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29/05/2008 | MONACO | N°8001

Monaco | Tribunal de première instance, 29 mai 2008, J. N. c/ SAM Crédit Foncier de Monaco


Abstract

Contrats et obligations conventionnelles

Vices du consentement

- Dol

- Caution garantissant le prêteur créancier

- Prêteur ayant tenu dans l'ignorance la caution quant à la personne du véritable acquéreur : réticence dolosive

- Nullité du contrat de cautionnement

Résumé

Aux termes de l'article 971 du Code civil, le dol est une cause de nullité de la convention, lorsque les manœuvres pratiquées par l'un des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces mesures, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se p

résume pas et doit être prouvé ;

Ce vice du consentement peut être caractérisé en présence d'une réticence do...

Abstract

Contrats et obligations conventionnelles

Vices du consentement

- Dol

- Caution garantissant le prêteur créancier

- Prêteur ayant tenu dans l'ignorance la caution quant à la personne du véritable acquéreur : réticence dolosive

- Nullité du contrat de cautionnement

Résumé

Aux termes de l'article 971 du Code civil, le dol est une cause de nullité de la convention, lorsque les manœuvres pratiquées par l'un des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces mesures, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé ;

Ce vice du consentement peut être caractérisé en présence d'une réticence dolosive du créancier à fournir à la caution une information déterminante de son consentement ;

Il y a lieu de se focaliser en l'espèce sur la solvabilité de P. D. R., débiteur principal du prêt, entendue ici non pas comme sa capacité à faire face aux échéances du prêt mais comme la consistance de son patrimoine pour supporter le recours, personnel ou subrogatoire, de la caution et plus particulièrement sur le fait que le navire « Aquitaine Innovations » n'entrait pas directement dans le patrimoine de P. D. R.

Une réticence dolosive peut être retenue dès lors qu'un créancier dispose d'une information décisive et que la caution ne dispose pas de cette information, étant entendu qu'en l'espèce, le contrat de cautionnement était dépourvu de toute clause relative à la situation du débiteur principal ;

En l'espèce il ressort des pièces versées aux débats et il n'est d'ailleurs pas véritablement contesté par le CFM que cette banque connaissait le montage contractuel décrit, en l'occurrence le contrat de vente du 21 avril 2002 entre l'association Défi Aquitaine, venderesse et la CMMN, ainsi que le fait que si le prêt du 5 juin 2002 était consenti à P. D. R., c'était bien la CMMN qui acquérait le navire ;

Quant à la connaissance de J. N., il y a lieu de relever que la formulation du prêt « financement de l'acquisition d'un voilier », n'est pas de nature à renseigner la caution sur l'acquéreur du navire et en tout état de cause ne permettait pas par elle-même, d'indiquer que le bénéficiaire du prêt n'était pas l'acquéreur du navire, ni que l'acquisition avait déjà eu lieu par le contrat du 21 avril 2002 ;

La banque procède par voie d'affirmation, non étayée par les éléments de preuve, quand elle allègue que c'est J. N. qui a proposé le montage, alors que celui-ci le nie et verse aux débats une attestation de S. N. qui déclare que ce sont deux préposés de la banque qui auraient conseillé à P. D. R. de recueillir le cautionnement de son beau-père ;

L'existence de liens de parenté ou d'alliance ne peut, en elle-même imposer à la caution une obligation de se renseigner quant à une information qu'elle aurait pu être à même de connaître ;

En l'espèce une analyse in concreto paraît en sens contraire puisque dans un courrier en date du 15 septembre 2003, P. D. R. écrit à J. N. en employant les termes « lorsque j'ai contracté l'emprunt afin d'acquérir le bateau... », « Je m'engage également à faire toutes les démarches auprès de la Fortis Banque en vue de transformer l'emprunt au CFM en une hypothèse sur mon bateau » ;

Enfin, si J. N. avait eu connaissance du fait que la CMMN était l'acquéreur du navire il n'aurait probablement pas tenté d'effectuer une saisie du navire mais au contraire aurait exercé son recours sur le patrimoine de P. D. R. notamment les parts sociales de la CMMN qu'il détenait ;

Attendu en conséquence qu'il n'est pas établi que J. N. avait connaissance du fait que P. D. R. n'était pas l'acquéreur du navire.

