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27/06/2002 | MONACO | N°27013

Monaco | Tribunal de première instance, 27 juin 2002, M. c/ Sté Iveco France


Abstract

Exéquatur

Convention franco-monégasque relative à l'aide mutuelle judiciaire - Exécution d'une décision française - Interdiction au juge monégasque saisi d'une demande d'exequatur ou d'une difficulté d'exécution de réviser la décision française - Application de la jurisprudence française concernant - l'obligation de remboursement des sommes versées en vertu d'une décision de première instance assortie de l'exécution provisoire résultant de plein droit de la réformation de ladite décision,- le paiement des intérêts au taux légal à compter de la not

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Abstract

Exéquatur

Convention franco-monégasque relative à l'aide mutuelle judiciaire - Exécution d'une décision française - Interdiction au juge monégasque saisi d'une demande d'exequatur ou d'une difficulté d'exécution de réviser la décision française - Application de la jurisprudence française concernant - l'obligation de remboursement des sommes versées en vertu d'une décision de première instance assortie de l'exécution provisoire résultant de plein droit de la réformation de ladite décision,- le paiement des intérêts au taux légal à compter de la notification de la décision ouvrant droit à restitution - Application de la loi française (semblable à la loi monégasque) majorant de 5 points le taux d'intérêt légal, à l'expiration d'un délai de 2 mois à compter du jour où la décision de justice a été signifiée, le pourvoi en cassation n'étant pas en principe suspensif d'exécution

Résumé

Le commandement litigieux est en réalité le prélude à des mesures d'exécution forcée ; la discussion relative à la portée de l'arrêt français, concernant tant le principe de l'obligation de restitution que le point de départ et le taux de l'intérêt moratoire, doit s'analyser comme une difficulté d'exécution d'une décision judiciaire ou d'un titre exécutoire au sens des articles 415 et 485 du Code de procédure civile ;

L'exécution à Monaco des décisions judiciaires françaises est régie par la convention du 21 septembre 1949 relative à l'aide mutuelle judiciaire entre la France et la Principauté de Monaco, rendue applicable par l'ordonnance souveraine n° 106 du 2 décembre 1949 ;

Par exception à l'article 474 du Code de procédure civile, l'article 18 de la convention exclut toute révision au fond de la décision dont l'exécution est sollicitée ; cette règle interdit au juge monégasque à la fois de modifier la décision française en cause, d'ajouter à ses dispositions ou de substituer d'autres modalités de règlement à celles prévues par le juge français ;

Cette prohibition s'applique tant au juge monégasque saisi d'une demande d'exequatur qu'à celui appelé à statuer sur une difficulté d'exécution de la décision française rendue exécutoire à Monaco ;

L'application de ces principes d'ordre public entraîne l'irrecevabilité :

• des demandes de la société Iveco France tendant à la capitalisation des intérêts et à l'imputation des paiements à intervenir,

• de la demande de M. M. tendant à l'obtention de délais de paiement ;

En outre la société Iveco France soutient elle-même que la créance de restitution qu'elle invoque résulte de l'arrêt français du 25 novembre 1994 ;

Cet arrêt constitue désormais un titre exécutoire à Monaco ; la société Iveco n'est donc pas recevable à solliciter par voie de condamnation un nouveau titre en ce qui concerne les restitutions et dépens mis à la charge de M. M. par cet arrêt ;

La Cour d'appel d'Aix-en-Provence a constaté le 25 novembre 1994 la nullité du jugement rendu le 16 mai 1991 par le Tribunal de commerce de Menton, ce « avec toutes ses conséquences de droit » ;

Il convient de rechercher quelles sont, au regard du droit français, les conséquences de plein droit de cette décision, applicable à Monaco en toutes ses dispositions ;

La jurisprudence française était clairement fixée dès avant le prononcé de l'arrêt litigieux ;

