Abstract
Procédure civile - Exception de cautio judicatum solvi - Défendeur de nationalité monégasque (non) - Rejet
Résumé
L'exception de « cautio judicatum solvi » doit être rejetée, en application de l'article 259 du Code de procédure civile, dès lors que le défendeur, simple résident en Principauté, n'a pas la nationalité monégasque.
Motifs
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
N° 2019/000133 (assignation du 31 juillet 2019)
JUGEMENT DU 21 NOVEMBRE 2019
En la cause de :
* n. B., né le 30 mai 1973 à Sofia (Bulgarie), de nationalité bulgare, demeurant à X1 Sofia (Bulgarie) ;
DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Florent ELLIA, avocat au barreau de Nice ;
d'une part ;
Contre :
* e. B., né le 1er septembre 1939 à Oran (Algérie), de nationalité française, ingénieur conseil et expert judiciaire, demeurant X2 à Monaco ;
DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître, Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 31 juillet 2019, enregistré (n° 2019/000133) ;
Vu les conclusions de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, au nom d e. B. en date du 28 décembre 2019 ;
À l'audience publique du 10 octobre 2019, les conseils des parties ont déposé leurs dossiers et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 21 novembre 2019 ;
FAITS ET PROCÉDURE
Suivant acte en date du 31 juillet 2018, n B. a fait citer e. B. devant le Tribunal de Première Instance en sollicitant :
* qu'il soit constaté l'existence de fautes et de négligences commises par le défendeur dans le cadre de sa mission d'expertise judiciaire confiée selon décision en date du 25 février 2011 et que sa responsabilité civile se trouve engagée,
* que le défendeur soit condamné à réparation des préjudices subis, s'analysant en une perte de chance, sur la base d'une somme de 3.425.670 euros, avec un pourcentage de 100 %, outre condamnation au paiement d'une somme de 10.000 euros au titre d'un préjudice moral, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
À l'appui de ses demandes, n B. indique qu'il avait acquis, le 1er août 2008, pour un montant total de 1.023.000 euros, divers éléments d'un fonds de commerce et en particulier un droit au bail portant sur des locaux à usage de bar-restaurant sis X3 et X4 à Monaco.
Pour rendre les lieux exploitables pour l'exercice du commerce, une mise en conformité du réseau d'assainissement était nécessaire. Dans ce cadre, selon le demandeur, les propriétaires des murs et bailleurs, les consorts V. avaient accepté de prendre en charge l'exécution des travaux afférents qu'ils avaient confiés à une société PAVIBAT, laquelle allait abandonner le chantier en cours de réalisation. n B. avait alors sollicité la désignation d'un expert devant le Juge des référés, e. B. étant désigné par ordonnance en date du 25 février 2011 avec notamment pour mission de décrire les travaux devant être entrepris pour lui permettre de modifier les dispositions intérieures et extérieures des locaux à usage de commerce à lui loués, selon autorisation administrative.
L'expert allait déposer son rapport le 9 septembre 2013, préconisant de simples travaux de reprise, alors que selon le demandeur, ceux-ci n'auraient pu en aucune manière permettre le retour à un réseau fonctionnel et répondant aux normes en vigueur.
Il s'agirait d'une erreur d'appréciation qui avait eu une incidence directe sur l'issue du litige opposant les consorts V. à n B. En effet, les conclusions de l'expert auraient eu pour effet un blocage de la situation et l'absence de commencement d'exploitation de l'activité de restauration projetée ; s'en est suivi en conséquence un défaut de trésorerie et une acquisition d'une clause résolutoire du bail commercial, le juge des référés, par ordonnance en date du 15 février 2017 (confirmée par la Cour d'appel de Monaco le 13 juin 2017) ordonnant l'expulsion de n B.
Ces décisions faisaient expressément référence aux conclusions de l'expert B.
Le demandeur affirme que la responsabilité de l'expert judiciaire au titre des actes qu'il mène dans l'exercice de sa mission est soumise au droit commun de la responsabilité civile délictuelle, aucune immunité ne pouvant être invoquée.
La faute simple serait suffisante pour valablement engager la responsabilité d'un expert. En l'espèce, celle-ci serait caractérisée, dans la mesure où tous les techniciens intervenus sur les lieux du litige auraient confirmé la nécessité de détruire puis de reconstruire en intégralité le réseau d'assainissement des lieux par une entreprise spécialisée en la matière. Or, l'expert n'aurait jamais tenu compte de toutes les analyses, pourtant à sa disposition. En ne préconisant pas la réfection totale du réseau, il aurait commis une erreur grossière.
