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19/01/2006 | MONACO | N°27189

Monaco | Tribunal de première instance, 19 janvier 2006, Syndicat de la propriété de l'Immeuble 21 c/ SAM du Bord de Mer


Abstract

Copropriété

Pouvoirs du Syndicat des copropriétaires - Ordonnance-loi n° 662 du 23 mai 1959 (art. 5) - Administrateur des parties communes - Action en justice pour atteinte aux parties communes causant un préjudice subi collectivement touchant aux parties privatives : infiltrations d'eau sur les terrasses provenant de jardinières défectueuses - Syndic : désigné par l'assemblée générale pour ester en justice contre le promoteur-vendeur

Vente

Garantie du vendeur concernant les défauts de la chose vendue - Vices cachés la rendant impropre à l'us

age à laquelle elle est destinée (art. 1483 CC)

Résumé

Les lots dépendant de cet ens...

Abstract

Copropriété

Pouvoirs du Syndicat des copropriétaires - Ordonnance-loi n° 662 du 23 mai 1959 (art. 5) - Administrateur des parties communes - Action en justice pour atteinte aux parties communes causant un préjudice subi collectivement touchant aux parties privatives : infiltrations d'eau sur les terrasses provenant de jardinières défectueuses - Syndic : désigné par l'assemblée générale pour ester en justice contre le promoteur-vendeur

Vente

Garantie du vendeur concernant les défauts de la chose vendue - Vices cachés la rendant impropre à l'usage à laquelle elle est destinée (art. 1483 CC)

Résumé

Les lots dépendant de cet ensemble ont été vendus à divers acquéreurs entre lesquels a été organisée une copropriété dénommée Copropriété de l'immeuble : le 21 (ci-après désignée de façon simplifiée « le Copropriété »), régie par l'ordonnance-loi n° 662 du 23 mai 1959 ;

Rapidement, les infiltrations d'eau apparemment liées à l'arrosage des jardinières en polyester bordant les terrasses du bâtiment, ont été constatées ;

Ces jardinières constituent un ensemble important s'étendant sur plus de 600 mètres linéaires, soit 326 bacs ;

Sur la capacité de la copropriété à demander indemnisation des préjudices de jouissance subis par les copropriétaires

Le pouvoir d'administration des parties communes, tel qu'il est reconnu au syndicat des copropriétaires par l'article 5 de l'ordonnance-loi n° 662 du 23 mai 1959, comporte, selon ce texte, toutes les mesures d'application collective concernant exclusivement la jouissance et l'administration des parties communes ;

Le syndicat est, en conséquence, recevable à agir en justice tant en raison d'atteintes aux parties communes de l'immeuble qu'en réparation du préjudice subi collectivement par l'ensemble des copropriétaires à la suite de telles atteintes ;

Il en va ainsi même si ce préjudice touche à la jouissance de leurs parties privatives, dès lors qu'il trouve sa cause dans l'atteinte aux parties communes ;

La copropriété se réfère, au sujet du préjudice de jouissance qu'elle allègue, aux termes du rapport d'expertise ; l'expert a lui-même visé, avant de proposer une évaluation de ce préjudice, une délibération prise le 13 octobre 1999 par les copropriétaires réunis en assemblée générale (pages 127 et 147 du rapport d'expertise) ;

À cette occasion, les copropriétaires ont invoqué deux faits susceptibles de leur causer préjudice (annexe au rapport d'expertise n° 90) :

* les arrivées d'eau faisant obstacle à l'utilisation des terrasses,

* et la privation temporaire, durant les travaux de remplacement des jardinières, de l'agrément constitué par le décor végétal qu'elles contenaient ;

Il résulte des constatations de l'expert judiciaire que les infiltrations d'eau ont bien affecté, à partir de jardinières constituant des parties communes, des terrasses privatives situées en contrebas ;

Des tests de mise en eau, réalisés sur 150 bacs, soit presque la moitié des 326 bacs existants, ont révélé que 84 % d'entre eux étaient fuyards, soit en raison de la dégradation de leur matériau, soit à cause de canalisations de jonction défectueuses ;

En outre, les infiltrations ont été permises par un défaut de couvertines associées aux jardinières qui ne comportaient pas de larmier empêchant le déversement de l'eau sur les terrasses ;

Il est ainsi démontré que les désagréments invoqués auraient pour cause le mauvais comportement de parties communes et qu'ils auraient affecté de la même façon la totalité des copropriétaires ;

Il en résulte que le préjudice de jouissance allégué à la copropriété serait subi de la même façon par l'ensemble des copropriétaires, de sorte que la copropriété doit être déclarée recevable à en solliciter réparation pour leur compte ;

La copropriété agit ainsi conformément à la volonté des copropriétaires puisque ces derniers, réunis en assemblée générale le 21 mars 2001, ont décidé à l'unanimité de donner tous pouvoirs au syndic pour ester en justice afin d'obtenir la condamnation de tous responsables sur la base des constatations de l'expert judiciaire ;

Cette autorisation vise donc, notamment, le « préjudice immobilier pour trouble de jouissance des terrasses », évalué par l'expert à la page 147 de son rapport ;

Sur la garantie due par la société Bord De Mer en tant que venderesse

Il est manifeste que les titulaires de lots regroupés au sein de la Copropriété tirent leurs droits de contrats de vente qu'ils ont respectivement conclu avec la société Bord De Mer, ayant agi en tant que promoteur-vendeur de l'immeuble dénommé 21 ;

Les articles 1483 et 1484 du Code civil obligent le vendeur à garantie en raison des défauts qui rendent la chose vendue impropre à l'usage à laquelle on la destine, à la condition que ces défauts n'étaient pas tellement apparents que l'acheteur ait pu se convaincre lui-même de leur existence au moment de la vente ;

La description des défauts du système bacs-jardinières litigieux, telle qu'elle a été faite par l'expert judiciaire, n'est pas discutée par la société Bord De Mer qui prétend simplement ne pas en être responsable ;

L'expert a trouvé plusieurs causes cumulatives à l'écoulement d'eau sur les terrasses privatives :

* les bacs se sont avérés non étanches du fait de la mauvaise tenue du polyester utilisé pour leur construction ;

* des fuites sont survenues sur les jonctions d'évacuation entre bacs ;

* en raison du défaut de larmiers, de « goutte d'eau » ou de joints en plastique entre les bacs et les couvertines en marbre, les eaux pluviales ont pu ruisseler sous les couvertines sans être arrêtées, au lieu d'être acheminées vers le réseau général d'évacuation ;

* la déformation de certains bacs a permis à l'eau de se déverser en avant de la face verticale des couvertines ;

* l'absence de bouchon de dégorgement sur certaines canalisations a entraîné leur engorgement ;

* elle-même défectueuse, l'installation d'arrosage automatique a abouti à un arrosage excessif de certaines jardinières, qui a favorisé un ruissellement hors des bacs, et a même permis, par un mauvais positionnement des tubes d'alimentation en certains endroits, un arrosage hors des bacs ;

* les bacs ayant été remplis de terre végétale à un niveau excessif, le défaut de garde suffisante entre ce niveau et le bord des bacs a encore favorisé le ruissellement hors des jardinières ;

La société Bord De Mer ne prétend pas que ces défauts étaient décelables par un acheteur normalement diligent au moment de la vente ;

Leur nature était telle qu'une observation prolongée, s'étalant sur plusieurs jours, aurait été nécessaire pour permettre leur révélation ;

Certains n'étaient visibles que par temps de pluie tandis que d'autres ne sont apparus qu'en cours d'usage ;

Le défaut d'étanchéité des bacs-jardinières les a rendus impropres à leur destination qui est de permettre l'entretien de décorations végétales sans rejet d'eau préjudiciable sur les ouvrages environnants ;

Ce défaut a en effet entretenu, sur les terrasses privatives, la présence continuelle d'eaux de ruissellement, renouvelées lors de chaque arrosage journalier, et a empêché l'usage normal de ces terrasses ; en outre, le ruissellement a laissé des traces inesthétiques de coulure sur la façade de l'immeuble ;

La société Bord De Mer doit, en conséquence, répondre de ces défauts envers la Copropriété ;

Motifs

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

La société anonyme de droit monégasque dénommée Bord De Mer a fait édifier, entre 1990 et 1993, un important ensemble immobilier sis à Monaco ;

Les lots dépendant de cet ensemble ont été vendus à divers acquéreurs entre lesquels a été organisée une copropriété dénommée Copropriété de l'immeuble 21 (ci-après désignée de façon simplifiée « la Copropriété »), régie par l'ordonnance-loi n° 662 du 23 mai 1959 ;

Rapidement, des infiltrations d'eau, apparemment liées à l'arrosage des jardinières en polyester bordant les terrasses du bâtiment, ont été constatées ;

Ces jardinières constituent un ensemble important s'étendant sur plus de 600 mètres linéaires, soit 326 bacs ;

Saisi par la société Bord De Mer, le Juge des référés a ordonné, le 22 décembre 1994, une mesure d'expertise confiée à Jacques Mathieu ;

Plusieurs autres décisions du Juge des référés ont affecté le déroulement de l'expertise :

ordonnances des 4 avril 1995, 22 novembre 1995, 9 janvier 1997, 17 avril 1997 et 18 mai 1999 tendant à rendre les opérations d'expertise respectivement communes à H. B., liquidateur judiciaire de P. N., la société A. Via, la société Groupe Des Assurances Nationales (GAN), la société L. et la société B.,

ordonnance du 17 avril 1997 portant extension de la mission confiée à l'expert,

et ordonnance du 23 novembre 1998 autorisant la copropriété à faire effectuer à ses frais avancés, pour le compte de qui il appartiendra, divers travaux de remplacement des jardinières, tels que préconisés par l'expert ;

L'expert a clôturé, le 31 décembre 2000, le rapport constatant l'accomplissement de sa mission et l'a déposé au greffe le 23 janvier 2001 ;

Après avoir relevé que les ouvrages litigieux s'étaient substitués aux jardinières en béton initialement envisagées, l'expert les considère comme des gros ouvrages affectés d'un vice caché et estime que la responsabilité des désordres pourrait incomber à la fois à P. N., qui a mis en œuvre un matériau inapproprié, aux architectes et au contrôleur technique, faute pour eux d'avoir suivi les travaux, à la société L., pour omission d'adapter aux jardinières ses couvertines, conçues pour des bacs en béton, à la société B., pour mauvaise exécution de canalisations, et même au maître de l'ouvrage qui aurait négligé, personnellement ou par l'intermédiaire de son propre ingénieur chargé de suivre le chantier, de rappeler aux constructeurs la nécessité d'assurer la protection des terrasses sous-jacentes aux jardinières ;

Plusieurs instances ont alors été successivement engagées ;

I. - Instances introduites par la copropriété

A. - Première instance introduite le 28 septembre 2001 (n° 147 du rôle de l'année judiciaire 2001-2002)

la demande de la copropriété, cette affaire a été rayée du rôle le 20 novembre 2002 ;

B. - Instance engagée le 25 octobre 2002 (n° 183 du rôle de l'année judiciaire 2002-2003)

Suivant l'exploit susvisé du 25 octobre 2002, la Copropriété a fait assigner la société Bord De Mer et la société AGF ; elle a demandé au Tribunal, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :

d'homologuer le rapport d'expertise,

de déclarer la société Bord De Mer « responsable des désordres ayant affecté l'immeuble »,

de condamner solidairement les deux sociétés défenderesses à lui payer d'une part la somme de 1 015 353,14 euros correspondant au coût des travaux de réparation et de réfection déjà effectués, et d'autre part, à titre de réparation des « troubles de toute nature subis en l'état des désordres », la somme de 304 898,03 euros, le tout avec intérêts au taux légal à compter du 23 novembre 1998 ;

Dans ses conclusions des 13 octobre 2004 et 14 juillet 2005, la Copropriété n'a maintenu que ses demandes en paiement, tout en sollicitant la jonction de son instance avec celle qu'elle a ensuite engagée le 27 février 2004 (n° 488, ci-après relatée) ;

En outre, la copropriété demandait initialement au Tribunal :

d'ordonner la jonction de cette instance avec l'instance n° 147 ci-dessus évoquée,

de constater qu'il avait été « satisfait à l'exception d'irrecevabilité » soulevée par la société Bord De Mer à l'occasion de cette instance n° 147,

et de statuer sur les exceptions dilatoires opposées dans le cadre de cette dernière procédure ;

Elle n'a pas repris ces prétentions, devenues sans objet à la suite de la radiation de l'instance n° 147, dans ses dernières écritures ;

Concluant le 7 novembre 2002, la société Bord De Mer a simultanément présenté deux exceptions de procédure :

elle a soulevé l'irrecevabilité des demandes formées contre elle,

et elle a sollicité l'autorisation d'appeler « en cause et en garantie » les architectes, le bureau de contrôle, P. N., la société L., la société B. et la société AGF ;

La société AGF a, de son côté, demandé l'autorisation d'appeler « en la cause et en garantie » la société Bord De Mer, les architectes, le bureau de contrôle, la société L. et la société SMABTP ;

Par jugement du 23 janvier 2003, le Tribunal a fait droit à ces exceptions dilatoires, mais n'a pas statué sur l'exception d'irrecevabilité ;

La société Bord De Mer a conclu sur le fond les 11 février 2004, 13 octobre 2004 et 2 juin 2005 pour s'opposer aux demandes formées contre elle et, subsidiairement, pour invoquer la garantie de la société AGF ;

Elle a, en outre, sollicité la jonction de l'instance avec la procédure ouverte sur ses appels en garantie ;

