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21/11/2019 | MONACO | N°18605

Monaco | Tribunal de première instance, 21 novembre 2019, c. a. E. divorcée B. c/ Les SAM A (Monaco) et A (Suisse)


Abstract

Procédure civile - Mesure d'exécution - Liquidation de l'astreinte provisoire ordonnée par le juge des référés - Compétence exclusive du juge des référés (non) - Compétence du tribunal de première instance - Juridiction de droit commun.

Résumé

À la suite du décès de son père, afin d'appréhender la consistance réelle de son patrimoine, la demanderesse a obtenu, par ordonnance compulsoire, que la banque défenderesse lui communique les documents relatifs aux comptes dont son père était titulaire à titre personnel sur les 10 ans précédant son

décès. Confrontée à des difficultés d'exécution, elle a obtenu la condamnation de la défen...

Abstract

Procédure civile - Mesure d'exécution - Liquidation de l'astreinte provisoire ordonnée par le juge des référés - Compétence exclusive du juge des référés (non) - Compétence du tribunal de première instance - Juridiction de droit commun.

Résumé

À la suite du décès de son père, afin d'appréhender la consistance réelle de son patrimoine, la demanderesse a obtenu, par ordonnance compulsoire, que la banque défenderesse lui communique les documents relatifs aux comptes dont son père était titulaire à titre personnel sur les 10 ans précédant son décès. Confrontée à des difficultés d'exécution, elle a obtenu la condamnation de la défenderesse à lui communiquer ces documents dans le délai de 8 jours sous astreinte provisoire de 10 000 euros par jour de retard pendant 3 mois. Alors qu'elle sollicite la liquidation de cette astreinte, la défenderesse invoque l'incompétence du Tribunal au motif que l'astreinte a été fixée par le juge des référés. Or, si l'article 421 du Code de procédure civile dispose que le juge des référés peut, sur demande, ordonner une astreinte et la liquider à titre provisoire, il n'a pas compétence exclusive pour la liquider ou pour prononcer une nouvelle astreinte provisoire. Ainsi, le Tribunal de Première Instance, juridiction de droit commun, a le pouvoir de liquider l'astreinte provisoire prononcée par le juge des référés et de prononcer une nouvelle astreinte provisoire. L'exception d'incompétence sera donc rejetée.

Motifs

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2019/000400 (assignation du 21 février 2019)

JUGEMENT DU 21 NOVEMBRE 2019

En la cause de :

* c. a. E. divorcée B. née le 27 février 1956 à Mannheim (Allemagne), de nationalité américaine, demeurant à X1(NY-USA), X1 NY 10576 (USA) ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

* La SAM A (MONACO), dont le siège social est situé X2 à Monaco, prise en la personne de son Président-Délégué en exercice, domicilié et demeurant en cette qualité audit siège ;

DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco et plaidant par Maître Olivier TAFANELLI, avocat au Barreau de Nice ;

* La société A (SUISSE), venant aux droits de société A (MONACO), dont le siège social est situé X3 à Genève (Suisse), agissant poursuites et diligences de son président en exercice, domicilié et demeurant en cette qualité audit siège ;

INTERVENANTE VOLONTAIRE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco et plaidant par Maître Olivier TAFANELLI, avocat au Barreau de Nice ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 21 février 2019, enregistré (n° 2019/000400) ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la banque A (Monaco), en date du 3 avril 2019 ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la banque A (SUISSE), en date du 13 septembre 2019 ;

Vu les conclusions de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de c. E. en date des 5 juin 2019 et 3 octobre 2019 ;

À l'audience publique du 10 octobre 2019, les conseils des parties ont déposé leurs dossiers et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 21 novembre 2019 ;

FAIT ET PROCÉDURE

c. E. est décédé à Gstaad le 13 octobre 2016, sous le régime successoral de droit suisse ; il a laissé pour lui succéder ses 5 enfants ainsi que son épouse, h. E. avec laquelle il était marié depuis le 26 juillet 1995, sous le régime de la communauté universelle suite à conclusion d'un contrat de mariage le 28 mai 2014 ;

c. E. est décédé en l'état d'un testament en date du 21 février 2014 instituant h E. comme légataire universelle et désignant comme légataires de la somme de 20 millions de dollars chacune de ses filles c. c. et e. E.; cet acte précisait que son fils, c a. E. avait déjà reçu la même somme et que sa fille d. la recevrait également par accord de trust séparé ;

