Abstract
Compétence internationale – Conflit de juridictions – Compétence d'attribution du Tribunal du travail
Résumé
Le point 2 de l'article 6 du Code de droit international privé monégasque (issu de la loi 1.448 du 28 juin 2017 applicable immédiatement aux procédures en cours) donne compétence aux juridictions monégasques, pour les contrats individuels de travail, dans les cas suivants :
* lorsque le demandeur est le salarié et qu'il a son domicile dans la Principauté,
* lorsque le salarié y accomplit habituellement son travail,
* lorsqu'il exerce une activité de télétravail dans les conditions prévues par les dispositions législatives relatives au télétravail,
* lorsque le contrat de travail a été conclu dans la Principauté ;
En l'espèce, quand bien même il n'est pas établi le lieu où a été conclu le contrat de travail du 9 janvier 2012 liant s. D. et à la société A, et quand bien même l'employeur a son siège situé aux Bermudes, il n'est pas contesté que s. D. a habituellement accompli son travail pour le compte de celui-ci sur le Territoire de la Principauté, la demanderesse ne versant aucune pièce en sens contraire. Ainsi, les litiges afférents au contrat de travail liant s. D. et à la société A relèvent de la compétence des juridictions monégasques en application du point 2 de l'article 6 du Code de droit international privé monégasque.
Il faut rappeler qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946 le Tribunal du travail est seul compétent pour connaître des litiges pouvant s'élever à l'occasion du contrat de travail.
La présente juridiction doit se déclarer incompétente pour connaître de la demande en remboursement dudit prêt formée par la société A à l'encontre de s. D. étant précisé que statuer sur l'existence, le bien fondé et le quantum de la créance de la demanderesse équivaudrait à violer la règle d'ordre public de la compétence d'attribution exclusive conférée au Tribunal du travail.
Enfin, en l'état du principe de l'unicité de l'instance devant la juridiction sociale s'opposant à toute nouvelle instance et du litige pendant devant cette juridiction entre s. D. et la SAM G (introduit le 25 juillet 2016), seul le Tribunal du travail sera compétent pour se prononcer sur l'éventuelle unicité des deux contrats de travail conclus par le défendeur le 9 janvier 2012 avec les sociétés du groupe D et pour statuer le cas échéant sur la recevabilité d'une nouvelle action distincte opposant ledit groupe à s. D.
Motifs
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
N° 2017/000103 (assignation du 3 octobre 2016)
JUGEMENT DU 7 MARS 2019
En la cause de :
* La société A, société de droit des Bermudes, dont le siège social se trouve X1 Bermudes, agissant poursuites et diligences de ses Administrateurs en exercice, j. H. et p. C. demeurant en cette qualité audit siège ;
DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Donald MANASSE, avocat au barreau de Nice ;
d'une part ;
Contre :
* s. D. né le 24 août 1973 à Amersham (Grande-Bretagne), de nationalité Britannique, commercial senior, demeurant X2 à Monaco ;
DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Fabrice GARCIN, avocat au barreau de Nice ;
En présence de :
* Mme le PROCUREUR GÉNÉRAL, près la Cour d'Appel, séant en son Parquet, Palais de Justice, 5 rue Colonel Bellando de Castro à Monaco ;
COMPARAISSANT EN PERSONNE,
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 3 octobre 2016, enregistré (n° 2017/000103) ;
Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de s. D. en date des 19 janvier 2017, 8 novembre 2017, 8 février 2018, 7 juin 2018 et 5 décembre 2018 ;
Vu les conclusions de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur, au nom de la société A, en date des 3 mai 2017, 6 décembre 2017, 19 avril 2018 et 11 octobre 2018 ;
Vu les conclusions du Ministère Public en date des 27 mars 2018 et 3 décembre 2018 ;
À l'audience publique du 10 janvier 2019, les conseils des parties ont déposé leurs dossiers et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 7 mars 2019 ;
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Le groupe D comprend différentes entités implantées dans le monde ; la maison mère, la société A, est située aux Bermudes ;
Il existe une filiale monégasque, dénommée G, détenue par les mêmes actionnaires majoritaires ;
Le groupe D est spécialisé dans l'analyse et les conseils financiers, ainsi que la transmission d'ordres ; sa clientèle, exclusivement institutionnelle, se compose d'établissements bancaires, de « hedge funds » et de fonds de pension ;