Concluant le 15 mars 2004, la société AGF a également contesté tant la recevabilité que le bien-fondé des prétentions de la Copropriété ; à titre subsidiaire, elle a discuté le montant des réclamations faites par la demanderesse ; elle a enfin demandé la jonction de l'instance avec ses propres appels en garantie ;

C. - Instance introduite le 27 février 2004 (n° 488 de l'année judiciaire 2003-2004)

Les associés de la société Bord De Mer ont décidé de procéder à une dissolution anticipée, à compter du 30 septembre 2003, par une décision publiée le 6 février 2004 au Journal de Monaco ;

Par l'exploit susvisé du 27 février 2004, intitulé « Dénonciation et assignation en intervention forcée », la copropriété a fait assigner M. C., ès qualités de liquidateur amiable de la société Bord De Mer et a repris contre lui les demandes formées dans le cadre de l'instance n° 183 en sollicitant la jonction, tant avec cette procédure qu'avec celles ouvertes sur les appels en garantie précédemment évoqués ;

Le défendeur a conclu, les 13 octobre 2004 et 2 juin 2005, exactement dans les mêmes termes que ceux exprimés dans les écritures prises le même jour au nom de la société Bord De Mer à l'occasion de cette instance n° 183 ;

Le débat commun aux deux instances encore en cours peut être ainsi résumé :

Sur la recevabilité de l'action engagée par la Copropriété

-la société Bord De Mer et la société AGF soutiennent deux moyens d'irrecevabilité :

le défaut d'indication d'un quelconque fondement légal dans l'exploit introductif d'instance,

et le défaut de qualité du syndic à demander, pour le compte de copropriétaires, réparation de préjudices personnels afférents à des parties privatives, faute de justification tant d'un mandat donné par les copropriétaires au syndicat de copropriété que d'une autorisation d'ester en justice délivrée par le syndicat au syndic, compétent seulement pour prendre des mesures d'application collective ;

- sur le premier point, la Copropriété fait état de la responsabilité contractuelle de la société Bord De Mer et reprend l'appréciation de l'expert selon laquelle la copropriété n'a à connaître qu'un seul responsable « en première ligne » : la société Bord De Mer en ce qu'elle a vendu « clefs en main » les lots constitués dans l'immeuble,

- sur le fond, elle se prétend apte à agir en réparation d'un trouble collectif ou de troubles de jouissance subis par tous les copropriétaires, et elle précise que le syndic a été dûment autorisé à ester en justice ;

Sur les obligations de la société Bord De Mer envers la Copropriété

- la Copropriété invoque les qualités de société de promotion et de maître de l'ouvrage prises par la société Bord De Mer ; elle estime n'avoir de liens juridiques qu'avec le seul maître de l'ouvrage, à l'exclusion des constructeurs,

- la société Bord De Mer fait principalement valoir que la garantie due par l'assureur exclut sa propre responsabilité ; elle soutient ensuite, en s'appuyant sur le rapport de l'expert, que les maîtres d'œuvre, la société SOCOTEC et l'ensemble des entreprises intervenantes ont contribué, par leurs manquements respectifs, à la réalisation du préjudice lié aux jardinières litigieuses ; elle en déduit qu'aucun grief ne peut lui être imputé et « qu'il appartient (...) au demandeur de rechercher la responsabilité de ces intervenants » ;

Sur les obligations de la société AGF envers la copropriété

- la copropriété poursuit cet assureur en raison de la police d'assurance « décennale et biennale globale collective pour l'ensemble des ouvrages conçus et exécutés pour la construction de l'ensemble immobilier », telle qu'elle a été souscrite par la société Bord De Mer pour « sa protection technique personnelle et celle des constructeurs »,

- la société AGF soutient quatre moyens pour refuser la garantie prévue à la police d'assurance :

caractère apparent des désordres au moment de la réception : la société AGF fait valoir que les bacs litigieux étaient déjà notoirement fuyards en cours de chantier et que le maître de l'ouvrage, assisté de ses maîtres d'œuvre, a procédé, dans la précipitation, à une réception sans procéder à aucune vérification et en omettant sciemment de formuler des réserves, dans le seul but de faire jouer ensuite la police d'assurance ;

caractère volontaire et ou délibéré des agissements des parties : la société AGF reproche à la société Bord De Mer d'avoir, en choisissant P. N., opté pour l'entreprise la plus économique au mépris de toute considération technique et, même de la simple prudence ; elle fait également grief aux maîtres d'œuvre de s'être volontairement désintéressés tant de ce choix que du suivi du problème général des bacs-jardinières, comportement qu'elle assimile à des « carences délibérées » ;

garantie non acquise du fait de certains intervenants : la société AGF indique que la police litigieuse ne couvre ni le fait des fabricants liés au maître de l'ouvrage par un contrat de fabrication, en l'espèce P. N., ni celui du bureau de contrôle ; elle ajoute qu'elle ne saurait garantir l'emploi de matériaux non courants, tels ceux mis en œuvre par N. ; elle fait encore valoir qu'alors que la société Bord De Mer avait déclaré n'assumer aucune mission de maîtrise d'œuvre, elle s'est en réalité ingérée dans la maîtrise d'œuvre en optant pour les bacs en polyester qui se sont révélés défectueux ;

absence de garantie des dommages immatériels : relevant que l'assuré n'a pas souscrit la garantie des dommages immatériels, l'assureur en déduit que les demandes de la copropriété relatives au préjudice qualifié « immatériel » ne sauraient être admises ;

La copropriété a répliqué :

qu'une première réception des jardinières a donné lieu à des réserves et que la réception sans réserve n'est intervenue qu'après reprise des ouvrages défectueux,

qu'il n'y a pas eu faute dolosive des constructeurs ;

Mais elle ne s'est pas expliquée au sujet de la garantie du préjudice immatériel ;

Sur l'indemnisation

- la copropriété détaille ainsi ses demandes :

au titre du préjudice matériel constitué par le coût des travaux de reprise des malfaçons : 1 015 353,14 euros,

et au titre d'un préjudice qualifié « immatériel », constitué d'une part par un trouble de jouissance (calculé sur la base de deux années de location d'une superficie de 7 000 m2, soit 228 673,53 euros), et d'autre part par le coût des dépenses faites en raison des malfaçons (honoraires spéciaux payés notamment à des conseils spéciaux ou au syndic, soit 76 529,41 euros) : un total, selon l'exploit introductif d'instance, de 304 898,03 euros ;

Sur la nécessité de remplacer les bacs

- la société Bord De Mer prétend, à titre subsidiaire, que le remplacement des bacs en polyester par des bacs en inox constitue une amélioration, de sorte qu'elle ne saurait être tenue que pour le coût d'un remplacement « à l'identique »,

- de même, la société AGF allègue que la copropriété ne peut pas bénéficier d'un enrichissement en obtenant la prise en charge de travaux au-delà du coût de la réfection dans le matériau d'origine ou un matériau similaire,

- la Copropriété réplique que ses adversaires ne démontrent pas la réalité de l'amélioration ; elle précise que la solution de bacs en inox s'est imposée car la reprise des malfaçons par le procédé « Etandex » n'aurait pas permis d'éliminer toutes les origines des coulures et n'a pas été avalisée par un bureau de contrôle indépendant ;

Sur le préjudice de jouissance

- en s'appuyant sur le rapport d'expertise, la copropriété soutient :

que le préjudice de jouissance a été subi du début de l'année 1994 à juillet 1999, date de fin des travaux de remplacement des jardinières,

que la superficie des lots privatifs est d'environ 7 000 m2, correspondant, conformément à un ratio de construction habituel, à 76 % de la surface hors œuvre, le surplus étant affecté aux parties communes,

que leur valeur moyenne annuelle de location est de 3 500 francs par mètre carré, soit un total de 24 500 000 francs par an ;

que le préjudice se trouve limité par le fait que les terrasses représentent un quart des surfaces de chaque appartement, que leur valeur de location doit être pondérée de moitié, que les désordres n'ont affecté que la moitié de la superficie des terrasses et que celles-ci ne sont utilisables que les deux tiers du temps durant la moitié de l'année, de sorte qu'on aboutit à un coefficient de réduction de 2,0625 (100 x 1/4 de la surface des appartements x moitié de valeur x 2/3 du temps journalier x moitié de l'année x moitié de la surface affectée),

qu'en prenant pour base seulement trois années, on aboutit au chiffre de 1 515 937 francs (24 500 000 x 2,0625 % x 3 ans) ;

- la société Bord De Mer estime que moins de la moitié de la superficie des terrasses a été affectée par les désordres,

- la société AGF prétend que les balcons situés au sommet de l'immeuble sont demeurés totalement utilisables et que les autres, protégés par les balcons supérieurs, n'ont été affectés que sur moitié de leur surface ; elle ajoute que les travaux de réfection, entrepris depuis l'extérieur, n'ont pas affecté l'usage des terrasses, que la plupart des lots privatifs ne constituent que des résidences secondaires et que le niveau excessif des terres dans les bacs a contribué à la réalisation du préjudice ;

II. - Instances en garanties

A. - Instance introduite le 6 février 2003 par la société Bord De Mer (n° 595 du rôle de l'année judiciaire 2002-2003)

Suivant l'exploit d'assignation du 6 février 2003 et l'exploit de réassignation du 15 avril 2003, susvisés, la société Bord De Mer a fait assigner, en présence de la Copropriété, les assureurs et constructeurs qu'elle entendait appeler en garantie, y compris H. B., mandataire liquidateur à la liquidation de P. N. ;

Elle demandait, outre la jonction avec l'instance principale de la copropriété, la condamnation de ces défendeurs à la relever et garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée contre elle au profit de la copropriété ;

Elle a soutenu ses prétentions dans ses écritures des 13 octobre 2004 et 2 juin 2005, y ajoutant une demande de jonction avec l'instance n° 488 ;

R. B. et T. V. ont conclu le 19 janvier 2005 pour contester être responsables des désordres litigieux et soutenir que leurs conséquences devaient être prises en charge par l'assureur ;

Reconventionnellement, ils ont demandé au Tribunal d' « allouer aux deux architectes » une indemnité de 5 000 euros en réparation du préjudice causé par l' « instance abusive » ;

Concluant le 11 février 2004, la société SOCOTEC s'est opposée aux prétentions de la société Bord De Mer ; subsidiairement, elle a invoqué d'une part, la garantie de cette société, de P. N., des architectes, de la société L. et de la société B., et d'autre part, une clause limitative de responsabilité prévue au contrat ;

Elle a, en outre, sollicité la condamnation de la société Bord De Mer à lui payer une indemnité de 3 000 euros destinée à réparer le préjudice financier et moral causé par la nécessité dans laquelle elle s'est trouvée de se défendre en justice ;

La société AGF s'est exprimée le 15 mars 2004 ;

Elle a conclu à la jonction de l'instance avec l'instance principale et a déclaré « faire sienne » l'exception d'irrecevabilité invoquée par la société Bord De Mer contre la copropriété ;

Elle s'est opposée à la demande en garantie ; à titre subsidiaire, elle a sollicité la réduction des prétentions de la copropriété et a invoqué la garantie de la société Bord De Mer, des architectes, de la société SOCOTEC et de l'assureur SMA-BTP ;

Par conclusions du 13 octobre 2004, la copropriété a demandé au Tribunal :

de ne pas ordonner la jonction sollicitée,

de la mettre hors de cause,

de condamner M. C., ès qualités de liquidateur de la société Bord De Mer, à lui payer une indemnité de 20 000 euros « pour procédure manifestement dilatoire et abusive » ;

subsidiairement, de « statuer ce qu'il appartiendra » ;

Ni P. N., ni son mandataire-liquidateur, ni la société L., ni la société B. n'ont comparu ;

B. - Instance introduite le 28 février 2003 par la société AGF (n° 418 du rôle de l'année judiciaire 2002-2003)

Suivant l'exploit susvisé du 28 février 2003, la société AGF a fait assigner, en présence de la Copropriété, la société Bord De Mer, les architectes, la société SOCOTEC, son assureur la société SMABTP et la société L. pour demander leur condamnation solidaire à la garantir ;

Le 17 mars 2004, la société AGF a déclaré renoncer à agir contre la société L. ;

Les architectes ont conclu, les 17 décembre 2003 et 19 janvier 2005, au rejet des prétentions formées contre eux ; ils ont sollicité, à titre reconventionnel, la condamnation de la société AGF à leur payer la somme de 5 000 euros « pour procédure abusive » ;

La société Bord De Mer s'est de même opposé, par ses écritures des 11 février et 13 octobre 2004, aux prétentions formées contre elle ;

Concluant le 11 février 2004, la société SOCOTEC et la société SMABTP se sont seulement exprimées sur les prétentions de la société Bord De Mer ; subsidiairement, elles ont invoqué d'une part, la garantie de cette société, de P. N., des architectes, de la société L. et de la société B., et d'autre part, une clause limitative de responsabilité prévue au contrat ;

Elles ont, en outre, sollicité la condamnation de la société Bord De Mer à leur payer à chacune une indemnité de 3 000 euros destinée à réparer le préjudice financier et moral causé par la nécessité dans laquelle elles se sont trouvées de se défendre en justice ;

titre subsidiaire, elles ont demandé au Tribunal, par leurs dernières écritures du 21 avril 2004, de constater l'existence d'un plafond de garantie et d'une franchise contractuels ;

Par conclusions du 13 octobre 2004, la copropriété a demandé au Tribunal :

de ne pas ordonner la jonction avec son instance principale,

de la mettre hors de cause,

de déclarer irrecevable l'exception d'irrecevabilité présentée contre elle par la société AGF,

de condamner la société AGF à lui payer une indemnité de 20 000 euros « pour procédure manifestement dilatoire et abusive » ;

subsidiairement, de « statuer ce qu'il appartiendra » ;

La société L. n'a pas comparu ;

Les parties ont débattu des moyens de fait et de droit suivants :

Sur la présence dans la cause de la copropriété

- La société Bord De Mer fait valoir que la procédure d'appel en garantie doit impérativement se dérouler au contradictoire du demandeur principal ;

Sur les obligations de P. N.