Motifs

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

R.

JUGEMENT DU 29 MAI 2008

En la cause de :

M. Jean X, né le 26 janvier 1930 à Gand (Belgique), administrateur de sociétés, de nationalité belge, demeurant 8 rue Bellando de Castro à Monaco ;

DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christiane PALMERO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Jean-Pierre PILLON, avocat au barreau de Caen,

d'une part ;

Contre :

La SAM CREDIT FONCIER DE MONACO, dont le siège social est 11 boulevard Albert 1er à Monaco, prise en la personne de son Président délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 9 février 2005, enregistré (n° 2005/000378) ;

Vu les conclusions de Maître Jean-Pierre Licari, avocatdéfenseur, au nom de la SAM CRÉDIT FONCIER DE MONACO, en date des 7 juillet 2005, 2 mars 2006, 19 octobre 2006, 16 février 2007, 11 mai 2007 et 17 octobre 2007 ;

Vu les conclusions de Maître Christiane Palmero, avocatdéfenseur, au nom de J. N., en date des 16 novembre 2005, 16 mai 2006, 13 décembre 2006, 29 mars 2007, 12 juillet 2007 et 14 novembre 2007 ;

Ouï Maître Jean-Pierre Pillon, avocat au barreau de Caen, assisté de Maître Christiane Palmero, avocat-défenseur, pour J. N., en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï Maître Jean-Pierre Licari, avocat-défenseur, pour la SAM CRÉDIT FONCIER DE MONACO, en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï le ministère public ;

Considérant les faits suivants :

Il est constant que par acte sous seing privé daté du 5 juin 2002, la SAM CRÉDIT FONCIER DE MONACO, ci-après CFM, a consenti à P. D. R., de profession navigateur, un prêt d'un montant de 587 000 euros pour lequel la mention « objet » était renseignée par la formulation suivante : « Financement de l'acquisition d'un voilier ». Il était prévu un remboursement suivant un plan d'amortissement de 20 trimestrialités d'un montant de 34 190,25 euros, la première trimestrialité étant due un trimestre franc après la mise à disposition des fonds.

En garantie de cette opération de crédit, le CFM recueillait, par un contrat de cautionnement également daté du 5 juin 2002, la caution solidaire et indivisible, à hauteur du montant du prêt en principal, outre intérêts et frais, de J. N., père de S. N. épouse de P. D. R. Cette sûreté personnelle était également assortie de la constitution d'un gage de monnaie ou valeurs mobilières sur l'ensemble des avoirs de cette nature inscrits au crédit des comptes titres et des comptes espèces ouverts au nom de J N dans les livres de la banque.

Il n'est également pas contesté que P. D. R. a été défaillant dans le remboursement dès la première échéance, exigible le 17 février 2003 et que cette échéance, ainsi que les deux suivantes ont été réglées au CFM par J. N. spontanément, sans qu'il soit actionné en qualité de caution, pour un montant de 100 935,18 euros le 27 août 2003. De même, les deux échéances suivantes, du 15 novembre 2003 et 15 février 2004 étaient réglées par J. N. le 20 février 2004 pour un montant de 67 290,12 euros.

Devant la défaillance de P. D. R. dans le paiement des échéances qui s'est perpétuée, le CFM a mis en demeure J. N. le 6 septembre 2004 en sa qualité de caution, puis a débité son compte de l'intégralité des sommes restant dues par P. D. R., le 5 octobre 2004.