Le 9 janvier 2012, s. D. a été embauché par la société A, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de commercial senior ;
Le 12 mai 2016, s. D. a fait l'objet d'un licenciement pour faute grave ;
Soutenant que malgré la délivrance d'une mise en demeure d'avoir à payer les sommes de 300.000 USD au titre d'un prêt et de 98.505 USD au titre de l'avance sur intéressement versée jusqu'au 12 mai 2016, s. D. n'avait procédé à aucun paiement, la société A l'a assigné, par exploit du 3 octobre 2016 devant le Tribunal de première instance aux fins de condamnation, à lui payer lesdites sommes avec intérêt à compter de la mise en demeure du 27 juillet 2016 ;
Dans ses conclusions récapitulatives du 11 octobre 2018, la société A conclut au :
* rejet de l'exception d'incompétence soulevée par le défendeur,
* rejet de la demande d'instruction formée par le Procureur Général,
* débouté de la partie adverse de ses prétentions et de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
* au rejet de la pièce adverse n° 10, non communiquée ;
Elle demande, en outre, qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle se réserve, le cas échéant, de conclure plus amplement au fond et réitère sa demande principale en paiement ;
En défense, s. D. soulève, in limine litis, l'incompétence du Tribunal de Première Instance au profit du Tribunal du Travail, en application des articles 262 et 263 du Code de procédure civile, 1er, 49, 53, 54 et 58 de la loi n° 446 du 16 mai 1946 ;
À titre subsidiaire, il demande un sursis à statuer, dans l'attente de la décision du Tribunal du Travail devant être rendue le 21 février 2019, laquelle pourrait reconnaître l'unicité de la relation de travail entre lui et les entités de la SAM G et de la société A;
Si le Tribunal de Première Instance devait retenir sa compétence, il sollicite l'autorisation de conclure au fond ;
Enfin, il conclut au rejet de la pièce adverse n° 8 au visa des articles 324 du Code de procédure civile et 103 du Code pénal, et à la recevabilité de ses pièces n° 7 et 8, et il réclame la condamnation de la demanderesse à lui verser une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Dans le dernier état de ses écritures, le Procureur Général conclut au rejet de l'exception d'incompétence et s'en rapporte sur la détermination du droit applicable et sur le fond ;
MOTIFS
* I. SUR LES INCIDENTS RELATIFS AUX PIÈCES :
1. Sur les pièces n° 7, 8 et 10 communiquées par s. D.:
La société A fait grief à s. D. de faire état des pièces 7 et 8 dans ses écritures du 8 novembre 2017 mais de ne les avoir communiquées que le 6 décembre 2017, et de la pièce n° 10 dans ses conclusions du 7 juin 2018 sans l'avoir jamais communiquée ;
s. D. souligne que les pièces n° 7 et 8 ayant été communiquées, la demanderesse est mal fondée à en réclamer le rejet ;
En l'espèce, il ressort des bordereaux de communication de pièces en date des 6 décembre 2017 et 3 avril 2018 que les pièces n° 7 et 8 ont été communiquées par le défendeur à la partie adverse en temps utiles ;
Il s'ensuit que lesdites pièces ne seront pas écartés des débats ;
En revanche, la pièce n° 10 n'ayant été communiquée par le défendeur que le 10 janvier 2019, soit le jour de l'audience de plaidoiries, elle sera écartée des débats afin d'assurer le respect du principe du contradictoire ;
* 2. Sur la pièce n° 8 communiquée par la société A :
s. D. soutient que l'attestation rédigée par b. CA. fait état de faits matériellement inexacts et ne respecte pas les dispositions de l'article 324 du Code de procédure civile ;
Il précise que l'intéressé a rédigé l'attestation en n'indiquant n'avoir aucun lien de subordination ou d'intérêt avec son bénéficiaire, alors qu'il est le chauffeur du représentant légal de la SAM G ;
Il ajoute que l'attestation a été rédigé au profit de p. C. dont le témoin reçoit les directives (ce qui caractériserait l'existence d'un lien de subordination) et lequel est mandataire social des sociétés G et A ;
La société demanderesse estime l'attestation rédigée par b. CA. parfaitement recevable, dans la mesure où elle a été établie au profit de p. C. et non pas au bénéfice de la SAM G ;
Elle en déduit que le témoin a valablement déclaré n'être soumis à aucun lien de subordination à l'égard du bénéficiaire de l'attestation ;