- se fondant sur le rapport d'expertise, la société Bord De Mer fait valoir que le polyester utilisé pour fabriquer les bacs s'est dégradé en raison de fuites sur les jonctions entre bacs qui ont provoqué l'intrusion d'eau et d'humidité dans le matériau par capillarité, rendant ainsi les jardinières impropres à leur destination ; elle ajoute que, loin d'avoir été dicté par un souci d'économie, le choix du polyester s'explique par le fait que les jardinières en béton fibré, initialement prévues, se sont avérés trop lourdes pour être installées en extrémité de terrasse ;

Sur les obligations des architectes

- appuyée par la Copropriété, la société Bord De Mer leur reproche d'avoir manqué à leur devoir d'information et de conseil alors qu'ils avaient un rôle de direction et de contrôle du chantier, qu'ils ont été les concepteurs des bacs litigieux et qu'ils devaient, à leur sujet, apporter leurs conseils tant sur le choix des matériaux que sur la forme même des jardinières ; elle leur fait grief :

de ne pas avoir établi de devis descriptif au sujet des bacs litigieux, soit avant leur commande, soit au moins dès sa passation, alors que ces jardinières constituent des gros ouvrages participant à rendre chaque terrasse propre à sa destination,

et de ne pas avoir coordonné les dispositions à mettre en œuvre pour intégrer dans la construction les bacs litigieux, faute d'établir un nouveau dessin de détail, et de demander à la société L. la fourniture de couvertines, avec larmier et bavette métallique, adaptées aux bacs en polyester et aptes à assurer l'étanchéité à l'eau de pluie et au débordement des bacs ;

- la société AGF reprend les dires de l'expert ;

- les architectes indiquent que le « contrat d'architecte monégasque ne comprend pas la mission d'élaboration des plans d'exécution et s'arrête pour la conception à un projet architectural et à un dossier de consultation, seules les entreprises sont chargées des plans d'exécution » ; ils contestent s'être désintéressés des jardinières et affirment, au contraire, qu'ils ont communiqué à la société L. des « détails de principe avec couvertine » en rappelant leur nécessité, qu'ils sont intervenus pour rappeler les contraintes liées aux exutoires et leur position en lieu et place de l'ingénieur du maître de l'ouvrage S., défaillant, et de la société B., placée en cours de chantier en cessation des paiements, et qu'ils se sont encore souciés de la rigidité des bacs en recherchant le renforcement de leurs supports métalliques ; ils soutiennent que c'est N., seul spécialiste du produit litigieux et directement lié au maître de l'ouvrage, qui a préconisé et conçu les bacs en polyester et qu'il lui appartenait d'attirer l'attention sur le problème de protection des flancs extérieurs de ses ouvrages, ce qu'il n'a pas fait ; ils ajoutent, en ce qui concerne le collage des embouts de canalisation, qu'ils se sont conformés à l'avis du bureau de contrôle ;

Sur les obligations de la société SOCOTEC

- selon la société Bord De Mer et la Copropriété, elle n'a jamais émis aucune réserve sur l'utilisation du polyester et a méconnu tant ses caractéristiques que ses critères impératifs d'utilisation,

- la société AGF reprend les conclusions du rapport d'expertise ;

- critiquant le rapport d'expertise, la société SOCOTEC soutient que sa mission était limitée aux seules fondations et structures de l'immeuble, à des éléments dissociables ou des travaux d'aménagement extérieurs aux bâtiments ; elle précise qu'elle n'était tenue ni d'établir des projets ou plans d'exécution, ni d'être présente en permanence sur le chantier, ni d'y effectuer de fréquentes visites, ni de participer à la direction ou à la surveillance des travaux ; elle explique qu'elle n'a été associée ni à la conception des bacs litigieux, qui a été assurée conjointement par les architectes et P. N., ni a l'agrément des matériaux utilisés, ni à la réception des bacs ; elle ajoute qu'au demeurant, sa mission d'essai de matériaux ne concernait que la vérification de leur résistance, non mise en cause au sujet des bacs litigieux dont seule la réaction à l'eau et à l'humidité est en cause ; elle rappelle que l'emploi du polyester est courant pour réaliser de tels éléments et fait observer que l'expert n'a pas précisé si les désordres ont eu pour origine le polyester lui-même ou l'absence d'un revêtement de type « gel coat » sur les faces externes des bacs ;

Sur les obligations de la société SMABTP

- la société AGF la poursuit en tant qu'assureur de responsabilité de la société SOCOTEC ;

Sur les obligations de la société L.

- la société Bord De Mer fait valoir qu'elle a omis d'informer le maître d'œuvre de la nécessité, en raison du recours à des bacs en polyester, de poser un larmier ou tout autre aménagement propres à ramener les eaux de ruissellement dans ces bacs ;

Sur les obligations de la société B.

- la société Bord De Mer lui reproche d'avoir négligé de placer des bouchons de dégorgement sur les canalisations liées aux bacs et d'avoir suspendu certaines d'entre elles au mépris des règles de l'art les plus élémentaires ;

Sur les obligations de la société AGF

- la société Bord De Mer invoque la garantie attachée à la police d'assurance déjà évoquée plus haut ;

- la société AGF reprend les moyens déjà exposés dans le cadre des instances principales initiées par la copropriété ;

- les architectes expliquent que la réception sans réserve n'a été prononcée qu'après des réserves et des essais par sondages préalables et contestent que des désordres aient été encore apparents au moment de cette réception ; ils estiment que la police litigieuse garantit la responsabilité décennale des constructeurs et du maître de l'ouvrage, alors même que P. N. ne ferait pas partie des assurés de cette police ;

Sur les obligations de la société Bord De Mer

- la société AGF reproche à la société Bord De Mer d'avoir cherché, en s'adressant à P. N. pour réaliser les bacs litigieux, à réaliser des économies sans vraisemblablement rappeler le caractère impératif de la protection des jardinières sous-jacentes et sans procéder à une étude comparative sérieuse avec les propositions de la société EDIL BETON ;

- la société Bord De Mer répond que l'obligation de garantie qui pèse sur la société AGF est incompatible avec l'appel en garantie dirigé contre son propre assuré ; elle observe que l'ensemble des intervenants à la construction ont pour assureur la société AGF ; elle conteste avoir commis une quelconque faute à l'occasion du choix du matériau mis en œuvre dans les bacs et explique qu'en réalité, le recours au béton fibré a été exclu en raison du poids excessif de ce matériau et que les désordres ont eu pour cause, non le matériau lui-même, mais le défaut de compétence technique des intervenants ; elle estime, en outre, qu'il ne lui incombait nullement d'attirer l'attention de ses architectes sur la nécessité d'obtenir des garanties d'étanchéité alors que cette diligence entrait dans les attributions tant des architectes que du bureau de contrôle technique ;

Sur quoi,

Attendu que les deux instances engagées par la copropriété ont le même objet et visent toutes deux la société Bord De Mer ; que leur jonction s'impose en l'état de la connexité qui les lie ;

Attendu que la société Bord De Mer et la société AGF ont été respectivement autorisées, en vertu du jugement précité du 23 janvier 2003, à appeler diverses personnes en garantie ;

Attendu qu'il résulte de l'article 271 du Code de procédure civile qu'il doit être statué, par un seul et même jugement, sur la demande originaire et sur la demande en garantie dès lors qu'elles se trouvent pareillement en état d'être jugées, sauf la faculté pour le demandeur originaire de provoquer le jugement séparé de ses prétentions ;

Attendu que les deux instances en garantie ont été instruites sans que la copropriété ait sollicité le jugement séparé de sa demande ; que ces deux instances sont en état d'être jugées ; que le Tribunal se trouve donc tenu d'ordonner leur jonction avec les instances principales ouvertes à l'initiative de la copropriété ;

Attendu que les parties défaillantes ont été régulièrement réassignées tandis que certaines ont comparu ; qu'il y a donc lieu de statuer par jugement réputé contradictoire, conformément à l'article 217 du Code de procédure civile ;

I. - Sur la recevabilité des demandes présentées par la Copropriété

A. - Sur la discussion relative au fondement légal de ses demandes

Attendu qu'ainsi que l'a déjà énoncé le Tribunal dans les motifs de son jugement précité du 23 janvier 2003, la demande présentée par la copropriété contre la société Bord De Mer a pour fondement, implicite mais nécessaire, l'article 1002 du Code civil, s'agissant d'une action indemnitaire de nature contractuelle ;

Attendu que l'exploit d'assignation se référait expressément au rapport d'expertise, établi au contradictoire de la société Bord De Mer ; que l'expert mettait en cause sa responsabilité en raison du fait qu'elle avait « vendu, clefs en mains, chacun des lots constituant la copropriété » (page 129 du rapport) ;

Attendu que la copropriété a ensuite expressément invoqué, dans ses conclusions du 13 octobre 2004, la responsabilité contractuelle de la société Bord De Mer, se référant pareillement aux contrats portant vente des divers lots dépendant de la copropriété instituée en vertu de l'ordonnance-loi n° 662 du 23 mai 1959 ; qu'elle a, en outre, renoncé à son chef de demande tendant à faire déclarer la société Bord De Mer responsable des désordres affectant l'immeuble, se référant ainsi nécessairement aux seuls principes régissant le droit de la vente ;

Attendu que le fondement légal de ses demandes s'est donc trouvé suffisamment défini pour permettre à la société Bord De Mer de se défendre ;

Attendu en outre qu'à supposer même que l'exploit introductif d'instance n'ait pas contenu l'exposé sommaire des moyens de droit exigé par l'article 156 du Code de procédure civile, cette carence ne serait pas susceptible d'entraîner l'irrecevabilité des demandes, mais seulement la nullité de l'exploit introductif d'instance prévue par ce texte ;

Attendu que la société Bord De Mer doit, en conséquence, être déboutée de cette branche de son exception d'irrecevabilité ;

B. - Sur la capacité de la Copropriété à demander indemnisation des préjudices de jouissance subis par les copropriétaires

Attendu que le pouvoir d'administration des parties communes, tel qu'il est reconnu au syndicat des copropriétaires par l'article 5 de l'ordonnance-loi n° 662 du 23 mai 1959, comporte, selon ce texte, toutes les mesures d'application collective concernant exclusivement la jouissance et l'administration des parties communes ;

Attendu que le syndicat est, en conséquence, recevable à agir en justice tant en raison d'atteintes aux parties communes de l'immeuble qu'en réparation du préjudice subi collectivement par l'ensemble des copropriétaires à la suite de telles atteintes ;

Qu'il en va ainsi même si ce préjudice touche à la jouissance de leurs parties privatives, dès lors qu'il trouve sa cause dans l'atteinte aux parties communes ;

Attendu que la copropriété se réfère, au sujet du préjudice de jouissance qu'elle allègue, aux termes du rapport d'expertise ; que l'expert a lui-même visé, avant de proposer une évaluation de ce préjudice, une délibération prise le 13 octobre 1999 par les copropriétaires réunis en assemblée générale (pages 127 et 147 du rapport d'expertise) ;

Attendu qu'à cette occasion, les copropriétaires ont invoqué deux faits susceptibles de leur causer préjudice (annexe au rapport d'expertise n° 90) :

les arrivées d'eau faisant obstacle à l'utilisation des terrasses,

et la privation temporaire, durant les travaux de remplacement des jardinières, de l'agrément constitué par le décor végétal qu'elles contenaient ;

Attendu qu'il résulte des constatations de l'expert judiciaire que des infiltrations d'eau ont bien affecté, à partir des jardinières constituant des parties communes, des terrasses privatives situées en contrebas ;

Que des tests de mise en eau, réalisés sur 150 bacs, soit presque la moitié des 326 bacs existants, ont révélé que 84 % d'entre eux étaient fuyards, soit en raison de la dégradation de leur matériaux, soit à cause de canalisations de jonctions défectueuses ;

Qu'en outre, les infiltrations ont été permises par un défaut des couvertines associées aux jardinières qui ne comportaient pas de larmier empêchant le déversement de l'eau sur les terrasses ;

Attendu qu'il en est ainsi démontré que les désagréments invoqués auraient pour cause le mauvais comportement de parties communes et qu'ils auraient affecté de la même façon la totalité des copropriétaires ;

Attendu qu'il en résulte que le préjudice de jouissance allégué par la copropriété serait subi de la même façon par l'ensemble des copropriétaires, de sorte que la copropriété doit être déclarée recevable à en solliciter réparation pour leur compte ;

Attendu que la copropriété agit ainsi conformément à la volonté des copropriétaires puisque ces derniers, réunis en assemblée générale le 21 mars 2001, ont décidé à l'unanimité de donner tous pouvoirs au syndic pour ester en justice afin d'obtenir la condamnation de tous responsables sur la base des constatations de l'expert judiciaire ;

Que cette autorisation vise donc, notamment, le « préjudice immobilier pour trouble de jouissance des terrasses », évalué par l'expert à la page 147 de son rapport ;

Attendu que l'exception d'irrecevabilité présentée par la société Bord De Mer et par la société AGF doit, en conséquence, être rejetée ;

II. - Sur les obligations de la société Bord De Mer

A. - Sur la garantie due par la société Bord De Mer en tant que venderesse

Attendu qu'il est manifeste que les titulaires de lots regroupés au sein de la copropriété tirent leurs droits de contrats de vente qu'ils ont respectivement conclus avec la société Bord De Mer, ayant agi en tant que promoteur-vendeur de l'immeuble dénommé 21 ;

