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15/12/2011 | MONACO | N°7866

Monaco | Tribunal de première instance, 15 décembre 2011, E. R. c/ SAM BNP Paribas


Motifs

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

R.

JUGEMENT DU 15 DECEMBRE 2011

En la cause de :

Monsieur E. R., né le 30 mai 1946 à Cherasco (Italie), de nationalité italienne, demeurant X, Italie,

DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'une part ;

Contre :

L'établissement bancaire dénommé S. A. M. BNP PARIBAS WEALTH MANAGEMENT MONACO, immatriculée au R. C. I. de Monaco sous le n° 91 S 02724, dont le siè

ge social est 15/17, avenue d'Ostende à MONACO, prise en la personne de son Président Délégué en exercice, y domicili...

Motifs

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

R.

JUGEMENT DU 15 DECEMBRE 2011

En la cause de :

Monsieur E. R., né le 30 mai 1946 à Cherasco (Italie), de nationalité italienne, demeurant X, Italie,

DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'une part ;

Contre :

L'établissement bancaire dénommé S. A. M. BNP PARIBAS WEALTH MANAGEMENT MONACO, immatriculée au R. C. I. de Monaco sous le n° 91 S 02724, dont le siège social est 15/17, avenue d'Ostende à MONACO, prise en la personne de son Président Délégué en exercice, y domicilié en cette qualité,

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Georges BLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 8 avril 2010, enregistré (n° 2010/000489) ;

Vu les conclusions de Maître Georges BLOT, avocat-défenseur, au nom de la S. A. M. BNP PARIBAS WEALTH MANAGEMENT MONACO, en date des 15 septembre 2010 et 3 février 2011 ;

Vu les conclusions de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, au nom de E. R., en date des 17 novembre 2010 et 14 avril 2010 (en réalité 2011) ;

Ouï Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, pour E. R., en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï Maître Georges BLOT, avocat-défenseur, pour la S. A. M. BNP PARIBAS WEALTH MANAGEMENT MONACO, en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï le ministère public ;

CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :

Rappel de la procédure :

Par ordonnance sur requête du 3 avril 2006, M. E.R. a été autorisé à mandater un huissier à l'effet de se faire communiquer divers documents par la BNP PARIBAS.

Le juge des référés par décision du 22 décembre 2006, a ordonné une mesure d'expertise confiée à Monsieur DULAC.

L'expert a établi son rapport le 16 septembre 2009.

Procédure :

Le 8 avril 2010, M. E.R. a fait assigner la SAM BNP PARIBAS WEALTH MANAGEMENT MONACO en responsabilité et en paiement.

Moyens et prétentions des parties ;

M. E.R. :

– expose :

– qu'il a ouvert des comptes dans les livres de l'UEB, le courrier devant être conservé à la banque ;

– qu'il a ainsi transféré un portefeuille de titres obligataires de nature sécuritaire sans mandat de gestion ;

– que la banque a notamment fait l'acquisition d'obligations argentines en mai 2001 et des actions sans son accord ;

– fait valoir :

Sur les obligations légales relatives à la gestion de portefeuille :

– que les rapports des parties sont régis par la loi du 9 juillet 1994 et son ordonnance d'application du 16 septembre 1997 ;

– que la banque n'a pas établi de mandat de gestion en violation de l'article 4 de l'ordonnance, qu'elle ne s'est pas enquise des objectifs de la gestion, ni du profil de son client au mépris des articles 5 et 6 ;

– que la sanction est la nullité du mandat tacite (cf Cour d'Appel du 13 décembre 2005) ;

– qu'elle n'a pas informé son client des risques encourus étant précisé qu'il est un investisseur profane ; qu'en effet sa qualité d'associé ou de dirigeant de société ne lui confère pas de connaissance particulière en matière de gestion de portefeuille ;

– que le profil du concluant était conservateur, les quatre titres transférés étant des obligations notées entre A – et AA – ;

– que l'acquisition disproportionnée d'obligations argentines était hautement spéculative, le montant investi représentant en 2001, la moitié de son portefeuille ; que la signature de l'ordre d'achat puis de vente des 28 octobre 1999 et 29 décembre 2003, ne dégage pas la responsabilité de la banque alors qu'il n'avait pas donné d'instruction et qu'il n'avait pas été averti des risques ;

– que les achats de bons de trésor argentins ont au surplus été effectués à un moment où son compte était débiteur ;

