La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/12/2006 | MONACO | N°27231

Monaco | Tribunal de première instance, 21 décembre 2006, Cts G. c/ Centre Hospitalier


Abstract

Établissement public

Centre Hospitalier Princesse Grace - Responsabilité - Transfusion sanguine ayant entraîné une contamination virale

Résumé

Il est constant que J.-F. G. a fait l'objet de transfusions sanguines, entre le 20 mars et le 21 mai 1987, lors de son hospitalisation au Centre Hospitalier Princesse Grace, et que les produits ont été fournis au moins partiellement par le Centre de transfusion sanguine rattaché à cet établissement hospitalier ;

Il convient, en premier lieu, d'observer que le Centre Hospitalier Princesse Grace, cré

e sous forme d'établissement public par la loi n° 127 du 15 janvier 1930, est régi par le...

Abstract

Établissement public

Centre Hospitalier Princesse Grace - Responsabilité - Transfusion sanguine ayant entraîné une contamination virale

Résumé

Il est constant que J.-F. G. a fait l'objet de transfusions sanguines, entre le 20 mars et le 21 mai 1987, lors de son hospitalisation au Centre Hospitalier Princesse Grace, et que les produits ont été fournis au moins partiellement par le Centre de transfusion sanguine rattaché à cet établissement hospitalier ;

Il convient, en premier lieu, d'observer que le Centre Hospitalier Princesse Grace, crée sous forme d'établissement public par la loi n° 127 du 15 janvier 1930, est régi par les dispositions de la loi n° 918 du 27 décembre 1971 sur les établissements publics ; que le Centre de transfusion sanguine, qui en dépend, ne dispose pas d'une personnalité juridique autonome ;

Le présent litige relatif à la responsabilité de cet établissement public hospitalier relève bien de la compétence du Tribunal de première instance, appliquant les règles de droit administratif, étant précisé et non contesté que J.-F. G. était soigné au moment des faits en régime hôpital est non en régime de clinique ouverte ;

En vertu des dispositions des lois n° 972 du 10 juin 1975 et n° 1.263 du 23 décembre 2002, un centre de transfusion sanguine a pour mission d'assurer la collecte, la préparation, la conservation et la délivrance de produits sanguins en vue d'une utilisation à des fins thérapeutiques ; qu'eu égard tant à la mission qui est ainsi confiée par la loi à un tel centre, qu'aux risques que présente la fourniture de produits sanguins, l'établissement public dont dépend un centre de transfusion sanguine, est responsable, même en l'absence de faute, des conséquences dommageables de la mauvaise qualité des produits fournis ; que le vice interne du sang, même indécelable, ne constitue pas une cause étrangère susceptible de l'exonérer de sa responsabilité ;

En outre, lorsqu'une personne démontre, d'une part, que la contamination virale dont elle est atteinte est survenue à la suite de transfusions sanguines, et d'autre part, qu'elle ne présente aucun mode de contamination qui lui soit propre, il appartient à l'établissement public, dont la responsabilité est recherchée, en raison de l'activité de son centre de transfusion sanguine, de prouver que les produits fournis étaient exempts de tout vice ;

Il convient de préciser, à cet égard, que la loi française n° 2002-303 du 4 mars 2002, tout comme les dispositions du Code civil français, n'ont pas vocation à s'appliquer en Principauté de Monaco ;

Le rapport de l'expert Cassuto, en date du 1er octobre 2001, qui relève d'un travail complet et détaillé, doit constituer une base d'appréciation sérieuse de la responsabilité encourue et d'évaluation des divers chefs de préjudice invoqués par les demandeurs ;

Il résulte des constatations de l'expert qu'entre le 2 et le 10 avril 1987, les transaminases Alat sont passées de 18 UI à 99 UI/1 (N 25 UI/1), et les transaminases Asat de 45 UI/1 à 162 UI (N 29 UI/1) ; que le professeur Cassuto relève à cet égard la survenance de l'hypertransaminasémie vingt et un jours après les premières transfusions, bien que la sérologie VHC positive de J.-F. G. n'ait été mise en évidence qu'au cours de l'année 1996, et rappelle que le virus de l'hépatite C n'a été authentifié qu'en 1989 ;