Elle souligne en outre que b. CA. a pris le soin de préciser, en toute transparence, être employé de la SAM G ;
L'article 324 du Code de procédure civile prévoit que l'attestation doit, à peine de nullité :
* 1° être établie par une personne remplissant les conditions requises pour être entendue comme témoin ;
* 2° être écrite, datée et signée de la main de son auteur ;
* 3° mentionner les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur, ainsi que l'existence ou l'absence de liens de parenté, d'alliance, de subordination ou d'intérêt avec les parties ;
* 4° préciser si son auteur a quelque intérêt au procès ;
* 5° indiquer qu'elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur sait qu'une fausse attestation l'exposerait aux sanctions prévues par l'article 103 du Code pénal ;
* 6° être accompagnée de tout document officiel, en original ou photocopie, justifiant de l'identité de son auteur et comportant sa signature ;
En l'espèce, b. CA. précise dans son attestation être employé de la SAM G ;
Il a donc un lien de subordination avec cette société, laquelle appartient au même groupe que la société demanderesse ;
Il s'ensuit que l'attestation litigieuse satisfait à l'exigence posée par l'article 324,3° du Code de procédure civile, la déclaration faite en préambule d'un défaut de lien de subordination ou d'intérêt ne dissimulant de fait pas l'existence d'un tel lien mais relevant plutôt d'une mauvaise compréhension de ces termes ;
La pièce n° 8 communiquée par la société A ne sera dès lors pas annulée ;
* II. SUR L'EXCEPTION D'INCOMPÉTENCE :
À l'appui de l'exception d'incompétence qu'il invoque, s. D. soutient pour l'essentiel que :
* en 2012, il a été débauché par le groupe D pour devenir responsable des ventes senior de la SAM G ;
* le même jour, il a signé à Monaco deux contrats de travail pour le même emploi, et ce dans le but pour son employeur monégasque de s'affranchir du paiement des cotisations sociales sur la part la plus importante de sa rémunération : la plus grosse partie de sa rémunération étant imputée à la société A, puisque son salaire fixe était réglé par la société monégasque et les commissions sur les opérations étaient réglées par la société du droit des Bermudes ;
* en fait, conformément à l'« Agency Agreement » passé entre les deux sociétés, son travail consistait, pour le bénéfice et sous le lien de subordination de la SAM G, à recevoir et à transmettre les ordres financiers sur les marchés pour le compte la société A ;
* le contrat de travail établi entre lui et la société demanderesse relevait dès lors d'un montage juridique parfaitement artificiel : ledit contrat de travail ne définissant d'ailleurs ni son poste, ni la nature, ni l'étendue de ses missions, ni même leurs modalités d'exécution ;
* de plus, il n'a jamais reçu la moindre directive de la part de la société A et a toujours oeuvré depuis Monaco ou dans le cadre de déplacements professionnels accomplis pour le compte de la société monégasque ;
* de même, l'entretien préalable de licenciement par la société A s'est tenu à Monaco et a été effectué par l'administrateur délégué de la SAM G ;
Selon s. D. la partie adverse ne démontre :
* ni que le contrat de travail les liant a été signé aux Bermudes,
* ni la réalité d'un quelconque travail effectué par lui aux Bermudes,
* ni la réalisation par lui d'activités distinctes, en partie pour le compte de la société monégasque et en partie pour le compte de la société bermudienne ;
* ni que les associés et représentants légaux de l'entité bermudienne (qui sont les mêmes que ceux de l'entité monégasque) exerçaient de manière séparée leurs prérogatives pour la relation de travail entre eux ;
* ni qu'en vertu du droit des Bermudes, le présent litige ne relèverait pas de la compétence du Tribunal du travail et s'étonne de ce qu'une règle de droit international privé bermudienne déterminerait les règles de compétence matérielle entre les différentes juridictions monégasques ;
s. D. affirme en définitive que le Tribunal de Première Instance est appelé, en l'espèce, à se prononcer sur les conséquences directes de la relation de travail existant en lui et la société de droit monégasque G, alors que les règles procédurales monégasques donnent compétence au seul Tribunal du travail pour connaître des litiges opposant un salarié à son employeur monégasque dans l'exécution de son contrat de travail conclu et effectué en Principauté de Monaco ;
Il ajoute que :
