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27/06/2002 | MONACO | N°27014

Monaco | Tribunal de première instance, 27 juin 2002, S. A. c/ A., Banque Sobi, SCI du ., C., O.


Abstract

Responsabilité civile

Notaire - Fautes dans l'exercice de ses fonctions : actes reçus préjudiciables aux parties et aux tiers - Acte de notoriété attestant l'existence d'une possession acquisitive par prescription trentenaire contredite par des éléments connus du notaire - Acte de vente établi en connaissance de la précarité du titre erroné invoqué par le vendeur

Résumé

Suivant acte authentique reçu le 27 décembre 1990 par Maître L.-C. C., notaire à Monaco, transcrit le 15 janvier 1991, A. A., veuve de J. G., a vendu à la Société Civile

Immobilière du . l'immeuble dénommé « Villa C. » ;

Selon cet acte, A. A. prétendait tirer ...

Abstract

Responsabilité civile

Notaire - Fautes dans l'exercice de ses fonctions : actes reçus préjudiciables aux parties et aux tiers - Acte de notoriété attestant l'existence d'une possession acquisitive par prescription trentenaire contredite par des éléments connus du notaire - Acte de vente établi en connaissance de la précarité du titre erroné invoqué par le vendeur

Résumé

Suivant acte authentique reçu le 27 décembre 1990 par Maître L.-C. C., notaire à Monaco, transcrit le 15 janvier 1991, A. A., veuve de J. G., a vendu à la Société Civile Immobilière du . l'immeuble dénommé « Villa C. » ;

Selon cet acte, A. A. prétendait tirer ses droits de la prescription acquisitive prévue à l'article 2082 du Code civil et se prévalait d'un acte de notoriété établi le 8 février 1990 par le même notaire, selon lequel son époux puis elle-même, après le décès de ce dernier, avaient eu durant au moins 30 ans la possession continue, paisible, publique et non équivoque de cet immeuble à titre de propriétaire ;

Par jugement du 4 mai 1995, le Tribunal de Première Instance a constaté que J. G. et A. A. n'avaient jamais été possesseurs de la Villa C. et qu'A. A. n'en était pas devenue propriétaire par prescription acquisitive ;

Cette décision a été confirmée le 15 décembre 1998 par la Cour d'appel qui a en outre :

- reçu M. S. épouse A., se prétendant véritable propriétaire de la Villa, en son intervention ;

- prononcé à la demande de la société . la nullité de l'acte de vente avec toutes conséquences de droit ;

- condamné A. A. à verser à cette société la somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par son appel abusif ;

Le pourvoi formé par A. A. a été rejeté le 7 octobre 1999 par la Cour de Révision qui l'a en outre condamnée à payer à M. S. la somme de 10 000 francs à titre de dommages-intérêts par application de l'article 459-4 du Code de procédure civile ;

Par exploit susvisé du 14 mai 1997, M. S., déclarant venir aux droits d'H. K., avait fait entre-temps assigner :

- A. A. ;

- la société . ;

- l'établissement bancaire dénommé Société de Banque et d'Investissements (SOBI) devenue depuis United European Bank ;

- L.-C. C. ;

- et J. O., ès qualités d'administrateur judiciaire provisoire de l'immeuble chargé d'assurer, relativement à cet immeuble, la gestion des intérêts des sœurs K., héritières de la veuve K. ;

Se prévalant de sa qualité de seule héritière et propriétaire de la villa, elle demandait au Tribunal de :

- constater « l'absence de prescription acquisitive et de qualité de propriétaire » d'A. A. ;

- constater la nullité « du prétendu acte de vente du 15 janvier 1991 » et de « l'acte dit notoriété acquisitive du 1er mars 1990 » ;

- condamner A. A. à lui payer la somme de 500 000 francs à titre de dommages-intérêts du fait de ses agissements blâmables et de ses fausses affirmations ayant entraîné l'indisponibilité du bien immobilier depuis 1990 ;

- condamner solidairement la Société du . et la société Sobi à lui payer la somme de 500 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

- condamner L.-C. C. à lui payer la somme de 500 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

V. Sur les fautes invoquées par M. S.

A. Sur la responsabilité de L.-C. C.

Les notaires sont responsables des fautes qu'ils commettent dans l'exercice de leurs fonctions d'officier public ; cette responsabilité joue non seulement vis-à-vis des parties aux actes qu'ils reçoivent, mais également à l'égard des tiers auxquels ces fautes peuvent causer préjudice ;

1° Sur l'acte de notoriété du 8 février 1990

L.-C. C. a établi le 8 février 1990, sur la déclaration de six témoins, un acte de notoriété tendant à faire la preuve que « les conditions exigées par l'article 2048 du Code civil pour acquérir la propriété par la prescription trentenaire sont réunies et Madame Veuve G. née A. doit être considérée comme propriétaire de ladite Villa C... » ;

S'il est vrai qu'en pareil cas, la mission du notaire se limite à l'authentification des propos des déclarants sans impliquer la vérification de leur contenu par des investigations spéciales, cet officier public engage néanmoins sa responsabilité lorsqu'il accepte d'établir un acte de notoriété alors que les circonstances ou ses connaissances personnelles sont de nature à mettre en doute la véracité des énonciations des déclarants et la réalité des faits dont ils prétendent attester ;

L'acte de notoriété énonce notamment, parmi les faits de nature à établir la possession paisible, continue et non équivoque de la villa tant par J. G. qu'à sa suite par sa veuve :

- les sœurs K., légataires de la villa suivant acte établi le 7 février 1950 par Maître Settimo, prédécesseur de L.-C. C., « ne se sont jamais manifestés » depuis cette date ;

- J. G., locataire de la villa à compter du 1er octobre 1949, puis A. A. « en l'absence de toute demande du ou des propriétaires dont on ignore qui ils sont... ne se sont jamais acquittés d'un quelconque terme de loyer » ;

Cependant les propres archives du notaire contenaient des pièces contredisant ces affirmations ;

Une des légataires de la villa, M. K. veuve K., avait entretenu avec Maître Settimo, entre 1954 et 1960, une correspondance assez fournie par laquelle elle s'inquiétait du paiement et de la réévaluation des loyers dus par le locataire de la villa ; Maître Settimo lui avait notamment adressé le 14 février 1957 une réponse par laquelle il lui annonçait, outre un versement de 300 000 anciens francs, une augmentation du loyer et le paiement d'un rappel par le locataire ; il l'avait encore informée le 21 avril 1960 de l'ouverture d'un compte étranger convertible à la Banque Nationale pour le Commerce et l'Industrie à Monaco, destiné à recevoir les loyers versés en l'étude ;