– que M. E.R. ne s'est jamais immiscé dans la gestion de fait, que le courrier du 23 mars 1998 révèle son mécontentement, qu'il en va de même de celui du 14 novembre 2006, époque à laquelle il ne faisait plus confiance à la banque et suivait les conseils d'un cabinet financier ;

– qu'il n'a jamais approuvé les opérations effectuées pour son compte par la banque ; que son absence de contestation pendant plusieurs années ne vaut pas approbation ; qu'en sa qualité de profane il n'a été alerté du caractère spéculatif qu'après avoir constaté l'importance des pertes subies ;

– que la banque a manqué à ses obligations en matière de traçabilité des ordres alors que la procédure de leur enregistrement chronologique était défaillante ; que cette documentation devait être conservée à tout le moins pendant dix ans conformément à l'article 152 bis du Code du Commerce.

Sur le virement opéré sans instruction :

– que ce virement a été effectué le 24 avril 2001 au profit de Monsieur A.B. pour un montant de 129 114 euros ;

– que la preuve de l'existence d'un ordre de virement incombe à la banque, que le silence gardé par le concluant pendant plusieurs années ne vaut pas approbation ;

– que le mode de preuve par le silence, ne peut être admis qu'en présence d'une stipulation conventionnelle expresse impartissant un délai de contestation, stipulation qui fait défaut en l'espèce ;

– qu'il n'a pas été alerté lors de sa venue le 31 juillet 2001, dans les locaux de la banque et qu'il n'a pris communication de son courrier en agence que le 29 décembre 2003, qu'alors cette opération a échappé à sa sagacité dans la masse de la documentation fournie ;

Sur le défaut d'exécution des instructions données :

– que l'État argentin a offert trois options d'échange aux investisseurs dans le cadre de la restructuration de sa dette ;

– que M. E.R. a adressé le 22 février 2005 une télécopie à la banque afin de souscrire à l'option 1 qui expirait le 25 février, instruction qui n'a pas été suivie d'effet ;

Sur le préjudice :

– sur le remboursement des bons du trésor argentin :

– que la somme due, après déduction de la vente opérée à hauteur de 74 930 euros, s'élève à 386 153,51 euros ;

– sur le virement :

– qu'il est dû 129 239,05 euros ;

– sur les intérêts :

– que si son portefeuille avait été géré en bon père de famille, il aurait pu espérer des intérêts raisonnables ;

– que les intérêts s'élèvent à 49 972,03 euros au 1er janvier 2009 ;

– que l'anatocisme sera ordonné ;

– sur les frais :

– qu'il a exposé des frais importants d'avocat, d'assistance par un cabinet d'expertises à Malte, des frais de déplacement des intervenants aux opérations d'expertise, soit un total de 103 712 euros ;

– que les frais d'expertise se sont élevés à 99 799,39 euros ;

– sur l'attitude de la banque :

– que celle-ci a opposé pendant plusieurs années une résistance abusive et n'a pas donné suite aux tentatives de solution amiable proposées après expertise ;

– conclut :

– à l'homologation du rapport d'expertise de Monsieur DULAC du 16 septembre 2009 ;

– à la responsabilité de la banque pour les fautes et manquements commis ;

– à la condamnation de la BNP PARIBAS WEALTH MANAGEMENT MONACO à lui payer la somme de 1 054 933,56 euros diminuée du montant des frais partiels d'expertise (58 000 euros) augmentée des intérêts courus jusqu'au 5 avril 2010 (49 972,03 euros) et des dommages et intérêts (30 000 euros) soit la somme de 1 076 905,59 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 avril 2010 ;

– à la capitalisation des intérêts depuis le 23 mars 1998 date de l'ouverture du compte ;

– à la condamnation de la banque au paiement des frais en ce compris notamment les frais d'expertise.