* il a saisi le Tribunal du travail le 25 juillet 2016 afin de voir examiner ses demandes indemnitaires à l'aune de la rémunération complète perçue de son seul et unique employeur, la société de droit monégasque G,
* si cette juridiction était amenée à considérer que l'intégralité de la relation de travail entre lui les sociétés du Groupe D comme une unique relation de travail, la compétence du Tribunal de Première Instance serait difficile à retenir ;
* l'action engagée par la société A est un leurre procédural pour l'affaiblir financièrement dans le cadre du litige qui l'oppose à la SAM G devant le Tribunal du travail ;
S'agissant des avances sur intéressement dont la société A demande le remboursement, s. D. considère en substance que, comme elles font partie intégrantes des termes financiers du contrat de travail qui lui a été proposé par la SAM G et comme elles ont pour objet des engagements souscrits à Monaco, la demanderesse aurait dû saisir le Tribunal du travail ;
S'agissant du prêt dont il est également demandé le remboursement, le défendeur fait valoir principalement que :
* la société A a eu recours à une pratique habituelle dans son secteur d'activité dite de « fidélisation » des cadres via le paiement d'un bonus, présenté comme un « prêt » directement assujetti à la poursuite du contrat de travail au sein du groupe ; en fait, il s'agit d'un moyen de pression sur les salariés potentiellement désireux de rejoindre une autre société : la durée desdits prêts est liée à la poursuite du contrat de travail et dans les faits, ils ne sont jamais remboursés ;
* selon cette pratique, la demanderesse lui a accordé des « prêts » successifs tout au long de l'exécution de son contrat de travail qu'il n'a jamais remboursé (la société A ne démontre d'ailleurs pas le contraire) ;
* pour éviter les conséquences de la jurisprudence du Tribunal du travail en la matière (T. T. 5 juin 2014, CA. MO. c/ k. Y. - dont la demanderesse avait pleinement connaissance pour avoir débauché le salarié concerné par la décision), la société A lui a demandé de formaliser une demande de prêt pour raisons personnelles ; ce à quoi, il s'est régulièrement soumis ;
* très opportunément, les pourparlers relatifs à l'octroi du prêt litigieux sont intervenus la même semaine où il lui a été octroyé une augmentation de sa part variable de rémunération, et ce afin d'annuler de facto les intérêts à rembourser ; le prétendu remboursement du prêt était dès lors indolore pour lui ;
* le prêt litigieux lui ayant été accordé pour une durée de 36 mois, le 5 avril 2015, sauf exigibilité anticipée en cas de cessation de la relation de travail ;
* le caractère exigible ou non du prêt litigieux est lié indéfectiblement à son contrat de travail avec la SAM G, puisque c'est à la suite de son départ forcé de cette entité qu'il a été licencié prétendument pour faute grave de l'entité bermudienne et que le remboursement immédiat du prêt lui a été réclamé ;
* la faute grave alléguée par la société A pour justifier son licenciement n'étant corroborée par aucun élément, ni validée par une quelconque juridiction, l'exigibilité immédiate du prêt a été enclenché de manière purement potestative ;
* la partie adverse ne produit pas le contrat de prêt signé et localisé ;
Pour s'opposer à l'exception d'incompétence soulevée par le défendeur, la société A avance pour l'essentiel que :
* 1 : elle a une existence et une activité réelle, elle est une société dument habilitée par l'autorité des activités financières bermudienne, elle est autorisée à employer du personnel tant sur son territoire national qu'à l'étranger, elle opère et a toujours opéré en parfaite conformité tant avec les lois des Bermudes que de Monaco ;
* la Commission de Contrôle des Activités Financières a reconnu la parfaite légalité de sa situation dans son rapport du 16 janvier 2013 ;
* dans le cadre de la convention intra-groupe, la SAM G, dont elle est la seule cliente, effectue une activité de réception/transmission d'ordres et de conseils financiers des clients la société mère bermudienne et pour le compte de celle-ci ; les prestations réalisées par le personnel de la filiale monégasque sont refacturées à la société mère bermudienne ;
* s. D. en sa qualité de salarié de la filiale monégasque, exerçait une activité de réception/transmission d'ordres et d'informations financières au sein de celle-ci au bénéfice des clients la société mère bermudienne et pour le compte de cette dernière ; en contrepartie, il percevait un salaire fixe mensuel réglé par la SAM G et refacturé à la société A ;