Par acte en date du 9 février 2005, J. N. a fait assigner le CFM devant le Tribunal de Première Instance de Monaco. Ses demandes ont évolué au cours de la mise en état de l'affaire, si bien qu'il résulte tant de son exploit d'assignation que de ses six jeux de conclusions postérieures, dont les dernières en date du 15 novembre 2007, qu'il sollicite :

* À titre principal, l'annulation de l'engagement de caution du 5 juin 2002 qu'il a consenti au CFM en garantie d'un prêt accordé à P. D. R. et le remboursement subséquent des sommes suivantes :

* 100 935,18 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 27 août 2003,

* 67 290,12 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 février 2004,

* 459 781,64 euros avec intérêts au taux légal à compter du 5 octobre 2004 ;

Il sollicite que les intérêts échus des capitaux dus pour une année entière produisent eux-mêmes intérêts à compter de l'assignation.

* À titre subsidiaire, la condamnation du CFM à payer les mêmes sommes, du fait de la mise en œuvre de la responsabilité bancaire.

* la condamnation du CFM au paiement de la somme de 150.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.

* l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

À l'appui des ses demandes, il fait valoir que si le prêt a été attribué à P. D. R., en réalité le voilier de course au large « Aquitaine Innovations », dont l'achat était visé a été acquis par une société, la COMPAGNIE MARITIME DE LA MER DU NORD, ci-après CMMN, dont P. D. R. est actionnaire et administrateur délégué. De plus, il déclare avoir appris qu'un compromis de vente avait en réalité été signé le 21 avril 2002 entre l'ASSOCIATION DÉFI AQUITAINE, propriétaire du voilier et la CMMN, donc antérieurement aux contrat de prêt et de cautionnement, pour un prix de 787 000 euros et avec le versement d'un acompte de 200 000 euros ;

Après que la banque ait prononcé la déchéance du terme et actionné la caution, J. N. ajoute qu'il avait tenté de faire saisir le bateau afin de pouvoir être remboursé par la vente forcée de celui-ci, mais que cette saisie s'était révélée impossible dans la mesure où le navire n'était pas la propriété de P. D. R., mais de la CMMN, laquelle serait d'ailleurs en faillite depuis le 19 septembre 2005. Il en tire plusieurs conséquences :

I/ Au soutien de la nullité de l'engagement de caution donné :

A/ J. N. soutient l'existence d'une fausse cause :

Il estime que la cause objective de l'engagement serait fausse du fait, selon lui, que les fonds empruntés auraient dû suffire à désintéresser totalement le vendeur, que la formule « financement de l'acquisition d'un voilier » impliquait que le navire ne fut pas déjà acheté et que l'emprunteur P. D. R. devait être également l'acquéreur.

B/ Erreur sur la cause

J. N. soutient qu'il ignorait le montage contractuel, mais qu'il avait à cœur d'aider son gendre dans son entreprise personnelle de course à la voile, en l'occurrence le « Vendée Globe » en 2004, mais également qu'il n'avait entendu fournir du crédit qu'à son gendre et à lui seul et que dès lors, le contrat de cautionnement étant conclu intuitu personae, il existerait une erreur sur la cause du point de vue subjectif, du fait d'un décalage entre la croyance de la caution et la réalité.

C/ La réticence dolosive de la banque :

J. N. estime que la banque détenait des informations dont elle savait que la révélation à J. N. l'aurait dissuadé de se porter caution. En l'espèce il fait valoir que la banque connaissait nécessairement le montage contractuel et qu'en tout état de cause, la preuve de cette connaissance résulterait du comportement de la banque :

* au moment de la conclusion des actes, du fait de l'emploi d'une mention volontairement vaste « financement de l'acquisition d'un voilier »,

* postérieurement à la conclusion du contrat : dès le 6 juin 2002, les fonds étaient transférés sur le compte de l'association Défi Aquitaine, d'où la connaissance selon J. N. du contrat de vente du 21 avril 2002.

Il ajoute qu'il n'aurait pas contracté s'il avait su que l'acquéreur était en réalité la CMMN dont il estime de surcroît que la situation financière était obérée.

