La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/10/2013 | MONACO | N°11527

Monaco | Tribunal de première instance, 17 octobre 2013, AU c/ KH


Motifs

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

R.

JUGEMENT DU 17 OCTOBRE 2013

En la cause de :

Mme A AU née MA, demeurant X, 22000 ST BRIEUC (France) ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'une part ;

Contre :

M. G KH, demeurant « X », X à Monaco ;

DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par le

dit avocat-défenseur,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier,...

Motifs

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

R.

JUGEMENT DU 17 OCTOBRE 2013

En la cause de :

Mme A AU née MA, demeurant X, 22000 ST BRIEUC (France) ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'une part ;

Contre :

M. G KH, demeurant « X », X à Monaco ;

DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 24 octobre 2011, enregistré (n° 2012/000156) ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom d A AU, en date des 18 avril 2012, 4 octobre 2012 et 13 mars 2013 ;

Vu les conclusions de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de G KH, en date des 31 mai 2012, 12 décembre 2012 et 24 avril 2013 ;

A l'audience publique du 11 juillet 2013, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 17 octobre 2013 ;

FAITS

Mme A AU propose à la vente lors des enchères publiques à l'Hôtel des Ventes de St Brieuc, le 27 mars 2011, une huile sur panneau, intitulée « Port de Copenhague » signée M. DOBUZINSKY et figurant au catalogue de la vente sous le n° 241.

M. G KH enchérit par téléphone et le tableau lui est adjugé au prix de 14.500 euros et de 17.400 euros avec es frais.

À défaut de paiement du prix, la toile est remise en vente le 27 novembre 2011 et adjugée au prix de 6.500 euros.

PROCÉDURE

Le 24 octobre 2011, Mme A MA épouse AU fait assigner M. G KH en paiement.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Mme A AU

* expose :

* que le tableau litigieux de DOBUZINSKY a été proposé à la vente aux enchères de l'Hôtel des Ventes de St Brieuc le 27 mars 2011, qu'un catalogue a été édité et que le tableau (n° 241) qui se trouvait à Paris pouvait être vu par les acquéreurs potentiels ;

* que M. G KH a décidé d'enchérir par téléphone et a été adjudicataire pour le prix de 14.500 euros ;

* que le défendeur n'a pas réagi au courrier adressé le 28 mars 2011 ni au mail de relance du 3 mai 2011 ; que ce n'est que le 4 mai 2011 que M. G KH a demandé à voir le tableau qui se trouverait à compter du 14 mai 2011 chez M. CH expert à Paris ;

* que M. G KH ne s'est pas rendu en personne chez l'expert ; que la prétendue visite de M. NO antérieure au 27 mai 2011 n'a pas été mentionnée dans le mail du 30 mai 2011 ; qu'il est surprenant que cette personne ait attendu plus de 6 mois pour rédiger un « rapport » ;

* que l'avis émis par M. NO ne saurait permettre de conclure à l'absence d'authenticité de l'œuvre ; qu'il y a tout lieu de penser que cette opinion a été donnée à partir de la photo du catalogue ;

* que M. HO ne fait qu'émettre des doutes de pure forme en des termes flous, qu'il n'indique pas quand et où il aurait vu le tableau ;

* que l'attestation de M. HO du 10 décembre 2012 est de pure complaisance comme postérieure de plusieurs mois à sa lettre du 15 novembre 2011 ;

* que le défendeur s'est muré dans un parfait silence et qu'il n'a réagi qu'après l'introduction de la procédure et la remise en vente du tableau sur folle enchère ; procédure habituelle face au défaut de paiement de l'adjudicataire ;

* qu'il n'y a eu aucune manœuvre, ni précipitation ; que le défendeur avait été avisé dès le 31 mai 2011, de la mise en place de la procédure de revente sur folle enchère à défaut de paiement ;

* que le raisonnement quant au prix de vente sur surenchère est illogique au regard de l'aléa que comporte la procédure ;

