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21/11/2019 | MONACO | N°18604

Monaco | Tribunal de première instance, 21 novembre 2019, p. l. B. c/ La SAM A


Abstract

Intérêt à agir – Recevabilité (non)

Résumé

L'article 278-1 du Code de procédure civile énonce que « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer la demande irrecevable, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, une déchéance, une forclusion, la prescription ou la chose jugée ». Il résulte des termes de l'assignation mais également des conclusions ultérieures du demandeur que celui-ci se prévaut du préjudice subi par la société D concernant la perte de cha

nce de réaliser une affaire devant lui rapporter à tout le moins la somme de 817.202,33 euros. ...

Abstract

Intérêt à agir – Recevabilité (non)

Résumé

L'article 278-1 du Code de procédure civile énonce que « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer la demande irrecevable, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, une déchéance, une forclusion, la prescription ou la chose jugée ». Il résulte des termes de l'assignation mais également des conclusions ultérieures du demandeur que celui-ci se prévaut du préjudice subi par la société D concernant la perte de chance de réaliser une affaire devant lui rapporter à tout le moins la somme de 817.202,33 euros. Dans ces conditions, p. l. B. ne peut justifier d'un intérêt personnel à agir que si la personne morale dont s'agit a effectivement cessé d'exister juridiquement au regard de la loi qui lui est applicable (disparition de la personne juridique et de son patrimoine distinct). Les documents versés aux débats ne permettent pas de considérer avec certitude que la dissolution de la société serait un effet automatique de la loi ou que la « suppression définitive de l'entité » du registre public entraînerait la disparition juridique de la personne morale et ce d'autant qu'ils se réfèrent à la mise en œuvre d'une procédure de liquidation, laquelle n'est pas davantage justifiée en l'espèce. En conséquence, l'action de p. l. B. doit être déclarée irrecevable faute d'intérêt personnel à agir dûment établi.

Motifs

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2019/000351 (assignation du 30 janvier 2019)

JUGEMENT DU 21 NOVEMBRE 2019

En la cause de :

* p. l. B. né le 4 juin 1967 à Milan (Italie), de nationalité italienne, demeurant Via X1 à Milan ;

DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Jean-Charles S. GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

* La SAM A (Monaco), venant aux droits de la SAM C, dont le siège social se trouve X2 à Monaco Cedex (98005), prise en la personne de son Président délégué demeurant en cette qualité audit siège ;

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Sirio PIAZZESI, avocat au barreau de Nice ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 30 janvier 2019, enregistré (n° 2019/000351) ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la SAM A (Monaco), en date des 3 avril 2019 et 27 septembre 2019 ;

Vu les conclusions de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, au nom de p. l. B. en date des 5 juin 2019 et 11 octobre 2019 ;

À l'audience publique du 24 octobre 2019, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 28 novembre 2019 et anticipé au 21 novembre 2019, les parties en ayant été avisées ;

FAIT ET PROCÉDURE

Selon exploit en date du 30 janvier 2019, p. l. B. a fait assigner la SAM A (MONACO), venant aux droits de la SAM C, aux fins de voir dire et juger que cette dernière a commis une faute engageant sa responsabilité contractuelle en refusant d'exécuter les ordres de virement formés le 19 février 2015 et réitérés les 24 et 27 février 2015 et que cette faute a généré un préjudice financier de 817.202,33 euros, auxquels la défenderesse devra être condamnée, avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir.

Aux termes de ses écritures judiciaires, la SAM A (MONACO) soutient que l'action engagée à titre personnel par p. l. B. est irrecevable faute de qualité à agir et sollicite la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts.