Par ailleurs, l'expert précise que J.-F. G. n'a pas subi de transfusion sanguine, avant son hospitalisation de 1987, n'était pas tatoué, ne se droguait pas, son alcoolisme étant par ailleurs signalé comme modéré, alors qu'aucune pathologie, ni aucun facteur de risque ne permettait de prévoir l'hépatite C ; qu'en outre, l'examen du dossier médical de J.-F. G. a permis d'établir qu'aucune nouvelle transfusion n'a été réalisée au cours d'hospitalisations postérieures à celles de 1987 ;

Si le Professeur Cassuto a souligné qu'il ne trouve pas d'autre mode de contamination hormis ceux liés à des soins lourds et prolongés, il a pourtant conclu à la haute probabilité de l'origine post-transfusionnelle de l'hépatite C, laquelle ne peut être exclue en l'absence de données objectives permettant de supposer l'existence de cet autre mode de contamination ;

Au contraire, la preuve n'est pas rapportée que les produits fournis étaient exempts de tout vice, dès lors que :

l'enquête transfusionnelle n'a pas permis d'identifier et de tester l'ensemble des 61 donneurs à l'origine des produits sanguins administrés,

il n'est pas démontré que la différence, sur une seule base, des séquences de la région 5' non codante de J.-F. G. et d'un des donneurs découvert VHC positif au cours de cette enquête, ne serait pas liée à une mutation spontanée, comme le suppose l'expert, ni que l'unité provenant de ce donneur n'aurait pas été distribuée, faute d'avoir porté un numéro d'identification, alors que l'urgence des soins prodigués peut expliquer que « l'enregistrement des numéros des produits n'ait pas été ce qu'il aurait dû être » ;

En conséquence, il convient de considérer que la contamination de J.-F. G. au virus de l'hépatite C était imputable aux transfusions des produits sanguins fournis en 1987 par le Centre de transfusion sanguine relevant du Centre Hospitalier Princesse Grace ; que cet établissement public est dès lors tenu de réparer les conséquences dommageables qui en sont résultées.

Motifs

Le tribunal de première instance,

Considérant les faits suivants :

la suite d'un grave accident du travail, J.-F. G. a subi, lors de son hospitalisation au Centre Hospitalier Princesse Grace, plusieurs transfusions sanguines du 20 mars au 21 mai 1987, les produits ayant été fournis par le Centre de transfusion sanguine relevant de cet établissement ;

En 1996, était découverte la sérologie VHC, virus de l'hépatite C, positive de J.-F. G. ;

Par Ordonnance de référé du 28 novembre 2000, le Président de ce Tribunal a désigné le Professeur Cassuto, en qualité d'expert, à l'effet de fournir toutes informations nécessaires sur les transfusions sanguines subies, les produits transfusés et l'origine de la contamination ;

L'expert ainsi commis a conclu aux termes d'un rapport établi le 1er octobre 2001 :

En ce qui concerne précisément Monsieur G. J.-F. :

Il a effectivement fait l'objet d'un accident de travail gravissime le 20 mars 1987, lequel a nécessité une chirurgie lourde et un apport transfusionnel massif.

Il présente effectivement une cirrhose post hépatique C attestée par des arguments biologiques et histologiques ayant nécessité un traitement d'Interferon pendant 6 mois sans efficacité virologique.

Parmi les 61 donneurs à l'origine des produits sanguins distribués à Monsieur G., un donneur a été retrouvé VHC positif.

Les transfusions étaient justifiées par l'état de santé de Monsieur G.

On ne retrouve pas d'autre mode de contamination hormis ceux liés à des soins lourds et prolongés. (...)

Compte tenu du fait que l'hypertransaminasémie à 99 UI/l pour les ASAT et 162 UI/l pour les ALAT est survenue 21 jours après les premières transfusions,

Compte tenu du fait que le donneur positif vis-à-vis du VHC est de génotype 1b comme Monsieur G.,

Compte tenu du fait que les deux séquences de la région 5' non codante du donneur et du receveur ne varient que par une seule base,

La probabilité que l'hépatite C présentée par Monsieur G. soit d'origine post-transfusionnelle est hautement probable.