En raison de contestations portant sur la possibilité d'appréhender utilement la consistance réelle du patrimoine de c. E. et, en conséquence, la masse successorale, le Président du Tribunal de Première Instance a, suivant ordonnance de compulsoire du 17 novembre 2017 rendue sur requête de c. E. autorisé celle-ci à mandater un huissier de justice afin d'obtenir communication par la SAM A (MONACO) des documents d'ouverture et de tous relevés, pour les 10 années précédant son décès survenu le 13 octobre 2016, des comptes dont feu c. E. son père, était titulaire à titre personnel ;

Par la même ordonnance, le surplus de la requête (s'agissant des comptes bancaires ouverts au nom des diverses personnes morales) a été rejeté ;

Selon assignation du 31 janvier 2018, c. E. a fait citer la société A (MONACO) devant le juge des référés, en difficulté d'exécution de l'ordonnance présidentielle du 17 novembre 2017 ;

Par ordonnance du 28 septembre 2018, ce dernier :

* s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande de la société A (MONACO) en rétractation de l'ordonnance présidentielle du 17 novembre 2017 et sur la demande de c. E. d'ajout à cette ordonnance ;

* a enjoint à la SAM A (MONACO) de communiquer à c. E. la totalité des éléments mentionnés au dispositif de l'ordonnance présidentielle le 17 novembre 2017, dans le délai de 8 jours suivant la signification de la présente décision, sous astreinte provisoire, passé ce délai, de 10.000 euros par jour de retard pendant 3 mois après quoi il sera à nouveau fait droit ;

* débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

La société A MONACO a interjeté appel de cette ordonnance de référé ;

Suivant arrêt du 9 juillet 2019, la Cour d'appel a confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance du 28 septembre 2018 ;

Par déclaration au greffe du 8 août 2019, la société A MONACO a formé un pourvoi en révision à l'encontre de l'arrêt du 9 juillet 2019 ;

Soutenant que l'ordonnance de référé du 28 septembre 2018 n'avait pas été exécutée (documents incomplets et caviardés), c. E. a fait assigner la société A MONACO, suivant exploit du 21 février 2019, aux fins, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, de :

* liquidation de l'astreinte fixée dans l'ordonnance de référé du 28 septembre 2018 sur 3 mois et condamnation de la société A MONACO à lui payer la somme de 930.000 euros,

* prononcé d'une nouvelle astreinte provisoire de 20.000 euros par jour de retard pendant 6 mois, à défaut pour la société A MONACO d'exécuter sans restriction l'ordonnance de référé du 28 septembre 2018,

* condamnation de la société A MONACO à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Dans ses conclusions du 5 juin 2019, c. E. a réitéré ses demandes initiales et conclu au rejet des exceptions et prétentions adverses ;

Le 3 octobre 2019, la demanderesse a communiqué des conclusions complémentaires pour répondre aux dernières écritures adverses ;

En défense, dans le dernier état de ses écritures, la société A MONACO a:

In limine litis :

* soulevé l'incompétence du Tribunal pour connaître des demandes de c. E. en liquidation de l'astreinte et en fixation d'une nouvelle astreinte, au profit du juge des référés,

* sollicité un sursis à statuer sur la demande indemnitaire, dans l'attente d'une décision définitive sur la liquidation de l'astreinte,

* demandé que le Tribunal reçoive l'intervention volontaire de la société A, lui alloue le bénéfice de l'ensemble des actes de procédures déposés par la société A MONACO, et prenne acte de la reprise de la qualité de partie défenderesse par la société A SUISSE,

* sollicité un sursis à statuer sur l'ensemble des demandes de c. E. dans l'attente d'une décision de confirmation ou d'infirmation de l'ordonnance de référé du 28 septembre 2018 et de l'ordonnance du 17 septembre 2017,

* soulevé l'irrecevabilité de l'ensemble des demandes de c. E. pour défaut d'intérêt à agir,

