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24/10/2013 | MONACO | N°11542

Monaco | Tribunal de première instance, 24 octobre 2013, Boisson es-qualités de syndic c/ CAMEFI Sté Coopérative de crédit


Motifs

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

R.

JUGEMENT DU 24 OCTOBRE 2013

En la cause de :

M. Christian BOISSON, Expert-comptable, de nationalité monégasque, demeurant 13 avenue des Castelans à Monaco, ès-qualités de syndic de la cessation des paiements de M. G GI, exerçant le commerce sous la dénomination « MONABAT », désigné à cette fonction par jugement du Tribunal de Première Instance du 23 novembre 2006,

DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaid

ant par ledit avocat-défenseur,

d'une part ;

Contre :

La CAISSE MEDITERRANEENNE DE FINANCEMENT - CAME...

Motifs

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

R.

JUGEMENT DU 24 OCTOBRE 2013

En la cause de :

M. Christian BOISSON, Expert-comptable, de nationalité monégasque, demeurant 13 avenue des Castelans à Monaco, ès-qualités de syndic de la cessation des paiements de M. G GI, exerçant le commerce sous la dénomination « MONABAT », désigné à cette fonction par jugement du Tribunal de Première Instance du 23 novembre 2006,

DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'une part ;

Contre :

La CAISSE MEDITERRANEENNE DE FINANCEMENT - CAMEFI, société coopérative de crédit à capital variable et à responsabilité limitée, dont le siège est sis 4 boulevard de Tunis à Marseille (13008), agissant poursuites et diligences du Président du Directoire en exercice, M. P FI, et représentée à Monaco en son agence sise 8 rue Grimaldi, prise en la personne de son directeur en exercice, M. G ME, y domicilié en cette qualité,

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

2- La SAM BANQUE EUROPEENNE DU CREDIT MUTUEL MONACO, venant aux droits de la CAMEFI, société anonyme monégasque au capital de 10.000.000 d'euros, ayant son siège social 8 rue Grimaldi à Monaco, agissant poursuites et diligences de son Président délégué en exercice, domicilié en cette qualité audit siège,

INTERVENANTE VOLONTAIRE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 15 juillet 2010, enregistré (n° 2011/000011) ;

Vu les conclusions de Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur, au nom de la CAISSE MEDITERRANEENNE DE FINANCEMENT - CAMEFI, en date des 14 mars 2011, 20 janvier 2012, 17 octobre 2012, 13 mars 2013 et 19 juin 2013 ;

Vu les conclusions de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, au nom de Christian BOISSON, en date des 14 juillet 2011, 2 avril 2012, 16 janvier 2013 et 15 mai 2013 ;

Vu les conclusions de Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur, au nom de la BANQUE EUROPEENNE DU CREDIT MUTUEL MONACO, en date du 24 avril 2013

A l'audience publique du 11 juillet 2013, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 17 octobre 2013 et prorogé au 24 octobre 2013, les parties en ayant été avisées par le Président ;

FAITS

Il est constant que G GI a exercé le commerce en nom personnel en Principauté de Monaco depuis le 10 février 1995, date de son inscription au RCI, sous les enseignes MONABAT et MC 3R, pour une activité d'entreprise générale de bâtiment, tous corps d'état. L'activité MC3R a été cédée, aux termes d'un acte publié le 12 octobre 2001, à une SCS Y VA DE BR et Cie dont G GI apparaît au capital social comme associé commanditaire, porteur de 288 parts sur 600.

Suite au dépôt de bilan réalisé le 30 octobre 2006, le Tribunal de Première Instance, par jugement du 23 novembre 2006, constatait la cessation des paiements de G GI, fixant la date de celle-ci au 1er octobre 2006.

Par jugement du 4 octobre 2007, la date de cessation des paiements était reportée au 1er juillet 2004.

La liquidation des biens de G GI était finalement prononcée par jugement du 17 juin 2010.

Par acte en date du 15 juillet 2010, Christian BOISSON, agissant ès-qualités de syndic de la procédure collective de G GI faisait assigner la CAISSE MÉDITERRANÉENNE DE FINANCEMENT (ci-après CAMEFI) devant le Tribunal de Première Instance en sollicitant sa condamnation pour avoir soutenu abusivement le crédit de G GI.