J. N. estime encore qu'il est certain d'avoir donné son accord, non pas le 5 juin 2002, comme la mention dactylographiée sur le contrat de cautionnement en atteste, mais en réalité à la fin de l'été 2002 à son retour de vacances, et que dès lors, c'est dans le cadre d'une ouverture de crédit que la banque avait mis à disposition de P. D. R. la somme de 587 000 euros le 6 juin 2002, alors que ce client venait d'ouvrir un compte que seulement trois jours auparavant. Ce ne serait donc qu'après l'engagement de J. N. que le prêt était formellement octroyé seulement le 25 novembre 2002 ce qui démontrerait, selon le demandeur, que la banque avait d'autant plus intérêt à ne pas informer J. N. du montage du dossier de peur de le voir refuser son engagement et de rendre incongru l'octroi du crédit le 6 juin 2002.

Dans le même ordre d'idée, J. N. note qu'un délai avait été fixé au 1er juin 2002, dans le compromis de vente du 21 avril 2002 pour le paiement du solde du prix, soit 587 000 euros et qu'il y avait donc urgence à trouver un financement.

II/ Sur la décharge de la caution en application de l'article 1876 du Code civil :

J. N. soutient que la banque avait la faculté d'inscrire des sûretés réelles pour garantir son prêt, notamment l'hypothèque maritime sur le navire litigieux et qu'en s'abstenant de le faire, elle a porté atteinte à l'intérêt commun du créancier et de la caution, ce qui selon lui devrait entraîner la décharge de la caution.

III/ Au soutien de la responsabilité de la banque, subsidiairement recherchée

J. N. soutient que la banque aurait manqué à son obligation d'information, de conseil et de vigilance en ne fournissant pas à son client des informations qu'elle possédait, portant en cela atteinte à un principe de symétrie de l'information.

En outre, il estime que la banque a octroyé un concours inconsidéré à P. D. R. par rapport à ses facultés, ce qui se déduirait de son impossibilité de rembourser dès la première échéance.

En défense, le CFM a conclu par six fois du 7 juillet 2005 au 17 octobre 2007, et il ressort de la synthèse de ses écritures qu'elle réclame :

* le débouté des demandes de J. N.

* la condamnation de J. N. au paiement de la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire.

À l'appui des ses prétentions le CFM fait valoir les arguments suivants :

I/ Sur la nullité du contrat de cautionnement :

A/ La banque fait valoir que l'argumentation de J. N. sur la fausse cause ne saurait être retenue en ce que ce qu'il soumettrait en réalité à la juridiction serait le mobile de son engagement alors que la recherche du mobile de la caution ne serait pertinente qu'en ce qu'elle tendrait à déterminer si la cause de l'engagement n'est pas illicite ou immorale.

B/ Elle insiste sur le fait qu'à son sens, il importait peu que P. D. R. devienne ou non propriétaire du navire, mais que sa préoccupation était que son gendre puisse participer à la course le Vendée Globe.

La propriété du navire par P. D. R. n'aurait jamais été une condition impulsive et déterminante de son engagement et qu'en tout état de cause, P. D. R. étant actionnaire à hauteur de 50 % de la CMMN, il était « copropriétaire » (sic) du bateau, lequel constituait un actif de la société.

Le CFM ajoute que J. N. bénéficiait d'une clause lui permettant de dénoncer son engagement de caution et qu'il s'était abstenu d'en user, preuve de sa volonté de maintenir quoi qu'il en soit son engagement et qui que soit le propriétaire du voilier.

C/ Sur la réticence dolosive, le CFM fait valoir que J. N., qui serait client de la banque depuis plus de 15 ans, aurait en réalité initié la relation d'affaire entre P. D. R. et la banque et aurait même suggéré le montage du dossier.

Elle ajoute que J. N. détiendrait un « compte courant » dans la CMMN et serait donc au fait des acquisitions de cette société.

