi n1.448 du 28 juin 2017,
* - s'agissant de la litispendance, au visa des articles 6.4 et 56 de la loi sur le droit international privé, il importe que la juridiction monégasque, par ailleurs régulièrement saisie de successions internationales et pour des masses à répartir significatives y compris en présence d'immeubles situés à l'étranger, conserve sa compétence naturelle en affirmant l'autorité absolue de l'article 56 précité,
* - sur l'incompétence, aucun des éléments avancés par s. G. ne vient convaincre que les conditions légales de l'article 6.4 de la loi sur le droit international privé ne sont pas réunies.
Le Ministère Public sollicite donc :
* - le rejet de la demande de nullité de l'exploit du 12 juillet 2018,
* - de dire et juger que la faculté d'écarter l'exception de litispendance doit s'appliquer en l'espèce et débouter en conséquence la défenderesse de sa demande,
* - débouter s. G. de son exception d'incompétence,
* - de lui donner acte de ce qu'il sen rapporte sur le fond. Par jugement rendu le 11 juillet 2019, la présente juridiction a :
* - rejeté l'exception de nullité de l'assignation,
* - ordonné la réouverture des débats afin de permettre aux parties de s'expliquer sur la compétence territoriale de la présente juridiction au regard du lieu de situation du domicile de la défunte, moyen soulevé d'office par le Tribunal. Par des conclusions récapitulatives déposées le 31 janvier 2020, n. G. a sollicité :
* - à titre principal, le rejet de l'exception d'incompétence soulevée par s. G. et voir dire que les tribunaux monégasques ont compétence exclusive pour connaître de l'entier litige relatif aux opérations de partage de la succession de feue Madame B. en avançant que les dispositions de l'article 78 alinéa 3 du Code civil sont inapplicables en l'espèce car t. B. aurait été simplement sous administration judiciaire et non sous tutelle,
* - à titre subsidiaire, de voir dire que :
* * l'article 78-3 du Code civil pose une présomption simple et réfragable de domiciliation du majeur sous tutelle chez son tuteur et qu'en l'espèce, il rapporte la preuve contraire combattant la présomption simple, puisque la défunte était bien domiciliée à Monaco avant son décès,
* * l'article 6-4 du Code de droit international privé s'applique à toute la succession dès lors qu'un immeuble appartenant à ladite succession est situé à Monaco,
* - à titre infiniment subsidiaire, de voir dire que les juridictions monégasques ont compétence pour connaître du litige relatif au sort de l'immeuble sis X1à Monaco,
* - sur l'exception de litispendance, de la rejeter et :
* * de voir dire à titre principal que la compétence des Tribunaux italiens est exclue en vertu des règles de droit international privé applicable en la matière, puisque les deux instances n'ont pas le même objet et que la procédure monégasque est la première introduite,
* * à titre subsidiaire, de voir dire qu'au vu des éléments de l'espèce, il n'est pas opportun d'user de la faculté de surseoir à statuer,
* - en tout état de cause, de renvoyer s. G. à conclure sur le fond du litige.
Par des écritures déposées le 21 février 2020, s. G. demande :
* - de déclarer recevables les pièces énumérées dans ses conclusions, versées aux débats par ses soins, afin de régulariser les pièces rejetées pour défaut de traduction,
* - de voir la présente juridiction décliner sa compétence au profit des juridictions italiennes pour régler l'indivision de la succession de feue t. B. au regard :
* *du dernier domicile de la défunte - soit le domicile de son tuteur - au moment de son décès,
* * des nombreux éléments d'extranéité afférents à la succession et justifiant la compétence des juridictions italiennes,
* - de prononcer un sursis à statuer dans l'attente de la décision italienne à intervenir, ladite juridiction ayant été saisie en premier lieu,
* - dans l'hypothèse de la compétence de la présente juridiction, de lui donner acte de ce quelle entend assigner et appeler en cause les sociétés de droit italien SRL A et SRL B, ainsi que l'administrateur judiciaire de la succession, s. AU., et quelle entend conclure plus amplement sur les éléments du litige en la cause, - en tout état de cause, de rejeter l'ensemble des prétentions de n. G. et de le condamner à lui verser la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de cette procédure abusive.