Compte tenu du fait que les deux séquences génomiques virales du donneur et du receveur diffèrent par une base dans la région 5' non codante, cette différence qui porte sur la variation d'un acide aminé, adénine d'une part, et guanide d'autre part, relève très probablement d'une mutation spontanée. (...)

Les conséquences pour Monsieur G. J.-F. de cette infection par le virus de l'hépatite C sont une cirrhose avec varices oesophagiennes.

La date de consolidation peut être fixée à la date du bilan du 10 octobre 2000.

L'IPP est celle d'une cirrhose non décompensée Child A et est de 20 %.

L'ITT = 48 heures correspondant à la ponction biopsie hépatique.

Le pretium doloris, qui prend en compte les ligatures des varices oesophagiennes, l'astreinte liée aux injections d'interferon et la ponction biopsie hépatique, peut être estimé à 2,5/7.

Le préjudice esthétique est nul.

Le préjudice d'agrément est à documenter.

Selon exploit en date du 13 novembre 2002, J.-F. G. a fait assigner le Centre Hospitalier Princesse Grace aux fins de voir :

dire et juger que les transfusions sanguines qui lui ont été réalisées dans cet établissement en 1987 sont à l'origine de sa séropositivité au virus de l'hépatite C,

dire et juger que le défendeur est responsable de la mauvaise qualité des produits transfusés et tenu de réparer l'entier dommage qu'il subit,

condamner le Centre Hospitalier Princesse Grace à lui payer la somme de 155 000 euros, toutes causes de préjudices confondues ;

J.-F. G. est décédé le 2 octobre 2004 ;

Ses héritiers, M. C., veuve G. et P. G. ont déposé des conclusions aux fins de reprise d'instance ; ils demandent au Tribunal de leur donner acte de leur intervention volontaire, aux lieu et place de feu J.-F. G., et de condamner le Centre hospitalier Princesse Grace et son assureur à leur payer, en leur qualité d'ayant droit, la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts ainsi que la somme de 5 000 euros à titre d'indemnité pour les frais ;

l'appui de leurs prétentions, ils font valoir que :

J.-F. G. a subi des transfusions sanguines nécessitées par son état, qui sont des actes de soins courants, alors que les produits administrés étaient défectueux, de telle sorte que le Centre Hospitalier Princesse Grace est indiscutablement responsable, même en l'absence de faute, des conséquences dommageables de la mauvaise qualité du sang,

cet établissement public est, en effet, tenu de fournir des produits sanguins exempts de tout vice et ne pourrait s'exonérer de cette obligation que par la preuve d'une cause étrangère qui ne lui soit pas imputable, ce qu'il ne fait pas en l'espèce,

en l'état des conclusions expertales, la preuve du lien de causalité entre les transfusions sanguines et la séropositivité est rapportée, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une étude de séquence génomique plus fine,

ils bénéficient d'une présomption concernant l'origine transfusionnelle de la contamination de J.-F. G., dès lors qu'aux termes d'une jurisprudence constante des juridictions administratives françaises, le principe de responsabilité d'un Centre de transfusion sanguine a été reconnu du fait que ce dernier n'a pas été en mesure d'établir l'innocuité des produits transfusés, alors même que certains donneurs n'avaient pas pu être retrouvés,

ils sollicitent la somme de 50 000 euros au titre de l'incapacité permanente partielle dont J.-F. G. était atteint et du préjudice d'agrément, ainsi que la somme de 100 000 euros au titre de leur préjudice moral ainsi que du préjudice moral et du pretium doloris subis par le de cujus,

en leur qualité d'héritiers de J.-F. G., ils peuvent réclamer l'indemnisation de l'ensemble des préjudices, auxquels ce dernier était en droit de prétendre ;