Selon la banque, la CMMN était en parfaite santé financière et en toute hypothèse, la situation financière de la CMMN importe peu dans la mesure où l'emprunteur garanti est P. D. R. et qu'il n'est pas démontré que celui-ci aurait été insolvable au moment de l'engagement de la caution et que la caution n'a pas fait de la solvabilité de son gendre une condition de son engagement.

En réalité, pour la banque, le fait de se substituer à son gendre n'a posé de difficultés à J. N. qu'à partir du moment où sa fille et P. D. R. se sont séparés.

II/ Sur la décharge de la caution en application de l'article 1876 du Code civil :

La banque estime que les privilèges sur les navires prévus par les articles L. 314-1 et suivants du Code de la Mer ne sont pas ouverts au prêteur de deniers et qu'elle avait un choix de faire inscrire ou non une hypothèque maritime, faculté dont le non usage ne permettrait pas à la caution de solliciter valablement sa décharge.

III/ Sur l'éventuelle responsabilité de la banque :

La banque estime n'avoir commis aucune faute, qu'elle n'avait aucun intérêt à tromper un client important et qu'en toutes hypothèses, J. N. serait un homme d'affaire avisé, pour être chef d'entreprise d'un groupe spécialisé dans l'organisation et la gestion de petites et moyennes entreprises et serait en outre parfaitement au fait du monde de la voile et des montages contractuels et financiers tendant à permettre à un navigateur de disposer d'un navire pour s'engager dans une course.

J. N. serait également une caution éclairée du fait de la proximité familiale avec P. D. R.

Elle ajoute enfin que P. D. R. présentait selon elle des garanties quant à sa solvabilité.

En réponse aux éléments développés par le CFM, J. N. fait valoir que sa fille Sandrine aurait divorcé de P. D. R. en juin 2005, et que le nom « N » apparaissant dans la comptabilité de la société CMMN correspondrait à une créance de sa fille sur la dite société.

En outre il nie avoir été au courant du montage mis en place et a fortiori en être à l'origine, affirmant que c'est sa fille S., elle-même titulaire d'un compte auprès du CFM, qui avait présenté P. D. R. à la banque et que ce sont deux conseillers de la banque qui auraient conseillé à P. D. R. de recueillir la caution de son beau-père.

Il ajoute qui si une clause du contrat lui permet de se libérer, sa lecture de cette stipulation est que cette libération ne vaut que pour l'avenir et qu'il s'agit en réalité d'une clause de style glissée dans le contrat, d'ailleurs peu adaptée à la garantie du contrat de prêt cautionné.

Sur quoi :

Attendu qu'aux termes de l'article 971 du Code civil, le dol est une cause de nullité de la convention, lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces mesures, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé ;

Attendu que ce vice du consentement peut être caractérisé en présence d'une réticence dolosive du créancier à fournir à la caution une information déterminante de son consentement ;

Attendu qu'il y a lieu de se focaliser en l'espèce sur la solvabilité de P. D. R., débiteur principal du prêt, entendue ici non pas comme sa capacité à faire face aux échéances du prêt mais comme la consistance de son patrimoine pour supporter le recours, personnel ou subrogatoire, de la caution et plus particulièrement sur le fait que le navire « Aquitaine Innovations » n'entrait pas directement dans le patrimoine de P. D. R. ;

I/ Sur l'opération contractuelle et l'étendue de la connaissance du montage par J. N.