La SAM BNP PARIBAS WEALTH MANAGEMENT MONACO :

– fait valoir :

– sur le rapport d'expertise :

– que le 8° de la mission laisse entendre que Monsieur R a subi un préjudice, ce qui est contraire à l'article 414 du Code de Procédure Civile et que la portée de l'ensemble de la mission a guidé la ligne directrice de l'expertise ;

– que l'homologation d'une expertise n'emporte aucun effet juridique contraignant ;

– que l'expert opère un renversement de la charge de la preuve, ouvrant la voie à une présomption de responsabilité du banquier ;

– que le rapport est entaché d'une certaine légèreté pour ne comporter qu'une trentaine de pages pouvant être analysées comme un rapport ;

– que l'expert n'a pas établi de compte rendu des quatre accédits tenus durant trois années d'expertise :

– sur les relations contractuelles :

– que Monsieur R a ouvert les comptes litigieux dans les livres de l'UEB aux droits de laquelle vient la concluante, car il a souhaité suivre Monsieur P.S. dans lequel il avait confiance ;

– que la fiche établie lors de l'ouverture des comptes et le souhait de comptes dans plusieurs devises, révèlent une stratégie d'investissements ;

– que les caractéristiques de l'UEB – PRIVATE BANKING, imposent une rapidité et une réactivité excluant les ordres écrits, ce qui ne correspond pas à une gestion en bon père de famille ;

– qu'une décharge a été signée pour les instructions transmises par téléphone et télécopieur ; le courrier devant par ailleurs être conservé à la banque eu égard à la situation fiscale du client en Italie ;

– qu'en vertu de la jurisprudence, il appartient au client de se rendre au guichet de la banque pour prendre connaissance de relevés de compte ;

– que la conservation des documents était contractuellement prévue pendant 5 ans ;

– qu'elle était dans l'ignorance de la nature des opérations effectuées dans le cadre des relations entre le demandeur et la CMB ;

– qu'en rejoignant un établissement spécialisé dans le « private banking » le client avait souhaité des placements présentant un certain risque incompatibles avec les placements en bon père de famille ;

– sur les fautes alléguées :

– que les modifications apportées par la loi du 3 juillet 2001 et l'ordonnance du 27 juillet 2001, ne s'appliquent pas aux opérations antérieures à leur entrée en vigueur ;

– sur les actions :

– que les acquisitions faites sur instructions téléphoniques de E.R. et concernant en majorité des valeurs italiennes, ne sont pas discutées ;

– que le courrier du 8 mars 2004, démontre que Monsieur R était au courant de la situation de son portefeuille et parfaitement avisé des mécanismes boursiers et bancaires ;

– qu'il a approuvé les acquisitions ;

– que la présomption d'existence, d'exécution et d'acceptation des opérations qui naît de l'absence de protestation ou de réserve se trouve renforcée par l'absence de contestation pendant des années ;

– sur les obligations argentines et le portefeuille d'obligations :

– que deux opérations sont contestées :

– le 17 mai 2001 pour 175 385,25 euros et

– le 23 mai 2001 pour 285 698,26 euros

– que le demandeur prétend s'être trouvé le 31 juillet 2001 devant le fait accompli de souscription à son insu mais qu'il a attendu plus de quatre ans pour formuler une quelconque contestation en termes généraux et alors que les relevés des opérations étaient mis à sa disposition à la banque ;

– que par la signature du relevé des avoirs au 30 juillet 2001, Monsieur R a approuvé et accepté les deux lignes d'obligations argentines ; que dans l'hypothèse d'une simple présomption, celle-ci doit être combattue par la preuve contraire qui n'est pas rapportée ;

– que E.R. avait signé une lettre de décharge autorisant les instructions téléphoniques, sans nécessité de confirmation écrite et ce même en l'absence de mandat de gestion ; que les lignes d'obligations révèlent bien qu'il s'agissait d'ordres téléphoniques ;

– que l'achat d'obligations n'est pas une opération « extrêmement spéculative » et que les placements sans risque n'existent pas ; que les obligations argentines ont été profitables jusqu'au défaut de paiement imprévisible à la date de souscription ;

– que les documents produits se rapportent à des acquisitions juste avant la débâcle économique de l'Argentine ;

– que les opérations effectuées par le client démontrent qu'il suivait de près l'évolution de son portefeuille et qu'il souhaitait le gérer activement ;

– que si Monsieur R a manifesté, le 22 février 2005, son intention de souscrire à l'offre d'échange, il ne précise pas l'option choisie ; qu'il a ainsi approuvé et avalisé les opérations antérieures ;

– que la banque a procédé à la régularisation de l'échange et assumé la perte de 6 470 euros ;

– sur la qualité de Monsieur R :