Le demandeur estime que son préjudice consisterait en une perte de chance, en l'espèce la disparition actuelle et certaine de l'éventualité favorable de régler son litige avec ses bailleurs dans un délai raisonnable, de faire réaliser les travaux utiles à la réparation des désordres incombant aux bailleurs et enfin de pouvoir ouvrir et exploiter son restaurant et d'en dégager les bénéfices possibles.
Pour chiffrer ses demandes, il se fonde sur des projections de résultats nets de 141.00 euros pour la première année d'exercice, puis de 284.972 euros pour la seconde et de 428.528 euros à compter de la troisième, soit un résultat annuel net moyen établi sur neuf années de 380.630 euros.
En défense, e. B. a soulevé par conclusions en date du 2 janvier 2019 une exception de cautio judicatum solvi et sollicite qu'il soit ordonné à n B. de fournir une caution d'un montant de 100.000 euros, qui sera constituée par l'engagement irrévocable d'un établissement bancaire de la Principauté de Monaco.
Il fait valoir que les conditions de l'article 259 du Code de procédure civile seraient réunies, le demandeur n B. étant de nationalité bulgare, c'est à dire étranger au sens de ce texte et ne résidant par en Principauté de Monaco. Le défendeur indique qu'il est pour sa part résident monégasque, titulaire d'une carte de séjour.
Il ajoute que le demandeur ferait preuve d'une particulière mauvaise foi dans le principe même de son action en justice et qu'il entendait solliciter reconventionnellement des dommages et intérêts dont il conviendrait de s'assurer du recouvrement par le jeu de l'exception de cautio judicatum solvi.
SUR QUOI,
Aux termes de l'article 259 du Code de procédure civile :
« L'étranger, demandeur principal ou intervenant, sera tenu, si le défendeur monégasque le requiert avant toute exception, de fournir caution de payer les frais et dommages et intérêts résultant du procès, auxquels il pourrait être condamné ».
Aux termes de l'article 260 du Code de procédure civile :
« La caution ne pourra être exigée :
* 1° en matière commerciale ;
* 2° lorsque l'étranger sera domicilié dans la Principauté, conformément à l'article 13 ou à l'article 79 du code civil ;
* 3° lorsqu'il y possédera des immeubles d'une valeur reconnue suffisante ;
* 4° lorsqu'il appartiendra à un pays dont les lois en dispensent les sujets monégasques. »
e. B. indique bien qu'il n'est pas de nationalité monégasque, mais qu'il est résident en Principauté, produisant aux débats en pièce n° 1 une carte de résident valable jusqu'au 17 août 2021.
Le qualificatif monégasque attaché au terme défendeur au sein de l'article 259 alinéa 1er du Code de procédure civile fait indéniablement référence à la nationalité de celui-ci. Si le législateur avait souhaité disposer autrement, une référence explicite, notamment à la domiciliation, aurait été employée ; ce d'autant plus qu'il est justement question de domiciliation, au sein du même texte, s'agissant du demandeur étranger à l'instance, domicilié à Monaco, à l'égard duquel l'exception de cautio judicatum solvi ne peut être opposée.
Il convient de noter que la référence à la nationalité monégasque n'est pas absente en procédure civile, puisque l'ancien article 5 bis du Code de procédure civile prévoyait un privilège de juridiction pour les monégasques, dispositions reprises désormais par l'article 11 de la loi n°1.448 du 28 juin 2017 portant Code de droit international privé.
Enfin, limiter les parties susceptibles de solliciter valablement une exception de cautio judicatum solvi réduit conséquemment le champ d'application de cette exception, participant ainsi à ce qu'elle demeure limitée et respecte un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés (une caution à fournir par les demandeurs, seulement étrangers) et le but recherché (éviter qu'un étranger, sans attaches avec le pays ne puisse troubler les nationaux par des poursuites téméraires et vexatoires, grâce à la facilité qu'il aurait de se soustraire au paiement des frais et dommages-intérêts que son éventuelle condamnation lui ferait encourir).
En conséquence, l'exception présentée par e. B. sera rejetée.
L'examen du surplus des demandes et les dépens seront réservés en fin de cause.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, contradictoirement, avant-dire-droit au fond,
Rejette l'exception de cautio judicatum solvi présentée e. B.;
Renvoie la cause et les parties à l'audience du MERCREDI 8 JANVIER 2019 à 9 heures pour conclusions au fond d e. B.;
Réserve l'examen du surplus des demandes et les dépens en fin de cause ;
Composition
Ainsi jugé par Monsieur Sébastien BIANCHERI, Vice-Président, Madame Léa PARIENTI, Juge, Madame Virginie HOFLACK, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Isabel DELLERBA, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 21 NOVEMBRE 2019, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Monsieur Sébastien BIANCHERI, Vice-Président, assisté de Monsieur Damien TOURNEUX, Greffier stagiaire, en présence de de Monsieur Olivier ZAMPHRIOFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.
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