Attendu que les articles 1483 et 1484 du Code civil obligent le vendeur à garantie en raison des défauts qui rendent la chose vendue impropre à l'usage à laquelle on la destine, à la condition que ces défauts n'étaient pas tellement apparents que l'acheteur ait pu se convaincre lui-même de leur existence au moment de la vente ;

Attendu que la description des défauts du système de bacs-jardinières litigieux, telle qu'elle a été faite par l'expert judiciaire, n'est pas discutée par la société Bord De Mer qui prétend simplement ne pas en être responsable ;

Que l'expert a trouvé plusieurs causes cumulatives à l'écoulement d'eau sur les terrasses privatives :

les bacs se sont avérés non étanches du fait de la mauvaise tenue du polyester utilisé pour leur construction ;

des fuites sont survenues sur les jonctions d'évacuation entre bacs ;

en raison du défaut de larmiers, de « gouttes d'eau » ou de joints en plastique entre les bacs et les couvertines en marbre, les eaux pluviales ont pu ruisseler sous les couvertines sans être arrêtées, au lieu d'être acheminées vers le réseau général d'évacuation,

la déformation de certains bacs a permis à l'eau de se déverser en avant de la face verticale des couvertines,

l'absence de bouchon de dégorgement sur certaines canalisations a entraîné leur engorgement,

elle-même défectueuse, l'installation d'arrosage automatique a abouti à un arrosage excessif de certaines jardinières, qui a favorisé un ruissellement hors des bacs, et a même permis, par un mauvais positionnement des tubes d'alimentation en certains endroits, un arrosage hors des bacs,

les bacs ayant été remplis de terre végétale à un niveau excessif, le défaut de garde suffisante entre ce niveau et le bord des bacs a encore favorisé le ruissellement hors des jardinières ;

Attendu que la société Bord De Mer ne prétend pas que ces défauts étaient décelables par un acheteur normalement diligent au moment de la vente ;

Attendu que leur nature était telle qu'une observation prolongée, s'étalant sur plusieurs jours, aurait été nécessaire pour permettre leur révélation ;

Que certains n'étaient visibles que par temps de pluie tandis que d'autres ne sont apparus qu'en cours d'usage ;

Attendu que le défaut d'étanchéité des bacs-jardinières les a rendus impropres à leur destination qui est de permettre l'entretien de décorations végétales sans rejet d'eau préjudiciable sur les ouvrages environnants ;

Que ce défaut a en effet entretenu, sur les terrasses privatives, la présence continuelle d'eaux de ruissellement, renouvelées lors de chaque arrosage journalier, et a empêché l'usage normal de ces terrasses ; qu'en outre, le ruissellement a laissé des traces inesthétiques de coulure sur la façade de l'immeuble ;

Attendu que la société Bord De Mer doit, en conséquence, répondre de ces défauts envers la Copropriété ;

B. - Sur l'indemnisation de la copropriété

Frais de recherche et remplacement ou remise en état de l'installation défectueuse

Attendu qu'il ressort du rapport d'expertise que la copropriété a fait l'avance de divers frais nécessaires, au cours des opérations d'expertise, pour tester l'étanchéité des bacs suspectés d'être fuyards ;

Attendu que ces frais ont été rendus nécessaires par les défauts ci-dessus constatés et qu'il n'est pas allégué que ces frais présentent un caractère excessif ; qu'ils doivent donc être remboursés par la société Bord De Mer ;

Attendu qu'après la découverte des causes des désordres, une réflexion s'est engagée pour déterminer la meilleure façon d'y remédier ;

Que des techniques n'entraînant aucun enlèvement des terres et plantations ont été écartées, des essais pratiqués dès 1994 par P. N. ayant montré leur inefficacité ;

Qu'il est relaté par l'expert qu'un autre système, proposé par l'architecte R. B., dit « de bâchage souple », a été envisagé et mis au point au cours de l'expertise ;

Que ce procédé devait constituer en la mise en place, au fond des bacs en polyester conservé, d'une bâche souple ou d'une « membrane » en polychlorure de vinyle protégée par des plaques de fibro-ciment ; qu'il devait également comporter un réaménagement des raccordements d'évacuation et des communications entre bacs, ainsi que la reprise des couvertines inadaptées, le renforcement des grands côtés des bacs et diverses autres mesures réparatrices des défauts ci-dessus exposés ;

Que la copropriété a finalement renoncé à ce procédé et a préféré faire remplacer les bacs en polyester par des bacs en acier inoxydable ;

Que l'expert a pris le soin de comparer le coût respectif des deux solutions ;

Qu'il en ressort que la remise en état initialement envisagée aurait seulement coûté 3 830 412,97 francs tandis que le coût de remplacement par des bacs en inox s'est élevé à 4 980 980,68 francs, ces valeurs s'entendant toutes taxes comprises ;

Attendu que ces évaluations ne sont pas non plus critiquées par la société Bord De Mer ;

Attendu que l'expert estime que le remplacement par des bacs en inox a constitué une « amélioration extrêmement luxueuse » et a apporté une « plus-value » (page 137 du rapport) ; qu'il propose cependant de « partager » cette « plus-value » entre les parties en retenant qu'il appartenait au maître de l'ouvrage de fournir des prestations de très grande qualité, eu égard au prestige de l'immeuble, qui fait partie des résidences les plus luxueuses de la Principauté, à l'importance du prix de vente des lots qui en dépendent et au fait que la solution du « bâchage souple » n'a constitué qu'une « réparation » ; qu'il s'en rapporte à l'appréciation du Tribunal quant à la proportion à laisser à la charge de la copropriété, se bornant à indiquer une fourchette allant de 50 % à « quelques unités de pourcentage » ;

Mais attendu que les juges ne sont jamais liés, selon l'article 368 du Code de procédure civile, par les constatations, avis ou conclusions d'un expert ; que les travaux de l'expert perdent en outre toute valeur utile lorsqu'ils aboutissent à des résultats incertains ou ambigus ;

Attendu qu'en réalité, l'article 1002 du Code civil donne en principe le droit à la victime d'un manquement contractuel d'obtenir la réparation intégrale du préjudice que ce manquement lui cause ;

Attendu que la société Bord De Mer s'est engagée envers les copropriétaires à leur fournir, notamment, une installation de bacs-jardinières conforme à sa destination ; qu'elle a manqué à cette obligation en leur délivrant des bacs-jardinières réalisés en polyester qui étaient, ainsi que le Tribunal l'a constaté plus haut, impropres à leur destination ;

Attendu qu'il résulte des propres constatations de l'expert que la résine de polyester subit, lorsqu'elle se trouve, comme en l'espèce, associée à la fibre de verre ou à des tissus de fibre de verre, l'apparition de bulles gazeuses qui la rendent sujette à des phénomènes de capillarité susceptibles, en présence d'humidité, d'entraîner par osmose son pourrissement par l'intérieur (page 106 du rapport) ;

Attendu que ce fait prive de sécurité le recours à la technique de « bâchage souple » qui ne saurait faire disparaître le risque de pourrissement de bacs restant, sur certaines de leurs faces, au contact des eaux pluviales ;

Attendu que cette considération prive d'efficacité l'appréciation de l'expert selon laquelle cette solution serait « valable » (page 109 de son rapport) d'autant que l'expert s'en tient à une affirmation sommaire qui ne s'appuie sur aucune démonstration ; que l'expert concède d'ailleurs qu'un important travail de mise au point restait nécessaire pour protéger les bâches et assurer la liaison avec les ouvrages environnants ;

Attendu que l'exécution des maquettes, réalisées grandeur nature, a fait apparaître des difficultés supplémentaires, notamment la nécessité d'assurer un entretoisement des grands côtés des bacs afin de remédier à de fréquentes faiblesses des parois dues à la suppression de raidisseurs aux emplacements de fixation des consoles de support des coques de façade de l'immeuble ;

Attendu que la mise en œuvre du procédé de « bâchage souple » relevait en réalité, non d'une technique déjà éprouvée, mais d'un véritable processus expérimental ; que l'expert qualifie d'ailleurs de « prototype » le seul bac finalement réalisé (page 112 du rapport) ;

Attendu que ce procédé ne peut donc pas être considéré comme apte à assurer la remise en état à laquelle la copropriété est en droit de prétendre ; qu'il s'ensuit que la copropriété a pu légitimement recourir à une autre technique pour ne pas s'exposer au risque persistant d'une dégradation progressive des bacs existants qui aurait privé d'utilité, en tout ou partie, le « bâchage » envisagé ; que l'expert lui-même indique que la déformation par dilatation de ces bacs restait à craindre (« rapport verbal » du 25 septembre 1998 : annexe n° 62) et parle de « ruine totale » des bacs (page 155 du rapport d'expertise) ;

Attendu qu'il n'est pas allégué que la mise en conformité du système de jardinières pouvait être faite avec d'autres matériaux que l'acier inoxydable ; que ni l'expert, ni aucune des parties ne font état d'autres solutions adaptées à l'immeuble litigieux ; que l'expert admet que le recours à des bacs en béton n'était pas envisageable en raison de leur poids excessif et de la difficulté, eu égard à leur encombrement, à les manier sur le chantier (page 157 du rapport) ;

Attendu qu'à défaut de comparaison avec d'autres matériaux, le recours à l'acier inoxydable ne peut donc pas être considéré comme procurant à la copropriété un enrichissement et constitue seulement le moyen de parvenir à la réparation intégrale de son préjudice ;

Attendu, en s'en tenant même à une comparaison avec la solution de « bâchage souple », que la différence de coût calculée par l'expert, soit 1 150 567,71 francs, ne correspond qu'à un surcoût d'environ 30 % ; qu'une telle valeur ne permet pas de considérer, contrairement à une affirmation de l'expert, que l'installation de bacs en acier présente un caractère extrêmement luxueux ;

Attendu qu'il convient d'en déduire que la copropriété est fondée à demander le remboursement des travaux qu'elle a fait réaliser ;

Attendu que la société Bord De Mer doit, en outre, répondre d'un défaut supplémentaire atteignant les canalisations entre jardinières, tenant à leur ancrage insuffisant dans la paroi de l'immeuble par de simples colliers au lieu de véritables supports (page 144 du rapport d'expertise - annexe n° 73) ;

Attendu que les frais suivants, calculés toutes taxes comprises, doivent, en conséquence, être mis à la charge de la société Bord De Mer :

* frais liés aux tests d'étanchéité nécessaires, y compris les honoraires correspondants du syndic de la copropriété ............... 167 171,15 francs,

coût du remplacement des bacs défectueux, incluant évacuation, puis remise en place des végétaux et des terres ...................... 4 980 980,68 francs,

frais correspondants inhérents à l'expertise (tirage de plans par la société Etandex Somoclim et nettoyage de l'appartement Meier après des réunions d'expertise : page 116 du rapport) ..................................... 4 275,86 francs,

travaux urgents réalisés en attente du traitement des bacs (intervention d'une fuite dans l'appartement C 10 du copropriétaire R., test dans l'appartement C 12 du copropriétaire M., situé au-dessus) ............... 32 446,10 francs,

honoraires spéciaux du syndic et du conseil technique de la Copropriété (J. W. et R. F.) en raison des travaux de remise en état ............... 502 551,00 francs,

travaux de renforcement des canalisations et mise en place des bouchons de dégorgement nécessaires (page 121 du rapport) ............... 97 565,82 francs,

travaux de mise en conformité des couvertines ............... 158 085,84 francs,

soit un total de ............... 5 943 076,45 francs,

représentant ............... 906 016,16 euros ;

Attendu, en revanche, que certaines dépenses envisagées par l'expert ne doivent pas être supportées par la société Bord De Mer ;

Attendu que les frais correspondant à la détérioration, lors d'essais d'arrosage, du mobilier de la copropriétaire C. B. ne sont pas une conséquence des défauts dont doit répondre la société Bord De Mer ; que leur montant, soit 22 238,81 francs, doit donc demeurer à la charge de la copropriété, sauf son recours contre tout tiers ;

Attendu que la copropriété n'est pas non plus en droit d'obtenir remboursement du coût des travaux énumérés aux pages 119 et 120 du rapport d'expertise, soit un total de 602 030,77 francs ;

Attendu en effet que l'installation d'échafaudage, tours et passerelles en vue d'assurer le remplacement des jardinières sans passer par les appartements doit demeurer à la charge de la copropriété alors que cette dernière a volontairement renoncé, selon l'affirmation non contestée de l'expert, à mettre en œuvre la faculté d'accéder au chantier par les lots privatifs des copropriétaires, pourtant prévue par le règlement de copropriété qui leur est opposable ;

Attendu qu'il n'est pas démontré que les travaux d'individualisation de l'arrosage automatique ont eu pour but de remédier à un défaut de cette installation, de sorte que cette modification ne relève que de l'initiative de la copropriété ;

Attendu par ailleurs que le remplacement de crapaudines corrodées ou disparues n'a pu tendre qu'à remédier à un défaut d'entretien de ces équipements et non à un manquement imputable à la société Bord De Mer ;

Attendu enfin que les honoraires du syndic et du maître d'œuvre de la copropriété afférents à ces travaux doivent suivre leur sort et ne peuvent pas incomber à la société Bord De Mer ;

Préjudice de jouissance subi collectivement par les copropriétaires

Attendu que, contrairement à ce que soutient par erreur la copropriété dans certains passages de ses écritures, l'expert a évalué le préjudice de jouissance consécutif aux désordres non à la somme de 2 000 000 francs, mais à celle de 1 500 000 francs ; que le montant de 2 000 000 francs indiqué à la page 129 de son rapport représente en réalité le cumul de ce préjudice et du coût des honoraires spéciaux du syndic et du maître d'œuvre de la copropriété, ces honoraires ayant déjà été pris en compte plus haut, au titre du remboursement des frais de remplacement des jardinières ;