Le Centre Hospitalier Princesse Grace sollicite le rejet des demandes et soutient :

qu'il n'existe pas de certitude sur le fait que les produits provenant du donneur, simplement retenus comme pouvant être à l'origine de la contamination, aient été injectés à la victime, dont la sérologie n'a été découverte que neuf années après les transfusions,

que l'expert a d'ailleurs rappelé les différentes causes possibles de contamination, alors que l'imputabilité à une origine post-transfusionnelle, bien que probable, n'est pas certaine ;

Par jugement du 30 janvier 2003, ce Tribunal a autorisé le Centre Hospitalier Princesse Grace à appeler en garantie la compagnie Axa Assurances ;

Selon exploit en date du 4 février 2003, le Centre Hospitalier Princesse Grace a fait assigner, en présence de J.-F. G., la société anonyme AXA Assurances aux fins de voir condamner son assureur à le relever et garantir de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ; il sollicite, en outre, la jonction de la présente instance avec celle introduite suivant exploit du 13 novembre 2002 par J.-F. G. à son encontre :

l'appui de ses prétentions, il expose :

qu'il adopte et fait siennes les conclusions de la société AXA,

que cependant, certains des préjudices invoqués par J.-F. G. dans sa demande, reprise par ses ayants-droit, sont des préjudices à caractère purement personnel, notamment le pretium doloris ou le préjudice moral, qui ne peuvent donner lieu à aucune indemnisation au profit des héritiers du de cujus, quelle que soit par ailleurs la décision du Tribunal sur l'incapacité permanente partielle,

que si la société défenderesse ne conteste plus sa garantie contractuelle, il n'en demeure pas moins que celle qui est applicable en la cause est la garantie A, laquelle concerne les dommages subis par tout receveur du fait d'une injection de sang effectuée par le personnel du Centre, et ce quand bien même le produit transfusé était défectueux,

que la garantie E s'applique quant à elle uniquement aux dommages causés par le sang et ses dérivés lorsqu'ils ont fait l'objet d'une livraison au sens de l'article 1er-9e du contrat, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, dès lors que le sang prétendument contaminé a été injecté mais n'a pas été livré,

qu'il s'ensuit qu'aucun plafond de garantie ne lui est opposable, bien que ce débat soit sans incidence sur la solution du présent litige, en l'état des réclamations formulées,

que la société AXA devra l'indemniser s'il devait être condamné ;

La société AXA France IARD, venant aux droits de la société AXA Assurances, demande au Tribunal de :

lui donner acte de qu'elle renonce à son moyen de rejet de garantie,

titre principal, constater qu'aucun lien causal, même par présomptions, n'est démontré entre les transfusions et la contamination,

en conséquence, déclarer l'appel en garantie infondé, dès lors que la demande principale ne saurait prospérer,

subsidiairement, constater que les prétentions financières des demandeurs sont excessives, en tout cas, point justifiées, et de les réduire à de justes proportions,

en tout état de cause, lui donner acte que sa garantie ne saurait dépasser d'une quelconque manière les limites conventionnelles ;

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

titre principal,

si l'enquête transfusionnelle a permis de contrôler 38 des 61 donneurs des produits sanguins reçus par J.-F. G., et de découvrir qu'un donneur s'est avéré séropositif au VHC postérieurement au don, il existe un doute évident, sur l'origine transfusionnelle de la contamination, en l'état de l'incertitude liée :

d'une part, à la réalité de la transfusion du produit du donneur en cause, en raison de l'impossibilité de retrouver les numéros d'identification d'un nombre important des produits fournis et notamment celui de l'unité de ce donneur,

et d'autre part, au lien direct entre ce donneur et le receveur, du fait de l'absence d'identité au niveau du séquençage, le seul moyen d'acquérir la certitude de ce lien direct est d'ordonner une expertise sous l'autorité d'un sapiteur en biologie moléculaire, lequel appréciera l'identité virale entre le donneur et J.-F. G.,

en outre, l'expert a relevé l'existence d'autres causes possibles de contamination liées « à des soins lourds et prolongés »,