La Cour de cassation française avait en effet jugé à plusieurs reprises que « l'obligation de rembourser les sommes versées en vertu d'une décision de première instance assortie de l'exécution provisoire résulte de plein droit de la réformation de ladite décision » (Cour de cassation, Chambre sociale, 27 février 1991 : Bulletin des arrêts de la cour, n° 104, p. 65. - 13 octobre 1966 : Bulletin, n° 778, p. 647) et avait précisé que les juges ne sont pas tenus d'ordonner expressément le remboursement, sauf acquiescement formel du défendeur à une demande présentée en ce sens (Chambre sociale, 20 mars 1990 : Bulletin, n° 126, p. 74) ;

Ces principes doivent être étendus à l'hypothèse de l'annulation de la décision de première instance ;

Contrairement à la thèse soutenue par M. M., l'arrêt litigieux emportait bien sa condamnation à rembourser toute somme que lui aurait versée la société Iveco France en exécution du jugement annulé ;

La question du point de départ des intérêts a également été tranchée en France, de façon particulièrement solennelle, par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation ;

Cette formation de la Cour a en effet décidé le 3 mars 1995 qu'en application de l'article 1153 de l'alinéa 3 du Code civil français, « la partie qui doit restituer une somme qu'elle détient en vertu d'une décision de justice exécutoire n'en doit les intérêts au taux légal qu'à compter de la notification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution » (arrêt publié au Bulletin, n° 1, p. 1) ;

Cette solution a été réaffirmée depuis par les différentes chambres de la Cour de cassation, notamment la première chambre civile (arrêt du 18 octobre 2000, Bulletin, n° 252, p. 165), la deuxième chambre civile (arrêt du 6 mai 1999 : Bulletin, n° 86, p. 64), la chambre commerciale (arrêt du 24 février 1998 : Bulletin n° 88, p. 69) ;

Ces décisions excluent l'application de l'article 1378 du Code civil français, équivalent à l'article 1225 du Code monégasque, qui permet en matière de répétition de l'indu de faire partir les intérêts du jour de la réception indue lorsqu'il y a eu mauvaise foi de la part de celui qui a reçu ;

De toute façon, le principe ci-dessus rappelé, interdisant au juge monégasque d'ajouter à la décision française rendue exécutoire à Monaco, prive en l'espèce le Tribunal de la faculté de modifier le point de départ des intérêts, tel qu'il résulte de plein droit de la décision française ; le Tribunal ne peut donc pas rechercher si M. M. a pu se comporter de mauvaise foi ; au demeurant les faits invoqués par la société Iveco France, tous postérieurs au paiement, seraient inopérants alors que la mauvaise foi ici envisagée doit être antérieure au paiement ou lui être contemporaine ;

Il résulte des pièces produites que l'arrêt litigieux a été signifié le 23 décembre 1994 à M. M. au moyen d'un acte dont la régularité n'est pas discutée ; M. M. a d'ailleurs formé le 16 février 1995 un pourvoi en cassation dont il s'est ensuite désisté ;

Il n'est pas constaté que cette société lui a payé la somme de 154 967 francs dont il reconnaît d'ailleurs être redevable ;

L'intérêt dû sur cette somme à restituer doit donc avoir pour point de départ, non la date de l'arrêt visée par le commandement, mais celle de sa signification qui vaut mise en demeure ;

L'article 3 de la loi française n° 75-619 du 11 juillet 1975 et l'article 1745 du Code civil monégasque disposent de façon concordante qu'en cas de condamnation, le taux de l'intérêt légal est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire ;

Cette règle est bien applicable à M. M. ; il résulte de l'article 579 du Nouveau Code de procédure civile français que ni le recours par voie extraordinaire, tel le pourvoi en cassation, ni le délai ouvert pour l'exercer ne sont, sauf texte spécial contraire, suspensifs d'exécution ; l'arrêt litigieux est donc devenu exécutoire dès sa signification, de sorte que la majoration du taux d'intérêts était applicable deux mois plus tard.