* que si M. G KH avait été persuadé d'avoir acquis un faux, il aurait engagé une action en nullité de la vente ; que la requérante n'avait pas connaissance du courrier adressé à la salle des ventes, ni des avis de M. NO et HO avant d'introduire la procédure ;

* que l'erreur sur la qualité substantielle de l'œuvre n'est pas démontrée ;

* qu'à supposer que l'article L 321-14 du Code de commerce soit applicable, la concluante avait demandé la remise en vente moins de trois mois après l'adjudication ; que ce texte prévoit même en cas de résolution, la possibilité de demander des dommages et intérêts à l'adjudicataire défaillant ;

* que M. G KH ne peut demander au tribunal de constater la résolution de la vente qui a un objet distinct de l'action en paiement ;

* qu'elle modifie le montant de sa demande initiale en raison de la somme perçue à la suite de la 2e vente soit 6.500 euros et un solde dû de 10.900 euros.

* conclut :

* à l'irrecevabilité des demandes reconventionnelles et au débouté ;

* à la condamnation de M. G KH à lui payer la somme de 10.900 euros avec intérêts moratoires au taux légal sur la somme de 17.400 euros du 22 juillet 2011 au 26 novembre 2011 et sur la somme de 10.900 euros à compter du 27 novembre 2011 et celle de 3.000 euros pour résistance abusive et injustifiée.

M. G KH

* soutient :

* que le tableau a été décrit dans le catalogue comme étant l'œuvre de DOBUZINSKY ;

* qu'il s'est rendu chez l'expert CH le 27 mai 2011, accompagné de M. HO et qu'ils ont pu constater que le tableau était différent de celui qui était annoncé comme signé par le peintre ;

* que M. HO a exposé ses doutes sur l'authenticité du tableau ;

* qu'il avait envoyé M. NO « consulter » le tableau lequel l'a informé par téléphone qu'il n'était pas en mesure de confirmer que ce tableau était l'œuvre de M. DOBUZINSKY ;

* qu'il résulte des attestations rédigées par d'éminents experts en œuvres russes que le tableau « ne présente pas de similitudes avec plus de 200 œuvres de DOBUZINSKY » ; que ceux-ci ne peuvent pas confirmer l'authenticité de l'œuvre sans étude plus approfondie ;

* que si ces rapports sont postérieurs à la mise en demeure et à l'assignation c'est parce qu'ils ont été rédigés en réponse à la procédure ;

* que l'expert de la salle des ventes n'a pas été en mesure de confirmer la provenance du tableau, étant relevé qu'il est un expert en dessins et tableaux modernes mais non en art russe ;

* qu'il n'est pas responsable du manque de communication ou de transparence qui aurait pu exister entre la demanderesse et la salle des ventes ;

* que si le tableau était authentique et compte tenu de la cote actuelle de ce peintre, le concluant aurait plus intérêt à se réjouir de cette bonne affaire plutôt que de contester l'authenticité de l'œuvre ;

* fait valoir :

* que le catalogue de vente décrit le tableau comme étant signé par Mstislav Valerianovich DOBUZINSKY sans aucune équivoque possible ;

* qu'il apporte des éléments tout à fait concrets à l'appui des doutes qu'il émet sur l'authenticité, qu'il existe peu de spécialistes en Europe en art russe parmi lesquels figurent M. NO et HO ;

* qu'il y a eu manifestement erreur sur les qualités substantielles du tableau qui n'est pas un original ;

* que l'expertise d'origine n'a jamais été produite et que le document adverse n° 10 daté du 5 novembre 2012, ne vaut pas expertise ;

* que cette pièce sera déclarée nulle ; qu'en tout état de cause, elle ne peut valoir preuve de l'authenticité ;

* qu'en l'état il apparaît que la requérante aurait mis en vente un tableau présenté comme un original, sans en avoir la certitude ;

* que le nouvel adjudicataire ne s'y est pas trompé pour avoir enchéri à hauteur de 6.500 euros ;

