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23/03/2006 | MONACO | N°377994

Monaco | Tribunal de première instance, 23 mars 2006, H. c/ Société Prisma Presse


Abstract

Protection de la vie privée

Publication d'une photographie - Représentant la partie demanderesse au volant d'une motocyclette en compagnie de SAS la Princesse Stéphanie assise à l'arrière, à l'occasion d'un soutien apporté par celle-ci au Club Harley Davidson de Monaco lors d'une manifestation sportive - Atteinte du droit à l'image - Celle-ci ayant été fixée dans un lieu public en dehors de la vie professionnelle de l'intéressé qui est indentifiable, sans son consentement alors que celui-ci n'était point impliqué dans un événement justifiant la publicati

on de son image. Allocation à celui-ci de dommages-intérêts en réparation de...

Abstract

Protection de la vie privée

Publication d'une photographie - Représentant la partie demanderesse au volant d'une motocyclette en compagnie de SAS la Princesse Stéphanie assise à l'arrière, à l'occasion d'un soutien apporté par celle-ci au Club Harley Davidson de Monaco lors d'une manifestation sportive - Atteinte du droit à l'image - Celle-ci ayant été fixée dans un lieu public en dehors de la vie professionnelle de l'intéressé qui est indentifiable, sans son consentement alors que celui-ci n'était point impliqué dans un événement justifiant la publication de son image. Allocation à celui-ci de dommages-intérêts en réparation de son préjudice

Résumé

Aux termes des articles 8-1 et 10-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que toute personne a droit au respect de sa vie privée et qu'également toute personne a droit à la liberté d'expression, qui comprend le droit de recevoir ou de communiquer des informations ;

Ainsi une personne ne peut s'opposer à la réalisation et à la publication de son image chaque fois que le public a un intérêt légitime à connaître ses activités, un événement auquel elle participe ou dont elle est la cause, c'est-à-dire dans tous les cas où un intérêt général, en l'occurrence l'information du public, prime l'intérêt de l'individu à empêcher que ses traits ne soient fixés par l'objectif photographique et divulgués aux yeux d'autrui ;

En l'espèce, vainement la société Prisma Presse fait-elle valoir que du fait que la Princesse Stéphanie sourit en direction de l'objectif du photographe, il peut être déduit que le demandeur posait pour l'auteur du cliché ; ainsi, D. H., qui affirme ne pas avoir donné son accord à la fixation de son image n'est pas valablement contredit ; en outre, il est indifférent que la photographie provienne d'une agence de presse ;

La photographie, à la supposer de nature à contribuer au débat d'intérêt général, nécessitait d'autant moins d'exposer un tiers de manière identifiable, dans la mesure où l'information se focalisait sur SAS la Princesse Stéphanie et son soutien au Club Harley Davidson de Monaco, qui ne ressortit que de la seule vie privée de celle-ci et alors même qu'elle n'est pas partie au litige ;

À cet égard, D. H., personnage secondaire de la photographie ne peut être considéré comme individu non isolé impliqué dans un événement qui justifierait la publication de son image, en ce qu'il n'est pas démontré que la photographie se rattache à un événement particulier et que seulement deux personnages, parfaitement identifiables, se trouvent représentés ;

D. H., dont l'image a été fixée alors qu'il se trouvait manifestement dans un lieu public, en dehors de sa vie professionnelle, pouvait espérer légitimement voir sa vie privée protégée ;

Ainsi, la société Prisma Presse a porté une atteinte à la vie privée de D. H. en publiant son image sans son consentement, et ce, alors qu'il n'aurait pas été techniquement impossible de diffuser la photographie, en faisant en sorte que D. H. ne soit pas identifiable, tout en conservant au personnage sa qualité de pilote de motocyclette de marque Harley Davidson ;

Cette atteinte sera justement réparée par l'allocation de 5 000 euros de dommages-intérêts, compte tenu des éléments dont le Tribunal dispose.

Motifs

Le Tribunal,

Dans son numéro 590 du 29 septembre 2004, le magazine hebdomadaire « Gala », édité par la société en nom collectif de droit français Prisma Presse, présentait en page de couverture une photographie de SAS la Princesse Stéphanie et une mention « Son mari annonce leur rupture, Stéphanie à nouveau libre d'aimer », ainsi qu'un reportage intitulé « Stéphanie face à son destin » recouvrant les pages 29 à 32 du magazine :

Par acte en date du 39 novembre 2004, D. H. faisait assigner la société Prisma Presse devant le Tribunal de première instance de Monaco, aux fins de la voir condamnée au paiement de la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte au droit à l'image, atteinte à la vie privée génératrice d'un préjudice moral, ainsi que de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour avoir dû engager des frais pour assurer la défense de ses intérêts ;