Motifs

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Par jugement rendu le 16 mai 1991, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Menton a prononcé la résolution de la vente d'un camion de marque Fiat livré à l'entreprise dirigée par M. M. et a condamné la société Fiat (en réalité Iveco Unic) à lui payer la somme de 152 334 francs, assortie des intérêts de droit depuis le 21 janvier 1972, outre la somme de 5 000 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile français ;

La société Iveco Unic a alors réglé la somme de 154 967 francs en exécution de ce jugement ;

Cette décision a été annulée, avec toutes conséquences de droit, par un arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 25 novembre 1994, devenu définitif en France et déclaré exécutoire à Monaco suivant jugement rendu le 5 février 1998 par le Tribunal de première instance de la Principauté ;

Le 22 juillet 1998, la société Iveco France a fait signifier à M. M., par le ministère de Maître Notari, huissier, commandement de payer les sommes suivantes « en vertu d'un jugement contradictoirement rendu par le Tribunal de première instance de la Principauté de Monaco le 5 février 1998 » :

francs

* principal .............................. 154 967

* intérêts légaux du 24 novembre 1994 au 17 juillet 1998 .................... 185 134,26

* intérêts à compter du 18 juillet 1998 jusqu'à parfait paiement

* dommages-intérêts ........................... 5 000

* frais divers de la procédure française ............... 11 102,46

* dépens ................................. 6 068,08

* coût de la grosse .............................. 56

* coût de la signification .................... 216

* le coût du commandement ............... 523

La procédure française a donné lieu le 21 mars 1996 à un nouveau jugement du Tribunal de commerce de Menton portant diverses condamnations au profit de M. M. ; ce jugement a été infirmé le 18 mai 2000 par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence qui a débouté M. M. des ses demandes et l'a condamné :

• « à rembourser à la société Iveco France les sommes perçues en vertu de l'exécution provisoire avec intérêts au taux légal à compter de la signification de cet arrêt outre capitalisation de ceux-ci année par année à partir de la même date »,

• à payer à cette société et à la société Marrel la somme de 10 000 francs (ou 1 524,49 euros) chacune au titre de l'article 700 du code précité ;

Par l'exploit susvisé du 28 juillet 1998, M. M. a fait assigner la société Iveco France devant le Tribunal de première instance en vue d'obtenir l'annulation du commandement du 22 juillet précédent et la condamnation de cette société à lui payer la somme de 10 000 francs en réparation du préjudice causé par sa procédure abusive ;

Il soutenait ses prétentions dans ses conclusions des 19 mai 1999, 16 février 2000, 12 avril 2000 et soulevait l'irrecevabilité des demandes reconventionnelles de son adversaire ;

Cependant, il demandait le 21 février 2001, eu égard à la dernière décision rendue en France :

• qu'il lui soit donné acte de son offre de rembourser la somme principale de 154 967 francs outre les intérêts dus depuis la date du commandement,

• un échelonnement des paiements sur un délai de deux années par échéances mensuelles égales ;

Il s'opposait dans ses écritures des 30 mai 2001 et 14 novembre 2001 à la capitalisation des intérêts, à la majoration du taux d'intérêt légal depuis la date de signification de l'arrêt français du 25 novembre 1994, au remboursement des frais de procédure française et à la demande d'indemnité ;

La société Iveco France concluait dans ses écrits déposés les 9 décembre 1998, 10 novembre 1999 et 12 avril 2000 au rejet de ces prétentions et demandait au Tribunal d' « ordonner la restitution » des sommes visées dans son commandement ;

Par conclusions déposées le 25 octobre 2000, elle reprenait ces demandes et sollicitait en outre :

• la condamnation de M. M. à lui payer à titre de dommages-intérêts 50 000 francs en réparation du préjudice causé par sa résistance abusive et 30 000 francs pour l'indemniser du préjudice matériel résultant des frais engagés pour assurer la défense de ses intérêts,