Par des écritures en date du 31 janvier 2020, le Ministère Public demande au Tribunal de :
* débouter s. G. de son exception d'incompétence,
* juger que la faculté d'exception de litispendance doit être écartée en l'espèce et débouter en conséquence s. G. de sa demande de sursis à statuer.
Il indique par ailleurs sen rapporter sur le fond.
MOTIFS :
Il sera statué par décision réputée contradictoire, l'assignation initiale ayant bien été remise aux défenderesses défaillantes, contrairement aux indications portées dans le jugement du 11 juillet 2019.
Sur la demande de régularisation des pièces : s. G. a régularisé contradictoirement une nouvelle communication de pièces, en tirant les conséquences du jugement du 11 juillet 2019 et en produisant des documents traduits en langue française. Il convient donc de constater la production régularisée aux débats des pièces 3bis, 4bis, 5bis, 11bis, 12bis, 30, 30bis, 31, 31 bis, 32, 33 et 38 ter par la défenderesse, dûment traduites, celles-ci n'ayant pas fait l'objet d'une demande de rejet par la partie adverse.
* Sur la compétence :
Aux termes des dispositions de l'article 6-4 du Code de droit international privé, les Tribunaux de la Principauté sont compétents en matière successorale lorsque la succession s'est ouverte dans la Principauté ou un immeuble dépendant de la succession y est situé.
L'article 83 du Code civil énonce que le lieu où la succession s'ouvre est celui du domicile du défunt, tandis que l'article 78 de ce même code précise que le domicile du majeur protégé est celui de son tuteur.
Le premier argument avancé par n. G. selon lequel les dispositions de l'article 78 alinéa 3 ne s'appliqueraient pas au cas de simple mise sous administration judiciaire, statut dont relevait la défunte, est contredit par une décision rendue par la Cour d'appel le 25 mai 2004 qui mentionne que le domicile du majeur protégé est situé chez son administrateur, même dans le cas où la tutelle n'est pas organisée.
L'administration judiciaire prévue à l'article 410-19 du Code civil est une simple modalité allégée d'exercice de la tutelle, et les dispositions relatives à celle-ci s'appliquent également à l'administration judiciaire, si bien que ce moyen est inopérant.
Le demandeur expose ensuite qu'à son sens, le domicile légal du majeur en tutelle chez son tuteur relève de la présomption simple qui peut être combattue par la preuve contraire à la charge de celui qui la conteste. Il fait valoir qu'en la matière, la jurisprudence constante a retenu qu'était une preuve contraire faisant obstacle à ladite présomption simple :
* - le domicile fixé à Monaco par le majeur avant l'ouverture de la mesure de tutelle, (CA, 2 juillet 2004, Ministère public c/ M. Vve B.),
* - la résidence effective maintenue au lieu du domicile après l'ouverture de la mesure (TPI, 9 janvier 2014, t. CO).
n. G. ajoute que dès lors que t. B. veuve G. avait son domicile depuis plus de 30 ans à Monaco avant l'ouverture de la mesure de protection dont elle a bénéficié et la conservé jusqu'à son décès, son dernier domicile doit être considéré comme se trouvant à Monaco, quand bien même son administrateur judiciaire était domicilié en Italie.
Il précise qu'en attribuant compétence au Juge tutélaire monégasque pour contrôler la gestion de l'administrateur judiciaire, demeurant pourtant en Italie, les magistrats de la Chambre du conseil du présent Tribunal ont reconnu que Madame B. était domiciliée de manière stable et permanente sur le territoire monégasque.
En défense, s. G. affirme que lorsque sa mère a été placée sous administration judiciaire provisoire de Maître f. A. B. suivant jugement du Tribunal de SAVONE du 21 août 2012 en raison d'une altération importante de ses facultés mentales, t. B. était domiciliée à ALASSIO en Italie et n'effectuait des séjours dans sa résidence secondaire à Monaco que de manière périodique.
Elle soutient que n. G. a installé sa mère à titre permanent à Monaco sans le consentement de l'administrateur judiciaire de celle-ci à compter de fin novembre 2012.
Afin de déterminer le domicile de t. B. lors de son décès, il convient de rechercher le lieu où celle-ci avait son principal établissement, ainsi qu'il est visé par l'article 2 du Code de droit international privé.