À l'appui de sa fin de non-recevoir, elle précise que :

* le demandeur réclame à titre personnel un préjudice qui aurait été subi par la société D, ainsi qu'il résulte incontestablement des termes de l'assignation (pages 2, 4, 5, 11, 17 et 18),

* la qualité de bénéficiaire économique de cette société, qui ne constitue qu'un élément d'identification fiscale et de contrôle, voire même d'actionnaire unique (qui ne résulte d'aucune pièce versée aux débats), ne donne aucune qualité à p. l. B. pour agir aux lieu et place de la société D, titulaire du compte litigieux, dès lors qu'il est question de patrimoines distincts, étant souligné que les représentants légaux qualifiés pour agir au nom d'une société ne sont pas nécessairement ses ayants droit économiques,

* c'est bien la qualité à agir du demandeur qui est en jeu et non son prétendu intérêt à agir, qui ne peut en tout état de cause qu'être indépendant de celui de la société D,

* les statuts et le registre du commerce actuels de la société en cause ne sont pas versés aux débats,

* il n'est pas démontré que la procédure de « strike off » invoquée, prévue par la loi panaméenne, aurait entraîné transmission universelle du patrimoine de la société à p. l. B. puisqu'il s'agit d'une pétition de principe qui ne repose sur aucun texte ou délibération pouvant être retenu par le Tribunal,

* la pièce n° 20 produite par le demandeur ne constitue qu'une attestation de la société E faisant ressortir la position de « strike off » de la société D et le fait que cette dernière devrait être considérée comme n'étant plus « active » (aucune précision sur le sort des actifs de la société dans une telle situation).

p. l. B. estime son action parfaitement recevable et sollicite la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en raison du comportement procédural dilatoire de la défenderesse. Il relève que :

* souhaitant faire l'acquisition d'un tableau de René MAGRITTE intitulé « Troisième Dimension » pour le revendre moyennant une plus-value de 817.202,33 euros, il disposait des fonds nécessaires pour ce faire sur un compte ouvert depuis le 11 juin 2012 dans les livres de la banque SAM C au nom de la société D dont il est l'unique actionnaire et bénéficiaire économique, mais également le fondé de pouvoir dans ses relations avec cet établissement bancaire,

* en dépit de contact téléphonique et rendez-vous permettant d'exposer et justifier le contexte économique de l'opération (copie de la facture d'achat à la société F), la SAM C a refusé de procéder au virement sollicité sans explications puis a procédé au blocage du compte,

* la SAM A (MONACO) opère une confusion entre les notions de qualité et intérêt à agir,

* l'intérêt à agir peut être défini comme l'avantage que procure au demandeur la reconnaissance de la légitimité de sa prétention et doit être légitime et juridique, né et actuel, personnel et direct,

* la qualité à agir consiste à attribuer le droit d'agir aux seules personnes que la loi qualifie pour élever ou combattre une prétention,

* le 11 juin 2012, il a conclu avec la société E un contrat général de mandat portant sur « l'ouverture d'un rapport bancaire en vue d'exercer des activités d'investissement financier à travers une structure de droit étranger »,

* pour l'exécution de ce mandat et par l'intermédiaire de son mandataire, il a pris le contrôle de la société D dont il est détenteur de l'intégralité des actions,

* sur ses instructions, cette société a été placée en procédure de « strike off » autrement dit de radiation depuis le 14 novembre 2016, si bien qu'elle a été suspendue du registre public de Panama,

* cette procédure, qui a fait suite à l'adoption courant du mois d'octobre 2016 d'une nouvelle réglementation panaméenne imposant de comptabiliser les obligations des entités juridiques offshore, a rendu systématique la radiation du registre public desdites entités, lorsque leurs représentants locaux s'abstiennent de procéder au règlement annuel des taxes et des frais d'inscription et ne régularisent pas leur situation dans le délai de deux années,

* dès lors que la réactivation n'a pas été réclamée dans le délai de deux ans, la société D a été radiée d'office du registre public et se trouve aujourd'hui dissoute (ses pièces 20, 22 et 23),

* la dissolution de la société doit au demeurant être appréciée au regard des dispositions de l'article 86 de la loi n° 32 du 26 février 1927 qui prévoit de diviser les sommes et les biens parmi les actionnaires,

* il s'ensuit que la dissolution de la société D a entraîné de facto la transmission universelle du patrimoine à son profit, de sorte qu'il dispose de la qualité et d'un intérêt à agir.