– que Monsieur R est dirigeant ou associé dans vingt-sept sociétés, ce qui lui confère des compétences économiques lesquelles rejoignent celles financières ; qu'il est notamment le Président Directeur Général d'une société Intralot Italia, spécialisée dans les paris et jeux en ligne, filiale d'une multinationale cotée en bourse à Athènes et qu'il ne peut avoir été désigné à ce poste qu'en raison de ses qualités de gestionnaire et de ses compétences financières ;

– que seul un investisseur averti pouvait répondre à l'offre d'échange des obligations argentines dont les données ne pouvaient pas être appréhendées par un profane ;

– que la vente des actions excepté deux types bien précis révèle un profil avisé ;

– sur le préjudice :

– que la gestion en bon père de famille est en totale contradiction avec le fonctionnement des comptes sur lesquels on peut relever de nombreux virements et transferts outre le prêt de 3 400 000 F accordé à la période de souscription des obligations argentines ;

– que Monsieur R ne démontre pas que le respect des obligations générales du banquier l'aurait conduit à agir différemment ; qu'il ne soutient pas qu'informé, il aurait décidé d'autres formes d'investissements ;

– que Monsieur R ne peut s'obstiner à solliciter la preuve écrite de l'ordre de virement de 129 239,05 euros au visa de l'article 1188 du Code Civil, alors que la conservation des documents n'est acceptée que pour une période de cinq ans et que la Cour de Cassation a abandonné la distinction entre les actes de commerce et les actes civils ;

– que ce virement apparaît sur le relevé des avoirs au 30 juillet 2001 ;

– qu'il inverse la charge de la preuve en présence d'une réception sans protestation, ni réserve des avis d'opéré et des relevés de compte ;

– que la conservation des correspondances à la banque impose au client une vigilance d'autant plus particulière qu'il est domicilié en Italie ;

– qu'elle rapporte la preuve de ce que l'ordre émane bien de Monsieur R ;

– qu'en l'absence de fondement juridique et de lien de causalité entre la nullité prétendue d'un mandat – en l'espèce inexistant – et la perte alléguée, il ne saurait être fait droit à la demande de restitution des fonds afférents aux bons de trésors argentin ;

– que s'il était fait droit à la demande, les fruits perçus devraient être restitués ;

– qu'en l'absence de préjudice, il ne sera dû aucun intérêt à un taux légal, le défaut de mise en demeure faisant de surcroît obstacle à l'application ;

– que le raisonnement afférent au point de départ de l'anatocisme n'est pas compréhensible ;

– que la banque n'est pas responsable de la stratégie d'investissements mise en œuvre par le demandeur outre la multiplication des procédures, ni la durée de l'expertise ;

– que tout justiciable a le droit de se défendre ;

– que la concluante n'a pas fait preuve de résistance abusive ; qu'une seule et même faute à la supposer avérée, ne saurait donner lieu qu'à une seule et même réparation ;

– que la mauvaise foi du demandeur ayant multiplié les procédures dilatoires et les frais engagés justifient l'allocation des dommages et intérêts ;

– conclut :

– au rejet de la demande d'homologation du rapport d'expertise ;

– au débouté de la demande de nullité du mandat de gestion, en l'absence d'un tel mandat ;

– à l'absence de faute ;

– à la souscription des obligations argentines sur instructions du client qui les a approuvées ;

– à l'acceptation de l'échange et à l'irrecevabilité de toute contestation à ce titre ;

– à l'absence de faute dans l'acquisition des dites obligations ;

– à l'absence de preuve d'un préjudice ;

– à l'opposabilité à Monsieur R des dispositions contractuelles portées sur les documents d'ouverture de compte auprès de l'UEB afférentes au délai de conservation de 5 ans ;

– à la qualité d'investisseur averti de Monsieur R ;

– au débouté de Monsieur R de l'ensemble de ses demandes ;

– à la condamnation de Monsieur R à lui payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

– à titre subsidiaire au cas où la restitution des titres « argentine » à la Banque, à la condamnation de Monsieur R à restituer les fruits perçus, et ce avec compensation éventuelle entre les créances respectives des parties.

Sur quoi le Tribunal :

Sur l'expertise

L'objet même d'une expertise est d'obtenir un avis technique de nature à éclairer le tribunal auquel il appartient d'apprécier la portée du rapport qui lui est soumis.

La décision ordonnant l'expertise a été confirmée par la Cour d'appel de telle sorte que la banque ne peut pas soutenir que la mission – plus particulièrement en son point 8 – serait contraire à l'article 414 du Code de procédure civile, pas plus que ce libellé aurait guidé la conduite de l'expertise.