Attendu que les obligations de la société Bord De Mer ne sauraient être affectées par la hauteur excessive du niveau des terres dans les jardinières alors que ce défaut est sans incidence sur la réalisation du préjudice, puisque les eaux, même si cette hauteur avait été moindre, aurait néanmoins abouti sur les terrasses en raison des fuites affectant les bacs et leurs canalisations ;

Attendu que l'immeuble comporte 28 appartements construits sur quatre niveaux sur rez-de-jardin (page 128 du rapport d'expertise-dossier de consultation des entreprises, article I : annexe au rapport n° 126) ;

Attendu que tous les copropriétaires ont pareillement subi le désagrément causé par l'enlèvement provisoire des végétaux durant l'exécution des travaux de remplacement des jardinières, autorisée par le Juge des référés suivant son ordonnance du 23 novembre 1998 ;

Attendu que la privation de ces éléments de décoration a été subie durant environ un semestre puisque les travaux de remplacement ont été achevés en juillet 1999 (page 128 du rapport d'expertise - factures et bon de paiement réunis à l'annexe n° 238 du rapport) ;

Attendu que les infiltrations d'eau sont apparues dès l'année 1994, puisque la société Bord De Mer faisait déjà état, dans un courrier adressé le 15 février 1994 à l'architecte B., des « mécontentements grandissants et parfois virulents des copropriétaires qui se plaignent, à juste titre, de ce problème très grave » (annexe n° 178 au rapport d'expertise) ; que ces infiltrations se sont poursuivies jusqu'à l'achèvement des travaux de remplacement en juillet 1999 ;

Attendu qu'il ne peut être reproché à la copropriété d'avoir tardé à prendre les mesures susceptibles de remédier aux désordres alors que ses adversaires contestaient leur responsabilité et qu'un certain délai a été nécessaire pour étudier et expérimenter la solution du « bâchage souple », préconisé par l'architecte R. B., avant que la révélation de ses inconvénients excessifs justifie son abandon ; que la Copropriété a, au contraire, agi de bonne foi en s'entourant des précautions nécessaires et en tenant compte de l'intérêt de toutes les parties avant d'arrêter sa décision ;

Attendu qu'il est certain, comme l'expert l'a relevé, que les terrasses ne sont pas utilisées durant les périodes les plus pluvieuses ou les plus froides de l'année et que les écoulements n'ont affecté qu'une partie de leur surface ; qu'en réalité, l'effet des écoulements a pu dépendre des circonstances météorologiques, un vent important pouvant, par exemple, augmenter la surface de dispersion des eaux ;

Attendu que le désagrément entraîné par les écoulements d'eau apparaît triple :

ces écoulements ont maintenu une humidité sur le sol des terrasses atteintes,

leurs occupants ont été exposés à recevoir eux-mêmes des gouttes d'eau,

l'eau a causé des salissures puisque après son passage à travers les jardinières ou les canalisations, elle a laissé sur les façades des traces d'écoulement de couleur marron (constats réalisé le 2 février 1994 par Maître Escaut-Marquet, huissier : annexe n° 176 au rapport d'expertise) ;

Attendu que la société AGF n'apporte aucune justification à l'appui de son affirmation selon laquelle les appartements pourraient se trouver inoccupés durant une partie de l'année ;

Attendu qu'il y a lieu de tenir compte, pour apprécier le préjudice de jouissance, de la valeur locative des appartements ;

Attendu que les deux seuls baux de location produits par la Copropriété lors des opérations d'expertise font apparaître des loyers respectifs de 3 211 francs et 2 597 francs par mètre carré et par an, soit une moyenne de 2 904 francs inférieure aux 3 500 francs retenus par l'expert à partir de simples hypothèses (page 128 du rapport - annexes n° 296 et 297) ;

Attendu que le Tribunal dispose, sur ces bases, des éléments nécessaires pour fixer à 200 000 euros l'indemnité propre à réparer le préjudice de jouissance invoqué par la Copropriété ;

Attendu qu'il convient, en définitive, de condamner la société Bord De Mer à payer à la copropriété la somme totale de (906 016,16 + 200 000) 1 106 016,16 euros ;

Attendu que cette somme devra porter intérêt au taux légal, conformément à l'article 1008 du Code civil, à compter de la sommation de payer ; qu'une telle sommation résulte seulement, en l'espèce, de l'exploit introductif d'instance du 25 octobre 2002, et non de l'ordonnance par laquelle le Juge des référés a autorisé l'exécution des travaux de remplacement ;

Attendu qu'il est de principe que la personnalité juridique d'une société subsiste, à l'égard de ses créanciers, en dépit de la décision des associés de procéder à sa dissolution ; qu'il suffit donc, en ce qui concerne M. C., de dire que la présente décision lui sera opposable ;

III. - Sur les obligations des constructeurs et de la société Socotec

Attendu qu'il résulte des pièces annexées au rapport d'expertise que P. N. n'est intervenu qu'en cours du chantier, après que le maître de l'ouvrage eut modifié ses intentions au sujet des jardinières ;

Que l'installation de jardinières en béton fibré avait initialement été prévue puisque l'architecte V. avait établi un cahier de détail et avait chargé la société italienne ÉDIL BÉTON de les exécuter (page 131 du rapport d'expertise) ;

Que l'architecte B. a ensuite demandé à cette société de lui présenter, avant le 24 juin 1991, une « offre technico-commerciale » en vue de la fourniture d'éléments de bacs en résine, puis lui a prescrit, le 27 juin 1991, des contraintes supplémentaires (annexes n° 129 et 204) ;

Qu'à la même époque, cet architecte a pris l'initiative de contacter P. N. qui lui a adressé, le 2 août 1991 divers documents contenant présentation de son entreprise (annexe n° 132) ;

Que l'architecte a demandé à P. N., dès le 12 août 1991, de lui faire connaître le prix correspondant à la fabrication et à l'installation de jardinières en polyester conformes aux spécifications indiquées sur deux dessins (annexe n° 134) ; que P. N. lui a répondu le 2 septembre 1991 (annexe n° 135) ;

Que leurs pourparlers n'ont abouti qu'à la fin de l'année 1992 avec l'établissement, le 30 octobre 1992, d'un devis détaillé (annexe n° 136) que l'architecte a transmis à la société Bord De Mer en la priant de « bien vouloir procéder au règlement et démarches administratives nécessaires afin de pouvoir réaliser ces travaux » (annexe n° 137) ;

Que P. N. a rédigé un document intitulé « contrat de fabrication », tandis que la société Bord De Mer lui a adressé un « acte d'engagement » ; que bien que non revêtus des signatures des intéressés, ces documents sont concordants au sujet des prestations prévues, du prix et des modalités de son paiement (annexes n° 139 et 144) et ont donné lieu à exécution puisqu'un acompte de 40 % a été envoyé à P. N. le 4 janvier 1993 (annexe n° 142) ;

Attendu que l' « acte d'engagement » vise le Cahier des Prescriptions Spéciales applicables à toutes les entreprises intervenant sur le chantier (annexe n° 126) ;

Attendu que P. N. s'est engagé à livrer ses ouvrages en quatre tranches, échelonnées entre fin janvier et début mai 1993 ;

Attendu que ses travaux ont rapidement donné lieu à des difficultés :

l'architecte l'a menacé, le 13 avril 1993, d'appliquer des pénalités de retard (annexe n° 145),

P. N. s'est plaint le même jour de ne pas avoir trouvé de grue sur le chantier et d'avoir dû modifier certaines pièces métalliques de ses ouvrages en raison de l'irrégularité des portiques de fixation précédemment installés par la société ÉDIL BÉTON (annexe n° 149) ; l'architecte lui a répondu que c'était à cause de son retard qu'il était intervenu après démontage de la grue et qu'il aurait dû prendre l'initiative de vérifier l'état des existants avant de s'engager (annexe n° 150),

sur la préconisation de la société SOCOTEC, l'architecte a demandé à N. de ne pas utiliser les éléments de sortie d'eau prévus par ce dernier en PVC et de les remplacer par des éléments à fabriquer spécialement en polyester (annexes n° 150 à 153),

la société SOCOTEC a fait observé, à l'occasion d'une visite sur place le 13 mai 1993, que certaines dispositions de mise en œuvre ne reflétaient pas les indications portées sur un croquis, que l'établissement par écrit de détails de mise en œuvre était nécessaire et que des essais de mise en eau s'imposaient pour vérifier la tenue de l'assemblage constitué par les bacs et leurs manchons de sortie (annexe n° 154) ;

Qu'après un échange de messages au sujet des observations de la société SOCOTEC (annexes n° 156 et 157), P. N. et l'architecte ont établi le 21 juin 1993 un procès verbal de réception « sans réserves » (annexe n° 155) ;

Que des fuites sont rapidement apparues et ont donné lieu à plusieurs initiatives de la part de l'architecte et du maître de l'ouvrage :

le 18 octobre 1993, mise en demeure par l'architecte à P. N. de tenir ses précédentes promesses d'y remédier, à laquelle celui-ci a répondu que des visites d'évaluation étaient en cours (annexes n° 160 et 161),

le 27 octobre 1993, déclaration de sinistre par la société Bord De Mer à la société Suisscourtage (annexe n° 162) ;

Que P. N. a imputé les fuites à la trop grande rigidité des raccords en polyester qui lui avaient été imposés et au fait que les ouvriers des autres entreprises avaient marché ou travaillé dans ses bacs, leur imposant ainsi des contraintes pour lesquelles ils n'avaient pas été construits (annexe n° 163) ; que la société SOCOTEC a répondu que l'usage de raccords en PVC était impossible en raison du refus de la société SIKA de garantir la mise en œuvre de sa colle sur de tels raccords, et que les fuites devaient en réalité être imputées à une mauvaise mise en œuvre et au fait que, malgré ses demandes, l'ensemble des raccordements n'avaient pas été vérifiés (annexe n° 165) ;

Que P. N., invité à proposer des solutions de réparation, a clairement fait connaître qu'il n'accepterait de faire de nouveaux travaux qu'à la double condition d'être payé du solde de prix convenu et de recevoir une rémunération supplémentaire dans le cadre d'un nouveau marché distinct (annexe n° 168) ; que l'architecte et la société Bord De Mer ont alors paru le ménager, sans doute en raison de l'urgence constituée par les réclamations des copropriétaires déjà installés (annexe n° 178), et ont accepté de lui régler le solde de sa facture ;

Que P. N. a envisagé, au début de l'année 1994, trois solutions n'impliquant ni démontage ni vidage des bacs :

colmatage par l'intérieur au moyen d'un produit mêlé à l'eau d'arrosage des jardinières,

colmatage par l'extérieur avec une mousse polyuréthanne,

coulage de blocs de résine autour de chaque sortie d'eau ;

Que le premier procédé a été immédiatement exclu en raison de risques de toxicité des produits à employer, tandis que pour les deux autres, P. N. a été chargé de faire des essais, considérés le 18 février 1994 comme non concluants, en raison de défauts d'adhérence, par l'expert missionné par l'assureur (annexes n° 179 et 185) ;

Attendu que toute coloration avec P. N. a alors cessé, celui-ci déclarant attendre les résultats d'une expertise judiciaire (annexe n° 179) ; que la société Bord De Mer a réagi en lui notifiant, le 13 juin 1994, qu'elle le tenait pour responsables des désordres (annexe n° 187) ;

Attendu que des investigations ont été poursuivies à l'initiative de l'assureur dont l'expert a constaté en juin 1994 que les fuites provenaient non seulement des éléments de raccordements, mais aussi des bacs eux-mêmes (annexe n° 189) ; que l'assureur a alors refusé sa garantie (annexe n° 192) ;

Attendu qu'il convient de déterminer les obligations de P. N., de la société B. et de la société L. avant d'examiner celles des architectes et de la société SOCOTEC ;

A. - Sur les obligations de P. N.

Attendu que P. N. était nécessairement tenu par l'effet de la convention conclue entre lui et la société Bord De Mer, de fournir à cette société des bacs tenant l'eau et de raccorder ces bacs entre eux et au système collecteur d'eau de l'immeuble par des éléments tout aussi étanches ;

Attendu qu'il est établi que dès l'année 1993, les raccordements n'ont pas assuré leur fonction ; que leur défaillance est devenue générale puisque l'expert judiciaire a constaté, à partir d'essais faits sur 154 bacs, que 70 % de ces raccordements étaient fuyards (page 105 du rapport) ;

Que l'expert judiciaire a apporté deux explications aux fuites :

la rigidité totale d'éléments pouvant mesurer, en ce qui concerne les raccords entre bacs, plus de 3,50 mètres,

et la dégradation par pourrissement du polyester sur les côtés non ventilés de chaque bac (page 106 du rapport) ;

Attendu que les bacs eux-mêmes ont eu une mauvaise tenue dans le temps puisque la moitié a été trouvé non étanche ;

Attendu que deux causes principales de dégradation ressortent des travaux de l'expert judiciaire :

le manque de matière fibreuse formant le polyester sur la face externe des angles,

l'apparition, du fait de l'association de fibre de verre à la résine de polyester, de bulles gazeuses provoquant le pourrissement par capillarité en cas d'exposition à l'humidité ou au ruissellement d'eau ;

Attendu que le matériau mis en œuvre par P. N. était donc impropre à la destination prévue pour les bacs qu'il a fabriqués et installés ;

Attendu que les éléments de raccordement étaient atteints du même vice ; qu'il est en outre établi que leur rigidité a affecté leur étanchéité ;