Sur le fond :

* conclu au rejet des prétentions de c. E. aux fins de liquidation d'astreinte et de condamnation à des dommages et intérêts pour résistance abusive,

* réclamé la condamnation de c. E. à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

MOTIFS

* Sur l'intervention volontaire de la société A SUISSE

En l'état des pièces versées aux débats justifiant de la dissolution de la société A MONACO, constatée par la société A SUISSSE, actionnaire unique, lors d'une assemblée générale extraordinaire du 3 mai 2019, de la transmission universelle du patrimoine de la première à la seconde, et de la radiation de la société A MONACO du RCI de Monaco, il convient de recevoir l'intervention volontaire de la société A SUISSSE, venant aux droits de la société A MONACO ;

Il s'ensuit que la société A SUISSSE est substituée dans tous les droits et obligations de la défenderesse, ayant déclaré dans ses conclusions reprendre le bénéfice de l'ensemble des actes de procédures déposés par la société A MONACO ;

* Sur l'incident relatif aux conclusions de c. E. communiquées le 3 octobre 2019

Aux termes des dispositions de l'article 181 du Code de procédure civile, le tribunal rejettera toutes conclusions ou écritures qui n'auraient pas été communiquées dans les délais par lui fixés ;

En l'espèce, il ressort du dossier que :

* la société A a déposé un premier jeu de conclusions en défense aux fins d'exception d'incompétence et de sursis à statuer le 3 avril 2019,

* un calendrier procédural a ensuite été mise en place, imposant à la demanderesse de communiquer ses écritures au plus tard le 5 juin 2019 et à la défenderesse de répondre au plus tard le 13 septembre 2019,

* ce calendrier a été suivi de part et d'autre,

* cependant, c. E. a déposé des conclusions complémentaires le 3 octobre 2019, expliquant le dépôt de ces écritures par les 31 pages des conclusions adverses et les 11 pièces dernières pièces versées à l'appui,

* par courrier du 9 octobre 2019, le conseil de la société A a sollicité le rejet des conclusions du 3 octobre 2019 ;

Au vu de ces constatations, les conclusions de c. E. déposées le 3 octobre 2019, sans motif légitime, seront écartées des débats, et ce, au regard du non-respect des délais fixés par le Tribunal ;

Sur la compétence du Tribunal pour statuer sur la liquidation de l'astreinte fixée par la juge des référés et pour fixer une nouvelle astreinte

À l'appui de son exception d'incompétence, la société A soutient :

* d'une part, que la juridiction qui a fixé l'astreinte reste seule compétente pour la liquider, la demande en liquidation n'étant que la continuation de l'instance ayant abouti à son prononcé et qu'en saisissant le Tribunal de Première Instance en liquidation d'une astreinte prononcée par le juge des référés, c. E. a violé la compétence d'attribution de ce dernier ;

* d'autre part, que la présente juridiction n'est pas compétente pour ordonner une nouvelle astreinte à la demande de c. E. dans la mesure où le juge des référés s'est réservé dans sa décision la possibilité d'ordonner une nouvelle astreinte ;

Pour contester cette exception d'incompétence, c. E. expose que le juge des référés n'a pas compétence pour prononcer des condamnations pécuniaires, que l'article 421 du Code de procédure civile ne réserve pas au juge des référés une compétence d'attribution absolue, qu'en outre, sa demande de liquidation d'astreinte est assortie d'une demande de dommages et intérêts qui relève de la compétence générale du Tribunal de Première Instance ;

L'article 421 du Code de procédure civile dispose que le juge des référés peut, sur demande, ordonner une astreinte et la liquider à titre provisoire ;

Quand bien même l'instance en liquidation de l'astreinte est la continuation et le développement de l'instance précédente ayant prononcé l'astreinte, il résulte de l'analyse de l'article précité et de son application prétorienne que le juge des référés qui a prononcé une astreinte provisoire n'a pas compétence exclusive ni pour la liquider, ni pour prononcer une nouvelle astreinte provisoire, de sorte que le Tribunal de Première Instance, juridiction de droit commun, a le pouvoir de liquider l'astreinte provisoire prononcée par le juge des référés ainsi que de prononcer une nouvelle astreinte provisoire ;

