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16/01/2014 | MONACO | N°11751

Monaco | Tribunal de première instance, 16 janvier 2014, PO c/ WY


Motifs

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

R.

JUGEMENT DU 16 JANVIER 2014

En la cause de :

Mme S PO, étudiante, domiciliée X - Suisse,

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'une part ;

Contre :

M. O WY, ès-qualités d'exécuteur testamentaire, avocat, domicilié X - Suisse,

DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco

et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie...

Motifs

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

R.

JUGEMENT DU 16 JANVIER 2014

En la cause de :

Mme S PO, étudiante, domiciliée X - Suisse,

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'une part ;

Contre :

M. O WY, ès-qualités d'exécuteur testamentaire, avocat, domicilié X - Suisse,

DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 29 octobre 2012, enregistré (n° 2013/000214) ;

Vu les conclusions de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de O WY, en date des 15 mai 2013 et 13 septembre 2013 ;

Vu les conclusions de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, au nom de S PO, en date des 19 juin 2013 et 9 octobre 2013 ;

À l'audience publique du 21 novembre 2013, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 16 janvier 2014 ;

EXPOSE DES FAITS

Selon testament en date du 27 décembre 2009, M. A PO, de nationalité suisse et fondateur d'un groupe industriel spécialisé dans les produits de boulangerie, a notamment :

* laissé pour lui succéder son épouse C PO née SC et leur fille S PO ;

* prévu une clause V selon laquelle : « La gestion des biens revenant à ma fille sera assurée jusqu'à ce qu'elle ait atteint l'âge de 30 ans par l'Exécuteur Testamentaire (Maître O WY, avocat à Genève), assisté pour la gestion du groupe de mes cadres, de mon épouse, de mon frère O PO et de mon beau-fils P LA. »

* indiqué s'en remettre au droit suisse dans la mesure du possible.

M. A PO, domicilié à Monaco est décédé le 29 octobre 2011 en Suisse.

Par acte d'huissier délivré le 29 octobre 2012, S PO a fait assigner O WY demeurant en Suisse et demande au Tribunal de Première Instance de Monaco de :

* dire que les juridictions monégasques sont compétentes pour connaître des actions relatives à la succession du défunt en application des articles 83 du Code civil et 3-3 du Code de procédure civile ;

* dire que le droit suisse est applicable à la dévolution de sa succession immobilière et notamment des parts de la société FINALIM HOLDING SA ;

* dire que la réserve de S PO se monte au trois huitièmes de la succession et doit être libre de toute charge et contrainte ;

* à titre principal :

* dire que la réserve de S PO est violée ;

* dire que la clause V du testament est de nul effet ;

* en conséquence faire interdiction à O WY, sous peine d'astreinte de 1.000 euros par infraction constatée, d'interférer dans la gestion des biens revenant à S PO dans la succession de son père ;

* à titre subsidiaire :

* dire que la clause V est nulle en tant qu'elle porte sur une part correspondant à 37,5 % de la succession, part devant revenir libre de toute charge à S PO ;

* en conséquence faire interdiction à O WY, sous peine d'astreinte de 1.000 euros par infraction constatée d'interférer dans la gestion des biens représentant la part réservataire de S PO dans la succession de son père ;

* ordonner l'exécution provisoire.

O WY a déposé des conclusions d'exception d'incompétence le 15 mai 2013 et des conclusions récapitulatives sur exception d'incompétence le 13 septembre 2013 tendant à :

* voir le Tribunal de Première Instance de Monaco se déclarer incompétent ;

* lui donner acte de ce qu'il se réserve le droit de conclure au fond.

Il fait valoir s'agissant du droit monégasque, que :

* la succession d A PO a été ouverte en Principauté de Monaco en vertu de l'article 83 du Code civil ;

* l'article 3-3 du Code de procédure civile n'est toutefois pas applicable dès lors qu'il dispose que les juridictions monégasques connaissent des actions relatives à une succession ouverte en Principauté de Monaco lorsqu'il s'agit de demandes entre cohéritiers ou de demandes formées par des tiers contre un héritier ou un exécuteur testamentaire, ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisque l'action intentée est celle d'un héritier contre l'exécuteur testamentaire ;

* il ne peut pas être considéré par ailleurs qu'il s'agit d'un litige portant sur des obligations nées à Monaco de sorte que l'article 3-2 du Code de procédure civile est également inapplicable, la jurisprudence citée sur ce point en demande étant inopérante ;

* étant de nationalité suisse, il est en conséquence bien fondé à décliner la compétence des juridictions monégasques en vertu de l'article 5 du Code de procédure civile, dès lors que la juridiction suisse procéderait de la même façon en matière successorale à l'égard d'un étranger domicilié en Suisse lors de son décès puisque la professio juris est admise selon l'article 90 alinéa 2 de la loi fédérale relative au droit international privé.

