Abstract
Saisie-exécution - Opposition à la vente (oui) - Biens indivis (oui) - Biens saisis au domicile conjugal - Propriété exclusive d'un des époux (non) - Mainlevée de la saisie-exécution (non) - Liquidation partage (oui)
Résumé
En l'absence de démonstration apportée par l'une ou l'autre des parties sur l'existence d'une propriété exclusive d'un des époux sur les biens concernés, il convient de considérer que ces biens saisis relèvent effectivement du régime de l'indivision, à hauteur de la moitié pour chacun des époux et qu'ils ne peuvent en conséquence pas faire l'objet de la saisie exécution engagée à leur encontre. Il en résulte que l'opposition à la vente formée par l'épouse sur le fondement de l'article 533 du Code de procédure civile est fondée.
Compte tenu de la nécessité de déterminer, par le recours à un partage, les droits respectifs des époux sur les biens concernés et au regard de la nécessité de maintenir la sûreté prise par le créancier en vue du recouvrement de sa créance, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de mainlevée de la saisie-exécution. Cependant, cette mesure portera ses effets sur les biens qui seront attribués exclusivement à l'époux débiteur à l'issue des opérations de partage.
Il y a lieu de faire droit à la demande subsidiaire en liquidation partage.
Motifs
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
N° 2018/000643 (assignation du 9 juillet 2018)
JUGEMENT DU 7 MARS 2019
En la cause de :
* m. B. épouse BO. née le 23 avril 1951 à Anvers (Belgique), de nationalité belge, demeurant dans l'immeuble « Y », X1 à Monaco ;
DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
* La société de droit anglais dénommée G, dont le siège social se trouve X2 prise en la personne de son Administrateur (« Director »), a D. domicilié en cette qualité audit siège ;
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
* p. BO. né le 22 novembre 1948 à Batavia (Indonésie), demeurant dans l'immeuble « Y », X1 à Monaco ;
DÉFENDEUR, NON COMPARANT,
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 9 juillet 2018, enregistré (n° 2018/000643) ;
Vu les conclusions de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de la société G, en date du 7 novembre 2018 ;
Vu les conclusions de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, au nom de m. B. épouse BO. en date du 4 décembre 2018 ;
À l'audience publique du 20 décembre 2018, Maître Arnaud ZABALDANO et Maître Thomas GIACCARDI, avocats-défenseurs, ont déposé leurs dossiers, nul n'ayant comparu pour p. BO. et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 7 mars 2019 ;
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Par jugement rendu par défaut le 2 février 2017 et rectifié le 16 février 2017, le Tribunal de première instance de MONACO a condamné p. BO à payer à la société G la contrevaleur en euros au 16 novembre 2013 de la somme principale de 100.000 Livres Sterling outre les intérêts légaux sur cette somme.
Cette condamnation est intervenue sur le fondement d'une reconnaissance de dette signée par p. BO. au profit de la société G le 17 octobre 2013 relative à un prêt de 100.000 livres GB
Par ordonnance sur requête rendue le 4 mai 2017, la société G a été autorisée à pratiquer une saisie conservatoire des meubles dont p. BO. est propriétaire se trouvant à son domicile monégasque dans l'immeuble Y, X1. Cette saisie a été opérée le 14 juillet 2017.
Par jugement rendu par défaut le 21 décembre 2017, ce Tribunal a notamment déclaré régulière et validé la saisie conservatoire, l'a convertie en saisie exécution et a ordonné la vente aux enchères des biens saisis en autorisant la société G à recouvrer sur le produit de la vente le montant de sa créance.
La société G a fait délivrer un commandement de payer le 24 avril 2018 déposé en Mairie et un procès-verbal de recolement et de saisie exécution a été dressé le 8 mai 2018 en l'absence des époux BO.
Par acte d'huissier en date du 9 juillet 2018, m. B. indiquant que la saisie avait été opérée dans le domicile conjugal partagé avec son époux p. BO. a donné assignation à ce dernier et à la société G devant le Tribunal de première instance de MONACO en vue d'obtenir, sous le régime de l'exécution provisoire :
* qu'il lui soit donné acte de son opposition à la vente des biens mobiliers objets de la saisie exécution du 8 mai 2018 et qu'il soit constaté que ces biens sont sa propriété ou tout au moins qu'ils sont présumés être la propriété indivise du couple,
* que soit ordonnée la mainlevée de la saisie exécution du 8 mai 2018 et la condamnation de la société G à restituer les biens mobiliers visés à l'exploit de saisie exécution du 8 mai 2018 et à les transporter à ses frais et soins exclusifs au domicile de m. B. dans les 8 jours de la signification du jugement à intervenir sous peine d'astreinte de 500 € par jour passé ce délai.