* que le concluant s'est porté adjudicataire sur la croyance que le tableau était une œuvre de DOBUZINSKY ; que ce n'est qu'après avoir vu le tableau qu'il s'est rendu compte de l'erreur d'attribution ;

* que l'erreur constitue un vice du consentement en application de l'article 1109 du Code civil français ;

* qu'il n'aurait pas enchéri s'il avait eu un doute sur l'authenticité qui était un élément déterminant de son consentement au sens de l'article 1110 du code précité ;

* que la demande en nullité de la vente présentée en défense de l'action en paiement est recevable en application de l'article 382 du Code de procédure civile ;

* que Mme AU a fait preuve d'un acharnement procédural ;

* que les procédures de folle enchère sont réglementées par l'article L 321-14 du Code de commerce français et que la vente a eu lieu quatre mois et non 3 mois après l'adjudication ;

* conclut :

* à la nullité de la pièce n° 10 et à tout le moins à l'absence de force probante ;

* au débouté des demandes devenues sans objet en raison de l'erreur sur les qualités substantielles du tableau, entraînant la nullité de la vente du 27 mars 2011 ;

* subsidiairement à la nullité de la vente du 27 mars 2011 pour cause d'erreur sur une qualité substantielle de la chose ;

* plus subsidiairement à la résolution de la vente ;

* au débouté de Mme AU de l'ensemble de ses demandes ;

* à la condamnation de Mme AU à lui payer la somme de 20.000 euros pour procédure abusive et injustifiée.

SUR QUOI LE TRIBUNAL

Sur la recevabilité de la demande reconventionnelle :

Les demandes reconventionnelles sont notamment recevables par application de l'article 382 du Code de procédure civile, « si elles procèdent de la même cause que la demande principale et si elles forment une défense contre cette demande ».

Le litige porte sur la vente aux enchères d'un tableau et le paiement du prix d'adjudication.

La demande reconventionnelle est par essence une défense contre la demande principale alors qu'est invoquée la nullité de la vente pour une erreur sur la qualité substantielle de l'œuvre vendue à savoir le problème de son authenticité.

Sur la demande de nullité de la pièce n° 10 produite par Mme AU :

Cette pièce est un courrier adressé par M. CH expert, le 5 novembre 2012, déclarant qu'il a « présenté aux enchères après expertise deux tableaux lui appartenant » (à Mme AU) dont celui objet du litige.

La différence de signature invoquée par la partie adverse entre celle figurant sur le courrier et sur la carte d'identité, ne peut être retenue alors que sur le premier n'est apposé qu'un paraphe et non la signature en son entier.

Ce moyen sera rejeté.

La force probante d'un document produit en justice relève de l'appréciation au fond du litige.

Sur le fond :

La vente aux enchères du 27 mars 2011 a eu lieu avec l'assistance pour les dessins et tableaux modernes de M. F CH.

Le tableau litigieux porte le numéro 241 du catalogue et est décrit comme suit : « Mstislav Valerianovich DOBUZINSKY (1875-1957) » Le Port de Copenhague «, Huile sur panneau, signée et monogrammée en bas à gauche, titrée Copenhague - The Harbour et dédicacée au dos. (légers manque de matière). Haut 38,5 cm - Larg. 49,5 cm ».

Il est accompagné d'un commentaire sur le peintre, son œuvre, ses lieux de résidence et le mouvement auquel il a appartenu.

M. G KH a enchéri à hauteur de 14.500 euros et après avoir vu le tableau a émis des doutes sur son authenticité.

La vente de cette œuvre n'a fait l'objet d'aucune réserve sur l'authenticité ni dans le catalogue, ni au moment de la vente.

En application de l'article 3 du décret du 3 mars 1981 sur la répression des fraudes en matière de transactions d'œuvres d'art et d'objets de collection, en l'absence d'une telle réserve « l'indication qu'une œuvre ou un objet porte la signature ou l'estampille d'un artiste entraîne la garantie que l'artiste mentionné en est effectivement l'auteur ».