L.-C. C. a eu personnellement connaissance de cette situation après le décès de Maître Settimo et la reprise de son étude ; il n'a pu ignorer l'existence du compte bancaire ci-dessus décrit ; il écrivait lui-même le 2 mai 1962 à la propriétaire qu'il ne souhaitait plus assurer la gérance de la location et l'invitait à désigner un autre mandataire ; il joignait à ce courrier un relevé de compte faisant apparaître les loyers et les charges entre juin 1957 et avril 1962 ;

La prétendue possession par J. G. n'avait d'ailleurs rien de paisible puisque selon les termes d'un courrier rédigé le 3 mai 1960 par le Chef du secrétariat particulier de Son Altesse Sérénissime le Prince Souverain, une réclamation faite le 14 janvier 1960 par M. K. avait donné lieu à une « longue enquête » au sujet de la gestion de Maître Settimo et du comportement de J. G. ; une telle enquête ne pouvait être ignorée des notaires successifs ;

L.-C. C. disposait donc de renseignements qui démontraient manifestement tant l'inexactitude des faits énoncés dans l'acte de notoriété que l'inexistence d'une possession trentenaire utile ; il s'est référé de façon sélective aux documents qu'il détenait de son prédécesseur, omettant de faire produire leur effet aux courriers et protestations de M. K. ;

Il a donc agi fautivement tant en établissant l'acte de notoriété qu'en le faisant publier dès le 1er mars 1990 à la Conservation des Hypothèques, alors qu'il avait nécessairement conscience qu'il portait ainsi atteinte aux droits des véritables propriétaires de l'immeuble ;

Il a par cette faute engagé sa responsabilité civile à l'égard de ces propriétaires ;

2° Sur l'acte de vente de la villa

Cet acte a été précédé le 30 octobre 1990 d'une notification adressée par l'État de Monaco tant à A. A. qu'à la société Promofrance, alors bénéficiaire d'une promesse de vente de la villa, et à L.-C. C. ; l'État y faisait à A. A. « défense... de se prétendre propriétaire de la » Villa C. «, et de ses droits réels y attachés, ainsi que de passer quelque acte de disposition desdits droits... » ;

En cet état, L.-C. C. a reçu le 27 décembre 1990 divers actes liés à l'opération d'achat de la villa et à la réalisation d'un programme immobilier comportant sa démolition et de nouvelles constructions :

- constitution de la société civile immobilière du ., créée entre la société Promofrance, titulaire de 68 % des parts, la société Sobi et la Caisse d'Épargne et de Prévoyance de Nice, attributaires chacune de 16 % des parts ;

- cession par la société Promofrance à la société nouvellement créée du bénéfice de sa promesse de vente pour le prix de 14,6 millions de francs ;

Le notaire a ainsi agi de façon pour le moins imprudente en prêtant son concours jusqu'à l'aboutissement d'une opération dont le caractère hasardeux ne pouvait, en tant que professionnel du droit, lui échapper ;

La notification de l'État le mettait pourtant en garde sur le fait qu'A. A. n'avait possédé la villa que par autrui et à titre précaire et que l'article 2056 du Code civil faisait donc obstacle à toute prescription ;

La sommation interpellative n'était que partielle puisqu'elle n'enregistrait aucune réponse de la part de M. K. et n'établissait pas que sa sœur H. ait pu la représenter ni l'engager par ses déclarations personnelles ;

La thèse selon laquelle les véritables propriétaires auraient entendu abandonner leurs droits sur la villa n'était de toute façon pas susceptible de conférer un titre de propriété à A. A. ;

La sommation interpellative n'apportait aucune réponse aux critiques émises par l'État contre le contenu et la portée de l'acte de notoriété ; l'éventuel désintérêt du propriétaire ne pouvait en aucune manière faire la preuve de la possession invoquée par A. A., qui ne pouvait résulter que de faits ou actes matériels et positifs imputables à son action personnelle ou à celle de son défunt mari ;

En outre, l'éventuelle renonciation par un propriétaire à son droit de propriété sur un immeuble ne peut pas profiter à des tiers puisque l'article 435 du Code civil confère à l'État la propriété des biens vacants ou sans maître et ceux des personnes dont les successions sont abandonnées ;

L.-C. C. n'allègue pas avoir mis en garde ses clients sur le caractère inopérant de la sommation interpellative ; il a au contraire entendu lui faire produire des effets en la déposant au rang de ses minutes, puis en faisant état tant dans l'acte de cession de promesse de vente que dans l'acte de vente de la villa qu'il a rédigés ;

Il a encore par ce fait engagé sa responsabilité civile.

Motifs

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Suivant acte authentique reçu le 27 décembre 1990 par Maître L.-C. C., notaire à Monaco, transcrit le 15 janvier 1991, A. A., veuve de J. G., a vendu à la Société civile immobilière du . l'immeuble dénommé « Villa C. » ;

Selon cet acte, A. A. prétendait tirer ses droits de la prescription acquisitive prévue à l'article 2082 du Code civil et se prévalait d'un acte de notoriété établi le 8 février 1990 par le même notaire, selon lequel son époux puis elle-même, après le décès de ce dernier, avaient eu durant au moins 30 ans la possession continue, paisible, publique et non équivoque de cet immeuble à titre de propriétaire ;

Par jugement du 4 mai 1995, le Tribunal de première Instance a constaté que J. G. et A. A. n'avaient jamais été possesseurs de la Villa C. et qu'A. A. n'en était pas devenue propriétaire par prescription acquisitive ;

Cette décision a été confirmée le 15 décembre 1998 par la Cour d'appel qui a en outre :

* reçu M. S. épouse A., se prétendant véritable propriétaire de la Villa, en son intervention ;

* prononcé à la demande de la société . la nullité de l'acte de vente avec toutes conséquences de droit ;

* condamné A. A. à verser à cette société la somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par son appel abusif ;

La Cour a retenu :

* que J. G. était entré dans les lieux le 1er octobre 1949 à titre de locataire ;

* qu'A. A. n'établissait pas une interversion de titre ;

* qu'elle ne pouvait se prévaloir en 1990 d'une possession trentenaire alors qu'une précédente propriétaire, H. K. veuve K., avait au moins jusqu'au 31 mars 1962 perçu des loyers par l'intermédiaire du notaire C., que J. G. avait continué à payer des loyers jusqu'au mois de septembre 1966, qu'il se présentait encore le 13 octobre 1976 à une banque et au Directeur de l'Urbanisme et de la Construction comme locataire de la villa et qu'A. A. avait pris la même qualité dans un acte d'huissier dressé le 12 octobre 1980 ;