À l'appui de ses prétentions, elle fait notamment valoir qu'elle justifie être la propriétaire de l'ensemble des biens mobiliers qui se trouvaient dans l'appartement où s'est déroulée la saisie alors que l'ordonnance du 4 mai 2017 n'a autorisé que la saisie de meubles appartenant à p. BO. avec lequel elle était mariée sous le régime de la séparation de biens ; que les meubles saisis, dont il n'est pas prouvé par la société G qu'il s'agissait de biens propres de p. BO. ne peuvent en conséquence pas être valablement saisis et vendus aux enchères publiques pour recouvrer une dette personnelle de ce dernier.
Par conclusions déposées le 7 novembre 2018, la société G demande au Tribunal, sous le régime de l'exécution provisoire :
* à titre principal, de débouter m. B. de l'ensemble de ses prétentions,
* à titre subsidiaire, d'ordonner la liquidation de l'indivision existant entre Monsieur et Madame BO. et de l'autoriser à poursuivre la liquidation de l'indivision au nom de Monsieur BO. par la vente aux enchères publiques des biens saisis,
* en tout état de cause, la condamnation de Madame BO. au paiement de la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts.
La société G oppose que Madame BO. ne justifie pas de son droit de propriété sur les biens objets de la saisie en ce que les pièces qu'elle produit ne caractérisent pas un tel droit ; s'agissant de la présomption d'indivision dont se prévaut également la requérante, la société soutient que dans l'hypothèse où une telle indivision serait retenue, elle est bien fondée à solliciter le partage de l'indivision afin de mettre un terme à la collusion organisée par les époux pour se soustraire aux poursuites et que la présente instance caractérise une mauvaise foi de Madame BO. justifiant sa condamnation au paiement de dommages et intérêts.
Aux termes des dernières conclusions déposées au nom de m. B. le 6 décembre 2018, Me Arnaud ZABALDANO, Avocat Défenseur, demande qu'il lui soit donné acte de ce qu'il se trouve sans pièces ni moyens aux intérêts de Madame B. ép. BO. avec toutes conséquences de droit et sollicite la condamnation de tout contestant aux dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
* Sur l'opposition à la vente :
Selon l'article 533 du Code de procédure civile relatif aux saisies-exécutions, « Celui qui se prétendra propriétaire de tout ou partie des objets saisis pourra s'opposer à la vente par exploit signifié au saisissant et au saisi, contenant assignation devant le tribunal de première instance et énonçant les preuves de propriété, à peine de nullité : il y sera statué d'urgence ».
En l'espèce, m. B. prétend d'une part que les biens concernés par la saisie lui sont propres et, d'autre part, qu'ils doivent à tout le moins être considérés comme des biens indivis ne pouvant faire l'objet de cette procédure d'exécution.
Concernant sa qualité de propriétaire : la requérante verse aux débats un document présenté comme une liste du mobilier lui appartenant et se trouvant dans le logement situé X1 à MONACO. Ce document est daté du 2 octobre 1992 et revêt une mention selon laquelle il aurait été déposé en l'Étude de Me a., Notaire à MONACO avec précision manuscrite indiquant que ce dépôt serait intervenu le 6 décembre 1993. Cependant, cette pièce a manifestement été établie unilatéralement par m. B. Par ailleurs, son ancienneté et les désignations des objets inventoriés ne permettent pas d'établir une concordance avec les objets désignés dans le procès-verbal de saisie conservatoire établi le 14 juillet 2017 par Me LE. ; cette pièce ne saurait en conséquence caractériser un droit de propriété de m. B. sur les biens concernés.
Est également produit une liste d'inventaire du mobilier se trouvant dans l'appartement situé X1 à MONACO. Cette liste, datée du 15 février 2010 revêt également le tampon de Me a. C., Notaire à MONACO. Cependant, concernant ce document, il doit aussi être relevé que d'une part, il a été établi de façon unilatérale par Madame B. et ne saurait justifier de la réalité des droits de cette dernière sur les biens désignés ; qu'en outre, l'absence de concordance entre cette description des biens et l'inventaire réalisé le 14 juillet 2017 ne permet pas d'apprécier utilement l'existence d'un droit de propriété exclusif de m. B. sur ces objets.
Madame B. ne rapportant pas la preuve qui lui incombe d'un droit exclusif sur les biens litigieux, il convient donc de la débouter de ce chef de demande.
Concernant la qualité de propriétaire indivise : pour soutenir qu'elle doit être considérée à tout le moins comme propriétaire indivise des biens saisis, m. B. excipe des dispositions de l'article 1426 du Code civile selon lequel : « Chaque époux est présumé propriétaire des habits, effets, linges et bijoux servant à son usage personnel. Sauf preuve contraire rapportée par tout moyen, les autres objets mobiliers, y compris les deniers et titres au porteur, se trouvant au domicile conjugal ou dans les diverses résidences des époux, leur appartiennent par indivis, sans qu'il y ait lieu de tenir compte, à cet égard, du fait que l'un des conjoints est seul titulaire du droit au local où les époux ont établi leur domicile ou leur résidence ».