• le prononcé de l'exécution provisoire ;

Les 5 avril et 13 septembre 2001, elle formait de nouvelles demandes supplémentaires :

• assortir la somme principale de 154 967 francs des intérêts au taux légal à compter du 9 décembre 1994, majorés de cinq points à compter du 24 février 1995,

• déclarer son adversaire redevable de la somme de 89 936,64 francs au titre des intérêts échus entre le 9 décembre 1994 et le 31 mars 2001,

• « à tout le moins », dire que les intérêts au taux légal devront courir à compter du 23 décembre 1994, date de signification à partir de l'arrêt français,

• ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code civil,

• dire que le paiement fait sur le capital et les intérêts s'imputera d'abord sur les intérêts conformément à l'article 1254 du Code civil,

• dire que M. M. restera redevable des intérêts au taux légal, majoré de cinq points, jusqu'au parfait règlement de l'intégralité des sommes dues,

• si des délais de paiement devaient par impossible lui être accordés, dire qu'il devra constituer une caution bancaire ;

Les parties ont débattu des points litigieux suivants :

Sur la recevabilité des demandes reconventionnelles :

* rappelant que l'article 382 du Code de procédure civile n'admet la demande reconventionnelle que si elle constitue une défense à l'action principale, M. M. prétend que la seule défense que pourrait présenter son adversaire serait la preuve de l'existence d'un titre exécutoire pour une dette certaine, liquide et exigible ; il en reprend pas dans le dernier état de ses conclusions ses moyens tirés de l'existence d'une procédure pendante devant les juridictions françaises, terminée par l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 18 mai 2000 ;

* la société Iveco France répond que sa demande de restitution des sommes versées ne saurait constituer une demande nouvelle alors qu'elle constitue l'objet même du commandement de payer contesté ;

Sur l'existence d'un titre exécutoire :

* M. M. soutient qu'aucune décision, ni en France ni à Monaco, ne l'a condamné au paiement d'une créance liquide et exigible, qu'il ne résulte aucune condamnation à remboursement ni aucun titre exécutoire de l'arrêt rendu en 1994 par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence et que l'absence d'un tel titre entraîne donc la nullité du commandement ;

* la société Iveco France répond qu'à la suite de l'annulation prononcée par la Cour d'appel, il y a lieu de rétablir les parties dans la situation où elles se trouvaient antérieurement et que cette annulation « implique une restitution implicite » ; elle invoque la jurisprudence de la Cour française de cassation, selon laquelle l'obligation de rembourser les sommes versées en vertu d'une décision de première instance assortie de l'exécution provisoire résulte de plein droit de la réformation de cette décision ; elle se réjouit de voir son adversaire admettre dans le dernier état de ses conclusions qu'il doit restituer la somme perçue et y voit un ralliement à sa propre position ;

Sur le point de départ des intérêts :

* la société Iveco France fait valoir d'une part que l'article 1153 du Code civil français fait partir les intérêts à compter de la mise en demeure, soit en l'espèce la notification de la décision ouvrant droit à restitution des intérêts à compter du jour du paiement en cas de mauvaise foi de la part de celui qui a reçu ; elle estime que M. M., en refusant de rembourser et en sollicitant devant le Tribunal de Menton une somme identique à celle reçue, sans demander une condamnation en deniers ou quittance, s'est montré de mauvaise foi et s'expose ainsi à devoir payer des intérêts à partir du 9 décembre 1994, date du paiement ;

* M. M. prétend repousser le point de départ des intérêts à la date du commandement de payer litigieux ; il fait valoir que la signification de l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence est inopérante puisque cette décision ne comporte aucune condamnation ; il conteste s'être comporté de mauvaise foi alors qu'il ne peut y avoir de faute dans le fait d'exécuter une décision de justice ;