S'agissant des conséquences en matière de compétence, de l'application du droit suisse, O WY argue que :

* M. A PO a expressément fait le choix dans son testament du droit suisse ;

* aux termes de l'article 87 alinéa 2 de la loi fédérale relative au droit international privé, cette professio juris en faveur du droit suisse emporte nécessairement et exclusivement attribution aux juridictions suisses de la connaissance de tout litige relatif au règlement de la succession sauf compétence revendiquée par l'État du lieu de situation de l'immeuble par application de l'article 96 ;

* la succession ne portant aucunement sur un immeuble sis en Principauté de Monaco mais étant seulement mobilière, la volonté du de cujus n'est pas contraire au droit monégasque ;

* il en résulte que toute décision étrangère rendue par un Tribunal qui n'aurait pas fait application de cette élection de for ne pourrait être reconnue et exécutée en Suisse ;

* il n'y a aucunement litispendance, au sens de l'article 9 de la loi de droit international privé.

Enfin, O WY nie avoir reconnu la compétence des juridictions monégasques, les courriers produits par S PO sur ce point concernant uniquement une question fiscale.

Les 19 juin et 9 octobre 2013, S PO a déposé des conclusions tendant au rejet de l'exception d'incompétence.

Il est soutenu que :

* il ressort de la combinaison des articles 83 du Code civil et 3-3 du Code de procédure civile que toutes les actions relatives à une succession ouverte en Principauté relèvent des tribunaux monégasques ;

* la précision relative aux parties au litige contenu dans ce dernier texte a simplement vocation à appliquer aux actions des délais distincts mais en aucun cas à exclure la compétence de ce Tribunal pour la présente instance, comme le confirme la jurisprudence ;

* au surplus, l'article 3-2 du Code de procédure civile qui revêt jurisprudentiellement une acception large permet de considérer que les droits et obligations de l'exécuteur testamentaire naissent de l'ouverture de la succession, soit en l'espèce Monaco.

S PO prétend par ailleurs que le choix du droit suisse par le testateur n'a aucune conséquence sur la compétence territoriale des juridictions monégasques en ce que :

* la compétence des juridictions de la Principauté de Monaco s'apprécie au seul regard des dispositions du droit monégasque qui sont impératives et auxquelles il ne peut être dérogé ;

* aucune disposition suisse n'est de nature à faire échec aux compétences de la juridiction monégasque, en tant que juridiction de l'État du dernier domicile du défunt, dans la mesure où :

* la compétence des autorités suisses prévue par l'article 87 de la Loi de droit international privé n'est ni exclusive ni opposable aux juridictions monégasques ;

* cette Loi prévoit en son article 96 que les décisions rendues par l'Etat du dernier domicile du défunt sont susceptibles de recevoir exécution en Suisse ;

* le choix du droit suisse par M. A PO ouvre seulement une compétence concurrente au profit des juridictions suisses ;

* l'article 9 de ladite Loi confirme le caractère erroné de la thèse d O WY puisque si une action était diligentée en Suisse sur le fond, la juridiction helvétique devrait suspendre la cause dans l'attente du résultat de la présente instance.

Enfin, S PO allègue que O WY a reconnu lui-même la compétence des juridictions monégasques dans plusieurs correspondances qui ne se limitent nullement à une question fiscale puisqu'il a avisé la justice de paix en Suisse que la succession avait été ouverte en Principauté de Monaco.

MOTIFS

Il est de principe en droit international public que dans la mesure où il est souverain chaque État élabore lui-même les règles de compétence internationale de ses tribunaux.

Il en résulte que la juridiction monégasque saisie d'un litige international ne peut et ne doit apprécier sa compétence que par référence au droit en vigueur en Principauté.

Il convient en conséquence de se reporter à la section 1 relative aux règles générales sur la compétence contenue dans le titre 1 du livre préliminaire du Code de procédure civile.

L'article 1 de ce code prévoit ainsi que « Les tribunaux de la Principauté exercent la juridiction, soit à l'égard des Monégasques, soit à l'égard des étrangers » dans les conditions qui suivent.

Selon l'article 2 « Ils connaissent de toutes actions intentées contre un défendeur domicilié dans la Principauté ».

Ce texte est inapplicable en l'espèce puisque O WY demeure en Suisse.

L'article 3 dispose que :

« Ils connaissent, en outre, quel que soit le domicile du défendeur :

1° - De toutes actions ayant pour objet des immeubles situés dans la Principauté ;

2° - (L. n° 911, 18 juin 1971) Des actions fondées sur des obligations qui sont nées ou qui doivent être exécutées dans la Principauté, ainsi que des actions fondées sur des obligations nées à l'étranger envers une personne physique ou morale de nationalité monégasque ;

3° Des actions relatives à une succession ouverte dans la Principauté, jusqu'au partage définitif, s'il s'agit de demandes entre cohéritiers ; et pendant un délai de deux années à compter du décès, s'il s'agit de demandes formées par des tiers contre un héritier ou un exécuteur testamentaire. »

Aucun immeuble ne dépendant de la succession, objet du présent litige, le 1er paragraphe susvisé n'est pas applicable.