Aux termes de conclusions en date du 16 janvier 2013, il sollicitait au final la condamnation de la banque au paiement d'une somme de 1.116.080,74 euros (un million cent seize mille quatre vingt euros et soixante quatorze cents) outre les frais à parfaire de taxation du syndic, à charge pour le demandeur d'en répartir le montant entre les créanciers, à titre de réparation du préjudice subi, ainsi qu'à la somme de 10.000 euros, à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.

À l'appui de ses demandes, tant dans son exploit introductif d'instance que par conclusions en date des 14 juillet 2011, 4 avril 2012 et 16 janvier 2013, Christian BOISSON ès-qualités faisait valoir les arguments suivants :

1/La faute de la banque :

Selon le demandeur, la banque, partenaire de l'entreprise depuis 1999, aurait soutenu abusivement le crédit de G GI alors que sa situation était irrémédiablement compromise, en lui octroyant les deux prêts suivants, après le 1er juillet 2004 :

* un prêt intitulé « crédit de restructuration » d'un montant de 350.000 euros, en date du 19 janvier 2005, d'une durée de 12 ans, au taux effectif global de 5,486 %, assorti d'une caution solidaire et hypothécaire d'une SCI ARZIGENAT et du nantissement de parts sociales de la SCS VA DE BR et Cie,

* un prêt intitulé « facilité de caisse destinée aux besoins courants de son activité », d'un montant de 90.000 euros, en date du 30 mars 2005, à un taux de 8,60 % moyennant le nantissement d'un compte à terme ouvert au nom de monsieur G GI et d'une caution bancaire.

La responsabilité civile délictuelle de la banque serait engagée dans la mesure où au moment de l'octroi de ces crédits, la situation de l'entreprise aurait été irrémédiablement compromise, G GI n'ayant poursuivi son activité que grâce à ces prêts, aggravant corrélativement un endettement auquel il ne pouvait faire face. Les concours apportés n'auraient fait que retarder sa faillite inéluctable et conférer vis à vis des créanciers, une apparence de solvabilité de l'entreprise. À ce titre, l'appréciation jurisprudentielle monégasque devrait être équivalente à celle qui avait prévalu en France avant qu'une loi du 26 juillet 2005 ne vienne restreindre textuellement les cas de soutien abusif.

À cet égard, la situation professionnelle de G GI aurait donc été vouée à l'échec dès la fin de l'année 2003 et, au plus tard le 1er juillet 2004. Le demandeur indiquait que les premières difficultés de l'entreprise étaient apparues en 2001, suite à un accident dont G GI avait été victime et qui l'avait contraint pendant près de six mois à confier la gestion à un collaborateur, avec à la clef un ralentissement net de l'activité. Pour autant, par plusieurs crédits et facilités de caisse, moyennant la constitution de sûretés, la banque avait d'ores et déjà augmenté le passif de l'entreprise, le découvert bancaire s'élevant à 100.000 euros au 31 décembre 2001.

Par la suite, malgré l'octroi d'un crédit de restructuration par la CAMEFI le 15 janvier 2003, la situation n'avait pas été apurée, le découvert bancaire s'élevant au 31 décembre 2003 à la somme de 457.176,30 euros.

Les résultats sur les exercices 2001 à 2003 étaient négatifs et la marge brute de l'entreprise trop faible, signe de l'absence d'une capacité d'autofinancement de l'activité.

Enfin, le bilan au 31 décembre 2004 présentait un résultat déficitaire pour l'exercice d'un montant de 139.554,73 euros.

La banque savait ou aurait dû savoir, si elle avait fait preuve des diligences normales qui lui incombaient, que le manque de trésorerie ou encore l'augmentation irréversible du passif démontrait le caractère non viable de l'entreprise. Elle avait pourtant consenti les nouveaux crédits litigieux, en prenant soin de protéger ses intérêts par la constitution de sûretés.

Les documents comptables au vu desquels la CAMEFI avait, prétendument, accordé les nouveaux crédits étaient très insuffisants, s'agissant d'une situation uniquement prévisionnelle au 31 août 2003.

L'existence de crédits excessifs serait en outre stigmatisée par un rapport de l'expert-comptable B FU, établi en juillet 2005 dans le cadre d'une saisine de la commission d'assistance aux entreprises en difficultés (COMED) par G GI.