Le pourvoi formé par A. A. a été rejeté le 7 octobre 1999 par la Cour de Révision qui l'a en outre condamnée à payer à M. S. la somme de 10 000 francs à titre de dommages-intérêts par application de l'article 459-4 du Code de procédure civile ;

Par l'exploit susvisé du 14 mai 1997, M. S., déclarant venir aux droits d'H. K., avait fait entre-temps assigner :

* A. A. ;

* la société . ;

* l'établissement bancaire dénommée Société de Banque et d'Investissement (SOBI) devenue depuis United European Bank ;

* L.-C. C. ;

* et J. O., es qualités d'administrateur judiciaire provisoire de l'immeuble chargé d'assurer, relativement à cet immeuble, la gestion des intérêts des sœurs K., héritières de la veuve K. ;

Se prévalant de sa qualité de seule héritière et propriétaire de la villa, elle demandait au Tribunal de :

* constater « l'absence de prescription acquisitive et de qualité de propriétaire » d'A. A. ;

* constater la nullité « du prétendu acte de vente du 15 janvier 1991 » et de « l'acte dit notoriété acquisitive du 1er mars 1990 » ;

* condamner A. A. à lui payer la somme de 500 000 francs à titre de dommages-intérêts du fait de ses agissements blâmables et de ses fausses affirmations ayant entraîné l'indisponibilité du bien immobilier depuis 1990 ;

* condamner solidairement la Société du . et la société SOBI à lui payer la somme de 500 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

* condamner L.-C. C. à lui payer la somme de 500 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Par conclusions du 4 juin 1998, elle sollicitait en outre la radiation immédiate par la société . d'une inscription d'hypothèque judiciaire portant sur la villa sous peine d'une astreinte journalière de 10 000 francs ;

Après l'intervention de l'arrêt rendu par la Cour de Révision, cité plus haut, elle a déclaré le 10 novembre 1999 limiter ses prétentions aux condamnations pécuniaires et à la radiation sous astreinte de l'inscription hypothécaire ;

J. O. sollicitait d'abord, dans des conclusions déposées le 15 octobre 1997, qu'il soit mis fin à sa mission ; en ayant été déchargé par ailleurs, il ne concluait plus le 14 novembre 2001 qu'à sa mise hors de cause ;

A. A. soulevait le 15 octobre 1997 une exception dilatoire tendant à la fourniture d'une caution conformément à l'article 259 du Code de procédure civile ;

Puis elle déposait le 6 décembre 2000 des conclusions par lesquelles elle demandait au Tribunal :

* de débouter M. S. de ses prétentions ;

* de rejeter l'exception de L.-C. C. tendant à ce qu'elle le garantisse ;

* de constater que L.-C. C. s'est rendu auteur de fautes de nature à engager sa responsabilité civile et le condamner à la relever et garantir de toute condamnation susceptible d'être prononcée contre elle « du chef de la procédure engagée par l'assignation en date du 18 septembre 1997 à la requête de la société civile immobilière du . » ;

* de condamner L.-C. C. à lui payer la somme de 20 millions de francs « en réparation du préjudice subi par l'acte spoliateur du 20 décembre 1990 », celle de 5 millions de francs à titre de dommages-intérêts complémentaires et celle de 200 000 francs au titre des frais irrépétibles ;

Enfin, par des conclusions qualifiées le 7 juin 2001 de « récapitulatives », elle soulevait l'irrecevabilité des demandes formées contre elle, faute pour M. S. de justifier de sa qualité d'héritière, et demandait subsidiairement au Tribunal de la mettre hors de cause dès lors que les fautes professionnelles du notaire C. seraient la cause du préjudice invoqué ;

L.-C. C. demandait le 19 janvier 2000 l'autorisation d'appeler en garantie A. A. et la Société du . ;

À titre subsidiaire, il concluait le 23 octobre 2000 au rejet des demandes présentées par M. S. ;

Dans un premier temps, le 15 octobre 1997, la société . s'opposait aux demandes d'indemnité formées contre elle et s'en rapportait à justice quant aux autres prétentions ;

Par conclusions des 14 avril et 21 mars 2001, elle estimait irrecevable puis mal fondée la demande d'appel en garantie formée contre elle par L.-C. C. ; elle s'en rapportait à justice sur sa demande de garantie visant A. A. ;

La société Sobi, devenue United European Bank, déclarait à l'audience du 25 avril 2002 qu'elle prenait et faisait sienne l'argumentation de la société . et s'opposait aux demandes formées contre elle ;

Le débat instauré entre les parties peut être ainsi résumé :

Sur la qualité à agir de M. S. :

* A. A. estime qu'elle n'établit pas sa qualité à agir alors que :

* seul un des documents produits comporte l'apostille prévue par la Convention de la Haye du 5 octobre 1961 relative à la reconnaissance des actes publics étrangers ;

* il n'est pas suffisamment démontré que le document présenté comme le testament d'H. K. ait bien ce caractère ;

* ce document désigne comme héritière une dame S. épouse V. dont il n'est pas certain qu'elle corresponde à la demanderesse, dénommée dans l'exploit introductif d'instance S. épouse A. ;

* il n'est pas établi qu'H. K., colégataire de la villa litigieuse avec ses sœurs M. et S., ait recueilli leurs droits successoraux de sorte que l'on ignore l'étendue de ses droits sur la villa ;

Sur la responsabilité de la société . :

* M. S. fait valoir que cette société connaissait « la situation spécieuse de la vente intervenue à son profit et des conditions et qualités sujettes à caution dont se prévalait Madame A. » et qu'elle a manqué par esprit de lucre et de cupidité aux devoirs de prudence qui lui imposaient de vérifier les qualités de son vendeur ;

* la société défenderesse se présente comme une victime trompée par A. A. qui s'est prétendue faussement propriétaire de la villa ; elle ajoute qu'au moment de la vente, elle pouvait légitimement croire en cette qualité au vu de l'acte de notoriété dressé par le notaire, des pièces reçues par lui, faisant état de l'abandon de leurs droits par les consorts K., et d'une lettre du Service de l'Urbanisme du 27 décembre 1990 ; elle en déduit qu'elle n'a pas couru délibérément un risque en acquérant la villa, qu'elle n'a commis aucune faute et que le notaire est le seul responsable de cette « malheureuse opération » ;

Sur la responsabilité de la société Sobi :

* M. S. lui reproche d'avoir fait inscrire une hypothèque judiciaire sur la villa alors qu'elle savait parfaitement que cet immeuble n'était pas la propriété d'A. A. ; elle voit un abus dans le fait d'avoir tenté de se garantir sur ce bien ;

* la société Sobi n'a pas répondu sur ce point ;

Sur la responsabilité d'A. A. :