Il s'ensuit que la demanderesse est bien fondée à saisir la juridiction de droit commun en liquidation de l'astreinte provisoire fixée par l'ordonnance de référé du 28 septembre 2018 et aux fins de prononcé d'une nouvelle astreinte provisoire ;

L'exception d'incompétence soulevée par la société A sera donc rejetée ;

En conséquence, la présente juridiction étant compétente pour statuer sur les demandes de liquidation de l'astreinte et aux fins de fixation d'une nouvelle astreinte, la demande de sursis à statuer formulée par la société A à l'appui de son exception d'incompétence et concernant la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive formulée par c. E. sans objet, sera rejetée ;

* Sur la demande de sursis à statuer dans l'attente de la procédure pendante devant la Cour de révision

À l'appui de sa demande, la société A expose qu'une procédure est pendante devant la Cour de révision à l'encontre de l'arrêt du 9 juillet 2019 rendu sur appel des ordonnances de référé du 28 septembre 2018 et de compulsoire du 17 novembre 2017 ;

Elle soutient que sa demande de sursis à statuer est motivée par un souci de bonne administration de la justice et ce afin d'éviter un risque de contrariétés de décisions ;

c. E. s'oppose à cette demande estimant que la défenderesse tente de gagner du temps pour éviter d'exécuter ses obligations ;

Les juges du fond disposent d'un pouvoir discrétionnaire pour se prononcer sur une demande de sursis à statuer fondée sur la bonne administration de la justice (CR 7 oct. 1985, Dame H. c/ S. A. Usinor.) ;

En l'espèce, il convient de rappeler que :

* l'arrêt du 9 juillet 2019 a confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé du 28 septembre 2018, laquelle était exécutoire par provision,

* cette décision a force de chose jugée,

* le pourvoi diligenté par la société A à l'encontre de cet arrêt n'est pas suspensif,

* la présente instance a pour objet la liquidation de l'astreinte provisoire fixée dans l'ordonnance du 28 septembre 2018 ;

En l'état de ces constatations, force est de considérer que le risque de contrariété de décisions de justice allégué n'est pas un élément suffisamment pertinent pour justifier le prononcé d'un sursis à statuer ;

La demande de sursis à statuer de la société A sera donc rejetée ;

* Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de c. E.

La société A soutient que selon les pièces versées par la demanderesse, celle-ci aurait, en acceptant le legs de 450.000.000 euros de son père, renoncé à toute action en justice en ce compris toute demande d'information contre ou en lien avec le testament du 21 février 2014 de feu c. E.;

c. E. estime que l'invocation de cette fin de non-recevoir par la banque illustre son parti pris systématique pour les autres héritiers de feu c. E. et ce alors qu'elle est tiers à la succession dudit défunt ;

En l'espèce, pour dénier l'intérêt à agir de la demanderesse, la société A se fonde sur une consultation juridique établie par un juriste suisse à la demande de c. E. expliquant l'intérêt de celle-ci à obtenir toutes informations lui permettant de reconstituer le patrimoine de son père défunt (pièce n° 25 de c. E. ;

Cependant, la défenderesse en fait une analyse erronée puisque la simple lecture de ce document révèle que la demanderesse n'a pas à ce stade accepté le legs en contrepartie duquel elle serait tenue de renoncer à toute action en justice, y compris toute demande d'information, contre ou en lien avec le testament de feu c. E. ne s'estimant pas suffisamment informée sur l'état et la composition du patrimoine successoral pour vérifier si le montant de sa réserve sera satisfait par le legs ;

Il s'ensuit que c. E. a bien un intérêt à agir dans la présente instance ;

La fin de non-recevoir soulevée par la société A sera donc rejetée ;

* Sur la demande en liquidation de l'astreinte

c. E. expose que la société A lui a communiqué le dernier jour avant le point de départ de l'astreinte, une liasse de documents incomplets (a) et manifestement caviardés (b) ; elle estime que dans ces circonstances, l'ordonnance de référé du 28 septembre 2018 n'a pas été exécutée ;