À cet égard, le demandeur notait bien qu'aux termes de ce rapport, l'expert indiquait que l'entreprise serait viable mais fragile et pouvait se voir octroyer une seconde chance par le biais d'un nécessaire étalement des dettes, notamment des Caisses sociales. Pour autant, si cet échelonnement réalisé avait permis une amélioration seulement temporaire jusqu'au dépôt de bilan, ce constat ne devait pas exclure l'existence d'une situation irrémédiablement compromise au moment de l'octroi des crédits litigieux.

Le demandeur ajoutait en outre :

* que le fait que la liquidation des biens ait été prononcée uniquement en 2010 serait indifférent au constat d'une situation catastrophique dès 2005, le Tribunal ayant, comme dans la plupart des cas, décidé de laisser une chance à l'entreprise en ne prononçant pas de liquidation des biens ab initio,

* que le passif avait été définitivement arrêté après l'introduction de l'instance, (du fait des contestations relatives à l'état des créances) à un montant de 2.017.220,15 euros, et qu'il était indifférent que la présence instance ait été introduite auparavant,

* qu'il n'opérait pas de confusion entre les notions de cessation des paiements et de situation irrémédiablement compromise, (la jurisprudence indiquant que peu importait que le crédit ait été accordé avant ou après la cessation des paiements, dès lors que l'entreprise n'avait plus aucune chance sérieuse de revenir à des conditions normales d'exploitation) mais notait que les prêts litigieux avaient été consentis après la date de cessation des paiements telle que reportée par le Tribunal au 1er juillet 2004 ce qui était un indice non négligeable,

* que la CAMEFI aurait essayé de limiter les conséquences de son soutien abusif en restructurant le découvert qu'elle avait consenti, recalculant à un montant de 4,75 % le taux du prêt de 350.000 euros.

2/Sur le préjudice :

Celui-ci serait égal à l'accroissement du passif né du soutien abusif et donc de la poursuite de l'exploitation après l'octroi des crédits. La situation nette de l'entreprise à l'enseigne MONABAT au 19 janvier 2005 était de -777.335,69 euros, le passif admis étant de 2.017.220,15 euros, il conviendrait d'en déduire l'actif à répartir, soit 155.303,72 euros, sous réserve de la réalisation d'un immeuble, outre une participation dans une SCI, et d'ajouter des frais de procédure et la taxe à venir du syndic.

En défense, la CAMEFI a conclu les 16 mars 2011 les 16 mars 2011, 23 janvier 2012 et 17 octobre 2012 en sollicitant :

* à titre principal, le débouté des demandes de Christian BOISSON, ès-qualités et sa condamnation reconventionnelle au paiement d'une somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

* à titre subsidiaire, qu'il soit jugé que le syndic ne démontrerait pas à suffisance le préjudice qui résulterait directement du prétendu soutien abusif de crédit,

* à titre plus subsidiaire encore, qu'il soit jugé que la CAMEFI ne saurait supporter la charge des créances déclarées au passif de G GI par les organismes sociaux et fiscaux pour la somme de 588.093,01 euros.

Au soutien de ses prétentions la banque indiquait qu'elle n'aurait pas commis de faute.

Ainsi, suite à la cession de la branche MC3R en 2001, le chiffre d'affaires avait diminué de presque moitié pour passer de 2.497.716,71 euros au 31 décembre 2001 à 1.870.000 euros en 2002 et elle indiquait l'avoir alors aidée à franchir ce cap par l'octroi d'un prêt de 106.714 euros outre une facilité de caisse de 70.000 euros.

Confronté à des difficultés financières en 2003, G GI avait sollicité l'aide qui allait aboutir aux deux prêts querellés. Il avait tardé à communiquer des documents comptables réclamés par la banque, son comptable ne fournissant qu'une situation provisionnelle au 31 août 2003 établissant à cette date un chiffre d'affaire de 909.152,99 euros et une marge de 140.000 euros, le bilan 2003 n'étant remis que le 9 septembre 2004.

La banque ajoutait que le nantissement de parts de SCS relatif au prêt du 19 janvier 2005 allait au final se révéler nul et sans effet, les autres associés de cette société n'agréant pas cette sûreté. En outre, dès le 18 janvier 2005, une remise de 76.712 euros lui avait été octroyée.

La situation au moment de l'octroi des prêts n'aurait nullement été irrémédiablement compromise, au contraire G GI avait manifesté sa confiance dans l'avenir et avait saisi la COMED afin d'aboutir à un plan d'amortissement des dettes sociales.