* M. S. se plaint de ses « fausses affirmations et démarches » qui ont créé une situation de droit et de fait préjudiciable, alors qu'A. A. et son défunt époux J. G. n'avaient été que détenteurs précaires de la villa et qu'A. A. s'était encore présentée comme locataire à un huissier le 12 octobre 1980 ;

* A. A. conteste avoir commis une quelconque faute ; elle souligne que les précédentes propriétaires de la villa s'étaient désintéressées de ce bien et qu'elle n'a donc pas fautivement profité de leur éloignement ; elle affirme que s'étant bornée à demander au notaire si elle pouvait s'estimer légalement propriétaire de la villa qu'elle occupait depuis de nombreuses années, elle s'est trouvée à la suite de l'acte de notoriété établi par ce dernier munie d'un titre de propriété, régulièrement publié, lui permettant de disposer de la villa à sa guise ; elle rejette toute responsabilité sur le notaire qui n'aurait jamais dû établir l'acte de notoriété en l'état des éléments contradictoires ou inopérants dont il avait connaissance, qui contredisaient la prescription acquisitive et montraient l'inexactitude des déclarations faites par les témoins ; elle précise que n'ayant épousé J. G. qu'en 1973, elle ignorait qu'il avait versé des loyers jusqu'en 1962 ; elle estime que le notaire a, en outre, manqué à son devoir de conseil à son égard tant lors de l'établissement de l'acte de notoriété qu'à l'occasion de la vente, notamment en ne l'informant pas que l'acte de notoriété n'était qu'un moyen de preuve fragile valant simple présomption, ce qu'elle n'a appris qu'à l'occasion de l'action judiciaire, en poursuivant la vente de façon précipitée malgré l'opposition exprimée par l'État sans s'entretenir avec elle de cette difficulté et en prétendant faire produire des effets à une renonciation des consorts K. en réalité inefficace au regard du droit monégasque et du droit yougoslave, d'autant qu'une des propriétaires n'avait pas été consultée ; elle insiste sur le fait qu'elle n'avait aucune connaissance en matière juridique, exerçant la profession d'infirmière, qu'elle se trouvait en outre dans un état dépressif et que de façon générale le notaire ne s'est nullement préoccupé de ses intérêts ; elle dénie toute valeur au constat d'huissier du 12 octobre 1980 alors qu'elle a répondu de bonne foi à un huissier à un moment où elle était encore en train de prescrire pour acquérir un titre ; elle précise que l'on ne peut pas non plus lui reprocher le fait d'avoir consenti une baisse de prix alors que ce fait a été la conséquence de négociations et de dations conduites et décidées à son insu entre l'acquéreur et l'État de Monaco ;

Sur la responsabilité de L.-C. C. :

* M. S. considère qu'il a agi fautivement en établissant avec légèreté ou de façon superficielle tant l'acte de notoriété que l'acte de vente alors :

* qu'il aurait dû effectuer de plus grandes vérifications ;

• qu'il lui était aisé de vérifier dans les archives de sa propre étude qu'il avait lui-même encaissé des loyers de J.-G. au moins jusqu'au 1er trimestre de l'année 1962, ce qui faisait obstacle à toute prescription acquisitive en 1990 ;

* qu'une simple vérification auprès du Service du Logement lui aurait immédiatement confirmé que les époux G.-A. n'avaient eu que la qualité de locataire depuis 1949 ;

* que la prudence s'imposait d'autant plus que les cas d'usucapion sont rares en Principauté eu égard à l'étroitesse du territoire ;

* L.-C. C. rappelle que l'acte de notoriété, document probatoire « fragile » ne valant qu'en l'absence de contestation, tend à démontrer non la véracité de certains faits, mais seulement leur notoriété, de sorte que « le notaire n'est pas tenu de garantir les faits qu'il s'agit de prouver » et que sa responsabilité n'est pas engagée lorsqu'il n'a aucune raison de douter ni de la sincérité des témoins dont il recueille les déclarations, ni de la véracité des documents qui lui sont produits ; il soutient qu'il a bien vérifié l'origine de propriété de la villa et s'est assuré de la réalité de la possession invoquée par A. A., manifestée par l'absence de paiement de loyers, la prise en charge de travaux et de primes d'assurance incombant au propriétaire, l'autorisation donnée à des tiers d'occuper une partie des lieux moyennant loyers, la qualité de propriétaire prise dans un état des lieux de 1985 ; il précise que les témoins à l'acte de notoriété étaient tous monégasques ou enfants du pays et avaient pu attester de la notoriété de ces faits et ajoute qu'il a pris le soin de faire consulter en Yougoslavie le possible héritier du bien qui a indiqué s'en désintéresser totalement ; il fait également valoir que les autres parties ont commis des fautes l'exonérant de toute responsabilité :

* la demanderesse, par l'inertie des légataires de la villa qui a créé une apparence trompeuse de renonciation à un legs et a rendu excusable l'erreur du notaire ;

* A. A., par sa volonté de s'approprier injustement un bien appartenant à autrui, agissant ainsi avec la conscience et la volonté de porter préjudice, constitutive d'une faute lourde ou d'un dol ; cette volonté se serait manifestée par le désir de prendre en charge des travaux de ravalement de façade avancés par l'État, par les contacts développés entre A. A. et la société Promofrance, bénéficiaire d'une promesse de vente, et par le fait que sachant qu'elle n'était pas propriétaire, elle a consenti à réduire considérablement, de 28 à 8 millions de francs, le prix convenu avec cette société ;

* la société du ., par le fait que malgré la défense notifiée par l'État, elle a pris le risque d'acquérir en connaissance de cause le bien d'autrui, n'hésitant pas en outre à débourser 14,6 millions de francs pour se faire céder la promesse de vente consentie à Promofrance ; elle était d'autant mieux consciente de la situation de la villa qu'elle agissait en tant que professionnel de l'immobilier et des opérations de constructions et que la société Promofrance n'était autre qu'un de ses associés et son gérant statutaire ;

Sur le préjudice :

* M. S. expose qu'elle-même et avant elle H. K. ont dû subir des tracas et consentir des efforts financiers très importants pour défendre leurs droits et qu'elles ont ainsi subi divers chefs de préjudice matériel et moral : privation de jouissance, perte financières liée à l'indisponibilité de la villa, frais de procédure, conséquences d'une prise abusive d'hypothèque ;

* la société . répond que M. S. n'a guère subi de tracas puisqu'elle n'est propriétaire de la villa que depuis le 18 avril 1997 et qu'elle n'a souffert d'aucun préjudice particulier ;

* A. A. conteste que le défaut de paiement de loyers constitue un préjudice lié à une quelconque faute alors que les légataires de la villa sont restés passifs durant de nombreuses années ;