Attendu que P. N. doit donc répondre de ces manquements ;

Attendu qu'en ce qui concerne spécialement les raccordements, il n'est pas démontré l'existence d'une cause étrangère qui ne lui serait pas imputable, au sens de l'article 1002 du Code civil ;

Attendu à cet égard que les préconisations de la société SOCOTEC au sujet de leur matériau ne sauraient constituer une cause étrangère ;

Attendu qu'aucune pièce du dossier ne confirme la possibilité d'une dégradation des ouvrages par d'autres entrepreneurs ; que les jardinières devaient dans tous les cas être soumises à des pressions au moment de leur remplissage de terre et de la plantation des végétaux qu'elles étaient destinées à recevoir ; que ces pressions ne peuvent donc pas davantage être assimilées à une cause étrangère exonératoire de responsabilité ;

B. - Sur les obligations de la société B.

Attendu qu'il résulte du rapport d'expertise que deux manquements doivent être retenus à l'encontre de la société B. :

l'omission de placer des bouchons de dégorgement le long du système de canalisation des eaux,

et la suspension de certaines canalisations importantes par de simples colliers ou feuillards (pages 137 et 144 du rapport - annexe n° 73) ;

Attendu que la société B. était tenue de mettre en place une installation pourvue de dispositifs suffisants pour remédier aux engorgements prévisibles pouvant résulter de l'entraînement par les eaux de débris végétaux ou de particules provenant du contenu des jardinières ;

Attendu qu'elle a manqué à cette obligation en ne prévoyant pas les bouchons de dégorgement nécessaires ;

Attendu, en outre, que la suspension de canalisations par des feuillards était contraire aux règles de l'art puisqu'elle n'assurait pas la stabilité de ces ouvrages et rendait difficile, voire impossible, un raccordement correct avec les éléments destinés à permettre l'évacuation des eaux des jardinières ;

Attendu que la société B. est, en conséquence, tenue de répondre de ces manquements qui ont contribué à la réalisation du préjudice subi par la copropriété ;

C. - Sur les obligations de la société L.

Attendu que l'expert judiciaire lui fait grief d'avoir manqué à son rôle d'assistance à la conception des ouvrages, faute d'avoir signalé à l'architecte que les couvertines initialement prévues ne pouvaient plus assurer, du fait de la modification des ouvrages sous-jacents, un service conforme à celui prévu par le dessin de détail initialement réalisé pour des bacs en béton (pages 108 et 136 du rapport) ;

Attendu que la société L. s'était estimée, dans un dire du 18 octobre 2000, exempte de tout manquement au motif qu'elle avait exécuté ses travaux conformément aux plans et instructions fournis par l'architecte et que ce dernier les avait approuvés (annexe n° 212 au rapport) ; qu'elle a cependant précisé, dans un dire du 4 décembre 2000, qu'elle avait dû s'adapter « in situ » aux nouveaux bacs (annexe n° 299) ;

Attendu que, s'il est exact qu'un défaut de conception est en principe imputable à l'architecte, l'entrepreneur engage sa responsabilité lorsqu'il accepte d'exécuter sans aucune réserve des plans dont la défectuosité lui est apparente, compte tenu des limites normales de sa compétence ;

Attendu que l'expert judiciaire a constaté (page 144 de son rapport) qu'à défaut de larmier ou de « goutte d'eau », les couvertines laissaient filtrer presque toute l'eau de pluie recueillie par leur face supérieure et par les garde-corps, qui s'égouttait en dehors de la surface intérieure des bacs et descendait directement dans l'intérieur des coques de façade en béton vers les terrasses sous-jacentes ;

Attendu qu'un tel défaut, qui constituait une véritable inaptitude de l'ouvrage à sa destination, était manifestement apparent aux yeux d'un professionnel averti comme la société L., spécialiste en matière de marbrerie extérieure, alors que ses ouvrages devaient participer au système d'évacuation des eaux pluviales ;

Attendu qu'il ne ressort d'aucune pièce du dossier que cette société ait émis des réserves lorsqu'elle a constaté que les plans de l'architecte étaient devenus inadéquates ; qu'au lieu de demander de nouvelles instructions, elle a pris l'initiative d'apporter certaines modifications que lui imposait le nouvel état des lieux, sans toutefois se préoccuper du défaut décrit par l'expert ;

Attendu qu'elle a en outre omis, comme l'a justement relevé l'expert, d'établir de nouveaux plans d'exécution alors que cette obligation lui était imposée à l'article 20 du Cahier des Prescriptions Spéciales ;

Attendu que la société L. a donc bien manqué à ses obligations ;

Attendu que l'acceptation de ses travaux par l'architecte ou par le bureau de contrôle ne saurait l'exonérer de sa responsabilité alors que les parties ont expressément convenu, à l'article 17.3 du Cahier des Prescriptions Spéciales, que tout entrepreneur est responsable de ses ouvrages de manière absolue et que la réception des travaux ne pourra pas être invoquée comme motif de dérogation aux lois qui régissent la responsabilité des entrepreneurs ;

D. - Sur les obligations des architectes

Attendu que T. V. et R. B. ont conclu, le 17 novembre 1989, une convention d'association en vue de l'exécution en commun de la mission confiée par la société Bord De Mer ; qu'ils ont notamment désigné R. B. comme mandataire commun ;

Attendu que leur mission, telle qu'elle avait été définie par un « contrat d'architecte-maître d'ouvrage » signé le 4 août 1989 (annexe n° 124 du rapport), comportait à la fois la conception architecturale de l'œuvre, la direction générale de son exécution par les entreprises et l'assistance au maître de l'ouvrage en vue de la réception des ouvrages et du règlement de leur prix ;

Attendu que les architectes ne sont pas fondés à soutenir qu'ils ne sont pas intervenus dans la conception des jardinières litigieuses ; qu'au contraire, il résulte des pièces ci-dessus résumées qu'ils ont pris l'initiative de contacter P. N., ont établi, pour lui demander un devis, deux dessins comportant notamment le principe des évacuations d'eau et ont discuté avec lui plus d'une année avant de soumettre son devis à l'approbation de la société Bord De Mer ; qu'ils ne peuvent donc pas sérieusement soutenir que P. N. leur aurait été imposé par le maître de l'ouvrage et serait étranger au chantier placé sous leur direction ;

Attendu qu'il est vrai que, selon l'article 3.1.4.1. du contrat d'architecte, les architectes ne peuvent pas être rendus responsables des défauts internes de conception ou de fabrication des matériaux et éléments fabriqués ;

Qu'ils n'ont donc à répondre ni de la mauvaise tenue à l'humidité du matériau constitué de polyester et de fibre de verre, ni du manque de matière sur certaines parties des bacs ;

Attendu, en revanche, qu'il leur appartenait, conformément à l'article 3.1.2.3. du contrat, d'établir un projet détaillé permettant aux entrepreneurs consultés de définir sans ambiguïté la nature, la quantité, la qualité et les limites de leurs fournitures ; qu'il en résulte que, lorsque la décision a été prise de renoncer à l'installation des bacs en béton initialement prévus, ils auraient dû reprendre l'étude du lot concerné afin d'organiser l'insertion des nouveaux bacs en polyester sur les autres parties de l'immeuble confiées à d'autres entrepreneurs ; qu'il convenait notamment de revoir les modalités de raccordement des bacs avec le réseau d'évacuation des eaux, à construire par la société B., et de réorganiser en tant que de besoin les coques de façade, les garde-corps et les couvertines dépendant du lot de la société L. ;

Attendu que l'expert judiciaire a constaté (page 108 est 137 de son rapport) que les architectes n'ont établi aucun document rectificatif à ce sujet ;

Qu'à la veille d'intervenir sur le chantier, P. N. leur réclamait encore un calepinage des quantités de « sorties de récupération d'eau » à mettre en œuvre ;

Qu'ils ne justifient pas avoir demandé à la société L. de fournir des couvertines pourvues d'un larmier et d'une bavette métallique adaptés aux nouveaux bacs, alors que ces éléments, propres à assurer l'étanchéité tant aux eaux pluviales qu'aux eaux de débordement des bacs, avaient été initialement prévus en détail dans les plans relatifs aux bacs en béton ;

Que la simple exigence, sur les recommandations de la société SOCOTEC, de raccordements en résine au lieu d'éléments en PVC ne saurait suppléer cette carence ;

Attendu que la défectuosité des raccordements et des couvertines est donc bien la conséquence d'un défaut de conception incombant aux architectes ;

E. - Sur les obligations de la société SOCOTEC

Attendu que ces obligations ont été prévues par une convention passée le 8 février 1988 entre la société Bord De Mer et la société SOCOTEC (pièce n° 1 du dossier de cette dernière société - annexe n° 123 du rapport d'expertise, étant observé qu'il manque à cette annexe la 4e page du contrat) ;

Attendu que, selon les conditions particulières de cette convention, la mission de contrôle technique confiée à la société SOCOTEC avait notamment pour but la « normalisation » des risques de désordre matériels susceptibles de mettre en cause la responsabilité décennale et biennale des constructeurs et devait comporter, entre autres :

la vérification des documents techniques se rapportant aux fondations et aux structures des ouvrages,

le contrôle technique de l'exécution,

les essais mécaniques usuels de résistance des matériaux effectués sur échantillons ou éprouvettes ;

Attendu que la « normalisation » consistait, d'une part à éclairer l'assureur, avant la conclusion de la police d'assurance, sur l'étendue du risque à assurer, et d'autre part à prévenir, tant au stade de la conception des ouvrages qu'au cours de leur exécution, les risques de désordres entrant dans le domaine d'application des garanties légales ;

Attendu que la société SOCOTEC ne conteste pas l'affirmation de l'expert judiciaire, invoquée par la société Bord De Mer, selon laquelle les jardinières litigieuses doivent être considérées, eu égard à leur destination et à l'impossibilité de les déplacer sans déposer les couvertines scellées sur les façades, comme des ouvrages immobiliers soumis à la garantie biennale ou décennale (page 153 du rapport) ;

Attendu que sa mission s'étendait donc au contrôle du système de jardinières ; qu'elle l'a elle-même entendu ainsi puisqu'elle est plusieurs fois intervenue à leur sujet :

au cours du premier semestre de 1991, en formulant des observations à la société ÉDIL BÉTON au sujet d'éléments de fixation et en demandant des détails sur les matériaux et l'installation des « joints » (annexe n° 129 au rapport d'expertise),

le 28 avril 1993, en indiquant aux architectes que l'utilisation de raccordements en polyester lui paraissait satisfaisante et qu'il était nécessaire de prévoir des manchons de dilatation au niveau du collecteur d'eau général (annexe n° 153),

le 17 mai 1993, pour signaler à N., avec copie aux architectes, que certaines dispositions de mise en œuvre ne reflétaient pas les indications prévues sur un croquis, que l'établissement de détails de mise en œuvre était nécessaire pour permettre son contrôle et que des essais de mise en eau devaient être effectués pour vérifier les raccordements (annexe n° 154),

et le 11 novembre 1993, après la réception, pour indiquer aux architectes qu'elle avait signalé, le 3 juin précédent, des fuites sur les raccordements, que les vérifications préconisées n'avaient sans doute pas été faites et que les fuites provenaient d'une mauvaise mise en œuvre (annexe n° 165) ;

Attendu que si la société SOCOTEC s'est ainsi livrée au contrôle de l'exécution, elle a manqué à ses obligations en préconisant l'emploi de raccords en PVC qui, ainsi que le Tribunal l'a retenu plus haut en examinant la responsabilité de P. N., se sont révélés trop rigides et ont contribué aux fuites ;

Attendu que son obligation de vérifier les documents techniques relatifs aux structures comportait également le devoir de signaler l'insuffisance ou l'inexistence de tels documents ; qu'elle n'a pourtant fait aucune observation alors que l'architecte s'était abstenu de prévoir l'insertion des bacs en polyester dans les autres parties de l'immeuble et n'avait pas établi les documents modificatifs utiles au réaménagement de ces éléments de structure ;

Attendu, enfin, que son obligation de procéder à des essais usuels de résistance des matériaux utilisés lui imposait de se documenter sur l'assemblage de matériaux qu'allait mettre en œuvre P. N. et de préconiser les essais nécessaires ; qu'elle n'établit pas avoir fait des recherches à ce sujet alors que, selon l'expert judiciaire (page 106 de son rapport), le phénomène d'osmose affectant l'assemblage du polyester avec la fibre de verre a été connu à partir de 1985 par les constructeurs de bateaux, a été pris en compte par les fabricants de coques de bateaux, de piscines et de fosses septiques, et a donc nécessairement fait l'objet de communications auxquelles un technicien aussi avisé que la société SOCOTEC avait accès ; que cette société a ainsi manqué à sa mission de prévention des risques ;

Attendu que la responsabilité de la société SOCOTEC se trouve dès lors engagée ;

Attendu que cette société est cependant bien fondée à invoquer une limitation contractuelle à cette responsabilité ;

Que l'article 3 des conditions générales de la convention de contrôle technique prévoit en effet que, « dans le cas où l'intervention de la SOCOTEC n'aurait pas directement pour objet l'information technique des Assureurs, sa responsabilité éventuelle ne saurait être engagée au-delà du montant des honoraires perçus par elle au titre des travaux litigieux » ;

Attendu que la mission de normalisation des risques confiée à la société SOCOTEC s'est exécutée après la conclusion de la police d'assurance souscrite le 26 juin 1991 auprès de la société A., de sorte qu'elle n'a plus eu alors pour but l'information de cet assureur, mais la prévention de la survenance de désordres ; que la clause limitative de responsabilité est donc applicable en l'espèce ;

Attendu que les honoraires de la société SOCOTEC ont été fixés au taux, hors taxes, de 0,65 % du montant définitif, toutes taxes comprises, des travaux de tous corps d'état ;

Que toutefois la société Socotec n'indique pas le montant des honoraires qu'elle a perçus ;

Qu'il ressort cependant des déclarations faites le 26 octobre 1994 par la société Bord De Mer à son assureur, en vue de la régularisation du montant des primes (annexe n° 61 au rapport d'expertise), qu'elle a payé à la société SOCOTEC la somme de 1 348 262 francs, soit 205 541,22 euros ;

Qu'il y a donc lieu de retenir cette somme comme limite de ses obligations ;

IV. - Sur les obligations de la société AGF

Attendu que les parties soumettent à l'examen du Tribunal une police n° 7.302.682 souscrite le 26 juin 1991 par la société Bord De Mer et intitulée Assurance globale chantier « Plus » ;

Attendu que les conditions particulières de cette convention renvoient à l'article 2.1 a) des conditions générales ;

Attendu que deux versions de cet article apparaissent :

texte donné dans la copie annexée au rapport d'expertise :

Le présent contrat garantit les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile que l'assuré peut encourir par suite :

a) de l'application des articles 1630 et 2090 du Code civil Monégasque,

b) de dommages immatériels subis par les propriétaires et/ou le ou les occupants de la construction et résultant directement d'un dommage garanti «,

texte donné dans la copie produite aux débats par la société AGF :

Le présent contrat garantit les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile que l'assuré peut encourir par suite :

a) de dommage matériel à la construction engageant la responsabilité décennale des assurés aux termes des articles 1630 et 2090 du Code civil Monégasque.