S'agissant des 2e et 3e paragraphes visés par S PO dans ses écritures, il y a lieu de rappeler qu'aux termes de l'article 83 du Code civil « le lieu où la succession s'est ouverte est celui du domicile du défunt ».

En l'occurrence, il est constant que la succession de M. A PO s'est ouverte en Principauté, celui-ci y étant domicilié, et son testament a été déposé le 5 janvier 2012 au rang des minutes de Maître REY, Notaire à Monaco.

La mission d O WY, chargé d'exécuter les dispositions testamentaires, prend effet au décès du défunt.

Il convient donc de considérer que les obligations de celui-ci sont nées à Monaco, lieu d'ouverture de la succession, au sens du paragraphe 2 de l'article 3 lequel, selon le rapport et l'exposé des motifs rédigé en 1893 à l'occasion de la refonte du Code de procédure civile, doit être interprété aussi largement que possible.

Ainsi, la présente juridiction est bel et bien compétente sans qu'il soit besoin d'examiner l'hypothèse prévue par le chiffre 3 de l'article 3.

Pour s'opposer à la compétence du Tribunal de première instance de Monaco, O WY fait appel au droit suisse.

Or, il résulte du principe de droit international public ci-dessus rappelé que le caractère national des règles monégasques de compétence exclut le renvoi en matière juridictionnelle.

C'est donc à tort qu'O WY invoque l'article 87 alinéa 2 de la loi fédérale suisse relative au droit international privé pour soutenir que la professio juris de M. A PO en faveur du droit suisse emporte professio fori, à savoir attribution de compétence au profit des juridictions helvétiques.

Au demeurant, il ressort du commentaire Romand de ce dernier texte versé aux débats par O WY lui-même que le choix du défunt au profit à la fois de la loi et de la compétence suisses, « peut ne pas produire l'effet de déroger réellement à la compétence des autorités étrangères du domicile, qui appliquent sur ce point leur propre droit ; cela peut conduire à des complications dont le disposant a tout intérêt à tenir compte à l'avance ».

Enfin, le caractère national des règles monégasques de compétence internationale interdit également à la juridiction présentement saisie de rechercher si ses décisions seront reconnues ou non en Suisse.

C'est donc vainement :

* qu'O WY se prévaut sur ce point de l'alinéa 2 de l'article 96 de la loi fédérale sur le droit international privé suisse selon lequel « s'agissant d'un immeuble sis dans un État qui revendique une compétence exclusive, seules les décisions, mesures ou documents émanant de cet État seront reconnus ».

* alors même qu'il omet de s'expliquer sur l'alinéa 1 de ce texte aux termes duquel les décisions relatives à une succession ouverte à l'étranger sont reconnues en Suisse lorsqu'elles ont été rendues dans l'État du dernier domicile du défunt.

Au vu de l'ensemble de ces éléments O WY doit être débouté de son exception d'incompétence et invité à conclure au fond.

Enfin, les dépens seront réservés.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement par jugement contradictoire, et en premier ressort,

Se déclare compétent pour connaître du présent litige en application de l'article 3 alinéa 2 du Code de procédure civile et déboute en conséquence O WY de son exception d'incompétence ;

Renvoie l'affaire et les parties à l'audience du MERCREDI 12 FÉVRIER 2014 à 9 heures date à laquelle O WY devra avoir conclu sur le fond ;

Réserve les dépens en fin de cause.

Composition

Mme Coulet-Castoldi, Prés., M. Biancheri, prem. juge, Mme Leonardi, juge,

Mme Taillepied, greff.,

M. Gardetto et Giaccardi, av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 11751
Date de la décision : 16/01/2014

Analyses

Droit des successions - Successions et libéralités  - Fiscalité internationale  - Droit des personnes  - Droit des étrangers.

Droit international privéSuccession d'un étranger (suisse) domicilié à Monaco : Action d'une héritière se prévalant de la loi monégasque contre l'exécuteur testamentaire - Compétence de la juridiction monégasque - Monaco étant le lieu d'ouverture de la succession (article 83 du Code civil) et où sont nées les obligations de l'exécuteur testamentaire (article 3 § 2 du Code de procédure civile) - Non application de la loi suisse - l'article 96 alinéa 1 de la loi fédérale sur le droit international privé ne contredisant pas la loi monégasque.


Parties
Demandeurs : PO
Défendeurs : WY

Références :

Code de procédure civile
article 83 du Code civil
article 3-2 du Code de procédure civile
article 5 du Code de procédure civile
article 3 alinéa 2 du Code de procédure civile
article 3-3 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;2014-01-16;11751 ?

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