Le droit monégasque exige une habitation réelle et une intention d'y fixer son principal établissement (TPI, 21 juin 2012).
L'article 2 du Code de droit international privé précise qu'un étranger titulaire d'un titre de séjour est présumé, sauf preuve contraire, avoir son domicile dans la Principauté.
Force est de constater que Madame B. était titulaire dune carte de séjour délivrée le 8 novembre 2004 et d'une carte de résidence délivrée le 15 septembre 2011 par la Direction de la sûreté publique monégasque valable jusqu'au 19 septembre 2021.
De même, son passeport délivré le 29 juillet 2000 et son permis de conduire monégasque indiquent que le domicile de t. B. se trouvait à Monaco.
Pour autant, la résidence a pu être choisie à Monaco pour des raisons diverses sans pour autant que l'intéressée n'y ait eu réellement le centre de ses intérêts.
En cas de résidences multiples, le juge doit procéder à la recherche de l'intention du défunt.
À cet égard, la Cour d'appel de GENES du 27 mars 2014 a retenu que « selon les actes de la procédure ainsi que les déclarations effectuées à l'audience du 19 mars 2012 devant le juge tutélaire par b. G. fille de la majeure protégée, on peut déduire que Madame B. jusqu'à la fin 2012, a habité de manière stable à Alassio, dans la villa Z appartenant à la famille, en se rendant toutefois périodiquement, comme par le passé, à Monte-Carlo et que, seulement à cette date, elle y a été transférée de fait par son fils n. sans notification préalable à l'administrateur judiciaire et sans le consentement de celui-ci » et a relevé en particulier que :
* - les factures produites aux débats concernant les charges de services publics de l'appartement de Monaco où Madame B. était domiciliée depuis le mois de décembre 2012 présentaient une consommation minime d'électricité et de gaz pendant la période préalable à cette période,
* - selon la lettre d'embauche de l'aide à domicile du 5 octobre 2009, il apparaît que l'emploi portait sur une activité professionnelle qui devait être exercée à Alassio, dans la villa Z, où Madame B. habitait de manière stable, en se rendant toutefois toujours à Monaco, - le transfert du domicile de t. B. à Monaco a eu lieu seulement en décembre 2012. n. G. ne démontre pas que sa mère était domiciliée à Monaco avant décembre 2012, alors que les éléments énoncés par la Cour d'appel italienne établissent au contraire que jusqu'à cette date, le centre principal des intérêts de t. B. se trouvait à Alassio en Italie. Il n'est pas contesté que t. B. a été placée sous un régime de tutelle par décision rendue par la chambre du conseil du Tribunal de Première Instance de Monaco le 2 juillet 2013, avec désignation de Maître f. A. B. en qualité d'administrateur judiciaire des biens de la majeure protégée. Par ailleurs, une expertise médicale avait été ordonnée en Italie dès le 29 juin 2012. Il en ressort qu'à cette date, t. B. souffrait déjà d'une « détérioration mentale grave de nature probablement dégénérative, qui se traduit par une aphasie dégénérative associée à une grave détérioration cognitive globale ».
t. B. avait d'ailleurs été placée sous administration provisoire de Maître f. A. B. par décision du Juge tutélaire de SAVONE du 21 août 2012 pour une durée provisoire d'un an car « l'intéressée n'apparaissait pas en mesure de sauvegarder de façon adéquate ses propres intérêts ».
Le médecin expert italien notait alors que l'infirmité mentale dont souffre t. B. la rend « totalement incapable de comprendre et par conséquent de vouloir ». Il ajoutait que ces problèmes de santé la rendaient inapte à gérer ses affaires et précisait que la pathologie était évidente, y compris pour les tiers, depuis 2010-2011.