Sur la majoration des intérêts de retard :

* la société Iveco France explique que le taux des intérêts doit être majoré de cinq points à compter du 24 février 1995, soit deux mois après la signification de l'arrêt du 25 novembre 1994 ;

* M. M. estime inapplicable l'article 3 de la loi française du 11 juillet 1975, à défaut de condamnation prononcée par l'arrêt litigieux ;

Sur la capitalisation des intérêts et l'imputation des paiements :

* la société Iveco France invoque les articles 1154 et 1254 du Code civil français ;

* M. M. répond que cette prétention n'est pas motivée alors qu'elle présente un caractère extraordinaire et doit être demandée en justice ;

Sur les autres postes du commandement :

* M. M. estime qu'un deuxième titre ne peut pas être demandé à Monaco en ce qui concerne les dépens et frais de procédure alors que la condamnation aux dépens figure déjà dans l'arrêt rendu exécutoire à Monaco ;

Sur les dommages-intérêts :

* M. M. voit un abus dans le fait de demander réparation en invoquant à la fois une procédure abusive et une résistance abusive ;

Sur les délais de paiement :

* M. M. fait état de la liquidation de la société à laquelle il avait apporté son fonds de commerce et de la nécessité morale dans laquelle il s'est trouvé d'en prendre en charge le passif ;

* la société Iveco France estime choquante l'idée de lui accorder des délais alors qu'il résiste au paiement depuis 1994 de façon « abusive et éhontée » et qu'il s'est ainsi déjà accordé des délais importants ;

Sur quoi :

I. - Sur la recevabilité des demandes :

Attendu que le commandement vise à la fois :

• des créances résultant de l'arrêt français du 25 novembre 1994 déclaré exécutoire à Monaco suivant jugement rendu le 5 février 1998 par le Tribunal de première instance,

• les dépens, le coût de la grosse et le coût de la signification afférents à ce jugement monégasque ;

A. - Sur les créances résultant de la décision française :

Attendu que le commandement litigieux est en réalité le prélude à des mesures d'exécution forcée ; que la discussion relative à la portée de l'arrêt français, concernant tant le principe de l'obligation de restitution que le point de départ et le taux de l'intérêt moratoire, doit s'analyser comme une difficulté d'exécution d'une décision judiciaire ou d'un titre exécutoire au sens des articles 415 et 485 du Code de procédure civile ;

Attendu que l'exécution à Monaco des décisions judiciaires françaises est régie par la convention du 21 septembre 1949 relative à l'aide mutuelle judiciaire entre la France et la Principauté de Monaco, rendue applicable par l'ordonnance souveraine n° 106 du 2 décembre 1949 ;

Attendu que par exception à l'article 474 du Code de procédure civile, l'article 18 de la convention exclut toute révision au fond de la décision dont l'exécution est sollicitée ; que cette règle interdit au juge monégasque à la fois de modifier la décision française en cause, d'ajouter à ses dispositions ou de substituer d'autres modalités de règlement à celles prévues par le juge français ;

Que cette prohibition s'applique tant au juge monégasque saisi d'une demande d'exequatur qu'à celui appelé à statuer sur une difficulté d'exécution de la décision française rendue exécutoire à Monaco ;

Attendu que l'application de ces principes d'ordre public entraîne l'irrecevabilité :

• des demandes de la société Iveco France tendant à la capitalisation des intérêts et à l'imputation des paiements à intervenir,

• de la demande de M. M. tendant à l'obtention de délais de paiement ;

Attendu en outre que la société Iveco France soutient elle-même que la créance de restitution qu'elle invoque résulte de l'arrêt français du 25 novembre 1994 ;

Attendu que cet arrêt constitue désormais un titre exécutoire à Monaco ; que la société Iveco n'est donc pas recevable à solliciter par voie de condamnation un nouveau titre en ce qui concerne les restitutions et dépens mis à la charge de M. M. par cet arrêt ;