* pour L.-C. C., l'évaluation des dommages-intérêts faite par la demanderesse paraît « surestimée en l'état de sa propre faute et de celles des parties » ; rappelant que l'indemnisation d'un préjudice incombe à celui ou à ceux qui l'ont provoqué par leur faute ou leur fait, il soutient que « la pluralité des fautes commises entraîne donc un partage de la responsabilité dans lequel chacun ne doit répondre que des conséquence dommageables de ses propres fautes » ; il en déduit qu'il ne peut y avoir ici d'obligation in solidum alors que la demanderesse aurait elle-même commis des fautes ;

Sur le recours en garantie envisagé par L.-C. C. :

* L.-C. C. justifie sa demande tendant à être autorisé à appeler en garantie A. A. par le fait que l'acte de notoriété a été dressé à la demande de cette dernière en l'état des éléments fournis par elle et qu'elle a agi fautivement et de manière intentionnelle en revendiquant des droits dont elle n'était pas titulaire ; s'agissant de la société ., il ne précise aucunement dans ses premières écritures les faits de nature à justifier la garantie et lui reproche seulement dans des conclusions ultérieures les fautes déjà exposées ayant concouru selon lui à la survenance du dommage causé à M. S. ;

* la société . s'en rapporte sur le mérite de la demande dirigée contre A. A. mais soulève l'irrecevabilité de la demande la concernant, à défaut de tout exposé même sommaire des moyens au sens de l'article 156-3 du Code de procédure civile ;

* A. A. s'oppose à tout appel en garantie en mettant en avant la responsabilité du notaire dont elle prétend que les fautes sont la cause exclusive du préjudice allégué par la demanderesse ;

Sur quoi :

I. Sur le maintien dans la cause de J. O. :

Attendu qu'aucune demande n'est formée contre J. O. ès qualités ; qu'il a été déchargé de sa mission d'administrateur en vertu d'une ordonnance prise le 9 mars 2001 par le Président du Tribunal de Première Instance ; que rien ne justifie son maintien aux débats ;

Attendu qu'il y a donc lieu de le mettre hors de cause ;

II. Sur la recevabilité des demandes présentées par M. S. :

Attendu qu'il est exact que les pièces n° 33 et 34 produites par la demanderesse ne sont pas toutes revêtues d'une apostille et attribuent à la légataire d'H. K. l'identité « M. S., mariée V. » ;

Attendu cependant qu'A. A. invoque elle-même dans ses conclusions du 6 décembre 2000 le rapport établi par J. O. en sa qualité d'administrateur judiciaire de la villa ;

Attendu que les documents produits par M. S. font partie des pièces annexées à ce rapport et y sont en outre accompagnés à la fois d'une traduction en langue française établie par Ferina Pijunovic et de la prestation de serment de cet interprète reçue le 13 avril 2000 par le Tribunal italien de Milan, dans le ressort duquel demeure M. S. ; qu'il ressort d'une attestation émanant du juge yougoslave Jovanka Travar que le testament a été lu devant témoins à l'audience tenue le 2 juin 1997 au Tribunal municipal de Novi Sad ; que cette attestation a été revêtue d'une apostille conforme à la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 applicable notamment entre l'Italie et la République de Yougoslavie ;

Attendu que la Principauté de Monaco n'est pas actuellement partie à cette convention ; que cependant l'apostille suffit à donner au Tribunal toute garantie sur l'authenticité des pièces produites ; qu'en la matière, aucun texte n'impose la formalité de la légalisation qui n'est envisagée à l'article 475 du Code de procédure civile qu'en matière d'exécution forcée d'un jugement étranger ;

Attendu que les pièces susénoncées ont été déposées le 18 septembre 2000 entre les mains de Maître Aureglia, notaire à Monaco ;

Attendu que le rapport de J. O. est également accompagné de la copie d'une ordonnance rendue le 10 octobre 2000 par le Président du Tribunal de Première Instance par laquelle M. S. épouse A. a été envoyée en possession des biens situés à Monaco dépendant de la succession de feue H. K. ; que la villa litigieuse fait partie de ces biens puisqu'elle est spécialement visée dans le testament ; qu'une telle ordonnance, rendue conformément à l'article 864 du Code civil, fait présumer jusqu'à preuve du contraire les qualités successorales du légataire ;

Attendu que les droits de M. S. sur la villa sont donc suffisamment établis ;

Attendu cependant que M. S. se prévaut à la fois :

* du préjudice subi personnellement par elle ;

* du préjudice subi de son vivant par H. K., aux droits de laquelle elle prétend venir ;

Attendu que le testament d'H. K. se borne à indiquer qu'elle laisse à M. S. « mes biens, consistant dans la maison Villa C... en propriété permanente » ; qu'une telle formulation montre que la villa constitue un legs particulier et que M. S. n'a pas la qualité de légataire universelle ni de légataire à titre universel ;

Attendu qu'il en résulte qu'elle n'a pas acquis l'ensemble des droits et actions dépendant du patrimoine de la défunte, notamment l'action en réparation du préjudice causé par les fautes de L.-C. C., A. A. et la société . ;

Attendu qu'elle n'a donc pas qualité pour exercer cette action aux lieu et place de la défunte ; que l'exception d'irrecevabilité présentée par A. A. doit donc être accueillie sur ce point ;

Attendu qu'elle est en revanche recevable à solliciter la réparation du préjudice qu'elle a personnellement subi depuis le décès d'H. K. ; que l'exception d'A. A. doit être rejetée dans cette mesure ;

III. Sur les demandes présentées par A. A.

Attendu qu'A. A. a déposé le 7 juin 2001 des conclusions qualifiées de « récapitulatives » ; que ce terme implique qu'elle a renoncé à toutes ses demandes antérieures non reprises dans ces ultimes conclusions ;

Attendu que le Tribunal doit en conséquence constater que sa saisine se limite aux demandes exprimées dans les conclusions du 7 juin 2001 et qu'il n'est plus saisi des demandes tendant :

* à imposer à M. S. de fournir la caution prévue par l'article 259 du Code de procédure civile ;

* à condamner L.-C. C. à la garantir de toute condamnation prononcée contre elle ou à lui payer des dommages-intérêts ;

* à la communication forcée de pièces par les autres parties ;

IV. Sur l'exception dilatoire d'appel en garantie présentée par L.-C. C. :

Attendu que M. S. invoque les fautes respectivement commises à son préjudice par les diverses parties défenderesses ; qu'il n'y a pas lieu de lui faire subir l'allongement et la complication du procès qui résulteraient d'un appel en garantie tendant à répartir entre les parties éventuellement condamnées à son profit la charge définitive de la dette ;