Attendu qu'une réticence dolosive peut être retenue dès lors qu'un créancier dispose d'une information décisive et que la caution ne dispose pas de cette information, étant entendu qu'en l'espèce, le contrat de cautionnement était dépourvu de toute clause relative à la situation du débiteur principal ;

Attendu qu'en l'espèce il ressort des pièces versées aux débats et il n'est d'ailleurs pas véritablement contesté par le CFM que cette banque connaissait le montage contractuel décrit, en l'occurrence le contrat de vente du 21 avril 2002 entre l'association Défi Aquitaine, venderesse et la CMMN, ainsi que le fait que si le prêt du 5 juin 2002 était consenti à P. D. R., c'était bien la CMMN qui acquérait le navire ;

Attendu, quant à la connaissance de J. N., il y a lieu de relever que la formulation du prêt « financement de l'acquisition d'un voilier », n'est pas de nature à renseigner la caution sur l'acquéreur du navire et en tout état de cause ne permettait pas, par elle-même, d'indiquer que le bénéficiaire du prêt n'était pas l'acquéreur du navire, ni que l'acquisition avait déjà eu lieu par le contrat du 21 avril 2002 ;

Que la banque procède par voie d'affirmation, non étayée par des éléments de preuve, quand elle allègue que c'est J. N. qui a proposé le montage, alors que celui-ci le nie et verse aux débats une attestation de S. N. qui déclare que ce sont deux préposés de la banque qui auraient conseillé à P. D. R. de recueillir le cautionnement de son beau-père ;

Qu'aucune conséquence ne peut être tirée du fait qu'un projet de bilan de la CMMN en date du 22 mai 2002 fasse état d'une créance de cette société envers « N. » dans la mesure où, en premier lieu, P. D. R. affirme qu'il s'agit d'une créance de son épouse S. qualifiée par son nom de jeune fille et produit en ce sens aux débats une reconnaissance de dette datée du 31 janvier 2000 dont la validité n'est pas débattue, et qu'en second lieu, quant bien même s'agirait-il d'une créance de J. N. sur la société, il ne s'agit pas d'un compte courant d'associé, puisque la CMMN, créée en 1994 ne compte que deux associés, P. D. R. et J. M., mais d'une simple créance ce qui ne permet pas d'affirmer que le créancier avait une connaissance des acquisitions de la société, donc de la propriété du navire « Aquitaine Innovations » ;

Attendu que l'existence de liens de parenté ou d'alliance ne peut, en elle-même imposer à la caution une obligation de se renseigner quant à une information qu'elle aurait pu être à même de connaître ;

Qu'en l'espèce une analyse in concreto paraît en sens contraire puisque dans un courrier en date du 15 septembre 2003, P. D. R. écrit à J. N. en employant les termes « lorsque j'ai contracté l'emprunt afin d'acquérir le bateau... », « je m'engage également à faire toutes les démarches auprès de la Fortis Banque en vue de transformer l'emprunt au CFM en une hypothèque sur mon bateau » ;

Attendu enfin, que si J. N. avait eu connaissance du fait que la CMMN était l'acquéreur du navire il n'aurait probablement pas tenté d'effectuer une saisie du navire mais au contraire aurait exercé son recours sur le patrimoine de P. D. R. notamment les parts sociales de la CMMN qu'il détenait ;

Attendu en conséquence qu'il n'est pas établi que J. N. avait connaissance du fait que P. D. R. n'était pas l'acquéreur du navire ;

Attendu quant à l'intérêt de la banque de ne pas dévoiler cette information à J. N., qu'il ressort des pièces du dossier que comme l'affirme le demandeur, formellement, l'ouverture de prêt (n° 00397) est en date du 25 novembre 2002, avec date de valeur le 15 novembre 2002, alors même que les fonds avaient été mis à disposition de P. D. R. dès le 6 juin 2002 sous forme de découvert autorisé ;

Que la banque ne fournit aucune explication sur ce décalage dans le temps, qui dès lors ne peut s'expliquer que par le fait, comme le soutient le demandeur, que le cautionnement a été conclu postérieurement au contrat de prêt et non concomitamment et que dès lors, l'obtention de cette garantie devenait cruciale pour la banque qui avait d'ores et déjà exposé les fonds, au point de la faire contracter au détriment de l'information de la caution qui risquait de refuser sa garantie ;