B. - Sur les créances ne résultant que du jugement du 5 février 1998 :

Attendu que la demande de délais de paiement apparaît recevable en ce qui concerne les frais et dépens afférents à ce jugement ;

Attendu en revanche que la société Iveco France n'est pas recevable à solliciter une nouvelle condamnation à ce titre alors qu'elle bénéficie déjà du titre représenté par ce jugement ;

Attendu enfin que la demande de capitalisation des intérêts ne concerne pas ses créances puisqu'elle ne vise que les sommes dues en vertu de l'arrêt français ;

II. - Sur le fond des demandes :

A. - Sur la vérification des créances visées par le commandement :

1° Sur la créance de restitution résultant de la décision française :

Attendu que la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a constaté le 25 novembre 1994 la nullité du jugement rendu le 16 mai 1991 par le Tribunal de commerce de Menton, ce « avec toutes ses conséquences de droit » ;

Attendu qu'il convient de rechercher quelles sont, au regard du droit français, les conséquences de plein droit de cette décision, applicable à Monaco en toutes ses dispositions ;

Attendu que la jurisprudence française était clairement fixée dès avant le prononcé de l'arrêt litigieux ;

Que la Cour de cassation française avait en effet jugé à plusieurs reprises que « l'obligation de rembourser les sommes versées en vertu d'une décision de première instance assortie de l'exécution provisoire résulte de plein droit de la réformation de ladite décision » (Cour de cassation, Chambre sociale, 27 février 1991 : Bulletin des arrêts de la cour, n° 104, p. 65. - 13 octobre 1966 : Bulletin, n° 778, p. 647) et avait précisé que les juges ne sont pas tenus d'ordonner expressément le remboursement, sauf acquiescement formel du défendeur à une demande présentée en ce sens (Chambre sociale, 20 mars 1990 : Bulletin, n° 126, p. 74) ;

Attendu que ces principes doivent être étendus à l'hypothèse de l'annulation de la décision de première instance ;

Attendu que contrairement à la thèse soutenue par M. M., l'arrêt litigieux emportait bien sa condamnation à rembourser toute somme que lui aurait versée la société Iveco France en exécution du jugement annulé ;

Attendu que la question du point de départ des intérêts a également été tranchée en France, de façon particulièrement solennelle, par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation ;

Que cette formation de la Cour a en effet décidé le 3 mars 1995 qu'en application de l'article 1153 alinéa 3 du Code civil français, « la partie qui doit restituer une somme qu'elle détient en vertu d'une décision de justice exécutoire n'en doit les intérêts au taux légal qu'à compter de la notification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution » (arrêt publié au Bulletin, n° 1, p. 1) ;

Que cette solution a été réaffirmée depuis par les différentes chambres de la Cour de cassation, notamment la première chambre civile (arrêt du 18 octobre 2000 : Bulletin, n° 252, p. 165), la deuxième chambre civile (arrêt du 6 mai 1999 : Bulletin, n° 86, p. 64), la chambre commerciale (arrêt du 24 février 1998 : Bulletin, n° 88, p. 69) ;

Attendu que ces décisions excluent l'application de l'article 1378 du Code civil français, équivalent à l'article 1225 du Code monégasque, qui permet en matière de répétition de l'indu de faire partir les intérêts du jour de la réception indue lorsqu'il y a eu mauvaise foi de la part de celui qui a reçu ;

Que de toute façon, le principe ci-dessus rappelé, interdisant au juge monégasque d'ajouter à la décision française rendue exécutoire à Monaco, prive en l'espèce le Tribunal de la faculté de modifier le point de départ des intérêts, tel qu'il résulte de plein droit de la décision française ; que le Tribunal ne peut donc pas rechercher si M. M. a pu se comporter de mauvaise foi ; qu'au demeurant les faits invoqués par la société Iveco France, tous postérieurs au paiement, seraient inopérants alors que la mauvaise foi ici envisagée doit être antérieure au paiement ou lui être contemporaine ;