Il sera relevé que le juge des référés n'a pas posé le principe de l'existence d'un préjudice mais bien précisé au point 7 « ... le cas échéant du fait des éventuels manquements de la banque à ses obligations légales et contractuelles ».

L'expert n'a pas excédé sa mission en donnant son avis sur le profil d'investisseur de Monsieur R alors qu'il lui était demandé de « ...dire si la banque a respecté la réglementation et les usages bancaires et boursiers », un tel profil entrant dans le cadre légal.

Sur le fond

Le 23 mars 1998, Monsieur R ouvre dans les livres de l'établissement UEB à Monaco un compte racine n° 49 449, dont le gestionnaire était Monsieur S., et ce, sur la recommandation de Monsieur B. son conseiller financier à Malte lequel travaillait depuis plusieurs années avec Monsieur S.

Il est indiqué dans les renseignements que Monsieur R est un industriel et qu'il veut effectuer des placements.

Monsieur R signe le document intitulé « décharge » relatif aux instructions transmises par téléphone et télécopieur et se réserve le droit de transmettre ses instructions par lesdits moyens « sans chiffre de repère, ni confirmation écrite » ; toute exécution de tels ordres étant considérée comme valable.

La correspondance pour les comptes sous racine 49 449 devait être conservée à la banque (extraits de compte, avis d'opérations, lettres, actes) et ce pour une période de 5 ans.

Le compte est approvisionné à l'origine par le virement des avoirs détenus par Monsieur R auprès de la COMPAGNIE MONÉGASQUE DE BANQUE.

Monsieur R ne donne pas à la banque de mandat de gestion.

Les relevés de compte font apparaître depuis l'origine de multiples opérations réalisées sur les comptes de Monsieur R lequel en conteste seulement trois :

– un virement,

– deux achats d'obligations argentines.

Sur le virement

Le 24 avril 2001, la banque a effectué un virement d'un montant de 129 114 euros du compte de Monsieur R au profit de Sig A.B.

Il est mentionné sur l'ordre de paiement : « instr. tél ».

Lors de l'ouverture du compte, Monsieur R a signé la décharge relative aux instructions transmises par téléphone et télécopieur par laquelle il s'est expressément réservé le droit de transmettre ses ordres par ces deux moyens.

Cette stipulation conventionnelle est régulière même si Monsieur R n'a pas la qualité de commerçant et il est bien stipulé dans ce document que toute exécution des tels ordres est considérée comme valable.

Monsieur R ne peut donc pas reprocher à faute à la banque de n'avoir pas exigé d'écrit pour la passation de l'ordre ou à titre de confirmation.

L'UEB a, le 25 avril 2001, édité un avis de débit d'un montant de 129 239,05 euros détaillé comme suit :

– virement : 129 114 euros,

– frais de transfert : 104,56 euros,

– TVA : 20,49 euros

indiquant le nom du bénéficiaire et le numéro du compte à créditer.

Cette opération figure également sur le relevé de compte courant euro n° 3 de Monsieur R et est reportée sur le relevé des avoirs édité au 30 juillet 2001 et signé par Monsieur R le 31 juillet 2001, au paragraphe divers à la date du 25 avril 2001 – transfert – 129 239,05 euros.

Monsieur R auquel un tel débit ne peut pas avoir échappé, n'a émis aucune protestation le 31 juillet 2001, ni dans la période qui a suivi au cours de laquelle il avait tout loisir de faire toute vérification utile, s'il avait eu un doute sur sa pertinence.

Il ne démontre pas ne pas avoir donné l'ordre litigieux, ni ne produit d'élément permettant de combattre la présomption de régularité de cette opération.

Il sera débouté de ce chef de demande.

Sur l'achat d'obligations argentines

Monsieur R fait grief à la banque d'avoir acquis pour son compte des titres ARGENTINA :

– le 17 mai 2001 TU 98-08 pour un prix de 173 826,03 euros,

– le 23 mai 2001 8,50 % 98 pour un prix de 283 158,33 euros.

Le cadre légal, pour des opérations réalisées au mois de mai 2001, est bien la loi n° 1194 du 9 juillet 1997 et l'ordonnance souveraine n° 13184 du 16 septembre 1997.