Attendu que l'exception présentée par L.-C. C. doit en conséquence être rejetée ;

V. Sur les fautes invoquées par M. S. :

A. Sur la responsabilité de L.-C. C. :

Attendu que les notaires sont responsables des fautes qu'ils commettent dans l'exercice de leurs fonctions d'officier public ; que cette responsabilité joue non seulement vis-à-vis des parties aux actes qu'ils reçoivent, mais également à l'égard des tiers auxquels ces fautes peuvent causer préjudice ;

1° Sur l'acte de notoriété du 8 février 1990 :

Attendu que L.-C. C. a établi le 8 février 1990, sur la déclaration de six témoins, un acte de notoriété tendant à faire la preuve que « les conditions exigées par l'article 2048 du Code civil pour acquérir la propriété par la prescription trentenaire sont réunies et Madame Veuve G. née A. doit être considérée comme propriétaire de ladite Villa C... » ;

Attendu que s'il est vrai qu'en pareil cas, la mission du notaire se limite à l'authentification des propos des déclarants sans impliquer la vérification de leur contenu par des investigations spéciales, cet officier public engage néanmoins sa responsabilité lorsqu'il accepte d'établir un acte de notoriété alors que les circonstances ou ses connaissances personnelles sont de nature à mettre en doute la véracité des énonciations des déclarants et la réalité des faits dont ils prétendent attester ;

Attendu que l'acte de notoriété énonce notamment, parmi les faits de nature à établir la possession paisible, continue et non équivoque de la villa tant par J. G. qu'à sa suite par sa veuve :

* que les sœurs K., légataires de la villa suivant acte établi le 7 février 1950 par Maître Settimo, prédécesseur de L.-C. C., « ne se sont jamais manifestées » depuis cette date ;

* que J. G., locataire de la villa à compter du 1er octobre 1949, puis A. A. « en l'absence de toute demande du ou des propriétaires dont on ignore qui ils sont... ne se sont jamais acquittés d'un quelconque terme de loyer » ;

Attendu cependant que les propres archives du notaire contenaient des pièces contredisant ces affirmations ;

Attendu qu'une des légataires de la villa, M. K. veuve K., avait entretenu avec Maître Settimo, entre 1954 et 1960, une correspondance assez fournie par laquelle elle s'inquiétait du paiement et de la réévaluation des loyers dus par le locataire de la villa ; que Maître Settimo lui avait notamment adressé le 14 février 1957 une réponse par laquelle il lui annonçait, outre un versement de 300 000 anciens francs, une augmentation du loyer et le paiement d'un rappel par le locataire ; qu'il l'avait encore informée le 21 avril 1960 de l'ouverture d'un compte étranger convertible à la Banque Nationale pour le Commerce et l'Industrie à Monaco, destiné à recevoir les loyers versés en l'étude ;

Attendu que L.-C. C. a eu personnellement connaissance de cette situation après le décès de Maître Settimo et la reprise de son étude ; qu'il n'a pu ignorer l'existence du compte bancaire ci-dessus décrit ; qu'il écrivait lui-même le 2 mai 1962 à la propriétaire qu'il ne souhaitait plus assurer la gérance de la location et l'invitait à désigner un autre mandataire ; qu'il joignait à ce courrier un relevé de compte faisant apparaître les loyers et les charges entre juin 1957 et avril 1962 ;

Attendu que la prétendue possession par J. G. n'avait d'ailleurs rien de paisible puisque selon les termes d'un courrier rédigé le 3 mai 1960 par le Chef du secrétariat particulier de Son Altesse Sérénissime le Prince Souverain, une réclamation faite le 14 janvier 1960 par M. K. avait donné lieu à une « longue enquête » au sujet de la gestion de Maître Settimo et du comportement de J. G. ; qu'une telle enquête ne pouvait être ignorée des notaires successifs ;

Attendu que L.-C. C. disposait donc de renseignements qui démontraient manifestement tant l'inexactitude des faits énoncés dans l'acte de notoriété que l'inexistence d'une possession trentenaire utile ; qu'il s'est référé de façon sélective aux documents qu'il détenait de son prédécesseur, omettant de faire produire leur effet aux courriers et protestations de M. K. ;

Attendu qu'il a donc agi fautivement tant en établissant l'acte de notoriété qu'en le faisant publier dès le 1er mars 1990 à la Conservation des Hypothèques, alors qu'il avait nécessairement conscience qu'il portait ainsi atteinte aux droits des véritables propriétaires de l'immeuble ;

Attendu qu'il a par cette faute engagé sa responsabilité civile à l'égard de ces propriétaires ;

2°Sur l'acte de vente de la villa :

Attendu que cet acte a été précédé le 30 octobre 1990 d'une notification adressée par l'État de Monaco tant à A. A. qu'à la société Promofrance, alors bénéficiaire d'une promesse de vente de la villa, et à L.-C. C. ; que l'État y faisait à A. A. « défense... de se prétendre propriétaire de la » Villa C. «, et des droits réels y attachés, ainsi que de passer quelque acte de disposition desdits droits... » ;

Attendu que l'État y contestait la valeur des indices, déclarations et documents visés dans l'acte de notoriété, et relevait divers éléments susceptibles de les contredire ;

* qualité de locataire prise par J. G. lui-même dans un courrier adressé le 13 octobre 1976 à la Banco di Roma et au Directeur du Service de l'Urbanisme et de la Construction ;

* déclaration d'A. A. consignée le 12 décembre 1980 dans un acte d'huissier, selon laquelle son mari était locataire principal de l'immeuble ;

* termes d'un jugement rendu le 22 mai 1975 par le Tribunal de Première Instance et d'un arrêt prononcé le 2 mars 1976 par la Cour d'Appel, reconnaissant à J. G. la qualité d'occupant au sens de l'article 9 de l'ordonnance-loi n° 669, exclusive de la qualité de propriétaire ;

Qu'il en déduisait que les conditions de fait et de droit nécessaires et suffisantes pour prétendre à l'acquisition de la propriété par usucapion n'étaient pas réunies au bénéfice des époux G. ;

Attendu que la société Promofrance s'est alors inquiétée de l'existence des véritables propriétaires de la villa qu'elle a fait rechercher sur le territoire de la République de Yougoslavie ;

Qu'elle a fait notifier le 8 décembre 1990 une sommation interpellative à H. et M. K. à l'occasion de laquelle seule H. a déclaré « Nous ne voulons plus entendre parler de cette villa de Monaco dont nous nous désintéressons complètement » ; que ce document énonce que « précédemment interpellées, les requises ont consacré cette prescription acquisitive en déclarant ne plus être propriétaires dudit immeuble, dont elles se sont d'ailleurs désintéressées depuis plus de trente ans » ;