L'analyse du bilan 2003, avec un chiffre d'affaires de 1.345.000 euros et une perte, strictement fiscale de 27.538,41 euros, avec une marge brute de 331.816,57 euros, aurait permis à l'évidence, sur une durée de 12 ans, l'amortissement du prêt de 350.000 euros ;

Si tant est que la situation ait été début 2005 irrémédiablement compromise, la banque n'en avait pas connaissance, alors même que cette conscience serait un élément nécessaire pour entraîner une condamnation.

Le syndic réaliserait à cet égard une confusion entre les notions de cessation des paiements et celle de situation irrémédiablement compromise.

En l'espèce, une possibilité de redressement aurait pourtant existé, ce qui était au demeurant corroboré par le rapport de l'expert de la COMED. La CAMEFI indiquait avoir fait la même analyse. Une preuve supplémentaire serait apportée par le constat que le Tribunal de Première Instance n'avait pas prononcé immédiatement la liquidation des biens de G GI.

Sur le préjudice la défenderesse indiquait que quoiqu'il en soit et si le Tribunal devait estimer que la situation de G GI avait été irrémédiablement compromise début 2005, le demandeur serait mal fondé à tenter d'en imputer l'entière responsabilité à la CAMEFI. En effet, l'entreprise avait continué son activité avec l'aval des autorités monégasques et des créanciers sociaux et fiscaux, se voyant accorder de larges délais de paiements, si bien que ceux-ci avaient donc également contribué à créer une apparence de solvabilité de l'entreprise. Leurs créances déclarées, soit 588.093,01 euros, ne sauraient donc, sous une quelconque forme, être mises à la charge de la défenderesse.

En outre, s'agissant de la réalisation de l'actif de G GI, la défenderesse faisait état de la faible valeur de la liquidation d'un immeuble lui appartenant par moitié à Monaco.

Par conclusions en date du 13 mars 2013, la CAMEFI sollicitait sa mise hors de cause, indiquant que par acte reçu par Me Henry REY, en date du 22 juin 2012, elle avait cédé à la SAM BANQUE EUROPÉENNE DE CRÉDIT MUTUEL MONACO, les éléments de son fonds de commerce d'établissement de crédit et de courtage exploité à Monaco, cession qui avait été signifiée le 8 février 2013 au syndic demandeur avec mention spécifique de la cession des créances et des dettes nées des relations contractuelles avec G GI. La banque cessionnaire viendrait donc désormais à ses droits.

Par conclusions en date du 24 avril 2013, la SAM BANQUE EUROPÉENNE DE CRÉDIT MUTUEL MONACO (BECMM), faisant état du même acte du 22 juin 2012, sollicitait qu'il lui soit donné acte de son intervention volontaire ainsi que de ce qu'elle reprenait à son compte l'intégralité des conclusions et pièces déposées par la CAMEFI dans le cadre de la présente instance.

Par conclusions du 15 mai 2013, le syndic s'opposait à la mise hors de cause sollicitée, au visa de l'article 1123 du Code civil. Il indiquait que la décharge du débiteur initial requérait l'accord du créancier, la cession de dette étant opposable en l'espèce mais le premier débiteur demeurant tenu, la novation n'étant pas caractérisée en l'espèce. Le demandeur maintenait en conséquence ses demandes, sollicitant désormais la condamnation solidaire de la CAMEFI et de la BECMM.

Par conclusions finales en date du 19 juin 2013, la CAMEFI maintenait sa demande de mise hors de cause, indiquant que les demandes principales du syndic étaient fondées sur la responsabilité civile délictuelle, les dispositions de l'article 1123 du Code civil étant invoquées à tort.

SUR QUOI :

– Sur la mise hors de cause de la CAMEFI et l'intervention volontaire de la BECMM :

Attendu que la situation de l'espèce ne caractérise pas une simple délégation de dette mais au contraire une cession de fonds de commerce (soit des éléments d'actif et de passif) en date du 22 juin 2012 entre la CAMEFI et la BECMM, au sujet de laquelle il n'est nullement question d'une quelconque opposition ;

Attendu de plus que la présente action est fondée non pas sur une dette contractuelle mais sur l'éventuelle responsabilité civile délictuelle d'un établissement bancaire exploitant un fonds de commerce, susceptible de n'aboutir qu'à un jugement constitutif ;