Attendu qu'il résulte des pièces produites que l'arrêt litigieux a été signifié le 23 décembre 1994 à M. M. au moyen d'un acte dont la régularité n'est pas discutée ; que M. M. a d'ailleurs formé le 16 février 1995 un pourvoi en cassation dont il s'est ensuite désisté ;

Attendu qu'il n'est pas contesté que cette société lui a payé la somme de 154 967 francs dont il reconnaît d'ailleurs être redevable ;

Attendu que l'intérêt dû sur cette somme à restituer doit donc avoir pour point de départ, non la date de l'arrêt visée par le commandement, mais celle de sa signification qui vaut mise en demeure ;

Attendu que l'article 3 de la loi française n° 75-619 du 11 juillet 1975 et l'article 1745 du Code civil monégasque disposent de façon concordante qu'en cas de condamnation, le taux de l'intérêt légal est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire ;

Attendu que cette règle est bien applicable à M. M. ; qu'il résulte de l'article 579 du Nouveau Code de procédure civile français que ni le recours par une voie extraordinaire, tel le pourvoi en cassation, ni le délai ouvert pour l'exercer ne sont, sauf texte spécial contraire, suspensifs d'exécution ; que l'arrêt litigieux est donc devenu exécutoire dès sa signification, de sorte que la majoration du taux d'intérêt était applicable deux mois plus tard ;

2° Sur les autres chefs de créance :

Attendu que M. M. n'émet aucune critique sur le montant des frais et dépens énoncés par le commandement, qu'il s'agisse de ceux afférents à la procédure française ou ceux nés de la procédure monégasque ; qu'il n'y a donc pas lieu à vérification sur ce point ;

Attendu qu'aucune contestation n'est non plus émise au sujet de la somme de 5 000 francs qualifiée de dommages-intérêts, résultant en réalité de l'application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile français relatif aux frais « irrépétibles » ;

B. - Sur la validité du commandement de payer :

Attendu qu'un commandement de payer n'encourt pas la nullité du seul fait que les sommes restant réellement dues excèdent le montant qu'il vise ; qu'en pareil cas, il demeure valable à due concurrence des condamnations en principal et intérêts dont le débiteur n'établit pas s'être acquitté ;

Attendu que le commandement litigieux ne s'avère erroné qu'en ce qui concerne le point de départ des intérêts légaux ; que ce fait n'est pas susceptible de justifier son annulation, le Tribunal devant se borner à trancher la difficulté d'exécution relative à cette date ;

Qu'il y a lieu en conséquence de rejeter la demande initiale tendant à une telle annulation ;

III. - Sur les délais de paiement :

Attendu que cette demande n'est recevable qu'en ce qui concerne les frais et dépens résultant du jugement monégasque du 5 février 1998 ;

Attendu que les sommes dues à ce titre se limitent à 6 350,08 francs ; que les circonstances invoquées par M. M. ne sauraient faire obstacle au paiement d'un montant aussi minime ;

Attendu d'ailleurs que M. M. n'apporte d'ailleurs aucun document justificatif sur sa situation de fortune, notamment ses revenus courants et son patrimoine ; qu'il n'établit donc pas être hors d'état de s'acquitter de sa dette ;

Attendu enfin qu'il n'a effectué aucun paiement alors même qu'il admettait dans ses conclusions du 21 février 2001 être débiteur pour le moins de la somme principale de 154 967 francs ; que l'absence totale d'effort depuis cette date prive sa demande de tout sérieux et démontre qu'il ne cherche qu'à se soustraire au paiement de sa dette ;

Que cette demande doit en conséquence être rejetée ;