M. R n'a pas donné à la banque de mandat de gestion de ses comptes ; il ne peut donc pas invoquer la nullité d'un mandat tacite.

L'établissement bancaire est intervenu dans le cadre de l'article 1er-2° de la loi, à savoir la transmission d'ordres sur les marchés financiers portant sur des valeurs mobilières, des instruments financiers à terme.

L'analyse de sa responsabilité doit être faite au regard des obligations qui lui incombaient à ce titre.

Sur les obligations pesant sur la banque à l'ouverture du compte

Les sociétés agréées au sens de la loi doivent en application du 2e alinéa de l'article 5 « s'enquérir de la situation financière de leurs clients, de leur expérience en matière d'investissements et de leurs attentes en matière de service et communiquer d'une manière appropriée les informations utiles dans le cadre des négociations avec leurs clients ».

L'UEB lors de l'ouverture du compte, n'a procédé à aucune analyse du profil de Monsieur R : les mentions « industriel » et « veut effectuer des placements » sont sans réelle signification technique.

Il ne suffit pas d'affirmer que Monsieur R avait des connaissances dans le domaine financier.

Les documents produits par la défenderesse et plus particulièrement les pièces n° 9, 28 et 29 ont été recherchés et édités en cours de procédure et non à l'ouverture du compte.

Celle-ci ne démontre pas plus que les placements effectués par M. R avant leurs relations contractuelles (pièce 35 du dossier du demandeur) révélaient des connaissances particulières de celui-ci dans la gestion de ses avoirs, ni qu'ils puissent être qualifiés de spéculatifs.

L'expert estime au contraire que « le portefeuille transféré par M. R avait incontestablement un profil sécurisé » (p. 161 du rapport).

Il classe en effet ces obligations respectivement en A- ; A1+ ; A- ; AA- (annexe 36).

La banque ne s'est donc pas enquise de l'expérience de M. R, ni de ses attentes en matière de services, la mention portée sur les placements atteste de la pauvreté d'analyse de l'UEB, en sa qualité de professionnel.

Sur les achats d'obligations argentines

L'ordre d'achat en bourse du 17 mai 2001 pour 173 826,03 euros Argentine 8 % – 26.02.08 (pièce n° 21) porte la mention « Instr. tel ».

Monsieur R ayant accepté de donner des ordres par téléphone et par fax, sans obligation d'écrit confirmatif ne peut pas reprocher à la banque d'avoir agi sans instruction et/ou confirmation écrite de sa part.

Cette opération a été reprise dans le compte rendu d'opération du 22 mai 2001, avec le détail précis des titres et du coût d'acquisition (ventilé entre le montant des obligations 173 826,03 euros et celui des commissions 1 559,22 euros).

Le requérant ne démontre pas qu'il n'ait pas donné cet ordre d'achat.

Il n'est pas produit au dossier d'ordre d'achat pour les titres argentins acquis le 23 mai 2001 (p 159 du rapport d'expertise) pour une somme de 285 698,26 euros (283 158,33 et 2 539,93 de commissions), ni d'un ordre donné téléphoniquement ou par fax.

La banque ne justifie pas de l'origine et de la transmission de l'ordre.

La banque n'avait pas réellement mis en place de procédure d'enregistrement au sens des articles 9 et suivants de l'ordonnance n° 13 184 du 16 septembre 1997 ; les documents manuscrits remis à l'expert sont fragmentaires et pour le moins brouillons et ne contiennent pas mention de cette opération.

Cette acquisition (comme celle réalisée le 17 mai 2001) figure sur le relevé de compte n° 04944901002 clé 30 pour la période du 1er au 31 mai 2001 et de compte courant n° 3 (annexe 47 du rapport d'expertise).

L'ensemble des relevés de compte, compte rendus... étaient de convention expresse des parties conservés à la banque pour y être consultés par M. R lequel s'y rendait au moins une fois par an, en général au mois de juillet (à l'exception de l'année 2002).

Le 31 juillet 2001, Monsieur R a signé le relevé de ses avoirs au 30 juillet 2001, sans émettre la moindre réserve ou protestation, ni même demander d'explication alors que le relevé faisait apparaître les deux achats d'obligations Argentine [T 98-08 au prix d'achat unitaire de 87,69 et au cours de 62,43 et 8,50 % 98-10 EMTN au prix d'achat de 95,23 et au cours de 71].