La demanderesse prétend que :

* la convention d'ouverture de compte du 3 décembre 2012 est tronquée et incomplète en ce que :

* seules 5 pages sur 18 ont été transmises,

* ladite convention d'ouverture de compte procède d'un assemblage de plusieurs documents contractuels qui ne sont pas produits,

* il s'agit d'un extrait qui ne mentionne ni la devise, ni les différents comptes ;

* la communication des relevés de compte à partir de décembre 2011 est parcellaire puisque la relation contractuelle entre la banque et c. E. remonte à 2001 et ne répond pas aux prescriptions de l'ordonnance du 17 novembre 2017;

* la banque doit fournir la procuration qui a été donnée pour la signature de la convention d'ouverture de compte du 3 décembre 2012, au vu des paraphes et du nom caviardé au niveau de la mention du « pouvoir » ;

* la société A a communiqué 16 jours après le départ de l'astreinte 4 relevés d'opération pour la période du 1er au 13 octobre 2016 concernant 4 comptes, de sorte que pour la même période, font défaut les relevés d'opération des comptes n° X1 et X2 ;

* aucun des relevés ne mentionne les soldes des différents comptes au 13 octobre 2016 ;

* la banque a communiqué des pièces afférentes à 6 comptes alors que Sylvie B. « Deputy General Counsel » de la banque, avait fait état, le 18 juillet 2017 de l'existence d'une vingtaine de comptes ;

* c. E. fait grief à la société A d'avoir communiqué plusieurs documents caviardés ; elle considère qu'en ayant modifié les documents de la sorte, la banque a commis une faute ;

En réponse, la société A (MONACO) affirme avoir exécuté de manière pleine et entière l'ordonnance de référé du 28 septembre 2018 ;

Elle fait valoir que :

* la communication des documents bancaires visés dans l'ordonnance de compulsoire du 17 novembre 2017, support de l'ordonnance du 28 septembre 2018, a eu lieu le 8 octobre 2018, soit avant le point de départ de l'astreinte ;

* elle a remis l'intégralité des documents en sa possession compris dans le champ de l'ordonnance du 17 novembre 2017 ;

* le compte ouvert en 2001 par c. E. était un compte joint et n'est devenu un compte personnel qu'à compter du 1er décembre 2011 : raison pour laquelle, elle n'a fourni les documents afférents qu'à compter de cette date ;

* pour des raisons propres au défunt, c. E. n'a signé la documentation d'ouverture de compte afférent à ce compte personnel qu'en décembre 2012 ;

* c. E. n'a pas signé l'ensemble de la documentation bancaire car certains documents signés en 2001 étaient toujours valables et certains documents ne lui étaient pas applicables ;

* les 6 numéros de compte mentionnés par la partie adverse sont en fait des sous comptes du compte client n° 53127 ;

* les relevés de compte étant édités mensuellement et c. E. étant décédé en octobre 2016, les relevés du mois d'octobre 2016 n'entraient pas dans le champ de l'ordonnance du 17 novembre 2017 ; mais dans un souci de pleine et entière coopération et malgré les exigences du secret bancaire, elle a accepté de communiquer, le 25 octobre 2018, les relevés d'octobre 2016 en masquant les opérations postérieures au décès du défunt ;

* sur la prétendue existence d'une vingtaine de comptes : cette allégation est afférente à une procédure distincte concernant l'exécution de l'ordonnance de compulsoire du 13 juillet 2017 ;

Il convient de rappeler que pour liquider une astreinte, le Tribunal doit tenir compte de la réticence du débiteur à compter du prononcé de la décision fixant l'injonction mais aussi des difficultés qu'il a pu rencontrer pour l'exécuter ;

La charge de la preuve de l'exécution d'une obligation de faire, assortie d'une astreinte, pèse sur le débiteur de l'obligation ;