* parallèlement, il avait été convenu avec s. D. qu'il serait éligible à un intéressement sur les revenus qu'il génèrerait au bénéfice de la société A dans le cadre d'une activité de gestion et de développement de sa clientèle ;
* les conditions de ce commissionnement ont été stipulées dans le contrat de travail conclu entre les parties : il prévoyait une avance sur ledit commissionnement dont il est demandé le remboursement en l'absence de chiffre d'affaires dégagé par s. D. l'année précédant son licenciement ;
* son action ne tend qu'à obtenir le remboursement de la somme avancée sur l'intéressement indument versée dans le cadre de l'exécution du contrat de travail qui les liait, mais aussi et principalement le remboursement du prêt de 300.000 USD accordé le 1er mai 2015 à la seule demande de s. D. et indépendant d'un quelconque bonus ;
* le versement de la somme prêtée est établi par le relevé de compte bancaire produit aux débats et les courriels échangés entre les parties démontrent que s. D. est bien à l'origine de la demande de prêt en raison de difficultés personnelles et qu'elle est bien créancière de la somme prêtée ;
* le prêt litigieux a été signé quelques années après l'embauche de s. D.; ce dernier ne rapporte pas la preuve de l'existence de « prêts successifs » accordés dès le début de la relation de travail et non remboursés ;
* le défendeur confond le prêt litigieux et les avances sur commissions qu'il a réclamées à deux reprises durant la relation de travail et pour faire face à des difficultés financières personnelles ; ces avances n'ont fait l'objet d'aucun contrat de prêt, et n'ont été compensées que pour partie par les commissions dues à l'époque, raison pour laquelle s. D. a ensuite sollicité l'octroi du prêt litigieux ;
* elle n'a jamais été coutumière de l'octroi de bonus déguisés en prêt pour fidéliser son personnel ;
* la jurisprudence du Tribunal du travail invoquée par le défendeur n'est pas assimilable au cas d'espèce, dans la mesure il n'était nullement prévu d'abandon de droit au remboursement du prêt : le prêt litigieux étant remboursable dans tous les cas, soit à échéance, soit en cas de rupture du contrat de travail avant échéance ;
* le prêt litigieux ne saurait dès lors être requalifié en un accessoire du contrat de travail ayant lié les parties ;
* 2 : de manière contradictoire, s. D. invoque la compétence du Tribunal du travail et affirme qu'il n'a été jamais lié par un quelconque lien de subordination à elle, ni accompli le moindre travail à son profit ;
* il n'a saisi le Tribunal du travail que du différend l'opposant à la SAM G ;
* il n'a nullement contesté son licenciement pour faute grave par la demanderesse ;
* les questions liées aux conditions d'embauche de s. D. ou d'exécution du contrat de travail liant les parties et soulevées par le défendeur n'ont pas à être tranchées par la présente juridiction et ne sauraient faire échec à ses demandes pécuniaires ;
* le contrat de travail liant les parties est régi par le droit des Bermudes, s. D. ne rapporte pas la preuve que selon ce droit, c'est le Tribunal du travail de la Principauté de Monaco qui serait exclusivement compétent pour tout différend lié à l'exécution dudit contrat et notamment pour le recouvrement des avances sur intéressement ;
* de même, la créance de remboursement du prêt litigieux est indépendante du contrat de travail;
* étant une société de droit des Bermudes, elle n'est pas établie à Monaco et le défendeur ne démontre pas non plus que le contrat de travail a été conclu à Monaco ; or le Tribunal du travail n'est compétent que pour les litiges ayant trait à l'exécution d'un contrat de travail conclu à Monaco et pour le compte d'un employeur établi à Monaco ;
* s. D. tente d'entretenir une confusion entre les deux contrats de travail du 9 janvier 2012, alors que les deux conventions étaient régies par des deux droits distincts : le contrat liant les parties par le droit des Bermudes, et celui liant s. D.à la SAM G par le droit monégasque ;
* la demande de remboursement anticipée a d'ailleurs été formulée, non pas après la démission de s. D. de la SAM G, mais après le licenciement de celui-ci par la société bermudienne pour faute grave ;