en tout état de cause, il est de règle que le demandeur doit préalablement rapporter la preuve, dans les termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002, d'éléments laissant présumer l'origine transfusionnelle de la contamination et que ces présomptions ne sont retenues par le juge que si elles sont fondées sur des données objectives, précises, graves et concordantes, dans les termes de l'article 1353 du Code civil,

en admettant que le demandeur bénéficie d'une présomption simple de l'origine transfusionnelle de la contamination, il ressort des données de l'espèce qu'elle peut être combattue par des présomptions plus graves de contamination procédant d'autres origines, telles que les soins lourds et prolongés, notamment de nature invasive, subis par J.-F. G., en raison de complications consécutives à l'intervention chirurgicale ayant nécessité les transfusions,

le Tribunal constatera dès lors, qu'aucun élément suffisamment probant n'est apporté pour établir que les produits transfusés sont à l'origine de la contamination,

titre subsidiaire,

l'indemnisation de l'incapacité permanente partielle, qui se distingue du préjudice d'agrément, ne saurait excéder la somme de 24 700 euros, eu regard notamment à l'âge de J.-F. G. au moment de la découverte de sa séropositivité,

l'ITT de 48 heures ne saurait être calculée qu'en fonction des bulletins de salaires du de cujus qui n'ont pas été produits aux débats,

la réparation du pretium doloris qualifié par l'expert de léger pourrait être fixée à la somme de 1 700 euros, alors que les demandeurs devront s'expliquer sur leurs prétentions excessives, à hauteur de 100 000 euros, relatives au préjudice moral, qui n'est ni justifié, ni documenté,

En tout état de cause,

la responsabilité du Centre Hospitalier Princesse Grace est recherchée en raison d'un vice inhérent aux produits transfusés et non pas du fait d'un dommage né d'un geste invasif maladroit, de telle sorte qu'elle relève de la garantie E et non de la garantie A,

en effet, la contamination n'a pas pour cause directe l'injection du sang mais le produit lui-même,

il s'ensuit que sa garantie ne saurait dépasser les limites conventionnelles, à savoir le plafond de 499 574 euros pour l'année 1987, ce montant par année se réduisant et finalement s'épuisant par tout règlement amiable ou judiciaire d'indemnité, quels que soient les dommages auxquels ils se rapportent, sans reconstitution automatique de la garantie après règlement ;

Sur ce,

Attendu qu'il convient, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'ordonner la jonction des instances manifestement connexes enrôlées sous les numéros 215 et 408 de l'année judiciaire 2002-2003 ;

Attendu par ailleurs, qu'il y a lieu de constater que M. C., veuve G. et P. G., respectivement conjoint survivant et fils unique de J.-F. G., décédé le 2 octobre 2004, ont repris l'instance initiée par ce dernier, conformément aux dispositions de l'article 392 du Code de procédure civile ;

Attendu qu'il est constant que J.-F. G. a fait l'objet de transfusions sanguines, entre le 20 mars et le 21 mai 1987, lors de son hospitalisation au Centre Hospitalier Princesse Grace, et que les produits ont été fournis au moins partiellement par le Centre de transfusion sanguine rattaché à cet établissement hospitalier ;

Attendu qu'il convient, en premier lieu, d'observer que le Centre Hospitalier Princesse Grace, créé sous forme d'établissement public par la loi n° 127 du 15 janvier 1930, est régi par les dispositions de la loi n° 918 du 27 décembre 1971 sur les établissements publics ; que le Centre de transfusion sanguine, qui en dépend, ne dispose pas d'une personnalité juridique autonome ;

Attendu que le présent litige relatif à la responsabilité de cet établissement public hospitalier relève bien de la compétence du Tribunal de première instance, appliquant les règles de droit administratif, étant précisé et non contesté que J.-F. G. était soigné au moment des faits en régime hôpital et non en régime de clinique ouverte ;