En l'espèce, il est constant que le 1er octobre 2018, la société A s'est vue signifier l'ordonnance de référé du 28 septembre 2018, et a été sommée d'avoir, dans les 8 jours de la signification, « à exécuter l'ordonnance présidentielle rendue sur requête en date du 17 novembre 2017 (sur requête n° 2018/000107), et par conséquent, d'avoir à communiquer à c. E. la totalité des éléments mentionnés au dispositif de ladite ordonnance, à savoir : les documents d'ouverture et tous relevés, pour les 10 années précédant son décès survenu le 13 octobre 2016, des comptes dont feu c. E. était titulaire à titre personnel » ;

Il résulte des pièces versées aux débats que le 9 octobre 2018, la société A a adressé à c. E. les documents suivants :

* copie d'un formulaire d'ouverture de compte relatif au compte n° 53127 signé par c. E. le 3 décembre 2012 (2 pages) comportant en annexe :

* Un document de 2 pages intitulé « Correspondence instructions »,

* Un document d'une page intitulé « Signature Card » en date du 3 décembre 2012, signé par c. E. et dont les cases « A », « B » et « C » afférentes aux co-titulaires sont blanchies,

* Un document de 2 pages intitulé « Pledge Agreement » portant sur le même compte en date du 20 avril 2001,

* Un document de 4 pages intitulé « General Conditions » signé du 20 avril 2001 ;

* les relevés des comptes ouverts au nom de c. E. dont le numéro de client est 53127 :

* Compte n° X, duplicata de tous les relevés mensuels du 30.11.2011 au 31.10.2016,

* Compte n° X1, duplicata de tous les relevés mensuels du 30.11.2011 au 30.09.2016,

* Compte n° X2, duplicata de tous les relevés mensuels du 30.11.2011 au 30.09.2016,

* Compte n° X3, duplicata de tous les relevés mensuels du 31.12.2010 au 31.12.2014,

* Compte n° X4, duplicata de tous les relevés mensuels du 31.12.2011 au 30.09.2016,

* Compte n° X5, duplicata de tous les relevés mensuels du 31.12.2011 au 30.09.2016 ;

À l'examen de ces documents, il s'avère que les griefs invoqués par la demanderesse sont établis ; en effet :

* la communication des documents d'ouverture de compte afférents au compte client n° 53127 (signés le 3 décembre 2012) est manifestement incomplète au vu de la numérotation des pages (des pages sont numérotées /18 d'autres sont numérotées /20 et au total seuls 12 feuillets sont fournis) et au vu de la numérotation des articles concernant le document intitulé « Pledge Agreement » (le document passe de l'article 6 à l'article 23 !) ; l'explication selon laquelle certains des documents auraient été signés en 2001 n'est pas convaincante en l'état de ces constatations; à tout le moins, l'ensemble de la documentation d'ouverture de compte aurait dû être fournie dans l'ordre de la numérotation des pages, quelle que soit la date de signature ;

* la banque ne démontre pas que le compte client n° X6 était à l'origine un compte joint et est devenu un compte personnel le 1er décembre 2011, pour justifier la communication des documents afférents uniquement à compter de cette date ; d'ailleurs, nombre de relevés fournis et afférents à ce compte client sont datés à partir du 30.11.2011, et même du 31.12.2010 pour le sous-compte n° X7 : ce qui laisse entendre que le compte fonctionnait au nom du seul défunt dès avant la date du 1er décembre 2011 ;

* les explications données par la banque ne sont également pas valables concernant la non communication ou la communication avec retard des relevés pour la période postérieure au 30.09.2016 et allant jusqu'au décès (soit le 13 octobre 2016), puisqu'elle a fourni dès le 9 octobre 2018 les relevés du compte n° 20118695 jusqu'au 31.10.2016 ;

* des parties de certains feuillets ont été masquées :

* La page 4/20 du document intitulé « Correspondence instructions »,

* La page 5/18 du document intitulé « Signature Card »,

* Les deux pages du document intitulé « Pledge Agreement » ;

* Il en est de même des relevés des comptes communiqués par courrier de la société A le 25 octobre 2018, pour la période du 1.10.2016 au 13.10.2016, qui ont été en partie masqués, de sorte que le solde n'apparaît pas ;

* la communication tardive du 25 octobre 2018 est incomplète puisque les relevés pour la période du 1.10.2016 au 13.10.2016 concernant les comptes n° X8 et n° X9 n'ont pas été remis ;