M. G KH a légitimement enchéri dans la croyance que le lot n° 241 était un tableau du peintre DOBUZINSKY.

M. P NO qui se déclare expert en œuvres russes et qui est agréé par la Chambre Européenne des experts en œuvre d'art après avoir vu et analysé le tableau, déclare… « ne pas pouvoir confirmer l'authenticité de cette œuvre » en s'appuyant sur l'absence de correspondance « ni par le style, ni par le sujet avec ce que peignait en général l'artiste susnommé, peintre dans le courant dit » Le Monde de l'Art «, sur le manque de similitude avec plus de 200 œuvres provenant de la succession de l'artiste et en mettant plus particulièrement en exergue certains traits stylistiques du tableau. »

M. V HO qui appartient à la même Chambre que M. NO en spécialité peinture russe et dont il est établi qu'il s'est bien rendu chez M. CH pour voir l'œuvre, dans son courrier du 15 novembre 2011 informe M. G KH qu'« à première vue, le mauvais état de ce tableau et la faiblesse de son exécution, en l'absence d'une provenance avérée, laissent planer un doute quant à son attribution ».

Il confirme son avis dans le courrier du 10 décembre 2012 en précisant que la faiblesse d'exécution n'est pas caractéristique pour le peintre.

Il n'est donné aucune précision par la demanderesse sur la provenance de l'œuvre à laquelle fait référence M. HO.

Il existe donc un doute sérieux sur l'authenticité de l'œuvre que le courrier de M. CH du 5 novembre 2012 ne vient pas supprimer alors qu'il ne fait que confirmer avoir présenté aux enchères « après expertise deux tableaux » appartenant à Mme AU dont le Port de Copenhague, sans que l'expertise à laquelle il fait référence soit produite.

Il s'évince des éléments de la cause que M. G KH a enchéri alors que la certitude de l'authenticité de l'œuvre constituait pour lui une qualité substantielle de la chose achetée et que cette conviction s'avère erronée, étant observé qu'il n'est pas prétendu qu'il serait un spécialiste de l'œuvre de M. DOBUZINSKY.

L'estimation du tableau était de 3.000 à 5.000 euros, l'offre d'une somme de 14.500 euros (soit près du triple de l'estimation supérieure et s'agissant d'un peintre n'ayant pas le renom de grands artistes de la même période) vient confirmer la croyance erronée de M. G KH de ce que l'œuvre était bien authentique.

Il sera déclaré bien fondé dans sa demande reconventionnelle et Mme AU sera déboutée de sa demande en paiement.

Sur les demandes de dommages et intérêts :

La demande principale étant rejetée, la résistance de M. G KH ne peut pas revêtir un caractère abusif.

M. G KH soutient à tort que Mme AU aurait fait preuve d'un acharnement procédural alors qu'elle n'a fait qu'user de son droit à agir en justice sans qu'il y ait eu abus.

Les demandes de dommage et intérêts seront rejetées.

Sur les dépens :

Les dépens seront mis à la charge de Mme AU qui succombe.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement par jugement contradictoire, et en premier ressort,

Déclare la demande reconventionnelle recevable.

Déboute M. G KH de sa demande de nullité de la pièce n° 10 produite par Mme AU.

Dit que M. G KH a commis une erreur sur les qualités substantielles tenant à l'authenticité du tableau lot n° 241 intitulé Port de Copenhague - Mstislav Valerianovich DOBUZINSKY, cause de nullité de la vente.

Déboute Mme A AU de sa demande en paiement.

Déboute les parties de leurs demandes de dommages et intérêts.

Met les dépens à la charge de Mme A AU dont distraction au profit de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Ordonne que lesdits dépens soient provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition

Mme Humbert prem. juge ff v. prés, – Mme Taillepied gref.

Me Ignacio subst. proc. gén.

Mes Pastor-Bensa Pasqua-Crulla.

Note

À la demande principale en paiement du prix de la vente aux enchères intentée par la demanderesse, le défendeur s'est opposé en demandant reconventionnellement l'annulation de la vente, son consentement ayant été donné par erreur.

^


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award