Attendu en conséquence que la créance éventuelle de la masse des créanciers de G GI serait née des faits dommageables réalisés dans l'exercice de l'activité commerciale cédée, il y a lieu de mettre hors de cause la CAMEFI et d'accueillir valablement la BECMM en son intervention volontaire, celle-ci venant valablement, en l'espèce, aux droits de la CAMEFI ;

– Sur la responsabilité de la CAMEFI pour soutien abusif du crédit de G GI :

1/ Attendu que pour rechercher l'éventuelle existence d'un octroi ou maintien de crédit en présence d'une situation irrémédiablement compromise ou l'octroi de crédit ruineux précipitant une telle situation, il convient en premier lieu d'extraire les données comptables pertinentes des pièces versées aux débats :

Attendu qu'il faut rappeler liminairement que le passif de la liquidation des biens de G GI avait été arrêté en mars 2010 au montant de 2.007.346,56 euros et qu'il a été définitivement fixé le 27 mars 2012 (après admission de droits non liquidés et instances en contestations terminées) à la somme de 2.017.220,15 euros, et que le fait que la présente instance ait été introduite dans l'intervalle, le 15 juillet 2010, n'affecte en aucune manière sa recevabilité ;

Que sur ce passif, les créances admises de la CAMEFI s'élèvent à 123.289,34 euros à titre privilégié et 590.183,87 euros à titre chirographaire ;

Attendu que le bilan et le compte de pertes et profits de G GI pour 2001 fait ressortir un chiffre d'affaires HT de 2.167.000 euros, avec un résultat net de l'activité de seulement 6.025,06 euros ;

Que la situation de trésorerie était déjà tendue, l'actif disponible à moins d'un an s'élevant à 680.046,80 euros, le passif exigible à la même date se chiffrant à 798.862,40 euros ; que le découvert bancaire était de 710.184,16 francs (soit 108.266,87 euros) et que le résultat final de l'exercice était une perte de 30.588,79 francs, soit 4.663,20 euros ;

Attendu que la défenderesse elle-même fait état de la cession de l'activité « MC3R »à la SCS VA DE BR et Cie, part importante et rentable de l'activité de G GI, qui a conduit à une diminution substantielle du chiffre d'affaires à 1.870.000 euros pour 2002, ce qui aurait dû de plus fort inciter la banque à la prudence ;

Attendu que les opérations de restructuration de l'entreprise MONABAT avec la CAMEFI comme unique partenaire financier débutaient en 2003, par l'octroi d'un prêt de « restructuration et consolidation des dettes de l'emprunteur » d'un montant de 106.714 euros avec constitution d'une hypothèque, outre une facilité de caisse de 70.000 euros octroyée le 15 octobre 2003 ;

Que le bilan et le compte de pertes et profits 2003 faisait ressortir un chiffre d'affaires HT de 1.345.045,53 euros, et un résultat final net de l'exercice en perte de 27.538,41 euros ;

Que le passif exigible à moins d'un an s'élevait alors à 977.165,25 euros, l'actif disponible à moins d'un an ressortant quant à lui à 361.423,50 euros ; Que surtout le découvert bancaire s'élevait désormais à 457.176,30 euros, soit près de quatre fois plus par rapport à l'exercice 2001 ;

Attendu que les pièces comptables pour l'exercice 2004 font apparaître quant à elles un chiffre d'affaires HT de 1.185.083,59 euros et une perte de 139.554,73 euros ; que l'actif disponible à moins d'un an s'élevait à 405.681,66 euros, le passif exigible à moins d'un an à 1.183.017,35 euros et le découvert bancaire à 610.580,22 euros ;

Attendu que les éléments versés aux débats démontrent également l'existence d'une trop faible marge brute et le poids important des intérêts des prêts et découverts bancaires, par rapport au résultat net (soit 47.670 euros en 2003, 59.450 euros en 2004 et 23.950 euros pour les premiers mois de l'année 2005, outre 15.251,83 euros de frais supplémentaires pour la totalité de ces périodes) ; Qu'il faut constater qu'à chiffre d'affaires quasi égal entre 2003 et 2004 le résultat 2004 est pourtant nettement plus déficitaire ;

2/ Attendu que pèse sur l'établissement bancaire une obligation de se renseigner, et qu'il doit, sans s'immiscer dans les affaires de son client, être particulièrement diligent lorsqu'il augmente ses concours financiers alors que les précédents n'ont pas été remboursés ;