En revanche, il n'est pas démontré par c. E. que le défunt était titulaire à titre personnel d'une vingtaine de comptes dans les livres de la banque de sorte que le grief de ce chef n'est pas établi ;

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la société A n'a manifestement déféré que partiellement à l'injonction qui lui a été adressée par l'ordonnance du 28 septembre 2018, et ce, alors qu'elle ne justifie d'aucun obstacle légitime à la communication des pièces réclamées ;

Il s'ensuit que l'astreinte sera liquidée pour la période de 3 mois à compter de la signification de l'ordonnance de référé du 28 septembre 2018 à la somme de 300.000 euros, compte tenu de l'exécution partielle en cause ;

* Sur la demande de fixation d'une nouvelle astreinte

Au soutien de sa demande de fixation d'une nouvelle astreinte, c. E. argue de la communication incomplète et de la mauvaise foi de la société A, considérant qu'elle agit selon son bon vouloir et de manière dilatoire ;

La société A estime que dans la mesure où tous les documents dont elle avait la possession ont été communiqués par elle, la demande de fixation d'une nouvelle astreinte doit être rejetée ;

Il résulte que de ce qui précède que la demande de fixation d'une nouvelle astreinte est fondée, la société A n'ayant pas complètement déféré à l'ordonnance du 28 septembre 2018 ;

En conséquence, il sera ordonné à la société A d'exécuter dans un délai de 15 jours à compter de la signification du présent jugement l'ordonnance présidentielle du 17 novembre 2017 (et notamment de compléter ses précédentes communications des 9 et 25 octobre 2018), et ce, sous astreinte provisoire de 10.000 euros par jour de retard pour une période de 3 mois ;

* Sur les demandes de dommages et intérêts

La demanderesse sollicite la condamnation de la société A à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, soutenant que :

* son inertie et sa résistance, alors qu'elle est tiers aux litiges, lui ont causé un préjudice considérable, ne lui ayant pas permis de reconstituer le patrimoine successoral de son père dont elle est héritière réservataire, et ce, depuis plus de 2 années,

* l'attitude la banque l'a contrainte à engager de nombreux frais pour faire valoir ses droits ;

Elle rappelle que :

* la présente procédure concerne l'exécution d'une ordonnance de compulsoire qui date du 17 novembre 2017,

* l'astreinte provisoire est une mesure destinée à vaincre la résistance de la partie qui refuse de déférer aux injonctions judicaires : elle est dès lors distincte des dommages et intérêts ;

La société A s'étonne des propos acerbes de la demanderesse, expliquant qu'elle n'a pour préoccupation que le respect du secret bancaire ;

Elle souligne qu'elle a transmis dès le 8 octobre l'ensemble des documents requis ;

Reconventionnellement, elle réclame le condamnation de c. E. à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive aux motifs que celle-ci multiplie les procédures à son encontre pour tenter d'obtenir des informations sur le patrimoine de son père défunt alors que d'une part, elle a renoncé, dans le cadre de son legs, à son droit d'agir pour recueillir des informations et que d'autre part, les informations sont dans une large mesure couvertes par le secret bancaire ;

Enfin, la banque affirme que le comportement de c. E. consistant à réitérer continuellement les mêmes demandes qui sont systématiquement écartées, caractérise un abus qui lui cause un préjudice financier important correspondant aux frais engagés pour sa défense ;

En l'état de la résistance illégitime de la société A depuis près deux années à l'exécution de l'ordonnance de compulsoire du 17 novembre 2017, s'agissant d'une demande d'informations non couvertes par le secret bancaire (cf. arrêt de la Cour d'appel du 9 juillet 2019), dont la communication est réclamée par une héritière en vue de la détermination du montant de la réserve héréditaire, et ce, alors même que la défenderesse n'a jamais contesté ladite ordonnance devant le juge de droit commun, ni saisi le juge des référés en difficulté d'exécution de ladite ordonnance (ayant attendu pour s'en plaindre la saisine du juge des référés par la requérante elle-même), il convient de la condamner à payer à c. E. la somme de 10.000 euros en réparation du préjudice subi par cette dernière, résultant des tracas et des frais engendrés pour vaincre l'attitude de la banque ;