IV. - Sur les dommages-intérêts :

Attendu que le commandement litigieux a été reconnu valable et que le Tribunal doit rejeter les contestations émises par M. M. sur la portée de la décision française qui l'a reconnu débiteur envers la société Iveco France ; que la signification de commandement ne peut donc présenter aucun caractère fautif, de sorte qu'il doit être débouté de sa demande de dommages-intérêts ;

Attendu en revanche que M. M. a agi de façon téméraire et abusive en engageant le présent procès, en dépit des règles clairement applicables en la cause, dans le seul espoir de se soustraire à tout paiement en attendant d'obtenir une nouvelle condamnation de la société Iveco France que les juridictions françaises lui ont finalement refusée ;

Attendu que le préjudice né du retard de paiement se trouve déjà réparé par les intérêts moratoires applicables de plein droit ; qu'il n'est pas allégué que ces intérêts constituent une réparation insuffisante ;

Attendu en revanche que la faute de M. M. a contraint la société Iveco France à soutenir durant près de quatre années une nouvelle instance judiciaire et à répondre à de nombreuses écritures ; que ce préjudice justifie réparation sous forme d'une indemnité de 10 000 euros ;

Attendu que le commandement ne tend qu'à l'exécution d'une condamnation précédemment prononcée par une décision non susceptible de recours ; qu'en pareil cas, l'exécution provisoire s'impose conformément à l'article 202 du Code de procédure civile ;

Qu'en ce qui concerne les condamnations prononcées par le présent jugement, l'acharnement manifesté par M. M. à se soustraire à ses obligations laisse craindre qu'il ne poursuive sur la même lancée et ne mette en péril le recouvrement de sa créance par la société Ivevo France ; que cette circonstance constitue le cas d'urgence visé au même texte et justifie le prononcé de l'exécution provisoire ;

Et attendu que la partie qui succombe doit être condamnée aux dépens conformément à l'article 231 du Code de procédure civile ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Dit que l'arrêt rendu le 25 novembre 1994 par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, déclaré exécutoire à Monaco, emporte bien condamnation de M. M. à payer à la société Iveco France la somme principale de 154 967 francs, outre les intérêts au taux légal à compter de la signification de cette décision ;

Déboute M. M. de sa demande tendant à l'annulation du commandement de payer signifié le 22 juillet 1998 par la société Iveco France et déclare cet acte valable ;

Dit cependant que la somme principale de 154 967 francs dont M. M. est débiteur ne doit porter intérêts aux taux légal qu'à compter du 23 décembre 1994 ;

Dit que la majoration de cinq points du taux de l'intérêt légal s'applique pour la période ayant débuté deux mois après cette date ;

Condamne M. M. à payer à la société Iveco France la somme de dix mille euros (10 000 euros) à titre de dommages-intérêts ;

Déclare irrecevables les demandes de la société Iveco France autres que celles tendant à l'allocation de dommages-intérêts ;

Déclare irrecevable, pour ce qui concerne les sommes dues en vertu de l'arrêt précité du 25 novembre 1994, la demande de M. M. tendant à obtenir des délais de paiement, et l'en déboute pour le surplus ;

Déboute M. M. de sa demande de dommages-intérêts ;

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement ;

Composition

MM. Narmino, prés. ; Fougeras-Lavergnolle, juge suplt f.f. subst. proc. gén. ; Mes Karczag-Mencarelli, Rey, av. déf. ; Beurgeaud, av. bar. de Nice ; Gomes, av. bar. de Marseille.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 27013
Date de la décision : 27/06/2002

Analyses

Traités bilatéraux avec la France ; Exequatur


Parties
Demandeurs : M.
Défendeurs : Sté Iveco France

Références :

article 382 du Code de procédure civile
article 202 du Code de procédure civile
article 1254 du Code civil
article 1154 du Code civil
article 1745 du Code civil
ordonnance souveraine n° 106 du 2 décembre 1949
article 231 du Code de procédure civile
articles 415 et 485 du Code de procédure civile
article 474 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;2002-06-27;27013 ?

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