Attendu qu'en l'espèce, la défenderesse ne peut valablement indiquer s'être fiée à une situation prévisionnelle favorable en août 2003 (alors même que ce document en pièce n° 9, s'agissant d'une simple feuille, ne fait pas état d'un solde intermédiaire de gestion complet, aucun résultat n'apparaissant) et surtout qu'il n'est pas contesté qu'elle a eu connaissance le 9 septembre 2004 du bilan 2003 ;

Attendu qu'aux jours d'octroi des crédits litigieux, (19 janvier et 30 mars 2005) elle pouvait ou devait avoir à l'issue de diligences normales une connaissance de la situation manifestement obérée de l'entreprise, qui outre un état de cessation des paiements caractérisé, (qui ne pourrait éventuellement ne consister, en adoptant un point de vue optimiste, qu'en un problème de trésorerie) présentait de plus et surtout peu de perspectives de redressement, au vu de la multiplication des résultats négatifs et de la faible marge structurelle ;

Qu'en effet, la saisine de la COMED par G GI n'est intervenue que le 28 janvier 2005 et il n'en est question dans ses communications avec la banque que le 23 juin 2005 (pièce n°17 de la défenderesse), si bien que l'établissement bancaire, si tant est qu'il ait eu connaissance de la volonté de son client de solliciter une aide étatique, ne pouvait, au moment de l'octroi des crédits, présumer d'un quelconque résultat positif de cette intervention qui seule, par le biais d'un plan d'échelonnement coordonné de tous les créanciers institutionnels, pouvait permettre d'envisager une hypothétique survie de l'entreprise ;

Attendu en demeurant que l'expert-comptable B FU, missionnée par la COMED a conclu, en août 2005, que l'entreprise serait certes viable mais que sa survie était de toute façon totalement conditionnée à un échelonnement des dettes ; que l'expert préconisait également de lui donner une « préférence systématique » (sic) lors des appels d'offre, cette simple lecture suffisant à démontrer la fragilité extrême de son modèle ;

Attendu que l'expert elle-même avait surtout identifié comme source de difficulté la trop grande importance du découvert de MONABAT, que la banque avait laissé filer, « cela a été particulièrement facile en l'absence de Monsieur G GI (soit suite à un accident en 2001). Cela a été particulièrement dommageable à l'entreprise qui a dû ainsi débourser des intérêts sur découvert très importants qui ont augmenté d'autant le déficit de l'entreprise (sic). » ;

Attendu que du fait de la spécificité de l'exercice en nom personnel, il n'existe pas de distinction entre les activités privées et professionnelles de G GI, si bien que la viabilité de l'entreprise ne peut s'envisager sans appréhender la totalité du patrimoine de l'entrepreneur ;

Qu'ainsi en concluant en janvier 2005 le prêt litigieux de 350.000 euros, pour rembourser partiellement sa dette de découvert bancaire et obtenant des garanties sur des parts de SCI (propriétaire d'un bien familial), la banque, qui avait connaissance du découvert déjà trop largement octroyé, n'a fait que dispenser un crédit ruineux pour l'entreprise, dont le coût était insupportable pour la trésorerie de l'entreprise et a participé à sa condamnation irrémédiable, maintenant une apparence trompeuse de solvabilité, à son seul bénéfice du fait de sûretés de multiples natures dont elle pensait bénéficier (peu important que celles-ci aient été sans effets par la suite) ;

Que ces éléments sont corroborés par le fait qu'alors même que le prêt de 350.000 euros du 19 janvier 2005 aurait dû permettre le remboursement partiel de la dette, une facilité de caisse de 90.000 euros était pourtant accordée (garantie par un cautionnement) moins de deux mois plus tard ;

Que la banque ne peut arguer valablement d'une remise de 76.712 euros, s'agissant en réalité du re-calcul des intérêts du prêt du 19 janvier 2005, à 4,75 % au lieu de 5,486 % ;

Attendu en conséquence que la responsabilité de la banque pour soutien abusif du crédit de G GI sera donc retenue ;

– Sur le préjudice :

Attendu qu'aux termes de l'article 451 du Code commerce, support de la présente action, c'est le préjudice subi par la masse des créanciers du fait du soutien artificiel dispensé par la banque au débiteur qui doit être déterminé ;

Attendu que c'est à juste titre que le syndic entend déterminer le préjudice comme constitué principalement du passif admis à la liquidation, diminué de l'actif à répartir et du montant de l'insuffisance d'actif existant déjà au jour à partir duquel le soutien abusif a été prodigué ;