En outre, elle verse aux débats un acte de modification du contrat de mariage l'unissant à p. BO. Selon cet acte, reçu le 18 janvier 1982 par Me w. R. A., Notaire à Rijswijk en Hollande, il est mis un terme à la communauté de biens entre les époux pour passer à un régime de séparation, chacun devant conserver les profits et les dettes apportés au mariage. Il est par ailleurs mentionné en l'article 3 que « les biens à l'égard desquels il ne peut être établi ou prouvé auquel des époux ils appartiennent seront réputé appartenir à chacun d'eux pour la moitié en copropriété libre ».
Au vu de ces dispositions à la fois légales et contractuelles, en l'absence de démonstration apportée par l'une ou l'autre des parties sur l'existence d'une propriété exclusive d'un des époux sur les biens concernés, il convient en conséquence de considérer que ces biens relèvent effectivement du régime de l'indivision, à hauteur de la moitié chacun à m. B. épouse BO. et p. BO. et qu'ils ne peuvent en conséquence pas faire l'objet de la saisie exécution engagée à leur encontre. Il en résulte que l'opposition à la vente formée par m. B. sur le fondement de l'article 533 du Code de procédure civile est fondée.
Il sera fait droit à ce chef de demande.
* Sur la demande de mainlevée de la saisie-exécution :
Compte tenu de la nécessité de déterminer, par le recours à un partage, les droits respectifs des époux sur les biens concernés et au regard de la nécessité de maintenir la sûreté prise par le créancier en vue du recouvrement de sa créance, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de mainlevée de la saisie-exécution ; cependant, cette mesure portera ses effets sur les biens qui seront attribués exclusivement à p BO. à l'issue des opérations de partage.
Il convient en conséquence de rejeter cette demande.
* Sur la demande subsidiaire de liquidation partage :
En application de l'article 1021 du Code civil, les créanciers « peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement attachés à sa personne ».
Compte tenu de ce que la société G, créancier personnel de p. BO. n'est pas en mesure de saisir les biens indivis mais ne dispose, au sens de l'article précité, que de la possibilité de provoquer le partage, il convient de faire droit à cette demande subsidiaire et d'ordonner ce partage dans les termes du dispositif ci-après.
* Sur les demandes annexes :
L'urgence, caractérisée par le fait que la saisie-exécution demeure tenante, commande, au sens de l'article 202 du Code de procédure civile, d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement.
Les dépens de l'instance seront employés en frais privilégiés de partage.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort,
Dit que les biens objets de la saisie conservatoire opérée le 14 juillet 2017 par la société G au domicile de p. BO. sont des biens appartenant en indivision à hauteur de la moitié chacun à m. B. épouse BO. et p. BO.;
Reçoit m. B. épouse BO. dans son opposition à la vente de ces biens mobiliers objets de la saisie exécution du 8 mai 2018 ;
Accueille la demande en partage des biens mobiliers indivis appartenant à m. B. épouse BO. et p. BO. objets de la saisie conservatoire opérée le 14 juillet 2017 et de la saisie exécution du 8 mai 2018, demande présentée par la société G, créancière à titre personnel de p. BO. ;
Désigne Maître h. R., notaire, pour procéder aux opérations de partage des biens mobiliers dont s'agit, conformément aux droits de chacun des époux et aux dispositions légales applicables ;
Le charge à l'effet de procéder à ces opérations de se faire représenter, en tant que de besoin, toutes choses mobilières, actes, livres, registres et titres et de dresser inventaire ;
Commet Adrian CANDAU, juge au siège, pour suivre les opérations de partage et faire rapport au cas où il s'élèverait des contestations ;
Dit que le magistrat et le notaire ainsi nommés pourront être remplacés en cas d'empêchement dans les conditions prévues par l'article 915 du Code de procédure civile monégasque ;
Déboute m. B. épouse BO. de sa demande de mainlevée de la saisie-exécution et dit que cette mesure portera ses effets sur les biens qui seront attribués exclusivement à p BO. à l'issue des opérations de partage ;
Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement ;
Ordonne l'enrôlement des dépens en frais privilégiés de partage ;
Composition
Ainsi jugé par Monsieur Sébastien BIANCHERI, Vice-Président, Madame Geneviève VALLAR, Premier Juge, Monsieur Adrian CANDAU, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 7 MARS 2019, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Geneviève VALLAR, Premier Juge, assistée de Mademoiselle Amandine RENOU, Greffier stagiaire, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.
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