SUR QUOI

L'article 278-1 du Code de procédure civile énonce que « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer la demande irrecevable, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, une déchéance, une forclusion, la prescription ou la chose jugée ».

Il résulte des termes de l'assignation mais également des conclusions ultérieures du demandeur que celui-ci se prévaut du préjudice subi par la société D concernant la perte de chance de réaliser une affaire devant lui rapporter à tout le moins la somme de 817.202,33 euros.

Dans ces conditions, p. l. B. ne peut justifier d'un intérêt personnel à agir que si la personne morale dont s'agit a effectivement cessé d'exister juridiquement au regard de la loi qui lui est applicable (disparition de la personne juridique et de son patrimoine distinct).

À cet égard, la pièce n° 20 produite par le demandeur, établie le 18 octobre 2018 par la société E (de droit suisse), qui fait état d'une procédure de « strike off » ou radiation de la société panaméenne D depuis le 14 novembre 2016 mentionne que celle-ci ne serait plus « active » à partir de cette date et que le mandat doit être considéré comme « terminé ».

Outre que la société E n'est autre que l'ancien mandataire rémunéré de p. l. B. il apparaît que la « déclaration » en cause, qui ne prend pas la forme d'une attestation au sens de l'article 324 du Code de procédure civile, a une valeur probante relative, alors qu'elle n'est même pas objectivement confirmée par d'autres éléments de preuve, notamment des documents officiels panaméens relatifs au registre public ou plus précisément à ladite procédure et son point de départ précis concernant la société D.

De plus, les éléments juridiques objectifs (note Deloitte, pièce n° 23 du demandeur à l'exclusion de la pièce n° 22 émanant de la société E qui n'est pas exactement concordante), qui auraient pu au demeurant être étayés par la production de la loi panaméenne n° 52 du 27 octobre 2016 dûment traduite, démontrent que la procédure de « strike off », qui entraîne une « radiation » ou « non-inscription » au registre public, résulte du non-paiement de la taxe de franchise annuelle au cours d'une année donnée - dont le Tribunal ignore totalement les contours pour le cas précis de la société D.

En outre, ces mêmes documents ne permettent pas de considérer avec certitude que la dissolution de la société serait un effet automatique de la loi ou que la « suppression définitive de l'entité » du registre public entraînerait la disparition juridique de la personne morale et ce d'autant qu'ils se réfèrent à la mise en œuvre d'une procédure de liquidation, laquelle n'est pas davantage justifiée en l'espèce.

En conséquence, l'action de p. l. B. doit être déclarée irrecevable faute d'intérêt personnel à agir dûment établi.

Il n'est pas démontré un quelconque abus dans la mise en œuvre de la présente instance, tandis que les arguments de la SAM A (Monaco) sont légitimes, en sorte que les demandes en paiement de dommages et intérêts formées par les parties doivent être rejetées.

Le demandeur, qui succombe, doit supporter les dépens du présent jugement.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

Déclare p. l. B. irrecevable en son action à l'encontre de la SAM A (MONACO) introduite suivant exploit du 30 janvier 2019 ;

Déboute les parties de leurs demandes en paiement de dommages et intérêts ;

Condamne p. l. B. aux dépens du présent jugement, avec distraction au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition

Ainsi jugé par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, Madame Léa PARIENTI, Juge, Madame Séverine LASCH, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Monsieur Damien TOURNEUX, Greffier stagiaire ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 21 NOVEMBRE 2019, dont la date a été anticipée après la clôture des débats, par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, assistée de Monsieur Damien TOURNEUX, Greffier stagiaire, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 18604
Date de la décision : 21/11/2019

Analyses

Procédure civile


Parties
Demandeurs : p. l. B.
Défendeurs : La SAM A

Références :

article 324 du Code de procédure civile
articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013
article 278-1 du Code de procédure civile
article 86 de la loi n° 32 du 26 février 1927


Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2025
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;2019-11-21;18604 ?

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