Les travaux de réparation comprennent également les travaux de démolition, déblaiement, dépose ou démontage éventuellement nécessaires,

b) de dommages immatériels subis par les propriétaires et/ou le ou les occupants de la construction et résultant directement d'un dommage garanti » ;

Attendu qu'il y a lieu de retenir la version régulièrement produite et soumise au débat contradictoire par la société AGF, dont aucune partie n'a mis en doute la véracité ; qu'un doute apparaît au contraire au sujet de l'autre version, alors que le haut de page reproduisant la fin de l'article comporte la mention manuscrite « manque une page », ce qui laisse penser que le document a ensuite été complété par une page erronée ;

1° Sur l'objet de la garantie

a) Sur les intervenants concernés

Attendu qu'il résulte des articles 1630 et 2090 du Code civil qu'en cas de perte totale ou partielle de l'édifice par le vice de la construction, les architectes et entrepreneurs en sont responsables pendant dix ans ;

Attendu que l'article 1.3 des conditions générales de la police litigieuse et les conditions particulières prévoient que les personnes assurées sont le maître de l'ouvrage et les personnes physiques ou morales désignées aux conditions particulières chargées de la conception, de la direction et de l'exécution de l'opération de construction, à l'exclusion des fabricants et du bureau de contrôle technique ;

Attendu que la police litigieuse garantit donc la responsabilité de l'architecte et des entrepreneurs ; qu'en revanche, la responsabilité de la société SOCOTEC se trouve hors de son champ d'application ;

Attendu qu'il y a lieu, s'agissant de P. N., de déterminer s'il a agi en tant qu'entrepreneur ou de fabricant ; qu'il convient, face aux termes ambigus des conventions passées entre lui et la société Bord De Mer, de rechercher quelle a été la commune intention des parties ;

Attendu que P. N. a soumis à l'architecte B. un document intitulé « contrat de fabrication » par lequel il s'engageait à « fournir, à livrer et installer » les bacs en polyester (annexe n° 138 au rapport d'expertise) ; que le devis qu'il avait antérieurement établi distinguait entre :

le coût de l'outillage nécessaire à la fabrication des éléments constituant les bacs, soit 52 450 francs hors taxe,

le prix de vente des bacs eux-mêmes, soit 776 465,85 francs,

le prix de poutrelles métalliques, soit 273 857,35 francs,

et le coût du montage, soit 67 658,85 francs ;

Attendu que le montage ne représente qu'une petite part du prix total de sorte que le contrat pourrait plutôt être considéré comme une vente ;

Attendu cependant que la convention finalement exécutée par les parties n'est pas le contrat proposé par P. N., mais l' « acte d'engagement » établi par la société Bord De Mer (annexe n° 144) ;

Attendu que ce dernier document qualifie expressément P. N. d'entrepreneur (article 1er) et le soumet au respect du Cahier des Prescriptions Spéciales applicables à tous les entrepreneurs intervenant sur le chantier (annexe n° 126) ; que ce Cahier vise notamment, à son article 24, les polices d'assurance souscrites par le maître de l'ouvrage pour couvrir la responsabilité des entrepreneurs et, à son article 10, les pénalités dues par les entrepreneurs en cas de retard ;

Attendu que la société Bord De Mer a versé à P. N. l'acompte de 40 % prévu à l' « acte d'engagement » ;

Attendu que P. N., lorsque l'architecte a évoqué l'application contre lui de pénalités de retard, a seulement discuté l'opportunité de telles pénalités sans contester sa qualité d'entrepreneur (annexe n° 147) ;

Attendu qu'il convient d'en déduire que les parties ont entendu donner à leur convention la qualification de louage d'ouvrage, de sorte que P. N. doit être considéré comme un entrepreneur ;

Qu'il importe donc peu que le coût de fabrication des bacs ait été prédominant par rapport au prix du montage ;

Attendu qu'il n'est pas établi que les parties aient ainsi agi avec la volonté frauduleuse de nuire aux droits de l'assureur alors que leur contrat n'a aucunement été clandestin ;

Que l'assureur lui-même n'a d'ailleurs pas remis en cause la qualité d'entrepreneur de P. N. au moment de la déclaration de sinistre et a, au contraire, pris en compte les sommes à lui payées pour actualiser le montant de la prime due par la société Bord De Mer au titre de la police litigieuse (annexe n° 61) ;

Attendu que la police doit donc également garantir la responsabilité de P. N., sous réserve d'éventuelles exclusions de garantie ;

b) Sur les dommages garantis

Attendu que la société AGF est bien fondée à soutenir qu'elle n'est pas tenue à indemnisation au titre des dommages immatériels ;

Attendu en effet qu'il est clair que ces dommages ne sont envisagés qu'au paragraphe b de l'article 2.1 des conditions générales alors que la garantie définie aux conditions particulières se limite aux dommages matériels prévus par le seul paragraphe a) de cet article ;

Attendu que ces mêmes conditions générales donnent les définitions suivantes :

dommages matériels : « toute détérioration ou destruction... qui compromet la solidité de l'ouvrage ou qui l'affecte dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement et le rend impropre à sa destination »,

dommages immatériels : « tout préjudice pécuniaire qui résulte de la privation de jouissance d'un droit, de l'interruption d'un service rendu ou de la perte d'un bénéfice et qui est la conséquence directe de dommages matériels à l'exclusion de tout préjudice dérivant d'un accident corporel » ;

Attendu que le préjudice de jouissance, tel qu'il a été plus haut caractérisé, n'entre donc pas dans le champ de la garantie pouvant être due par la société AGF ;

c) Sur le montant de la garantie

Attendu que le montant de la garantie est limité par les articles 3.1.2. et 7.2.2. b des conditions générales au coût total de construction définitif, tel qu'il est déclaré par le maître de l'ouvrage après l'arrêté des comptes définitifs, revalorisé en fonction de l'évolution, entre la date de la réception et la date de la réparation du sinistre, de l'Index français du Bâtiment National dit BT.01 ou de tout autre indice qui viendrait à lui être substitué ;

Attendu que le coût total de construction, tel qu'il a été déclaré par la société Bord De Mer, s'est élevé à 260 632 613,22 francs ;

Que le montant des indemnités allouées par le présent jugement à la copropriété est très largement inférieur, de sorte que le plafonnement de la garantie n'est pas susceptible de jouer ;

2° Sur les causes d'exclusion de garantie invoquées par l'assureur

Attendu que l'article 4 exclut notamment de la garantie les dommages résultant :

du fait intentionnel ou du dol d'un assuré,

d'économies abusives imposées aux constructeurs dans le choix des matériaux et/ou des procédés de construction et qui sont à l'origine des dommages ;

a) moyen tiré de l'emploi de matériaux non courants

Attendu que l'article 1.16 des conditions générales donne une définition des « travaux de technique courante » en se référant à la notion de matériau ou procédé traditionnel ou à des normes et agréments techniques ;

Attendu cependant que ni les conditions générales, ni les conditions particulières ne se réfèrent au concept de « travaux de technique courante » et qu'ils n'excluent nullement de la garantie les travaux qui ne seraient pas conformes à leur définition ;

Que la société AGF ne peut donc invoquer une cause d'exclusion non prévue par la police ;

b) moyen tiré du fait intentionnel ou du dol de l'assuré

Attendu que la société AGF met en cause les conditions dans lesquelles P. N. a réalisé ses travaux et la société Bord De Mer a procédé à leur réception ; qu'il lui appartient d'apporter la preuve du fait intentionnel ou du dol qu'elle invoque ;

Attendu que l'inexécution par P. N. et par les architectes de leurs obligations respectives ne suffit pas à faire présumer qu'ils ont sciemment permis la réalisation d'ouvrages impropres à leur destination ;

Attendu, au sujet de la tenue de matériau employé, que l'expert judiciaire énonce que le phénomène d'osmose affectant l'assemblage du polyester avec la fibre de verre a été connu à partir de 1985 par les constructeurs de bateaux et pris en compte par les fabricants de coques de bateaux, de piscines et de fosses septiques (page 106 du rapport d'expertise) ;

Attendu que cette affirmation ne permet pas de présumer que ce défaut ait été notoirement porté à la connaissance de tous les professionnels utilisateurs de polyester au moyen, notamment, de publications professionnelles ou d'actions de formation ; qu'il n'est donc pas établi que P. N. et la société Bord De Mer aient envisagé la mise en place des bacs en sachant qu'ils allaient se montrer défaillants ;

Attendu que l'emploi d'éléments de raccordements en PVC, qui se sont avérés trop rigides, ne peut pas non plus être considéré comme fait en connaissance de leur inadéquation alors que P. N. et l'architecte B. avaient d'abord prévu des raccords en polyester, que le PVC n'a finalement été mis en œuvre qu'à la demande de la société SOCOTEC et que P. N. a alors dû fabriquer de nouveaux raccords, se plaignant de devoir le faire sans supplément de prix (annexe n° 152 au rapport d'expertise) ;

Attendu que la défaillance des architectes n'est pas davantage révélatrice d'un fait volontaire ;

Attendu qu'ils se sont certes désintéressés de l'insertion des bacs en polyester dans les autres éléments de l'immeuble ; que le Tribunal ne peut cependant pas présumer que cette négligence, quelle que fût sa gravité, ait pu être commise avec la conscience qu'elle allait aboutir à la production d'un ouvrage impropre à sa destination ;

Attendu que, loin de faire suspecter une collusion frauduleuse entre P. N. et la société Bord De Mer, les circonstances de l'espèce montrent, au contraire, l'existence d'un grave conflit entre eux, manifesté dès avril 1993 par un échange de courriers au sujet de l'état du chantier (annexes n° 149 et 150) et par la menace d'appliquer des pénalités de retard (annexe n° 145) ;

Attendu que la réception des ouvrages litigieux est intervenue le 21 juin 1993 dans ce contexte difficile (annexe n° 158), avec un retard sur la date convenue dans l' « acte d'engagement » (annexe n° 144) ;

Attendu que des fuites avaient été constatées sur les raccordements et que la société SOCOTEC avait, le 13 mai 1993, fait des observations et préconisé des tests de mise en eau (annexe n° 154) ; que P. N. avait répondu, le 8 juin 1993, qu'il avait vérifié l'étanchéité des bacs en les remplissant à moitié et avait renforcé les joints trouvés défaillants (annexe n° 157) ;

Attendu que la réception des travaux a été faite sans réserve sur les affirmations de conformité de P. N. ;

Attendu que la société AGF ne produit aucun élément de nature à démontrer que des fuites persistaient au jour de la réception, alors qu'un tel fait ne ressort pas du rapport d'expertise ;

Attendu que l'architecte n'aurait d'ailleurs eu aucun intérêt à cacher l'existence de malfaçons dès lors que les conditions particulières de la police d'assurance prévoient qu'elle devait prendre effet à compter de la réception, sans distinguer selon qu'elle est ou non assortie de réserves, et qu'une réception avec réserves aurait suffi à faire entrer en vigueur la garantie ;

Attendu que le dossier ne fait pas non plus apparaître une précipitation à procéder à la réception puisque plusieurs semaines ont été laissées à P. N. pour satisfaire aux préconisations de la société SOCOTEC et que le procès verbal de réception fait état de retard de 21 jours et des pénalités correspondantes à la charge de l'entrepreneur ;

Attendu qu'il convient également de tenir compte du fait que le maître de l'ouvrage ne peut, sans engager sa responsabilité à l'égard des entrepreneurs, différer à l'excès une réception qui conditionne le paiement de leur rémunération ;

Attendu enfin qu'aucun élément probant ne peut être titré du courrier, adressé le 25 octobre 1993 par l'architecte B. à la société Bord De Mer, qu'invoque la société AGF ;

Attendu que l'architecte, faisant le point sur la réception des différents appartements construits, s'y inquiétait des conditions dans lesquelles les risques des lots vendus devaient passer à leurs acquéreurs, alors que la copropriété n'était pas encore organisée, et préconisait, en se fondant sur la norme française NFP 03-001 visée par le Cahier des Clauses Spéciales, de procéder à la réception alors même que certains travaux ne seraient pas achevés en raison de retards imputables aux entrepreneurs ;