Attendu qu'en vertu des dispositions des lois n° 972 du 10 juin 1975 et n° 1263 du 23 décembre 2002, un centre de transfusion sanguine a pour mission d'assurer la collecte, la préparation, la conservation et la délivrance de produits sanguins en vue d'une utilisation à des fins thérapeutiques ; qu'eu égard tant à la mission qui est ainsi confiée par la loi à un tel centre, qu'aux risques que présente la fourniture de produits sanguins, l'établissement public dont dépend un centre de transfusion sanguine, est responsable, même en l'absence de faute, des conséquences dommageables de la mauvaise qualité des produits fournis ; que le vice interne du sang, même indécelable, ne constitue pas une cause étrangère susceptible de l'exonérer de sa responsabilité ;

Attendu en outre, que lorsqu'une personne démontre, d'une part, que la contamination virale dont elle est atteinte est survenue à la suite de transfusions sanguines, et d'autre part, qu'elle ne présente aucun mode de contamination qui lui soit propre, il appartient à l'établissement public, dont la responsabilité est recherchée, en raison de l'activité de son centre de transfusion sanguine, de prouver que les produits fournis étaient exempts de tout vice ;

Attendu qu'il convient de préciser, à cet égard, que la loi française n° 2002-303 du 4 mars 2002, tout comme les dispositions du Code civil français, n'ont pas vocation à s'appliquer en Principauté de Monaco ;

Attendu que le rapport de l'expert Cassuto, en date du 1er octobre 2001, qui relève d'un travail complet et détaillé, doit constituer une base d'appréciation sérieuse de la responsabilité encourue et d'évaluation des divers chefs de préjudice invoqués par les demandeurs ;

Attendu qu'il résulte des constations de l'expert qu'entre le 2 et le 10 avril 1987, les transaminases Alat sont passées de 18 UI/l à 99 UI/l (N 25 UI/l), et les transminases Asat de 45 UI/l à 162 UI/l (N 29 UI/l) ; que le Professeur Cassuto relève à cet égard la survenance de l'hypertransaminasémie vingt et un jours après les premières transfusions, bien que la sérologie VHC positive de J.-F. G. n'ait été mise en évidence qu'au cours de l'année 1996, et rappelle que le virus de l'hépatite C n'a été authentifié qu'en 1989 ;

Attendu par ailleurs, que l'expert précise que J.-F. G. n'a pas subi de transfusion sanguine, avant son hospitalisation de 1987, n'était pas tatoué, ne se droguait pas, son alcoolisme étant par ailleurs signalé comme modéré, alors qu'aucune pathologie, ni aucun facteur de risque ne permettait de prévoir l'hépatite C ; qu'en outre, l'examen du dossier médical de J.-F. G. a permis d'établir qu'aucune nouvelle transfusion n'a été réalisée au cours d'hospitalisations postérieures à celle de 1987 ;

Attendu que si le Professeur Cassuto a souligné qu'il ne retrouve pas d'autre mode de contamination hormis ceux liés à des soins lourds et prolongés, il a pourtant conclu à la haute probabilité de l'origine post-transfusionnelle de l'hépatite C, laquelle ne peut être exclue en l'absence de donnée objectives permettant de supposer l'existence de cet autre mode de contamination ;

Attendu au contraire, que la preuve n'est pas rapportée que les produits fournis étaient exempts de tout vice, dès lors que :

l'enquête transfusionnelle n'a pas permis d'identifier et de tester l'ensemble des 61 donneurs à l'origine des produits sanguins administrés,

il n'est pas démontré que la différence, sur une seule base, des séquences de la région 5' non codante de J.-F. G. et d'un des donneurs découvert VHC positif au cours de cette enquête, ne serait pas liée à une mutation spontanée, comme le suppose l'expert, ni que l'unité provenant de ce donneur n'aurait pas été distribuée, faute d'avoir porté un numéro d'identification, alors que l'urgence des soins prodigués peut expliquer que « l'enregistrement des numéros des produits n'ait pas été ce qu'il aurait dû être » ;

Attendu en conséquence, qu'il convient de considérer que la contamination de J.-F. G. au virus de l'hépatite C était imputable aux transfusions des produits sanguins fournis en 1987 par le Centre de transfusion sanguine relevant du Centre Hospitalier Princesse Grace ; que cet établissement public est dès lors tenu de réparer les conséquences dommageables qui en sont résultées ;