Attendu en effet que sans le concours fautif apporté, la saisine du Tribunal serait intervenue plus tôt puisque les créanciers institutionnels notamment n'auraient pas été payés des échéances de cotisations et des plans de paiement échelonnés de la dette ;

Attendu à cet égard que la banque ne peut faire valoir valablement que les dettes des créanciers fiscaux et sociaux ne devraient pas être incluses dans le périmètre du préjudice, pour la raison suscitée mais aussi parce qu'ils n'ont fait que lui accorder des délais sur des dettes existantes ;

Attendu que c'est donc bien l'accroissement du passif né de la poursuite d'exploitation après le 19 janvier 2005 et jusqu'à l'ouverture de la procédure collective qui constitue le préjudice né directement et exclusivement de la faute de la banque ;

Attendu que la banque ne peut tirer aucun argument du fait que G GI aurait détenu des comptes de dépôt dans d'autres établissements sur lesquels des parts importantes du chiffre d'affaire étaient déposées, cet élément étant totalement indifférent en l'espèce dès lors que la totalité du résultat apparaît sur le compte de résultat et surtout qu'il n'est pas démontré, ni même allégué, qu'un autre établissement aurait dispensé des crédits à G GI ;

Attendu que le fait que le passif s'élevait au moment de l'octroi des crédits abusifs à 777.335,69 euros n'est pas valablement contesté ;

Attendu cependant que l'insuffisance d'actif ne sera connue de manière certaine qu'à l'issue de la procédure de liquidation des biens ;

Attendu que l'évaluation provisoire de l'actif à partager d'un montant de 155.303,72 euros n'est pas contestée et qu'aucun élément ne laisse penser qu'elle serait sous-évaluée étant rappelé que le passif admis définitivement est de 2.017.220,15 euros ;

Attendu en conséquence qu'il convient de surseoir à statuer sur la liquidation définitive du préjudice subi par la masse des créanciers jusqu'à l'issue de la procédure de liquidation des biens ;

Attendu que la BECMM, venant aux droits de la CAMEFI sera donc d'ores et déjà condamnée à verser entre les mains de Christian BOISSON, pris en sa qualité de syndic de la liquidation des biens de G GI, une provision d'un montant de 1.000.000 euros (un million d'euros), à valoir sur le préjudice subi par la masse des créanciers ;

Attendu que la banque défenderesse, qui succombe, sera condamnée aux dépens de la présente instance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Prononce la mise hors de cause de la CAISSE MÉDITERRANÉENNE DE FINANCEMENT ;

Reçoit la SAM BANQUE EUROPEENNE DE CREDIT MUTUEL MONACO en son intervention volontaire et dit qu'elle vient valablement aux droits de la CAISSE MÉDITERRANÉENNE DE FINANCEMENT dans le cadre de la présente instance ;

Condamne la SAM BANQUE EUROPÉENNE DE CRÉDIT MUTUEL MONACO à réparer entièrement le préjudice collectif causé à la masse des créanciers de G GI par le soutien abusif accordé ;

Dit que la SAM BANQUE EUROPÉENNE DE CRÉDIT MUTUEL MONACO sera tenue à ce titre de réparer le préjudice résultant de l'insuffisance d'actif diminuée du passif existant au jour de la délivrance des crédits litigieux, ainsi que les préjudices accessoires ;

Sursoit à statuer sur la liquidation de ce préjudice jusqu'à l'issue de la procédure de liquidation des biens de G GI ;

Condamne la SAM BANQUE EUROPEENNE DE CREDIT MUTUEL MONACO à payer à Christian BOISSON, en sa qualité de syndic, une provision de 1.000.000 euros (un million d'euros) à valoir sur l'indemnisation du préjudice collectif subi par la masse des créanciers ;

Place l'affaire au ROLE GÉNÉRAL et dit qu'elle sera rappelée à toute audience utile à la requête de l'une ou l'autre des parties ;

Condamne la SAM BANQUE EUROPÉENNE DE CRÉDIT MUTUEL MONACO aux dépens, dont distraction au profit de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition

Mme Humbert prem. juge ff de v. prés, Mr Brancheri prem. juge

Mlle Colle juge. Mme Taillepied gref.

Mes Gardetto & Karczag-Mencarelli av. déf.

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