Ces obligations ayant été conservées, elles apparaissent sur les relevés des années suivantes.

Monsieur R est demeuré silencieux durant de nombreuses années alors qu'il avait des relations régulières avec sa banque et l'on peut donc légitimement considérer que ce silence gardé jusqu'au 2 novembre 2005 vaut approbation du principe de l'opération d'achat.

La banque avait l'obligation de donner à son client « les informations utiles » avant d'exécuter l'ordre.

L'étendue de cette obligation dépend des connaissances du client ; en l'espèce, il sera rappelé qu'aucun profil particulier n'avait été dressé de Monsieur R.

La banque ne démontre pas avoir donné le moindre conseil à Monsieur R et pourrait difficilement le faire pour les acquisitions du 23 mai 2001 dont elle n'a même enregistré l'ordre.

À la date des opérations litigieuses, les obligations argentines étaient classées en catégorie B par Standard and Poor's (p 160 du rapport) et entraient dans le cadre des investissements spéculatifs pour présenter une vulnérabilité au non paiement.

Le manquement à l'obligation légale est d'autant plus caractérisé que les placements connus du demandeur à l'ouverture du compte étaient sécurisés.

Si l'on en croit les déclarations de Monsieur S. (employé de l'UEB qui avait en charge les comptes de Monsieur R) faites à l'expert, l'achat d'obligations argentines avait été convenu « par sécurité » et « pour booster le portefeuille ».

Monsieur S. était d'autant moins susceptible d'informer utilement le client s'il pensait réellement que cet investissement ne présentait pas de risque pour s'adosser à l'État Argentin.

La banque a donc failli à l'ensemble de ses obligations et engagé sa responsabilité.

Elle a de plus procédé à ces opérations alors que le solde du compte de Monsieur R était déjà débiteur (p 160 et 161 du rapport).

L'achat de titres émis par l'État Argentin a donc été opéré sans que Monsieur R ait été informé du caractère spéculatif et hautement risqué du placement ; la banque ne démontre pas plus avoir attiré son attention dans les années qui ont suivi.

Il ne peut pas être déduit du fait que Monsieur R ait demandé de bénéficier de l'offre d'échange de l'État Argentin qui lui avait été transmise par la banque, qu'il ait avalisé le principe d'un placement spéculatif.

Sur le préjudice

Aucun élément du dossier ne vient établir que M. R aurait procédé aux achats discutés s'il avait été informé de leurs caractéristiques.

Il est dès lors en droit de demander le remboursement des sommes investies contre remise des titres restant à la banque et sous déduction du prix de vente des bons de souscription le 23 avril 2007 pour une somme de 74 930 euros.

Soit :

175 385,25 + 285 698,26 = 461 083,51 – 74 930 = 386 153,51 €.

Monsieur R a perçu les coupons des obligations et ne saurait demander à titre de réparation complémentaire les intérêts sur les revenus des capitaux placés, le bénéfice de ces coupons lui sera attribué à titre de réparation du préjudice subi.

Les sommes qui lui ont été allouées porteront intérêts au taux légal à compter de l'assignation avec capitalisation par application de l'article 1009 du Code Civil.

Sur les demandes de dommages et intérêts pour résistance abusive

La banque n'a pas abusé du droit légitime de se défendre ; la demande de dommages et intérêts sera rejetée.

Le Tribunal faisant droit à l'essentiel des demandes présentées par M. R, la procédure qu'il a engagée ne peut pas être qualifiée d'abusive.

Sur les frais et dépens

La banque qui succombe pour l'essentiel de ses prétentions sera condamnée aux dépens lesquels comprennent les frais d'expertise.

Il n'existe pas dans la législation monégasque de disposition équivalente à l'article 700 du Code de Procédure Civile français et Monsieur R ne peut donc pas demander à être remboursé de ses frais d'avocat tant à Monaco, que des honoraires versés à un conseil à Malte.

Il appartient à Monsieur R de supporter le coût résultant de la décision de recourir à un expert financier autre que l'expert judiciaire.

Il en va de même pour les frais de voyage engagés par ces personnes.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

statuant contradictoirement, et en premier ressort,

Vu le rapport d'expertise de Monsieur DULAC,

Dit que la banque n'a pas commis de faute dans l'exécution de l'opération de virement au profit de Monsieur B.

Déboute Monsieur R de sa demande de paiement de la somme de 129 239,05 euros.