À l'appui de sa demande, D. H. fait valoir qu'il figure sur une photographie occupant environ un tiers de la page 32 du magazine, le représentant au volant d'une motocyclette de marque Harley Davidson en compagnie de SAS la Princesse Stéphanie assise à l'arrière du véhicule deux roues ;

Il relève, en se fondant sur l'article 22 de la Constitution, ainsi que sur les articles 22 à 24 et 1229 du Code civil, que tout individu dispose d'un droit à l'image, qui interdit notamment la publication d'une photographie d'une personne sans son consentement, qui en l'espèce ferait défaut ;

En outre, il estime que cette photographie présenterait un caractère suggestif, laissant penser à l'existence d'une relation sentimentale qu'il entretiendrait avec SAS La Princesse Stéphanie, du fait de la dimension du cliché, de la teneur de la mention en couverture de l'hebdomadaire et du fait qu'il serait le seul individu de sexe mâle, hors famille princière, à apparaître sur la page concernée. Il estime ainsi subir un préjudice dans la mesure où, marié et père de deux enfants, il verrait son épouse, souvent interpellée et importunée sur la nature de la relation de son mari avec la Princesse, reconsidérer leur union ;

En défense, la société Prisma Presse conclut au débouté de toutes les demandes de D. H. Elle sollicite reconventionnellement sa condamnation au paiement d'une somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour les frais engagés à l'occasion de la procédure ;

Au soutien de ses prétentions, la société Prisma Presse estime que la photographie ne fait qu'illustrer l'appartenance et le soutien de SAS la Princesse Stéphanie au club Harley Davidson de Monaco et que le journal n'a jamais voulu donner une information sur une éventuelle idylle, fut-ce sur le mode de la suggestion. Ainsi, selon elle, D. H., dont le nom n'est pas cité dans la légende de la photographie, ne serait pas le sujet du cliché et l'illustration pertinente de l'information non fautive du soutien de SAS la Princesse Stéphanie au club Harley Davidson de Monaco, n'emporterait pas atteinte au droit à l'image de D. H., peu important qu'aucune autorisation n'ait été donnée aux fins de publication de la photographie ;

Sur quoi,

Sur le moyen tiré d'une atteinte à la vie privée en ce que la photographie serait révélatrice d'une relation sentimentale :

Attendu que pour apprécier la pertinence des allégations de D. H., il y a lieu de considérer le contenu de la publication litigieuse de la société Prisma Presse ;

Attendu qu'ainsi, il ressort tant de la mention en couverture du magazine que du contenu textuel de l'article recouvrant les pages 28 à 32 de l'hebdomadaire, que la défenderesse s'est bornée à traiter l'annonce à une chaîne de télévision espagnole et les conséquences de la rupture de A. L. P. avec son épouse SAS la Princesse Stéphanie ; qu'il n'est aucunement fait mention d'une quelconque relation sentimentale de SAS la Princesse Stéphanie et que, du fait que l'article ait trait à une séparation, il ne peut être déduit qu'une relation se soit nouée avec le demandeur ;

Qu'en ce qui concerne la page 32, sur laquelle se situe la photographie litigieuse, c'est à tort que D. H. fait valoir qu'il est le seul individu de sexe mâle représenté en dehors de membres de la famille princière, une photographie légendée représentant SAS la Princesse Stéphanie en compagnie de Maître Cornette de Saint-Cyr y figurant également ;

Qu'il apparaît en outre que cette page a vocation à illustrer divers centres d'intérêts de la Princesse, une colonne et la photographie la représentant en compagnie de Maître Cornette de Saint-Cyr étant consacrée à son activité sociale et caritative, deux photographies illustrant sa présence lors d'une rencontre sportive et une autre image la représentant lors d'une manifestation officielle ;

Que la photographie litigieuse ne peut que s'inscrire dans cette description des activités de la Princesse, en l'espèce sa participation à un club motocycliste, la légende de la photographie - loin d'évoquer le nom de D. H. - énonçant seulement : « quand Steph taille la route avec le club Harley Davidson de Monaco... » ;

Qu'en outre, il ne peut être tiré argument de ce que la reproduction de la photographie litigieuse soit la plus importante par la taille sur la page en question ;

Qu'en conséquence, le conducteur de la motocyclette, nullement cité nominativement, ni objet d'une quelconque description, n'est pas associé à la Princesse, mais au club Harley Davidson de Monaco ; que l'information diffusée par l'hebdomadaire tend au demeurant seulement à aviser le lecteur de l'appartenance audit club de la Princesse ; qu'ainsi, la photographie litigieuse ne peut avoir pour objet ni pour effet de dévoiler ou de suggérer une relation sentimentale, D. H. n'étant pas le sujet de la photographie, mais y apparaissant uniquement à titre de personnage secondaire ;

Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour atteinte au droit à l'image :

Attendu aux termes des articles 8-1 et 10-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que toute personne a droit au respect de sa vie privée et qu'également tout personne a droit à la liberté d'expression, qui comprend le droit de recevoir ou de communiquer des informations ;

Attendu qu'ainsi une personne ne peut s'opposer à la réalisation et à la publication de son image chaque fois que le public a un intérêt légitime à connaître ses activités, un événement auquel elle participe ou dont elle est la cause, c'est-à-dire dans tous les cas où un intérêt général, en l'occurrence l'information du public, prime l'intérêt de l'individu à empêcher que ses traits ne soient fixés par l'objectif photographique et divulgués aux yeux d'autrui ;

Attendu qu'en l'espèce, vainement la société Prisma Presse fait-elle valoir que du fait que la Princesse Stéphanie sourit en direction de l'objectif du photographe, il peut être déduit que le demandeur posait pour l'auteur du cliché ; qu'ainsi, D. H., qui affirme ne pas avoir donné son accord à la fixation de son image n'est pas valablement contredit ; qu'en outre, il est indifférent que la photographie provienne d'une agence de presse ;

Que la photographie, à la supposer de nature à contribuer au débat d'intérêt général, nécessitait d'autant moins d'exposer un tiers de manière identifiable, dans la mesure où l'information se focalisait sur SAS la Princesse Stéphanie et son soutien au Club Harley Davidson de Monaco, qui ne ressortit que de la seule vie privée de celle-ci et alors même qu'elle n'est pas partie au litige ;

Qu'à cet égard, D. H., personnage secondaire de la photographie ne peut être considéré comme un individu non isolé impliqué dans un événement qui justifierait la publication de son image, en ce qu'il n'est pas démontré que la photographie se rattache à un événement particulier et que seulement deux personnages, parfaitement identifiables, se trouvent représentés ;

Que D. H., dont l'image a été fixée alors qu'il se trouvait manifestement dans un lieu public, en dehors de sa vie professionnelle, pouvait espérer légitimement voir sa vie privée protégée ;

Qu'ainsi, la société Prisma Presse a porté une atteinte à la vie privée de D. H. en publiant son image sans son consentement, et ce, alors qu'il n'aurait pas été techniquement impossible de diffuser la photographie, en faisant en sorte que D. H. ne soit pas identifiable, tout en conservant au personnage sa qualité de pilote de motocyclette de marque Harley Davidson ;

Que cette atteinte sera justement réparée par l'allocation de 5 000 euros de dommages et intérêts, compte tenu des éléments dont le Tribunal dispose ;

Que la société Prisma Presse sera donc, de manière subséquente déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts ;

Sur la demande en paiement de D. H. d'une somme de 5 000 euros :

Attendu qu'au soutien de cette demande, D. H. se borne à affirmer qu'il a dû engager des frais, qu'il qualifie d'irrépétibles, pour assurer la défense de ses intérêts ;

Mais attendu que le fait d'exposer des frais pour assurer sa défense ne peut ouvrir droit, en tant que tel, à une demande d'indemnisation, cette demande sera donc rejetée ;

Sur les dépens :

Attendu que la société Prisma Presse, qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens, conformément aux dispositions de l'article 231 du Code de procédure civile ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

STATUANT CONTRADICTOIREMENT,

Condamne la société Prisma Presse à payer la somme de 5 000 euros à D. H., à titre de dommages et intérêts ;

Rejette le surplus de demandes de D. H. ;

Déboute la société Prisma Presse de toutes ses demandes ;

Composition

Mme Grinda-Gambarini prés. ; Mme Gonelle, prem. subst. proc. gén. ; Mes Escaut et Rey, av. déf.

Note

Dans cette affaire le Tribunal a dans sa motivation pris en considération deux dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, lesquelles s'opposent en protégeant deux droits différents : l'article 8-1 concernant le droit au respect de la vie privée, et l'article 10-1 concernant le droit à la liberté d'expression comprenant le droit de recevoir ou de communiquer des informations.

Décision sélectionnée par la Revue de Droit Monégasque pour son intérêt jurisprudentiel, Revue de Droit Monégasque, 2006, n° 8, p. 128 à 131.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : 377994
Date de la décision : 23/03/2006

Analyses

Droit à l'image


Parties
Demandeurs : H.
Défendeurs : Société Prisma Presse

Références :

articles 22 à 24 et 1229 du Code civil
article 22 de la Constitution
article 231 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;2006-03-23;377994 ?

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