II/ Sur le caractère déterminant de l'étendue du recours, personnel ou subrogatoire de J. N. :

Attendu qu'en l'espèce le fait que J. N. ait souhaité, comme cela ressort de ses conclusions, apporter une aide à son gendre afin que celui-ci puisse bénéficier d'un voilier pour participer à la course « le Vendée Globe » peut permettre de penser qu'il n'a pas fait de la capacité de P. D. R. à rembourser la totalité du prêt aux échéances une condition de son engagement ;

Que sa volonté de contracter en sachant qu'il prenait un risque conséquent d'être actionné en tant que caution est corroborée par son comportement postérieur à l'engagement contractuel et son paiement dès les premières échéances et sans être formellement actionné, des sommes dues par P. D. R. ;

Attendu cependant que rien ne permet au contraire d'affirmer que J. N. a entendu renoncer à bénéficier d'un recours effectif contre le débiteur principal P. D. R. et de la possibilité de se désintéresser par la saisie du navire et sa vente éventuelle ;

Que d'ailleurs le comportement postérieur de J. N. est en ce sens dans la mesure où il a effectivement tenté de faire saisir le navire si bien qu'il n'est pas démontré qu'il entendait par son engagement, fournir une libéralité à son gendre ;

Attendu que le CFM ne peut valablement soutenir que le recours de la caution était garantie du fait que P. D. R. était « copropriétaire » (sic) du navire, dans la mesure où il était associé de la CMMN ;

Qu'un tel raisonnement méconnaît la réalité de la personnalité morale de la société en ce que les recours ne peuvent s'effectuer sur le navire lui-même mais sur les parts sociales de la CMMN détenus par J. N. avec les aléas liés à la vie de la société, notamment le comportement des autres associés, l'existence de dettes de la société, préexistantes ou contractées ultérieurement ;

Attendu en conséquence que J. N. a fait, au moins tacitement, de la possibilité d'exercer valablement son recours contre le débiteur principal une condition de son engagement, que du fait de la réticence dolosive de la banque il y a lieu de constater que son consentement a été vicié et de prononcer la nullité du contrat de cautionnement en date du 5 juin 2002 ;

Attendu dès lors que les paiements de 100 935,18 euros, effectué le 27 août 2003, de 67 290,12 euros, effectué le 20 février 2004, en lien avec le contrat de cautionnement et l'exercice de la garantie par la banque pour 459 781,64 euros le 5 octobre 2004 sont touchés par la répétition issue de l'annulation et il y a lieu de condamner la banque au paiement de ces sommes à J. N. avec intérêts au taux légal à compter respectivement des 27 août 2003, 20 février 2004 et 5 octobre 2004 ;

Attendu qu'en application de l'article 1009 du Code civil, les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale ;

Attendu qu'en l'espèce, il ne peut pas y avoir lieu à capitalisation depuis le jour de la demande, la créance ne portant intérêts qu'à compter de la décision qui en consacre l'existence et qu'en conséquence les intérêts échus des capitaux dus pour une année entière produiront eux-mêmes intérêts et ce à compter du jugement ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Dit que les intérêts échus des capitaux dus pour une année entière produiront eux même intérêts, à compter du présent jugement ;

Rejette le surplus des demandes des parties ;

Condamne le CRÉDIT FONCIER DE MONACO aux dépens, distraits au profit de Maître Christiane Palmero, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition

Me Launoy, 1er juge ff prés. ; M. Dubes, prem. subst. proc. gén. ; Mes Palmero et Licari, av. déf. ; Me Pillon, av. bar. de Caen.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 8001
Date de la décision : 29/05/2008

Analyses

Contrat - Formation ; Garanties (Nantissement, privilège, cautionnement)


Parties
Demandeurs : J. N.
Défendeurs : SAM Crédit Foncier de Monaco

Références :

Code de la Mer
article 1876 du Code civil
article 971 du Code civil
article 1009 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;2008-05-29;8001 ?

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