Déboute Monsieur R de sa demande de nullité d'un mandat de gestion tacite.

Dit que la banque UEB – aux droits de laquelle vient l'établissement SAM BNP PARIBAS WEALTH MANAGEMENT MONACO – a manqué à ses obligations résultant de la loi du 9 juillet 1997 et de l'ordonnance n° 13.184 du 16 septembre 1997 et engagé sa responsabilité.

Condamne la SAM BNP PARIBAS WEALTH MANAGEMENT MONACO à rembourser à M. R la somme de 386 153,51 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 avril 2010 avec capitalisation en application de l'article 1009 du Code Civil.

Ordonne la restitution par M. R à la SAM BNP PARIBAS WEALTH MANAGEMENT MONACO des 175 968 obligations argentines ARGENTINA RCD GLOBAL 7,82 % 2003-31/12/2033.

Déboute M. R de sa demande d'intérêts à compter de la date d'achat des obligations et de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive.

Déboute M. R de sa demande de prise en charge des frais d'avocat à Monaco et à Malte ainsi que des frais du cabinet d'expertise FINCO de Malte et des frais de déplacement.

Déboute la SAM BNP PARIBAS WEALTH MANAGEMENT MONACO de sa demande de dommages-intérêts et de sa demande de restitution des fruits perçus.

Met les dépens à la charge de la SAM BNP PARIBAS WEALTH MANAGEMENT MONACO, en ce compris les frais d'expertise dont distraction au profit de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur sous sa due affirmation.

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition

Mme GRINDA-GAMBARINI, Prés., Mme DORATO-CHICOURAS, Vice-Prés., Mme HUMBERT, Juge, en présence de M. IGNACIO, Subst. du Proc. Gén, Mme VALLAURI, Greff.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 7866
Date de la décision : 15/12/2011

Analyses

La banque avait l'obligation de donner à son client « les informations utiles » avant d'exécuter l'ordre.L'étendue de cette obligation dépend des connaissances du client ; en l'espèce, il sera rappelé qu'aucun profil particulier n'avait été dressé de Monsieur R.La banque ne démontre pas avoir donné le moindre conseil à Monsieur R et pourrait difficilement le faire pour les acquisitions du 23 mai 2001 dont elle n'a même enregistré l'ordre.Le manquement à l'obligation légale est d'autant plus caractérisé que les placements connus du demandeur à l'ouverture du compte étaient sécurisés.Si l'on en croit les déclarations de Monsieur S. (employé de l'UEB qui avait en charge les comptes de Monsieur R) faites à l'expert, l'achat d'obligations argentines avait été convenu « par sécurité » et « pour booster le portefeuille ».Monsieur S. était d'autant moins susceptible d'informer utilement le client s'il pensait réellement que cet investissement ne présentait pas de risque pour s'adosser à l'État Argentin.La banque a donc failli à l'ensemble de ses obligations et engagé sa responsabilité.Elle a de plus procédé à ces opérations alors que le solde du compte de Monsieur R était déjà débiteur (p 160 et 161 du rapport).L'achat de titres émis par l'État Argentin a donc été opéré sans que Monsieur R ait été informé du caractère spéculatif et hautement risqué du placement ; la banque ne démontre pas plus avoir attiré son attention dans les années qui ont suivi.Il ne peut pas être déduit du fait que Monsieur R ait demandé de bénéficier de l'offre d'échange de l'État Argentin qui lui avait été transmise par la banque, qu'il ait avalisé le principe d'un placement spéculatif.

Banque - finance - Général  - Responsabilité (Banque - finance).

BanqueResponsabilité de la banque : investissement dans des obligations argentines hautement spéculatif sans veiller à informer le client profane  - homologation de l'expertise en ce qu'elle qualifiait le client de non averti.


Parties
Demandeurs : E. R.
Défendeurs : SAM BNP Paribas

Références :

article 1188 du Code Civil
loi n° 1194 du 9 juillet 1997
article 414 du Code de Procédure Civile
loi du 3 juillet 2001
loi du 9 juillet 1994
ordonnance n° 13.184 du 16 septembre 1997
ordonnance souveraine n° 13184 du 16 septembre 1997
article 152 bis du Code du Commerce
article 1009 du Code Civil
loi du 9 juillet 1997
ordonnance du 27 juillet 2001


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;2011-12-15;7866 ?

Source

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