Le Procureur Général estime la juridiction valablement saisie soulignant que le contrat de prêt litigieux est soumis au droit des Bermudes mais les juridictions monégasques sont compétentes en vertu de l'article 4 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé, que les allégations du défendeur sur l'interdépendance du contrat de prêt et du contrat de travail liant les parties ne sont étayées par aucun élément, qu'il s'agit d'un prêt d'argent par acte distinct du contrat de travail et qu'il ne prévoyait aucune possibilité de remboursement par compensation directe de l'employeur sur le salaire ;
* 1. Sur la compétence ratione loci des juridictions monégasques en matière de contrat de travail :
Le point 2 de l'article 6 du Code de droit international privé monégasque (issu de la loi 1.448 du 28 juin 2017 applicable immédiatement aux procédures en cours) donne compétence aux juridictions monégasques, pour les contrats individuels de travail, dans les cas suivants :
* lorsque le demandeur est le salarié et qu'il a son domicile dans la Principauté,
* lorsque le salarié y accomplit habituellement son travail,
* lorsqu'il exerce une activité de télétravail dans les conditions prévues par les dispositions législatives relatives au télétravail,
* lorsque le contrat de travail a été conclu dans la Principauté ;
En l'espèce, quand bien même il n'est pas établi le lieu où a été conclu le contrat de travail du 9 janvier 2012 liant s. D. et à la société A, et quand bien même l'employeur a son siège situé aux Bermudes, il n'est pas contesté que s. D. a habituellement accompli son travail pour le compte de celui-ci sur le Territoire de la Principauté, la demanderesse ne versant aucune pièce en sens contraire ;
Ainsi, les litiges afférents au contrat de travail liant s. D. et à la société A relèvent de la compétence des juridictions monégasques en application du point 2 de l'article 6 du Code de droit international privé monégasque ;
* 2. Sur la compétence rationae materiae du Tribunal du travail :
Il faut rappeler qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946 le Tribunal du travail est seul compétent pour connaître des litiges pouvant s'élever à l'occasion du contrat de travail ;
* a. Sur la demande afférente au remboursement des avances sur intéressement indûment versées :
Il est admis que l'avance sur commission est un élément de la rémunération ; dès lors, tout litige y afférent en ce qu'il porte sur un élément essentiel du contrat de travail relève de la compétence exclusive du Tribunal du travail ;
En l'espèce, le contrat de travail conclu le 9 janvier 2012 entre les parties stipule en son annexe 2 que s. D. serait « payé selon l'échéancier suivant :
* a. Une avance annuelle de 225.000 USD versée sous forme de mensuelle à terme échue (sous réserve du montant maximum de débit autorisé à tout moment de 125.000 USD) contre remboursement de 45% du montant net des commissions clients comme convenu en tant que de besoin, et
* b. De tout autre manière convenue d'un commun accord entre la Société et l'Employé » ;
Dès lors, la demande de la société A tendant à obtenir la condamnation de s. D. au paiement de la somme la somme de 98.505 USD, soit la contrevaleur en euros de la somme de 87.563,08 euros, au titre de l'avance sur son intéressement indûment versée relève de la compétence exclusive du Tribunal du travail ;
* b. Sur la demande afférente au remboursement au titre du prêt consenti par la société A à s. D. :
Il a été jugé par le Tribunal du travail que le versement d'une somme (non causée) par un employeur à un salarié doit s'analyser en une gratification et ne constitue pas un prêt, dès lors que l'employeur subordonne l'acquisition définitive de ladite somme à la présence du salarié dans l'entreprise très postérieurement à son attribution, sauf à porter atteinte aux libertés et droits fondamentaux du salarié parmi lesquels figure le droit de démissionner (Tribunal du travail 5 juin 2014 SAM CA. MO. c/ k. YA.) ;
En l'espèce, il ressort des pièces produites aux débats que :
la société A a alloué à s. D. la somme de 300.000 USD au titre d'un acte intitulé « convention de prêt - reconnaissance de dette » signé le 4 avril 2015 par le préteur et le 31 avril 2015 (!) par l'emprunteur ;
* en amont de l'allocation de cette somme (soit courant avril 2015), les parties ont échangé par mails sur la nécessité pour s. D. d'obtenir un prêt pour ses besoins personnels ; à la lecture de ces pièces, il apparaît que dès avant la demande de financement par s. D.(le 7 avril 2015), l'employeur avait déjà signé la convention de prêt ; l'anachronisme de cette situation accrédite la position de s. D. selon laquelle les échanges de mails ont eu pour finalité de causer le prêt afin de répondre aux exigences de la jurisprudence du Tribunal du travail ci-avant rappelée ;