Attendu que L.-C. C. a dressé le 10 décembre 1990 un acte constatant le dépôt de cette pièce et de sa traduction au rang de ses minutes ;

Attendu que le Service de l'Urbanisme et de la Construction a fait connaître le 27 décembre 1990 à la société Promofrance : « l'État prend acte que sous sa responsabilité et celle de son notaire, notamment quant à la régularité du titre de propriété que vous opposerez aux tiers, votre société entend poursuivre l'étude de son projet immobilier » ;

Attendu qu'en cet état, L.-C. C. a reçu le 27 décembre 1990 divers actes liés à l'opération d'achat de la villa et à la réalisation d'un programme immobilier comportant sa démolition et de nouvelles constructions :

* constitution de la société civile immobilière du ., créée entre la société Promofrance, titulaire de 68 % des parts, la société Sobi et la Caisse d'Épargne et de Prévoyance de Nice, attributaires chacune de 16 % des parts ;

* cession par la société Promofrance à la société nouvellement créée du bénéfice de sa promesse de vente pour le prix de 14,6 millions de francs ;

* vente de la villa par A. A. à la société nouvelle pour le prix de 8 millions de francs ;

Attendu que le notaire a ainsi agi de façon pour le moins imprudente en prêtant son concours jusqu'à l'aboutissement d'une opération dont le caractère hasardeux ne pouvait, en tant que professionnel du droit, lui échapper ;

Que la notification de l'État le mettait pourtant en garde sur le fait qu'A. A. n'avait possédé la villa que pour autrui et à titre précaire et que l'article 2056 du Code civil faisait donc obstacle à toute prescription ;

Attendu que la sommation interpellative n'était que partielle puisqu'elle n'enregistrait aucune réponse de la part de M. K. et n'établissait pas que sa sœur H. ait pu la représenter ni l'engager par ses déclarations personnelles ;

Attendu que la thèse selon laquelle les véritables propriétaires auraient entendu abandonner leurs droits sur la villa n'était de toute façon pas susceptible de conférer un titre de propriété à A. A. ;

Attendu que la sommation interpellative n'apportait aucune réponse aux critiques émises par l'État contre le contenu et la portée de l'acte de notoriété ; que l'éventuel désintérêt du propriétaire ne pouvait en aucune manière faire la preuve de la possession invoquée par A. A., qui ne pouvait résulter que de faits ou actes matériels et positifs imputables à son action personnelle ou à celle de son défunt mari ;

Attendu en outre que l'éventuelle renonciation par un propriétaire à son droit de propriété sur un immeuble ne peut pas profiter à des tiers puisque l'article 435 du Code civil confère à l'État la propriété des biens vacants ou sans maître et ceux des personnes dont les successions sont abandonnées ;

Attendu que L.-C. C. n'allègue pas avoir mis en garde ses clients sur le caractère inopérant de la sommation interpellative ; qu'il a au contraire entendu lui faire produire des effets en la déposant au rang de ses minutes, puis en ne faisant état tant dans l'acte de cession de promesse de vente que dans l'acte de vente de la villa qu'il a rédigés ;

Attendu qu'il a encore par ce fait engagé sa responsabilité civile ;

B. Sur la responsabilité d'A. A. :

Attendu que chacun des responsables d'un même dommage est tenu d'en assurer la réparation ; que les manquements commis par L.-C. C. ne sauraient à eux seuls exonérer A. A. de ses propres fautes et faire obstacle à la recherche de sa responsabilité envers M. S. ;

Attendu qu'aucune pièce n'est produite par les parties au sujet des conditions dans lesquelles L.-C. C. a été requis d'établir l'acte de notoriété ; qu'il apparaît cependant qu'A. A. s'est inquiétée dès 1989 de se faire reconnaître des droits sur la villa puisque dans un courrier du 3 juillet 1989, la Direction du Budget et du Trésor lui rappelait son désir de rembourser les frais de ravalement de la villa avancés par l'État « au terme de la procédure actuellement en cours en ce qui concerne la propriété dudit immeuble » ;

Attendu que le simple fait d'avoir invoqué la prescription acquisitive et sollicité l'établissement de l'acte de notoriété ne suffit pas en lui-même à faire la preuve de la mauvaise foi ou d'une faute de la part d'A. A. ;

Attendu en revanche qu'elle a été clairement informée par la notification de l'État des risques attachés à ses prétentions ; que s'il est vrai que cet acte a été signifié en mairie en ce qui la concerne, il est établi qu'elle en a eu rapidement connaissance ; que l'acte sous seing privé du 27 décembre 1990, par lequel elle accepte la révision du prix de vente initialement conclu dans la promesse de vente, énonce que la société Promofrance, « immédiatement après la notification », lui a fait part de l'obligation dans laquelle elle se trouvait de modifier ses engagements et de surseoir à leur exécution ;

Que pleinement consciente de la fragilité de son prétendu titre de propriété, elle a été amenée :

* d'une part, à accepter une très sensible diminution du prix de vente de la villa, ramené de 28 à 8 millions de francs ;

* d'autre part, à faire insérer à l'acte de vente une clause par laquelle elle excluait de la garantie due par elle à son acquéreur les « troubles qui pourraient résulter de la prescription acquisitive dont il sera parlé ci-après au paragraphe » origine de propriété " ;

Attendu qu'elle a donc sciemment agi, de façon particulièrement téméraire, au mépris des droits des véritables propriétaires ;

Attendu que son état de santé au moment de la vente ne saurait faire disparaître sa responsabilité ; qu'il n'est pas démontré que l'état de dépression constaté à partir de novembre 1990 par son médecin traitant, le docteur R. (pièce n° 24 de son dossier), ait constitué un trouble mental suffisant pour abolir sa conscience ; qu'en outre, l'article 410-3° du Code civil oblige celui qui a causé un préjudice à le réparer alors même qu'il aurait agi sous l'empire d'un trouble mental ;

C. Sur la responsabilité de la société :

Attendu que cette société a elle aussi été parfaitement informée dès le jour de sa constitution des incertitudes relatives à la réalité des droits invoqués par A. A. ;

Attendu qu'elle a agi lors de la vente par l'intermédiaire de sa gérante statutaire, la société Promofrance, elle-même représentée par J.-L. G. ; qu'elle avait ainsi nécessairement connaissance de l'ensemble des démarches effectuées par la société Promofrance, y compris les recherches effectuées en Yougoslavie pour retrouver et interroger les sœurs K. ;