Il s'avère ainsi particulièrement délicat d'analyser l'intention de t. B. de transférer son domicile à Monaco à compter de décembre 2012, dès lors quelle n'était plus à cette période en capacité d'exprimer sa volonté à ce sujet, et ce d'autant que :
* - la Cour d'appel de Gênes note dans son arrêt cité ci-dessus que ce changement de domicile de la défunte en décembre 2012 est intervenu « alors que celle-ci était déjà frappée d'une incapacité générale » et a été effectué de manière arbitraire,
* - Maître f. A. B. a déposé plainte le 19 février 2013 auprès du Procureur de la République de SAVONE en sa qualité d'administrateur judiciaire provisoire de t. B. expliquant que la majeure protégée a été déplacée à Monaco à l'initiative exclusive de son fils n. alors que cette dernière a été reconnue incapable. L'administrateur judiciaire ajoutait avoir été dans l'incapacité de rencontrer la majeure protégée à Monaco, bien qu'il se soit rendu à l'adresse mentionnée par n. G. Par conséquent, c'est bien sans le consentement éclairé de t. B. que son domicile a été déplacé d'Alassio à Monaco à compter de décembre 2012. Dès lors, la présomption simple de fixation du domicile de la majeure protégée chez son tuteur ne peut être écartée et le dernier domicile de t. B. avant son décès se trouvait bien en Italie, chez son administrateur judiciaire. La compétence des juridictions monégasques ne peut donc être retenue au titre du lieu d'ouverture de la succession. Cependant, il est constant que feue t. B. veuve G. possédait à tout le moins un immeuble à Monaco, sis X1.
La présente juridiction est dès lors partiellement compétente au regard de l'existence d'un immeuble situé sur le territoire monégasque, à l'exclusion dune compétence générale et globale pour connaître de la succession, ainsi que le soutient n. G.
* Sur la litispendance :
En vertu des dispositions de l'article 12 du Code de droit international privé résultant de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 applicable immédiatement aux litiges en cours, lorsqu'une action ayant le même objet est pendante entre les mêmes parties devant un Tribunal étranger, le Tribunal monégasque saisi en second lieu peut surseoir à statuer jusqu'au prononcé de la décision étrangère. Il se dessaisit si la décision étrangère peut être reconnue à Monaco selon le présent Code. Pour qu'il y ait identité d'objet, il faut que les prétentions soumises aux deux juges soient identiques. L'objet correspond au but de la demande, c'est-à-dire à la reconnaissance d'un droit. Il est déterminé par les prétentions respectives des parties. Quand bien même la juridiction italienne aurait été saisie en premier lieu - ce qui n'est pas même démontré - il apparaît que le prononcé d'un sursis à statuer dans l'attente de la décision étrangère n'est pas clairement conforme à une bonne administration de la justice dès lors que la présente juridiction n'est compétente que s'agissant de l'immeuble situé sur le territoire monégasque, à l'exclusion du reste de la succession, et que le seul risque de contrariété de décisions concernant la validité du testament et du codicille du 6 janvier 2010 apparaît limité dès lors que les lois italienne ou monégasque susceptibles d'être appliquées par les juridictions italiennes et monégasques relèvent dune même conception de l'ordre public.
La demande de sursis à statuer sera en conséquence rejetée.
* Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts :
s. G. ne démontre pas le caractère abusif de la présente procédure, alors même que la compétence partielle de la présente juridiction est retenue. Sa demande de dommages et intérêts sera donc rejetée.
* Sur les autres demandes :
S'agissant de la demande de « donner acte » formée par s. G. il convient de rappeler à celle-ci que cela ne correspond pas à une prétention, le Tribunal n'ayant donc pas à y répondre.
Les dépens seront réservés en fin de cause.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant par jugement publiquement, par jugement avant-dire-droit au fond et réputé contradictoire,
Constate la production régularisée aux débats par s. G. des pièces 3bis, 4bis, 5bis, 11bis, 12bis, 30, 30bis, 31, 31bis, 32,33 et 38ter dûment traduites ;
Se déclare compétent pour connaître de la succession de feue t. B. veuve G. uniquement en ce qui concerne l'immeuble sis X1 à Monaco ;
Déboute s. G. de sa demande de sursis à statuer et de dommages et intérêts ;
Rejette le surplus des demandes des parties ;
Renvoie la cause et les parties à l'audience du MARDI 7 JUILLET 2020 pour les conclusions au fond de s. G.;
Réserve les dépens en fin de cause ;
Composition
Ainsi jugé par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, Madame Geneviève VALLAR, Premier Juge, Madame Virginie HOFLACK, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Isabel DELLERBA, Greffier ;Lecture étant considérée comme donnée à laudience du 18 JUIN 2020, dont la date a été prorogée après la clôture des débats, par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, assistée de Madame Florence TAILLEPIED, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de Justice.
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