Attendu que le droit à réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause ; que si la victime d'un dommage décède, son droit à réparation entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers ;

Attendu qu'il résulte du rapport d'expertise que la date de consolidation peut être fixée au 10 octobre 2000 et que le taux d'incapacité permanente partielle liée à une cirrhose Child A est de 20 % ; que du fait du décès de J.-F. G. intervenu le 2 octobre 2004, ses héritiers, qui ont repris l'instance, sont fondés à réclamer l'indemnisation du préjudice subi par la victime pour la période écoulée jusqu'au décès ; qu'il convient, eu égard à l'offre de la société AXA, que le Centre Hospitalier Princesse Grace a fait sienne, de fixer à 24 700 euros l'indemnité destinée à réparer ce poste de préjudice ;

Attendu que le préjudice d'agrément, qui se distingue du préjudice lié à l'incapacité permanente partielle, n'est en l'état pas établi, ni argumenté, de telle sorte qu'il ne sera accordé aucune indemnité de ce chef ;

Attendu que l'expert évalue le pretium doloris à 2,5 sur une échelle de 7 en tenant compte des ligatures des varices oesophagiennes, de l'astreinte liée à des injections d'interferon et de la ponction biopsie hépatique ; que les souffrances physiques ainsi endurées par J.-F. G. justifient l'allocation de la somme de 5 000 euros ;

Attendu par ailleurs, qu'il apparaît incontestable que J.-F. G. a subi un préjudice moral, à la suite de la découverte de sa séropositivité au virus de l'hépatite C, qui doit être évalué à la somme de 20 000 euros ;

Attendu cependant, que M. C., veuve G. et P. G., qui ont repris l'instance initiée par J.-F. G., ne peuvent prétendre qu'à l'indemnisation des préjudices subis par le de cujus et non de leurs propres préjudices, faute d'avoir fait délivrer une nouvelle assignation, de telle sorte que leur demande relative à la réparation de leur préjudice moral doit être déclarée irrecevable ;

Attendu en outre, qu'il ne saurait être reproché aucune faute au Centre Hospitalier Princesse Grace dans le cadre de la présente instance, de telle sorte que la demande de M. C., veuve G. et P. G. en paiement de la somme de 5 000 euros, au titre des frais, doit être rejetée ;

Attendu en définitive, qu'il convient de condamner le Centre Hospitalier Princesse Grace à payer à M. C., veuve G. et P. G. la somme de 49 700 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis par J.-F. G. du fait de la contamination au virus de l'hépatite C ;

Attendu que le Centre Hospitalier Princesse Grace, qui succombe, doit supporter les dépens de l'instance enrôlée sous le numéro 215 de l'année judiciaire 2002-2003, qui comprendront les frais de l'expertise diligentée par le Professeur Cassuto ainsi que ceux réservés par l'ordonnance de référé du 28 novembre 2000 ;

Attendu que la société AXA France IARD, venant aux droits de la société AXA Assurances, ne conteste pas sa garantie contractuelle ;

Attendu qu'il résulte des termes du contrat conclu entre la société AXA et le Centre Hospitalier Princesse Grace, pour le Centre de transfusion sanguine, que :

la garantie A « s'applique aux conséquences pécuniaires de la responsabilité civile contractuelle ou non contractuelle pouvant incomber au Centre (...), en raison de tous dommages corporels, matériels et immatériels subis par tout receveur du fait d'une injection de sang (ou de ses dérivés) effectuée par le personnel du Centre »,

la garantie E : R.C après livraison des produits « s'applique aux conséquences pécuniaires de la responsabilité civile pouvant incomber au Centre, à raison des dommages corporels, matériels et immatériels, causés par le sang et ses dérivés faisant l'objet d'une livraison au sens de l'article 1er-9°/ du présent contrat, lorsque ces dommages ont pour fait générateur un vice propre, ou une erreur dans la conception, la préparation, la transformation, le stockage, le conditionnement, les instructions d'emploi, la livraison et qu'ils surviennent après la livraison »,

l'article premier 9° précise que la livraison « constitue la remise effective par l'assuré d'un produit, dès lors que cette remise donne au nouveau détenteur du produit le pouvoir d'en user hors de toute intervention de l'assuré et de ses préposés » et que « n'est pas considérée comme livraison, la transfusion de sang et de produit pratiqué par l'assuré » ;