Attendu qu'il est exact que ce courrier contient des termes ambigus au sujet de l'expression ou non de réserves en envisageant la notification « officieuse » de réserves ;

Attendu cependant que ce courrier est postérieur de quatre mois à la réception des ouvrages construits que P. N., de sorte qu'il n'est pas certain qu'il puisse s'appliquer à cette réception ; qu'au contraire, le courrier litigieux paraît être une réponse à un problème présenté comme nouveau et qui ne concernait donc pas N. ;

Attendu que ces faits ne peuvent donc pas être retenus comme une cause d'exclusion de garantie ;

c) moyen tiré de l'immixtion du maître de l'ouvrage dans la maîtrise d'œuvre

Attendu que l'expert judiciaire fait grief à la société Bord De Mer d'avoir choisi P. N. par économie alors que l'offre faite par la société ÉDIL BÉTON était techniquement mieux aboutie, et d'avoir omis, alors qu'il était assisté par son propre ingénieur, de prendre conscience des difficultés d'insertion des bacs en polyester et de provoquer les aménagements nécessaires (pages 133 et 154 du rapport d'expertise) ;

Attendu que le Tribunal ne peut faire sienne cette appréciation ;

Attendu que la décision de substituer des bacs en polyester aux ouvrages en béton initialement prévus ne peut être considérée comme une immixtion fautive du maître de l'ouvrage alors que, loin d'être imposée aux architectes maîtres d'œuvre, elle paraît avoir été prise en accord avec eux, l'architecte B. ayant lui-même contracté P. N. et discuté avec lui ;

Attendu qu'il résulte de la comparaison faite par l'expert entre les propositions respectives de la société ÉDIL BÉTON et de P. N. :

que l'offre de P. N. était meilleur marché, hors taxes, de 197 690,27 francs, soit 18,10 % sur la fabrication et le montage des bacs,

tandis qu'elle était, pour la fourniture des poutrelles d'acier destinées au support des bacs, plus onéreuse de 137 900,09 francs,

ce qui aboutit à un avantage net en faveur de N. de 59 790,18 francs ;

Attendu qu'un tel montant ne saurait être assimilé à une économie abusive se trouvant à l'origine du dommage ;

Attendu qu'à défaut de toute indication sur le matériau qu'aurait mis en œuvre la société ÉDIL BÉTON si elle avait été choisie, il n'est nullement établi que ses bacs auraient été mieux conçus que ceux de P. N. ;

Attendu enfin que le fait que le maître de l'ouvrage, même assisté d'un spécialiste du bâtiment, n'ait pas lui-même détecté les défaillances du projet que lui soumettait son maître d'œuvre et pallié les défaillances de ce dernier ne saurait constituer une cause d'exclusion de garantie ;

V. - Sur les demandes présentées contre la société AGF par la Copropriété

Attendu que la Copropriété a été jugée bien fondée à obtenir la condamnation de la société Bord De Mer à lui payer :

titre de réparation des désordres affectant les ouvrages construits par P. N., la société B. et la société L. : la somme de 906 016,16 euros,

et à titre de préjudice de jouissance, la somme de 200 000 € ;

Attendu que la garantie de la société AGF ne lui est pas due pour la réparation du préjudice de jouissance, qui constitue un dommage immatériel non couvert par la police d'assurance « globale chantier » ;

Attendu, en revanche, que cette garantie doit jouer pour le surplus du préjudice, imputable aux défaillances respectives des architectes et des entrepreneurs dont la responsabilité est couverte par la police, et qui constitue un dommage matériel garanti ;

Attendu que la société AGF sera tenue, dans cette limite, in solidum avec la société Bord De Mer ;

VI. - Sur les appels en garantie

Attendu que la copropriété ne peut être mise hors de cause dès lors qu'elle a présenté des demandes reconventionnelles ;

A. - Sur les appels en garantie formés par la société Bord De Mer

Demandes de la société Bord De Mer

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que les architectes P. N., la société B., la société L. et la société SOCOTEC ont manqué aux obligations qu'ils avaient respectivement contractées envers la société Bord De Mer et que leurs manquements ont tous contribué à la réalisation du préjudice subi par la Copropriété à la réparation duquel la société Bord De Mer a été condamnée en sa qualité de promoteur-vendeur ;

Attendu que la société Bord De Mer est donc bien fondée à solliciter leur garantie ;

Attendu cependant que les obligations de la société SOCOTEC sont limitées, par l'effet de la convention qui la lie à la société Bord De Mer, au montant de 205 541,22 euros ci-dessus déterminé ;

Attendu que la société AGF doit, quant à elle, à la société Bord De Mer la garantie prévue par la police « Globale Chantier » ;

Demandes de dommages-intérêts

Attendu que la société Bord De Mer a été jugée bien fondée à agir en garantie contre les architectes et la société SOCOTEC, de sorte que son action ne saurait avoir un caractère abusif ;

Que les demandes indemnitaires respectivement formées par les architectes et la société SOCOTEC doivent, en conséquence, être rejetées ;

Attendu que la société Bord De Mer, régulièrement autorisée à appeler diverses parties en garantie, n'a pas non plus commis de faute en mettant en cause la copropriété afin de lui permettre de faire valoir ses intérêts ;

Que la demande de la copropriété tendant à la condamnation de la société Bord De Mer à lui payer des dommages-intérêts à ce titre ne peut donc pas davantage être accueillie ;

B. - Sur les appels en garantie formés par la société AGF

Demandes de la société AGF

Attendu qu'il convient de constater que la société AGF a renoncer à ses demandes dirigées contre la société L. ;

Attendu que la police d'assurance litigieuse a pour objet de garantir les conséquences de la responsabilité civile des assurés ; qu'il en résulte que, si l'assureur peut envisager des recours contre les tiers au contrat d'assurance, il ne peut pas prétendre à être garanti par ses propres assurés et à faire ainsi disparaître l'objet même de ce contrat ;

Attendu que la société AGF n'est donc pas recevable à agir contre les personnes qui ont, selon la police « Globale Chantier », la qualité d'assuré et n'encourent aucune déchéance ou exclusion de garantie :

la société Bord De Mer, en tant que maître de l'ouvrage,

et les architectes, en tant que chargés de la conception et de la direction de l'opération de construction ;

Attendu, en revanche, que la société SOCOTEC ne fait pas partie des intervenants assurés par la police ; que la société AGF peut donc rechercher la garantie de cette société et de son propre assureur, la société SMABTP ;

Attendu qu'il convient d'apprécier la part prise par la société SOCOTEC dans la réalisation du dommage dont la société AGF doit assurer la réparation afin de déterminer dans quelle mesure la société SOCOTEC sera tenue à garantir ;

Attendu que le dommage a eu pour cause les manquements cumulés des architectes, des entrepreneurs et de la société SOCOTEC, ci-dessus caractérisés ;

Attendu que la part de la société SOCOTEC apparaît importante alors qu'elle était censée, au même titre que les architectes, avoir une connaissance approfondie de toutes les difficultés techniques posées par la construction ou, à tout le moins, être en mesure d'accéder aux meilleures sources de documentation ;

Attendu qu'elle doit, en conséquence, être déclarée tenue à garantie à hauteur d'un tiers du dommage, eu égard aux éléments d'appréciation dont le Tribunal dispose ;

Attendu cependant que la clause limitative de responsabilité stipulée entre la société SOCOTEC et la société Bord De Mer doit être reconnue opposable à la société AGF, subrogée dans les droits de son assurée ;

Que l'obligation à garantie de la société SOCOTEC est donc limitée au montant de 205 541,22 euros ci-dessus déterminé ;

Attendu que la société SMABTP sera tenue dans les mêmes termes que la société SOCOTEC, qu'elle n'a pas contesté devoir garantir en vertu de la police d'assurance conclue entre eux ;

Demande indemnitaires

Attendu que la société SOCOTEC et la société SMABTP prétendent obtenir, dans le cadre de l'instance en garantie engagée par la société AGF, des condamnations indemnitaires contre la société Bord De Mer ;

Attendu qu'il résulte de la combinaison des articles 156 et 379 et suivants du Code de procédure civile qu'une partie défenderesse n'est pas recevable à solliciter la condamnation d'un co-défendeur ;

Que les demandes de la société SOCOTEC et de la société SMABTP doivent donc être déclarées irrecevables ;

Attendu qu'il n'est pas établi que la société AGF ait abusé de son droit d'agir en justice en appelant les architectes en garantie alors que cette action, loin d'ignorer la règle selon laquelle un assureur ne peut pas recourir contre ses assurés, n'était qu'une conséquence de sa thèse, non manifestement dénuée de sérieux, selon laquelle le dommage résultait du fait volontaire ou du dol de certains de ses assurés ;

Que la demande indemnitaire des architectes ne peut donc pas être accueillie ;

Attendu que la société AGF, régulièrement autorisée à appeler diverses parties en garantie, n'a pas non plus commis de faute en mettant en cause la copropriété afin de lui permettre de faire valoir ses intérêts ;

Que la copropriété doit, en conséquence, être pareillement déboutée de sa demande de dommages-intérêts ;

C. - Sur les appels en garantie formés par la société SOCOTEC

Attendu que la société SOCOTEC demande, par voie de conclusions, à être relevée et garantie par divers co-défendeurs ;

Attendu que cette prétention doit être déclarée irrecevable conformément à la règle, qui vient d'être rappelée, prohibant la présentation de demandes contre un co-défendeur ;

VII. - Sur l'exécution provisoire et les dépens

Attendu que la copropriété ne fournit aucune précision sur les circonstances de nature à caractériser la situation d'urgence qu'elle se borne à alléguer de façon abstraite ;

Qu'il ne peut donc pas être fait droit à sa demande tendant au prononcé de l'exécution provisoire ;

Et attendu que l'article 231 du Code de procédure civile met les dépens à la charge de la partie qui succombe ;

Attendu que les dépens des instances introduites par la copropriété doivent incomber, de façon solidaire, à la société Bord De Mer et à la société AGF ;

Attendu que les dépens de l'instance en garantie formée par la société Bord De Mer doivent être supportés solidairement par l'ensemble des défendeurs qu'elle concerne, à l'exception de la copropriété qui n'est visée par aucune demande ;

Attendu enfin qu'il convient de distinguer, au sujet des dépens de l'instance en garantie engagée par la société AGF, entre :

ceux afférents aux demandes formées contre la société SOCOTEC, qui incomberont à cette dernière et à la société SMABTP,

et ceux afférents aux autres défendeurs, qui resteront à la charge de la société AGF ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, STATUANT PAR JUGEMENT RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE,

Ordonne la jonction des instances respectivement enregistrées sous les n° 183, 418 et 595 de l'année judiciaire 2002-2003, et 488 de l'année judiciaire 2003-2004 ;

Rejette l'exception d'irrecevabilité présentée par la société Bord De Mer et par la société AGF contre les demandes du syndicat des copropriétaires de l'immeuble du 21 ;

Condamne la société Bord De Mer à payer au syndicat de la copropriété de l'immeuble 21 la somme de 1 106 016,16 €, montant des causes sus-énoncées, avec intérêts au taux légal à compter du 25 octobre 2002 ;

Condamne la société Assurances Générales De France Iardt à payer à ce syndicat la somme de 906 016,16 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 25 octobre 2002 ;

Dit que la société Bord De Mer et la société Assurances Générales De France Iardt seront tenues, dans cette limite, in solidum envers le syndicat ;

Condamne in solidum P. N., la société B., la société Monaco L. Construction, T. V., R. B., la société SOCOTEC et la société Assurances Générales De France Iardt à relever et garantir la société Bord De Mer des condamnations prononcées contre elle au bénéfice du syndicat ;

Dit cependant que cette obligation est limitée :

* en ce qui concerne la société SOCOTEC, à la somme de 205 541,22 euros ;

* en ce qui concerne la société Assurances Générales De France Iardt, à la somme de 906 016,16 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 25 octobre 2002 ;

Constate que la société Assurances Générales De France Iardt a renoncé à ses demandes dirigées contre la société Monaco L. Construction ;

Condamne in solidum la société SOCOTEC et la Société Mutuelles du Bâtiment et des Travaux Publics (SMABTP) à relever et garantir, mais seulement à hauteur d'un tiers, la société Assurances Générales De France Iardt des condamnations prononcées contre elle au profit du syndicat, mais seulement dans la limite de 205 541,22 euros ;

Déclare irrecevables les demandes indemnitaires présentées par la société SOCOTEC et la société SMABTP contre la société Bord De Mer ;

Déclare également irrecevables les demandes de garantie formées par voie de conclusions par la société SOCOTEC ;

Déboute l'ensemble des parties du surplus de leurs prétentions, y compris celle tendant au prononcé de l'exécution provisoire ;

Composition

M. Narmino, présid. ; Mme Gonelle prem. subst. proc. gén. ; Mes Escaut et Karczag-Mencarelli, av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 27189
Date de la décision : 19/01/2006

Analyses

Contrat de vente ; Copropriété


Parties
Demandeurs : Syndicat de la propriété de l'Immeuble 21
Défendeurs : SAM du Bord de Mer

Références :

article 368 du Code de procédure civile
ordonnance du 23 novembre 1998
article 1002 du Code civil
article 271 du Code de procédure civile
articles 1630 et 2090 du Code civil
article 217 du Code de procédure civile
article 1008 du Code civil
ordonnance du 17 avril 1997
articles 1483 et 1484 du Code civil
article 5 de l'ordonnance-loi n° 662 du 23 mai 1959
article 156 du Code de procédure civile
article 231 du Code de procédure civile
Ordonnance-loi n° 662 du 23 mai 1959
Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;2006-01-19;27189 ?

Source

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