La société A ayant succombé dans ses prétentions, elle est mal fondée à solliciter des dommages et intérêts pour procédure abusive ; elle sera donc déboutée de sa demande de ce chef ;

* Sur l'exécution provisoire

c. E. demande que le présent jugement soit assorti de l'exécution provisoire, considérant qu'il y a urgence en l'état du défaut réitéré d'exécution de l'ordonnance du 17 novembre 2017, de la résistance de la banque malgré la fixation d'une astreinte et de son comportement procédural tendant à multiplier les incidents, les procédés dilatoires et les recours abusifs pour s'abstenir d'exécuter les décisions de justice et de fournir les informations ;

La société A n'a pas répondu à cette demande ;

Selon l'article 202 du Code de procédure civile, l'exécution provisoire :

* doit être ordonnée, sans caution, s'il y a titre authentique, promesse reconnue ou condamnation précédente par jugement dont il n'y a point appel ;

* peut être ordonnée, avec ou sans caution, dans tous les cas d'urgence, à moins qu'elle ne soit de nature à produire des effets irréparables ;

En l'espèce, les délais écoulés depuis l'ordonnance de compulsoire du 17 novembre 2017, support du présent litige, et l'attitude persistante de la banque à ne pas déférer de manière illégitime aux décisions de justice dans cette espèce caractérisent une situation d'urgence suffisante pour assortir la présente décision de l'exécution provisoire ;

Il sera donc fait droit à la demande d'exécution provisoire ;

Les dépens seront supportés par la défenderesse, partie succombante ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Déclare la société A (SUISSE) recevable et bien-fondée en son intervention volontaire et constate qu'elle vient désormais aux droits de la société A (MONACO) et reprend l'entier bénéfice des actes de procédures déposés au nom de cette entité depuis l'assignation du 21 février 2019 ;

Ecarte des débats les conclusions de c. E. en date du 3 octobre 2019 ;

Rejette :

* - l'exception d'incompétence soulevée par la société A (SUISSE) afférente aux demandes en liquidation de l'astreinte et aux fins de fixation d'une nouvelle astreinte,

* - la demande de société A (SUISSE) de sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pendante devant le Cour de révision à la suite du pourvoi formé par elle contre l'arrêt de la Cour d'appel du 9 juillet 2019,

* - la fin de non-recevoir soulevée par la société A (SUISSE) et tirée du défaut d'intérêt à agir de c. E.;

Dit que l'astreinte provisoire prononcée par le juge des référés suivant ordonnance du 28 septembre 2018 a couru pendant 3 mois à compter du 9 octobre 2018 ;

La liquide à la somme de 300.000 euros;

Condamne la société A (SUISSE) à payer la somme de 300.000 euros à c. E. à ce titre ;

Enjoint à nouveau à la société A (SUISSE) de communiquer à c. E. la totalité des éléments mentionnés au dispositif de l'ordonnance présidentielle le 17 novembre 2017 (sur requête numéro 2018/000107), en vue de compléter ses précédentes communications des 9 et 25 octobre 2018, dans le délai de 15 jours suivant la signification de la présente décision, sous astreinte provisoire, passé ce délai, de 10.000 euros par jour de retard pendant 3 mois après quoi il sera à nouveau fait droit ;

Condamne la société A (SUISSE) à payer à c. E. la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

Déboute la société A (SUISSE) de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision ;

Condamne la société A (SUISSE) aux dépens, dont distraction au profit de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition

Ainsi jugé par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, Madame Léa PARIENTI, Juge, Madame Séverine LASCH, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Isabel DELLERBA, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 21 NOVEMBRE 2019, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, assistée de Monsieur Damien TOURNEUX, Greffier stagiaire, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 18605
Date de la décision : 21/11/2019

Analyses

Procédure civile ; Droit des successions - Successions et libéralités


Parties
Demandeurs : c. a. E. divorcée B.
Défendeurs : Les SAM A (Monaco) et A (Suisse)

Références :

article 181 du Code de procédure civile
article 202 du Code de procédure civile
articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013
article 421 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2025
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;2019-11-21;18605 ?

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