Attendu en outre que tant ces démarches que la notification de l'État lui ont été rappelées dans l'acte de vente ; que ce même acte dispensait A. A. de garantir les troubles pouvant résulter de la remise en cause de la prescription acquisitive constituant son titre ;

Attendu que la société . a sciemment pris le risque, en acquérant la villa, de porter atteinte aux droits des véritables propriétaires dont elle connaissait à la fois l'existence et la réalité ;

Qu'elle a ainsi agi fautivement, concurremment avec le notaire et A. A. ;

D. Sur la responsabilité de la société Sobi :

Attendu que la responsabilité de cette société n'est recherchée qu'en raison de l'hypothèque qu'elle aurait fait inscrire sur la villa postérieurement à la vente ;

Attendu qu'il est exact que la société Sobi a obtenu le 14 mars 1994 une ordonnance l'autorisant à faire inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur différents immeubles, dont la villa litigieuse, en garantie de la créance résultant de concours financiers consentis à la société . (pièce n° 32 du dossier de cette dernière société) ;

Attendu qu'il n'est cependant pas démontré qu'elle ait effectivement fait inscrire une hypothèque sur la villa ; qu'au contraire, l'état hypothécaire délivré le 17 septembre 1996, soit 30 mois après l'autorisation, ne fait apparaître aucune inscription (pièce n° 31) ; que M. S. ne produit pas d'état postérieur ;

Attendu que ni la faute ni même le fait dommageable reprochés à la société Sobi ne sont donc démontrés ; que M. S. doit d'ores et déjà être déboutée de la demande formée contre cette société ;

VI. Sur le préjudice et sa réparation

Attendu que M. S. n'est recevable à solliciter que la réparation du préjudice qu'elle a personnellement subi depuis le décès d'H. K., survenu le 18 avril 1997 ;

Attendu que l'arrêt du 15 décembre 1998, par lequel la Cour d'Appel a jugé qu'A. A. n'était pas propriétaire de la villa et a annulé sa vente, n'est devenu définitif qu'après le rejet du pourvoi formé par cette dernière, soit le 7 octobre 1999 ;

Attendu que M. S. n'a pas pu durant cette période obtenir l'envoi en possession de son legs et a été ainsi privée de la jouissance de la villa ; qu'elle n'a pas pu en tirer les profits auxquels elle aurait pu immédiatement prétendre, soit en en percevant des loyers, soit en faisant produire des fruits au prix obtenu de sa vente ;

Qu'elle a dû en outre intervenir au procès opposant A. A. à la société . ; que son intervention a été jugée recevable par la Cour d'Appel ; que les frais et les tracas de cette action judiciaire, nécessaire à la défense de ses droits, constituent également un chef de son préjudice ; que l'indemnité de 10 000 francs allouée à M. S. par la Cour de Révision sur le fondement de l'article 459-4 du Code de procédure civile ne tend qu'à compenser le préjudice résultant de l'instance en révision et ne saurait épuiser son droit à réparation du dommage causé par la procédure antérieure ;

Attendu que le préjudice ainsi caractérisé a pour origine certaine l'atteinte illégitime aux droits du véritable propriétaire de la villa causée ou facilitée par les agissements imputés plus haut aux défendeurs, à l'exception de la société Sobi ;

Attendu qu'aucune faute susceptible de limiter la réparation ne peut être reprochée à M. S. ; qu'elle n'a pas fait preuve de négligence et a au contraire régularisé dès le 31 mars 1998, moins d'un an après le décès d'H. K., son intervention dans le procès ayant abouti à l'annulation de la vente ;

Attendu que le préjudice subi par M. S. est la conséquence d'un fait unique, à savoir la vente de la villa dont A. A., L.-C. C. et la société . ont ensemble, par leurs fautes respectives, permis la réalisation ;

Attendu que le Tribunal dispose des éléments nécessaires pour évaluer à 75 000 euros l'indemnité suffisante pour réparer ce dommage ;

Attendu que M. S. ne sollicite pas la condamnation solidaire des co-responsables ; qu'il y a lieu dans les limites ainsi fixées au Tribunal de partager la charge de la réparation entre les défendeurs responsables et de les condamner, chacun, à lui payer la somme de 25 000 euros ;

Et attendu que les dépens doivent incomber selon l'article 231 du Code de procédure civile à la partie qui aura succombé ; que lorsque plusieurs parties sont condamnées, l'article 235 du même code ne permet de les adjuger avec solidarité que si la condamnation principale est elle-même fondée sur une obligation solidaire ;

Attendu qu'à défaut d'obligation solidaire invoquée par la demanderesse, les dépens doivent en l'espèce être partagés par tête entre les trois codéfendeurs défaillants ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Met J. O., és qualités, hors de cause ;

Déclare irrecevables les demandes de M. S. en ce qu'elles tendent à obtenir réparation du préjudice subi de son vivant par H. K. ;

Déclare recevable le surplus des demandes présentées par M. S. ;

Constate que du chef d'A. A., le Tribunal n'est plus saisi que de ses demandes reconventionnelles exprimées dans ses dernières conclusions du 7 juin 2001 et qu'elle a renoncé à toutes autres demandes antérieures ;

Rejette l'exception dilatoire d'appel en garantie présentée par L.-C. C. ;

Déboute M. S. de sa demande formée contre la société Sobi devenue United European Bank ;

Condamne L.-C. C. à payer à M. S. la somme de Vingt Cinq Mille Euros (25 000 euros) à titre de dommages-intérêts ;

Condamne A. A. à payer à M. S. la somme de Vingt Cinq Mille Euros (25 000 euros) à titre de dommages-intérêts ;

Condamne la société . à payer à M. S. la somme de Vingt Cinq Mille Euros (25 000 euros) à titre de dommages-intérêts.

Composition

M. Narmino, prés. ; Fougeras Lavergnolle, juge supl. f.f. subst. proc. gén. ; Mes Brugnetti, Pasquier-Ciulla, Blot, Escaut, Karczag-Mencarelli, av. déf. ; Giaccardi, av. ; Rouillot et Rivoir, av. bar. de Nice.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 27014
Date de la décision : 27/06/2002

Analyses

Contrat de vente ; Droit des obligations - Responsabilité civile contractuelle


Parties
Demandeurs : S. A.
Défendeurs : A., Banque Sobi, SCI du ., C., O.

Références :

article 2082 du Code civil
article 435 du Code civil
article 864 du Code civil
article 2056 du Code civil
article 156-3 du Code de procédure civile
article 2048 du Code civil
article 410-3° du Code civil
article 459-4 du Code de procédure civile
article 231 du Code de procédure civile
article 259 du Code de procédure civile
article 475 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;2002-06-27;27014 ?

Source

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