* les modalités de remboursement du prêt ont été indexées à la rémunération de s. D. laquelle a été modifiée en conséquence, et la déchéance du terme a été prévue en cas de cessation par le salarié de son emploi au sien de la société A ;
Il résulte de l'analyse de ces éléments que le prêt litigieux, outre l'existence discutable de sa cause, n'a été accordé à s. D. qu'en raison de sa qualité de salarié puisque non seulement le solde était immédiatement exigible en cas de cessation de la relation de travail (ce qui peut constituer un moyen de fidélisation du salarié), mais aussi les modalités de remboursement étaient étroitement liées à l'évolution de sa rémunération ;
Le prêt consenti à s. D. par la société A était donc directement rattachable au contrat de travail ;
Ainsi, la présente juridiction doit se déclarer incompétente pour connaître de la demande en remboursement dudit prêt formée par la société A à l'encontre de s. D. étant précisé que statuer sur l'existence, le bien fondé et le quantum de la créance de la demanderesse équivaudrait à violer la règle d'ordre public de la compétence d'attribution exclusive conférée au Tribunal du travail ;
Enfin en l'état du principe de l'unicité de l'instance devant la juridiction sociale s'opposant à toute nouvelle instance et du litige pendant devant cette juridiction entre s. D. et la SAM G (introduit le 25 juillet 2016), seul le Tribunal du travail sera compétent pour se prononcer sur l'éventuelle unicité des deux contrats de travail conclus par le défendeur le 9 janvier 2012 avec les sociétés du groupe D et pour statuer le cas échéant sur la recevabilité d'une nouvelle action distincte opposant ledit groupe à s. D.;
Il convient donc de se déclarer incompétent pour connaître de l'ensemble des demandes formulées par la société A à l'encontre de s. D. et tendant à le voir juger débiteur envers celle-ci ;
* III. SUR LA DEMANDE DE s. D. DE DOMMAGES ET INTÉRÊTS POUR PROCÉDURE ABUSIVE :
s. D. soutient que l'intention de nuire de la partie adverse est manifeste, dans la mesure où la présente action vise à :
* permettre à la SAM G de s'abstraire de toute obligation à son égard ;
* faire diversion sur les manquements de la société A aux obligations légales monégasques,
* faire pression sur lui afin qu'il renonce à ses prétentions devant le Tribunal du travail ;
* détruire sa réputation ;
Il fait valoir que la présente action l'a contraint à exposer de nouveaux frais de justice devant une juridiction incompétente ;
La société A affirme que la présente action est parfaitement légitime et ne revêt aucun caractère abusif ;
Au vu de ce qui précède, la témérité de l'action engagée par la société A à l'encontre du défendeur justifie l'octroi à ce dernier de dommages et intérêts à hauteur de 2.000 euros, celui-ci ayant été inutilement contraint d'engager des frais pour se défendre devant une juridiction manifestement incompétente ;
La société A, succombante, sera condamnée aux dépens en application de l'article 231 du Code de procédure civile ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Écarte des débats la pièce n° 10 communiquée par s. D. le 10 janvier 2019 ;
Dit que la pièce n° 8 communiquée par la société A est valable ;
Se déclare incompétent pour connaître de l'ensemble des demandes formulées par la société A à l'encontre de s. D.;
Dit que le Tribunal du travail est seul compétent pour statuer sur les demandes en paiement de la société A formées à l'encontre de s. D.;
Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;
Condamne la société A à payer à s. D. la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
La condamne aux dépens avec distraction de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;
Composition
Ainsi jugé par Monsieur Sébastien BIANCHERI, Vice-Président, Madame Geneviève VALLAR, Premier Juge, Madame Séverine LASCH, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du JEUDI 7 MARS 2018, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Geneviève VALLAR, Premier Juge, assistée de Mademoiselle Amandine RENOU, Greffier stagiaire, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires
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