Attendu qu'il apparaît ainsi que, dans le cadre de l'assurance souscrite par le Centre Hospitalier Princesse Grace, pour l'activité de son centre de transfusion sanguine, il convient de distinguer les cas où les produits sanguins donnent lieu à une injection ou une transfusion au sein du Centre Hospitalier Princesse Grace (garantie A), de ceux où ils font l'objet d'une livraison auprès d'un établissement extérieur (garantie E) ;

Attendu en conséquence, que la responsabilité résultant des transfusions pratiquées au Centre Hospitalier Princesse Grace, au moyen des produits sanguins fournis par son centre de transfusion sanguine, relève de la garantie A, laquelle n'est soumise à aucune limitation conventionnelle pour les dommages corporels, les dommages matériels et immatériels étant pris à charge à concurrence de 2 000 000 francs, soit 304 898,03 euros par sinistre ;

Attendu dès lors, qu'il y a lieu de condamner la société AXA France IARD à relever et garantir le Centre Hospitalier Princesse Grace de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre, y compris les dépens ;

Attendu que la société AXA IARD, qui succombe, doit supporter les dépens de l'instance enrôlée sous le numéro 408 de l'année judiciaire 2002-2003 ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement,

Ordonne la jonction des instances enrôlées sous les numéros 215 et 408 de l'année judiciaire 2002-2003 ;

Constate que M. C., veuve G. et P. G. ont repris l'instance initiée par J.-F. G. ;

Dit que la contamination de J.-F. G., au virus de l'hépatite C, est imputable aux transfusions de produits sanguins, fournis en 1987 par le Centre de transfusion sanguine dépendant du Centre Hospitalier Princesse Grace ;

Condamne le Centre Hospitalier Princesse Grace à payer à M. C. veuve G. et P. G. la somme de 49 700 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation des préjudices subis par J.-F. G. du fait de cette contamination ;

Déclare irrecevable la demande de M. C., veuve G. et P. G. relative à la réparation de leur préjudice moral ;

Rejette le surplus des demandes des parties ;

Condamne le Centre Hospitalier Princesse Grace aux dépens de l'instance enrôlée sous le numéro 215 de l'année judiciaire 2002-2003, qui comprendront les frais de l'expertise diligentée par le Professeur Cassuto ainsi que ceux réservés par l'ordonnance de référé du 28 novembre 2000 avec distraction au profit de Maître Joëlle Pastor-Bensa, avocat-défenseur sous sa due affirmation ;

Condamne la société AXA France IARD venant aux droits de la société AXA Assurances à relever et garantir le Centre Hospitalier Princesse Grace de toutes les condamnations prononcées à son encontre, y compris les dépens ;

Condamne la société AXA France IARD aux dépens de l'instance enrôlée sous le numéro 408 de l'année judiciaire 2002-2003, avec distraction au profit de Maître Frank Michel et Maître Joëlle Pastor-Bensa, avocats-défenseurs sous leur due affirmation, chacun pour ce qui le concerne ;

Composition

Mme Grinda-Gambarini, prés. ; Mlle Ghenassa, juge ; M. Robin, juge ; Mme Gonelle, prem. subst. proc. gén. ; Mes Pastor-Bensa et Michel, av. déf. ; Pomatto, av. bar. de Nice.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 27231
Date de la décision : 21/12/2006

Analyses

Professions et actes médicaux ; Établissement de santé


Parties
Demandeurs : Cts G.
Défendeurs : Centre Hospitalier

Références :

article 102 de la loi du 4 mars 2002
loi n° 127 du 15 janvier 1930
article 392 du Code de procédure civile
article 1353 du Code civil
loi n° 918 du 27 décembre 1971
lois n° 972 du 10 juin 1975


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;2006-12-21;27231 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award